Le Journal de Dominique (8)

Le Pays d’où je viens de Marcel Carné

Noël, c’est aussi, tiens pourquoi pas, le film de Marcel Carné que j’ai vu le mois dernier à la Cinémathèque, Le Pays d’où je viens, avec Gilbert Bécaud dans un double rôle, celui d’un fugitif (pas un malfrat, il ne s’évade pas d’un centre pénitentiaire ni ne fuit des complices qu’il aurait doublés, ceci est un conte de Noël, les deux Gilbert sont sympathiques) et d’un musicien sans le sou, amoureux transi de Françoise Arnoul.

Françoise aussi aime Gilbert 2, mais comme il n’ose le lui dire, elle commence à en avoir marre. Le seul moyen qu’il a trouvé de déclarer sa flamme, c’est de déposer chaque matin une fleur d’edelweiss sur sa fenêtre, ce qui 

primo, est anonyme et je ne vois pas en quoi ça avance ses affaires 

deuxio, n’est pas très écologique mais peut-être les edelweiss n’étaient-ils pas protégés en 1956, ou bien les trouvait-on cultivés en pot chez les fleuristes, cependant dans le premier cas je ne vois pas Gilbert 2 crapahuter régulièrement dans la montagne en côtoyant les précipices pour faire sa cueillette, dans le second il n’est pas assez riche pour en acheter tous les jours. 

Si Gilbert 2 n’a pas le sou, Gilbert 1 est riche. Il offre à Françoise (qui le prend pour Gilbert 2 sans s’étonner de cette fortune soudaine) une longue robe du soir vaporeuse qui la transforme, elle petite serveuse de bar, en une somptueuse princesse. Et alors qu’il a abondamment neigé (dans sa fuite, Gilbert 1 a dévalé une pente couverte de poudreuse dans de coûteuses chaussures de ville, c’est pas ça qu’a dû en arranger le cuir) elle ne trouve rien d’autre, pour s’y faire admirer, que de sortir dans sa cour ainsi (dé)vêtue, les épaules et le dos nus, c’est une robe bustier, sans ressentir le moindre froid quand les autres personnages, pas fous, ont enfilé de chaudes pelisses.

Bon, la période réalisme (même si on le disait poétique) de Carné est derrière lui, et bon sang c’est un conte, au diable ce foutu réalisme ! Et vive les tournages en studio !

             Mardi 18 décembre 2012

Sholay deRamesh Sippy

Loufoque (extravagant, fou, insensé) aussi, samedi dernier : Sholay de Ramesh Sippy, avec le dieu du cinéma indien, Amitabh Bachchan, qui incarne ici un sympathique et courageux voleur/escroc recruté, avec son acolyte, par un ancien policier pour défendre (genre samouraïs ou mercenaires, mais là c’est encore plus fort car ils ne sont que deux) les habitants d’un village contre une bande de brigands qui les rançonne. Le chef des brigands, qui a des faux airs de Fassbinder, est vraiment très très méchant. Il massacre plein d’innocents parmi lesquels, pour se venger de l’ancien policier qui l’a fait arrêter (mais après il s’est évadé) la famille entière de ce dernier (à l’exception d’une belle-fille qui en a réchappé parce qu’elle était partie à la mosquée) qui voyant ça (c’est un flash-back) se précipite tout seul armé de sa seule douleur dans le repaire des brigands là-haut dans la montagne, ce qui est bien imprudent.  La preuve : Fassbinder, tenant un sabre dans chaque main, lui coupe d’un seul coup d’un seul (hors champ, dieu merci) les deux bras. Et c’est pourquoi il fait appel à Amitabh Bachchan et à son pote pour remplacer ses bras (il est toujours vêtu d’une cape, car bien sûr l’acteur a ses vrais bras repliés dans le dos, et ça lui donne une carrure imposante). Il y a aussi une incurable bavarde qui conduit un buggy et qui tombe amoureuse du pote à Amitabh Bachchan et réciproquement, je ne sais pas comment le pote peut supporter ça, d’ailleurs Amitabh il peut pas et il s’enfuit à chaque fois qu’elle se pointe. A un moment, le pote et sa dulcinée sont faits prisonniers par Fassbinder qui met à la nana ce marché en main : tu danses pour nous, tant que tu danses ton bien-aimé vit, si tu t’arrêtes il meurt. La malheureuse entreprend alors de danser, mais avec une telle vigueur qu’on a envie de lui dire ménage-toi, à ce rythme-là tu vas bientôt t’écrouler, songe à ton amoureux qui va alors périr. Mais non, elle continue avec autant d’énergie et elle est bien méritante parce que pour corser l’affaire Fassbinder fait jeter des morceaux de verre sous ses pieds. Elle souffre, elle saigne, le soleil tape dur, elle s’écroule, c’est la fin, non elle tient bon, elle se relève et ça donne à Amitabh Bachchan le temps d’arriver et de les sauver, après quoi il se sacrifie pour couvrir leur fuite. Quand il retrouve Amitabh mort, son pote fou de douleur retourne tout seul dans le repaire des brigands mais Amitabh a réussi à en éliminer pas mal alors Fassbinder se retrouve lui aussi tout seul et ils se battent férocement et le pote est sur le point de tuer Fassbinder quand stop ! voilà l’ancien policier : tu m’avais promis de me le laisser c’est à moi de l’éliminer. –Mais tu n’as pas de bras. –Non mais j’ai mes pieds. Et bing bang il commence à en foutre de sacrés coups sur Fassbinder déjà bien esquinté par le pote à Amitabh, il faut dire. Quand même, parfois il tombe mais il a un fameux coup de reins et même sans bras il se relève d’un bond et il est sur le point d’écrabouiller la tête à Fassbinder avec ses godillots cloutés (gros plan de semelle) quand stop ! la maréchaussée est là qui lui fait la leçon : on ne fait pas justice soi-même, ce n’est pas toi l’ancien policier intègre qui va nous dire le contraire. Honteux, l’ancien policier lève le pied et livre le criminel. Mais avec tout ça, Amitabh Bachchan est mort et bien mort, c’est affreux pour la belle-fille de l’ancien policier qui avait conquis son cœur. Après avoir perdu son premier amour dans le massacre susmentionné (le goût de la parole et des couleurs lui en avait du même coup été ôté), elle perd le second et s’enferme à jamais derrière ses volets ce qui est bien triste. Heureusement, tout finit bien pour le pote que sa bavarde rejoint dans le train du départ (on lui souhaite bien du plaisir avec, à portée d’oreille, une bonne provision de boules Quiès). 

Oser la démesure ! (Dec 2005)

         

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