Il y a des films que l’on n’a pas besoin de revoir, tout est limpide, le réalisateur nous a pris par la main et nous a tout expliqué, dans ce cas il n’y a pas de problème pour ceux qui viennent voir le film des Cramés le mardi même si après il n’y a plus de possibilité de le revoir. Par contre quelquefois le film reste dans votre tête pendant plusieurs jours, il arrive que l’on remette en cause ce que l’on croyait avoir compris, il arrive que le réalisateur nous amène volontairement sur de fausses pistes, nous dissimule des informations cruciales, ou même (comme Hitchcock dans les 39 marches ) nous raconte une histoire qui n’a pas eu lieu.
Et bien c’est un peu ce que nous a fait Paul Vecchiali dans ce film. Déjà son titre est trompeur, c’est une antiphrase, au lieu de « Un soupçon d’amour » « Folle d’amour » ou « Un amour fou » aurait mieux traduit la réalité.
Bien sûr les plus sagaces d’entre-nous avaient, non pas entrevue la vérité, mais avaient suspecté la tromperie : pendant une répétition d’Andromaque Geneviève semble parler à son fils qui serait derrière le rideau, cela a paru bizarre à l’un de nos amis cramés. Lors du retour de son village provençal Geneviève parle à son fils Jérôme qui serait dans la voiture, les vitres sont très teintées, et les spectateurs les moins attentifs ne se sont pas posés de question alors que visiblement il n’y avait aucune réaction de l’enfant, la voiture semblait vide.
Moi j’ai dû attendre qu’André, le mari de Geneviève nous dise la vérité : Jérôme, leur enfant est mort et enterré depuis longtemps…..
Alors a commencé pour moi un long retour en arrière, certes j’avais été intrigué par la scène de la voiture mais pour tout le reste je n’avais rien vu et pourtant Jérôme n’apparaît dans les différentes scènes du film que lorsque sa mère est seule, par exemple lorsque Isabelle vient dire à Geneviève qu’elle lui laisse la « place » Jérôme a disparu du champ de la caméra alors qu’il était là, à quelques mètres il y a quelques courtes minutes.
Que va-telle faire au cimetière ? Va-t-elle sur la tombe de ses parents ou sur celle de son fils ? Tombe qu’elle refuse de retrouver et quand son ancien amant lui propose de l’aider elle s’enfuit. Quand elle rencontre son amie institutrice il n’est pas question de son fils Jérôme, quand elle demande au pharmacien un sirop pour la toux et des antibiotiques elle ne dit jamais que c’est pour son enfant malade.
Autant d’indices que l’on redécouvre après coup et le réalisateur n’a pas lésiné sur les moyens pour nous tromper, la séquence avec le pharmacien nous intrigue bien sûr, elle paraît irréaliste, elle trouble notre intelligence.
Le plus fort est que le père que nous pensons avoir suivi pendant tout le film ne parle à sa femme qu’à la dernière minute pour enfin nous dévoiler la vérité, dans la vraie vie il se serait exprimé bien avant mais alors il n’y aurait pas eu de film.
Pendant tout le film j’étais tout simplement heureux de revoir la belle Marianne Basler à l’écran c’était déjà pas mal, mais surtout je remercie ce nonagénaire de m’avoir fait un cadeau qui m’occupe encore 4 jours après.
«La douleur qui se tait n’en est que plus funeste» (Andromaque, III, 3)
Merci, Henri pour ton article sur ce film qui m’a embarquée aussi..
Il m’a fallu qu’André le dise pour que j’accepte de voir que Jérôme était mort. Mort depuis longtemps …
Quoique la scène du pharmacien m’ait mise en alerte. Cette scène improbable s’est éclairée. Geneviève rêve du remède miracle qu’elle aurait dû trouver, du soignant prodigieux qu’elle aurait rencontré. Sentiment de culpabilité éternelle de la mère qui n’a pas su prendre soin de son enfant. Qui l’a laissé mourir.
Alors il faudrait revoir le film et et bien voir dans chaque plan le poids des morts dans la vie des vivants et qui trouble à jamais leurs liens affectifs.
Je ressens, moi aussi, plusieurs jours après, la charge tragique que le film transporte et je (re)pense à Bashevis
« Les morts ne vont nulle part. ils sont tous là. Chaque personne est un cimetière où reposent nos grands-mères et nos grands-pères, le père, la mère, l’épouse et l’enfant. Tout le monde est là. Tout le temps. »
Respect, Monsieur Vecchiali