Una Questione Privata – Paolo et Vittorio Taviani

 

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Soirée débat mardi 18 à 20h30
 

Film italien (vo, juin 2018, 1h25) de Paolo et

Vittorio avec Luca Marinelli, Lorenzo Richelmy et Valentina Bellè

Distributeur : Pyramide

Présenté par Georges Joniaux

 

Synopsis : Eté 43, Piémont. Milton aime Fulvia qui joue avec son amour : elle aime surtout la profondeur de sa pensée et les lettres qu’il lui écrit. Un an plus tard, Milton est entré dans la Résistance et se bat aux côtés d’autres partisans. Au détour d’une conversation, il apprend que Fulvia aimait en secret son ami Giorgio, partisan lui aussi. Milton se lance alors à la recherche de Giorgio, dans les collines des Langhes enveloppées de brouillard… Mais Giorgio vient d’être arrêté par les Fascistes.

 

« Fulvia, Fulvia, amore mio…Je suis toujours le même, Fulvia.J’ai tant fait, j’ai tant marché…Je me suis échappé et j’ai poursuivi. Je me suis senti vivant comme jamais et je me suis vu mort. J’ai ri et j’ai pleuré. J’ai tué un homme, à chaud. J’en ai vu tuer beaucoup, à froid. Mais moi je suis toujours le même ». Beppe Fenoglio

 Des films sur la guerre de 39-45 en Italie, cinétrafic en recense 44, autant sur le Fascisme, quant aux films sur les triangles amoureux, il en recense 488. Rien de nouveau sous ce soleil-là, sauf l’art.

 Una questione Privata des Frères Taviani a pour cadre  la guerre des partisans contre les fascistes en Italie, une guerre civile dans la guerre mondiale. C’est la seconde fiction sur la guerre après la Nuit de San Lorenzo,  qui concerne un massacre perpétré par les Nazis pendant la seconde guerre mondiale dans leur petit village natal de Toscane.

Ce sujet de la guerre, il l’avait aussi traité  dès 1954 dans leur premier film documentaire : San Miniato, Juillet ’44. Ils y reviennent mais pas seulement.

Una questionne privata  concerne aussi une histoire de triangle amoureux.  Milton aime Fulvia sans oser se déclarer, Fulvia aime le côté lettré de Milton, mais le trouve un peu triste. Elle semble lui préférer son ami Giorgio, peut-être moins brillant mais plus joyeux, plus fantaisiste. Jamais le film ne nous permettra de trancher sur cette simple question : alors qui des deux ? De quelque parti pris que l’on soit, il y a beaucoup d’incertitudes dans  cette histoire amoureuse.

L’art des frères Taviani dans ce film consiste à croiser les thèmes pour en faire surgir un autre :

Lorsqu’on lui suggère que peut-être Giorgio et Fulvia s’aimaient, Milton devenu partisan, cherche à retrouver Giorgio, que lui veut-il ? Là encore le mobile est flou, seulement savoir ? Incidente ! Giorgio  lui-même partisan vient d’être capturé par les fascistes.

Milton cherche à délivrer son ami, il ne pense plus qu’à ça, sa guerre à lui se place au service de cet objectif, son objectif particulier dicté par son obsession amoureuse et de son douloureux besoin de connaître*(1)- Et pour connaître, il faut tenter de délivrer Giorgio parce qu’il est son grand ami, que c’est un brave, en danger de mort, et qu’il est aussi un rival avec qui il doit parler.

Milton donc devient une sorte d’électron libre. Un combattant dont le combat et les objectifs échappent aux autres et à la cause. Il veut échanger  un prisonnier fasciste contre Giorgio. Il lui faut d’abord en trouver un  ou le capturer.

Avec ce film on entre dans la brume, elle est omniprésente durant toutes les figures de guerre. Cette brume est réelle autant que métaphorique. Et pas seulement pour les Taviani. Où nous emmènent-ils que veulent-ils nous dire ?

La brume c’est celle du lieu, les montagnes pièmontaises, celles de l’époque d’une guerre mondiale et civile, et celle du personnage qui a perdu son chemin, peut-être, celle de la vieille Europe qui retrouve ses vieux démons ?

On pourrait presque dire que les fascistes et les partisans se livrent à un combat fraternel pour leur patrie, tout comme Milton rivalise  avec Giorgio pour Fulvia.  Et si cette petite analogie a un semblant de vrai, on pourrait alors ajouter que les Italiens, dans cette guerre mondiale, l’ont aussi  utilisée à d’autres fins.

Une guerre dont les frères Taviani décrivent les horreurs :  Il y a cette rencontre furtive du partisan avec ses parents à la ville qui nous  permet de saisir l’oppression et la pauvreté des gens de la ville. On est intrigué par ce batteur sans batterie, qui en imite le son jusqu’à ce qu’un crépitement de mitraillette…comme un dernier roulement. Il y a aussi cette enfant lovée près de sa mère morte parmi les morts, et qui se lève de parmi ces morts, va boire un verre d’eau et se recouche près de sa mère. Il y a les hommes qu’on tue à chaud comme le suggère la citation et plus nombreux, femmes, enfants, prisonniers, otages, qu’on tue à froid.

Ce film est simplement beau, et j’ai particulièrement aimé sa fin. Le défi de Milton aux « cafards » puis cette course folle dans la brume entre instinct de survie et désir de mort… et avec sa survie, il peut se libérer de sa passion Fulvia ; il est quitte avec lui-même.

Ajoutons que les Frères Taviani aiment faire des transpositions entre une situation passée et une situation présente. La montée de l’intolérance italienne (seulement?)les heurte. La propagande d’extrême droite leur rappelle le fascisme, ils le disent dans leurs interviews.

 

 

*(1)  Moravia écrivait « la jalousie est une forme négative et douloureuse de la connaissance. »

 

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