« La Villa » de Robert Guédiguian

Dans le cadre du Festival TéléramaDu 25 au 30 janvier 2018Soirée débat mardi 30 janvier à 20h30
Film français (novembre 2017, 1h47) de Robert Guédiguian avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet, Anaïs Demoustier, Robinson Stevenin et Yann Tregouët
Distributeur : Diaphana Distribution
Présenté par Laurence Guyon
Synopsis : Dans une calanque près de Marseille, au creux de l’hiver, Angèle, Joseph et Armand, se rassemblent autour de leur père vieillissant. C’est le moment pour eux de mesurer ce qu’ils ont conservé de l’idéal qu’il leur a transmis, du monde de fraternité qu’il avait bâti dans ce lieu magique, autour d’un restaurant ouvrier dont Armand, le fils ainé, continue de s’occuper. Lorsque de nouveaux arrivants venus de la mer vont bouleverser leurs réflexions…
Aller voir un film de Guédiguian, c’est toujours un peu comme rendre visite à une partie de sa famille qu’on ne voit qu’une fois tous les deux trois ans. Il y a l’appréhension, aura-t-on encore quelque chose à échanger ? Il y a l’attente aussi, l’excitation des retrouvailles. Et puis le moment venu, tout le monde est là. On parle souvent de l’équipe de ses films comme d’une famille, j’avais huit ans quand je les ai rencontrés pour la première fois, au cinéma. Depuis, ce sont un peu  des grands-parents, des oncles, des cousins, bref : une famille gauchiste aussi idéale que fictive. J’ai grandi, changé, vieilli aussi un peu, et je les ai vu en faire de même à l’écran. Pourtant, les idées restaient intactes, depuis le premier jour, l’utopie qu’ensemble, on pouvait changer les choses.Pourtant aujourd’hui, – oui aujourd’hui, je raconte ma vie, hum, – la lecture de Bergson m’avait emmené si loin du quotidien, que j’en avais oublié le temps, du moins, l’heure d’aller voir La VILLA, de retrouver mes vieux copains cocos ! C’est étonnée, mais très heureuse, que je découvre donc la salle pleine, m’obligeant à me diriger vers le premier rang…Erreur, grosse erreur. Dès les premières minutes, et sans que l’impression ne me quitte pendant le film, j’étais beaucoup trop près. Et ce n’était pas juste dû à mon point de vue qui anamorphosait l’écran, mais à cette succession de très gros plan et de mouvement de caméra cherchant à se coller toujours plus proche de son sujet. Or si ça crée parfois de magnifiques temps de tension – notamment lorsque, tout au début, la main s’approche du cendrier, se crispe, se tend, se raidit, que le souffle s’éteint et ne laisse plus qu’entendre les vagues, Waouh, tout est là ! – la majorité du temps la caméra ne permet pas la distance nécessaire pour que les acteurs puissent s’épanouir, que les personnages existent, que l’histoire s’autonomise et que le spectateur oublie qu’il est spectateur. C’est une question que je me pose de plus en plus lorsque je sors du cinéma : Est-ce trop demander aux réalisateurs de nous faire oublier, pendant une heure ou deux, qu’on est devant un écran ?Mais à Guédiguian (pas aux autres,  attention…) je lui pardonne. Je lui pardonne tout.Parce que ce qu’il a à nous offrir est beaucoup plus grand que deux heures à croire en une histoire. Ce qu’il offre en pâture à ses spectateurs, c’est un idéal de vie, l’espoir que nos combats et nos idées ne sont pas vains. Et à ça, on y croit, et c’est beau. Très beau.Alors revenons au film pour essayer de comprendre comment la magie opère.On commence donc, par la scène qui présente à la fois le lieu : la calanque de Méjean, comme toujours (ou presque), et le non-personnage principal de l’intrigue. Ce personnage qui va amener tous les autres à se retrouver (soi et les autres), dit alors, dans un dernier souffle, la seule parole qu’il prononcera dans le film : «Tant pis». On ne sait pas alors l’objet du remords dont il accepte enfin de se délivrer mais il peut mourir en paix, ou presque. Il survivra à l’attaque mais restera aphasique.La deuxième séquence présente le nouveau rôle qu’interprète Ariane Ascaride pour son mari : une comédienne revenant, à cause des circonstances, là où elle n’avait plus mis les pieds depuis deux décennies. Son côté sec et prétentieux passé, on réalise qu’Angèle ne s’est pas absentée à cause de son succès, mais parce qu’il lui était impossible de faire le deuil d’une vie qu’il fallait fuir pour survivre. Faire le deuil d’une fille, sa fille, noyée alors que son père en avait la responsabilité, dans ce même lieu. Pourtant elle est là, bien que son retour lui soit invivable.On découvre par la suite ses deux frères, Armand et Joseph. Armand tient le restaurant du coin alors que tous les voisins vendent. Armand est là pour sauver l’héritage culinaire, utopiste et philosophique de son père : ne rien changer, rester les mêmes, continuer à faire des plats pas chers pour le peuple, même si le peuple n’est plus. Sa dévotion est telle qu’il est prêt à sacrifier encore une décennie ou deux pour s’occuper de celui qui lui a offert une vision du monde et des idées en lesquelles croire. Interprété par un Gérard Meylan fabuleux, son jeu instaure les rares moments de vérité du film. Il est Armand, chaque regard, chaque souffle, chaque mot sont d’une fabuleuse justesse qui le confirme. Peu de choses de l’histoire paraissent vraies, mais lui si. Au contraire de Joseph, que le jeu de Jean-Pierre Darroussin peine à convaincre, tant les émotions et les dialogues semblent forcés. Pourtant le personnage est intéressant et bien creusé. Joseph est un ancien cadre, qui a été viré du jour au lendemain, ce qu’il n’a pas supporté. Pourtant, son point de rupture n’est pas son licenciement mais, comme il le révèle à la fin, de ne pas être celui qu’il avait cru, celui qu’il aurait voulu être : un ouvrier. Dans cette lutte des classes, suivant à sa manière, lui aussi, l’héritage de l’éducation paternelle, il a fait semblant de ne pas voir qu’il n’était pas né du bon côté. Il explique la naissance de sa douleur lorsque organisant sa première grève, il avait compris que les autres étaient là parce qu’ils n’avaient pas le choix. D’un coup, la vie le séparait de son combat parce qu’il n’était pas né du bon côté de la richesse, de l’éducation et de la culture. Alors qu’habituellement les gens souffrent de leurs manques, la souffrance de Joseph aura été d’en avoir bénéficié tout petit. Quelle magnifique clairvoyance de la part du réalisateur de créer un tel personnage, incarnation fantastique du paradoxe de la foi communiste.Quelques autres personnages viennent compléter ce tableau, incarnés par d’autres habitués des films du marseillais. Anaïs Demoustier, qu’on a vue, elle aussi, grandir à l’écran, joue la bien trop jeune compagne de Joseph. Elle s’était laissée fasciner par cet homme que la foi gauchiste avait brûlé à vif, mais avait fini par se lasser de ses ressentiments, avant de tomber dans les bras d’Yvan. Yvan, un médecin brillant qui a réussi. Il apporte des médicaments régulièrement à ses parents (portés à l’écran par Geneviève Mnich et Jacques Boudet qu’on a toujours plaisir à retrouver) et veut subvenir à leurs besoins sans réaliser que leur décision est prise depuis longtemps : partir ensemble pour ne pas se voir séparer, pour ne pas voir leur calanque se transformer en plage pour millionnaires, pour ne pas voir leur vision d’un mode de vie populaire se fracasser à la réalité. Et puis il y a Benjamin, joué par un comédien d’une autre famille du cinéma, Robinson Stevenin, le pêcheur, qui est resté là, à refaire les nœuds de ses filets pour pouvoir les lancer sur l’actrice qui l’avait fasciné enfant le jour où elle reviendrait. C’est de manière étrangement surprenante qu’on apprend que bien que resté dans une vie simple et manuelle, lui aussi apprend des textes et monte sur les planches pour les partager avec les classes populaires.Il y a donc un témoignage, en creux de celui social qu’on connaît de Guédiguian, sur l’art, le fait d’être comédien ou comédienne, et sur la création. Angèle est une actrice qui a réussi, elle revient forte de son expérience et de sa célébrité, comme le dit Joseph « C’est comme ça avec les acteurs ». Si ce n’est pas le thème central, le film n’est pas sans rappeler La Mouette de Tchekhov tant les personnages en semblent proches, et par extension, le joli film en référence à la pièce : La petite Lili, de Claude Miller où Robinson Stevenin incarnait déjà un acteur amateur, dans une famille d’artistes ne croyant pas en lui. Que ce soit le presque huis clos, les dialogues, les rapports entre les personnages, la difficulté de trouver sa place et l’idéalisme qu’il soit artistique ou politique, n’est pas sans rappeler La VILLA. Pourtant, contrairement à ce film et aux scènes de Tchekhov, les séquences qui se succèdent ne prennent pas pour une raison évidente, elles sont quasiment toutes ponctuées par un début et une fin, le montage n’interrompt rien. Ce qui peut paraître logique enlève pourtant toute prise du film sur le réel. Dans la réalité, les gens ne commencent pas leurs conversations lorsque la caméra s’allume, et ne concluent pas quelques secondes avant d’entendre « Coupez ! »… Les personnages ne vivent pas entre les scènes. C’est le cas dans chaque fiction, mais habituellement, on y croit assez pour ne pas (vouloir) le voir. Pourtant entre ces débuts et ces fins très lourdes, les personnages prennent souvent une vraie profondeur, des instants de vérité qui nous tirent parfois même les larmes – je suis sûrement hypersensible, je vous l’accorde.

Mais la question centrale de ce film reste la problématique que Guédiguian déploie dans la majorité de ses films : Qu’est devenu l’idéal gauchiste avec lequel il a grandi quand le combat semble définitivement perdu ? Sans le moindre fatalisme, à la manière dont il le fait aussi dans Les neiges de Kilimandjaro, il montre que cet héritage n’a de sens aujourd’hui que dans une éthique des actes de la vie quotidienne. Comme lorsqu’à la fin des Neiges du Kilimandjaro, les personnages sacrifient un bonheur personnel pour s’occuper des frères de celui dont ils ont été victimes, dans ce film, ils acceptent comme une évidence de garder les enfants immigrés que l’armée cherche sans relâche, et ainsi panser leurs blessures pour retrouver la foi en soi, les autres et leurs combats.

« Qu’est ce qui a changé ? » Demande Ariane Ascaride au début du film. La réponse est évidente : « Nous. ». Pourtant le cinéaste nous prouve une fois de plus qu’on change sans changer, que si la société évolue, notre foi en un monde plus juste, plus éthique, plus beau ne s’éteindra jamais. Et on y croit.

Et comme preuve, il convoque un extrait d’une scène magnifique d’un de ses premiers films : Ki lo sa ? où sur la musique de Bob Dylan, on voit les trois compères : Ariane Ascaride, Gérard Meylan et Jean-Pierre Daroussin s’amuser comme des gosses qu’ils étaient, déjà sous le regard filmique de Guédiguian.

Tout était là et tout est resté intact : les lieux, l’amitié qui les unit et leur désir de nous faire partager leurs rires, leurs drames et leurs combats. Rien ne changera jamais, si on y croit assez fort. Le cinéma de Guédiguian est essentiel car comme il l’est dit à la fin du film :

Fais-le parce que si tu ne le fais pas, personne ne le fera à ta place et ça se perdra dans les limbes

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