VIVA IL CINEMA! TOURS 2019

On ne dira jamais assez de bien de Viva Il Cinéma !

Heureux cette année encore d’y avoir assisté, et de vous faire partager en quelques notes cette bonne  expérience


Come a Gatto in Tangenziale (comme un chat sur le périphérique)2018.  De Ricardo Milani :

Film d’ouverture une bonne idée, que se passe-t-il lorsqu’un bourgeois voit sa jeune fille s’enticher d’un  jeune pauvre qui habite dans un quartier pourri et réciproquement que se passe-t-il quand une ex-caissière s’aperçoit que son fils fréquente une petite bourgeoise ? 

A la fin du spectacle, la salle immense a applaudi, et une dame a hurlé : c’est une navet ! un grand moment de solitude. Ce n’est pourtant pas ce qui lui donne tort. Ce film brasse des vieux clichés, il est peu drôle … C’est mal parti pour ce festival.  note : (*)

les confessions un film de Roberto Ando 2016 :

Un moine Chartreux est invité à un sommet secret de dirigeants politiques du G8, par le patron du FMI (Daniel Auteuil)  qui meurt brutalement. Voici un film qui a la forme d’un thriller. Le moine, c’est Toni Servillo un homme silencieux,  entre Guillaume Baskerville (le moine du nom de la rose) et Saint François. C’est aussi un discours sur le pouvoir et l’argent, sur la corruption et la violence qui rappelle les meilleurs romans de Sciascia. Et là, nous sommes dans le festival, avec déjà le regret de ne pas avoir vu ce film au moment de sa sortie. Note (***)

Un’giorno all’improvviso (à L’improviste) de Ciro D’Emilio2018 :  

avec deux acteurs exceptionnels, la très connue Anna Foglietta et un jeune premier rôle Giampero De Concilio.   Un jeune homme de 17 ans à pour projet de devenir un footballeur, il travaille dans une station-service et vit avec sa mère qui est particulièrement instable et fragile ! Non seulement c’est bien joué, mais le scénario, la prise de vue,  le rythme, la tension, tout est remarquable dans ce film, jusqu’à l’inquiétude sourde, l’expectation anxieuse qu’il procure. Le jury de Tours ne s’y est pas trompé qui a remis au réalisateur le prix du meilleur film et c’est un premier film !  Certaines scènes et répliques deviendront anthologiques. Un regret bien annexe ! Le prix : une statuette c’est le Monstre de Tours, une sorte de Goldorack abominable, probablement réalisé avec une photocopieuse 3D.  Note(****)

Une storia senza nome (une histoire sans nom) de Roberto Ando 2018 :

la encore dans ce film on sent l’influence de Sciascia, avec l’humour en plus pour ce thriller complexe et enlevé. Valéria (Michaela Ramazzotti) est « nègre » d’un scénariste en mal d’inspiration. Un homme mystérieux (Rénato Carpentièri) la conseille dans l’élaboration d’un scénario particulier qui concerne le vol d’un tableau du Caravage. L’histoire va se corser car cette histoire est vraie ! Doublement vraie car elle s’inspire d’un fait réel.  Note : (***)

L’Hospite (L’invité) de Ducio Chiarini 2018 :

Guido 38 ans, professeur de lettres mène une vie tranquille avec Chiara jusqu’au jour où elle a envie d’ailleurs, d’autre chose. Guido va au gré de l’hospitalité d’amis dont il découvre les errements. Curieusement, je pensais à l’homme fidèle pour la passivité masculine de Guido aidante.  Note : (**)

Menocchio de Alberto Fusalo 2018 :

 biopic d’un personnage pauvre au 16èmesiècle, accusé d’héresie, jugé par un tribunal inquisitorial, repenti ? 
Un film d’une force inouïe. Un homme, simple meunier, mais qui sait lire et écrire face à la machinerie inquisitoriale qui lui tombe dessus. Filmé à bout portant, avec des clairs-obscurs,  et le plus souvent des obscurs, des visages du Caravage, vous voyez, le crucifiement de Saint Pierre et les sons qui se détachent, comme arrachés aux choses et aux êtres… C’est à mon goût un chef-d’œuvre. Le jury jeuneà notre grande  et heureuse surprise lui a descerné son prix. Jury jeune composé cette fois exclusivement de jeunes filles, venus d’écoles de l’image, de l’hôtellerie etc. Elles sont fortes les filles ! Note : (****)

Un Ragazzo d’Oro (un garçon en or) de Pupi Avati 2014 : 

Histoire d’un jeune homme qui se pensant détesté de son père, réalisateur médiocre, découvre une  réalité qui contredit ses certitudes. Parmi les actrices il y a  Sharon Stone dont Pupi Avati présent parmi nous et dernier des Mohicans des grandes heures du cinéma italien nous dit les travers de star capricieuse. Il fallait voir ce film  pour assister au  numéro de Pupi Avati, ce grand nom du cinéma italien. (il a fait tourner de grands acteurs tel Ugo Tognasi). Rien que pour ça donc… et seulement pour ça. Note : (**)

Capri Révolution de Maria Martone 2018 : 

L’Italie se prépare à la guerre. « L’Ile de Capri  semble un peu à l’abri des tumultes du monde. C’est là que vit une communauté de jeunes venus d’Europe du Nord »ainsi commence le synopsis. Mal assis au cinéma Thélème, impossible de bouger ses genoux, douleur dans le dos,  le film dure 2 heures,  impossible de partir sans déranger 12 personnes… On dit qu’en vieillissant, on a l’impression d’accélération du temps. Cela n’est pas toujours vrai ! Note : (*)

 I Villani (les rustres) de Danile Michel :

Un documentaire ! 5 ans de travail « Ils sont maraîchers, éleveurs, pêcheurs, ils ont choisi de travailler à la manière de leurs ancêtres. Ils ont une passion vitale de leur métier et un l’amour de leur terroir. Ils produisent la matière première  d’une gastronomie menacée d’extinction ».Il faut voir ces femmes et hommes, regarder les paysages où ils vivent, entendre ce qu’ils nous disent. Salle comble 500 personnes environ. Standing- ovation, un tonnerre d’aplaudissement ! Nul n’aspire à vivre au 19èmesiècle, mais on sent à l’occasion du débat très riche et varié, que nous sommes entrés dans une critique intuitive d’un modèle économique qui détruit plus qu’il ne créé, aculture plus qu’il ne cultive. Qui va jusqu’à laisser s’éteindre la langue et les mots pour parler des choses.  La réception de ce documentaire superbement filmé,  à caractère anthropologique montre une attente sociale une attente de civilisation, pourrait-on dire et  en même temps une aspiration, une adhésion  du public pour ce cinéma. Note : (****)

Sono Tornato (je suis de retour)  un film de Luca Miniero 2018 :

Une farce ! Musolini revient, il est là en Italie en 2018, il voit le monde. Premières images, il est persuadé que les abyssins ont gagné la guerre ! Revenu à la réalité, le Duce apprend vite, il voit les sous Duce qui lui ont succédé,  et il  veut savoir comment les Italiens vivent aujourd’hui, il entame un tour de la péninsule accompagné d’un journaliste, et il y a de bonnes possibilités pour lui. Désopilant et inquiétant à la fois ! Un film à voir pour sa drôlerie et pour la manière dont il  montre la réalité  et (par la même occasion)  la téléréalité, d’aujourd’hui.  Ajoutons que par moments ce Mussolini est filmé face à des figurants involontaires et les réactions de foule méritent d’être vues. Ça c’est l’Italie, être drôle et grave, et c’est l’une des mille raisons pour laquelle nous aimons son cinéma. Est-ce qu’un réalisateur français aurait eu l’idée de nous montrer Pétain avec dérision ? Jamais !  Note: (****)

Nous quittons le festival sur ces dernières images… Un très bon  cru, même si parfois le très bon voisine avec le moins bon.  Il nous reste qu’à espérer qu’il vous sera possible de voir les meilleurs à l’occasion de notre WE du cinéma italien.  

Une Affaire de Famille – Kore-Eda

Festival  du 16 au 22 janvier 2019
Palme d’or 2018
Du 17 au 22 janvier 2019
Soirée débat mardi 22 à 20h30
Autres séances jeudi et dimanche en fin d’après-midi et mardi après-midi

Film japonais (vo, décembre 2018, 2h01) de Hirokazu Kore-eda avec Lily Franky, Sakura Andô et Mayu Matsuoka

Titre original Manbiki kazoku
Distributeur : Le Pacte

Présenté par Marie-Annick Laperle

Synopsis : Au retour d’une nouvelle expédition de vol à l’étalage, Osamu et son fils recueillent dans la rue une petite fille qui semble livrée à elle-même. D’abord réticente à l’idée d’abriter l’enfant pour la nuit, la femme d’Osamu accepte de s’occuper d’elle lorsqu‘elle comprend que ses parents la maltraitent. En dépit de leur pauvreté, survivant de petites rapines qui complètent leurs maigres salaires, les membres de cette famille semblent vivre heureux – jusqu’à ce qu’un incident révèle brutalement leurs plus terribles secrets…

Ce film présenté par Marie-Annick a été bien et amplement débattu.Difficile famille en effet que cette famille-là, et c’est un tour de force que de reconstituer les liens qui en nouent les membres.

On apprend à la connaître au fur et à mesure. Et quand, dans le dernier quart du film, la police et les services sociaux se mêlent de leurs affaires, on en découvre encore, et ce ne sont pas de moindres détails.

L’histoire commence par  l’enlèvement d’une petite fille, Juri abandonnique et mal traitée, qui deviendra la petite sœur de Shota jeune adolescent, lui aussi « trouvé » dans une voiture.

Ces enfants  sont élevés par des « parents » Osamu (un petit voleur)  et Nabuyo (une repasseuse, ex-maltraitée, ex prostituée soft). Ces deux là, nous le saurons vers la fin du film,  sont unis par un assassinat. Au sommet de la famille, une grand-mère dont on ne sait pourquoi elle l’est, si ce n’est qu’elle a le mérite de recevoir mensuellement un « dédommagement » qui lui sert de pension. Dédommagement parce qu’elle assure la garde (en secret) d’Aki,   fille  du fils de la seconde épouse de son ex-mari. Fille qui travaille comme prostituée soft.

Une famille qui s’est reconstituée à partir d’intérêts matériels divers et d’affection élective.  Famille dont le mode de vie est  transgressif et marginal au sens plein du terme.

Une affaire de Famille est remarquablement filmée, les critiques soulignent les qualités de cadrage. Parmi toutes celles que j’ai pu lire, toutes ne sont pas élogieuses, tant s’en faut. C’est pourtant l’une de celles-ci  qui me le fait aimer davantage. Ainsi celle de l’excellente revue « Transfuge » dit qu’on est un peu piégé par le côté bonhomme, par la volonté de Kore-Eda d’adoucir la brutalité du monde, d’aseptiser, voire de stériliser la teneur dramatique du film et sa façon d’éviter le réel.  Quant aux enfants du film, ils seraient trop mignons. Le genre « mignon » serait d’ailleurs, le signe distinctif du film. Et je dois dire que je suis impressionné par ces arguments,  d’autant que leurs auteurs sont des gens brillants et qu’il y a bien un niveau où leur critique  est parfaite.

En même temps, je me dis que le réalisme n’est qu’une des figures de style du cinéma et que rien n’oblige un réalisateur à prendre cette voie pour dire ce qu’il a à dire. Et je pense qu’on oppose trop souvent cette revendication de réalisme pour des films qui ne veulent pas l’être. Je me souviens de nos dernières projections, Heureux comme Lazzaro ou encore de High Life ont pu faire l’objet de semblables remarques.

Kore-Eda prend en effet ce langage de la douceur « du mignon » pour reprendre les termes de Transfuge, pour  montrer des  figures violentes : enlèvements d’enfants, vols, destruction de véhicules, enterrement sauvage, prostitution, chantage etc. Chacun de ces forfaits habilement justifié est inséré dans un tissu relationnel fort qui le justifie- Il faut bien vivre-

On est avec eux.  En témoigne le débat d’hier soir où nous avons tous manifesté de l’empathie pour ces personnages. Je dirai même que nous les aimions. Nous étions  pris dans une sorte de « syndrome de Stockholm », on trouvait que la police et les services sociaux étaient de vilains moralisateurs, des empêcheurs de transgresser en rond !

C’est le premier tour de magie de Koré-Eda, de nous montrer que la fraternité est toujours possible, même pour un spectateur confortable dans son fauteuil. (Dans The Third Murder, il nous faisait aimer un probable assassin). Kore-Eda a ses thèmes, (chez lui les questions de filiation sont très marquées),  il a son langage, sa cohérence, et ses intentions. Par exemple, depuis qu’il fait du cinéma, Kore-Eda sait bien à qui il destine  ses films.

Qui les regarde en effet ?  Nous ! Il sait qu’il nous leurre avec ses partis pris, il sait aussi que nous le savons.

Il sait comme nous  que ce ne sont pas les pauvres africains qui viennent regarder Makala, les sans abris qui viennent en masse regarder Louise Wimmer etc.  C’est bien nous et nous pouvons parfois être nombreux. Nous les cinéphiles. Notre  point commun, être  disponibles pour la culture des autres et leur société.

Or, Kore-Eda soulève par son film beaucoup de questions, nous n’y reviendrons pas Marie-Annick les a très bien exposées. Et il  ne veut pas seulement nous raconter une histoire originale et gentille.

Ici, il   dénonce les travers de la société japonaise. Si l’on en croit les réactions des autorités japonaises, le message a été reçu. Si Koré-Eda était turc, il serait bani, Iranien ou Russe, il serait en prison, Israélien en proie à la vindicte étatique, Chinois, il n’aurait pas fait de film du tout et serait en prison …etc.

Koré-Eda est un lanceur d’alerte d’un genre spécial qui se distingue par les moyens qu’il utilise,  dans ce film il nous dit aussi qu’au Japon, une grande partie de la population est reléguée, rendue invisible et doit se débrouiller comme elle peut. Et nous lisons les journaux et apprenons comment sont traités les vieux travailleurs, les vieux tout court qui représentent 20% des prisonniers au Japon, ils commettent des larcins pour s’y faire enfermer, c’est le seul endroit où on peut s’occuper d’eux.

Alors, si ce film nous montre à la fois  une famille « ex nihilo », pour nous interroger sur la famille, il nous montre en creux    ce que seraient ces personnes sans famille. Il nous signifie que la solitude est souvent une réalité et plus particulièrement une réalité japonaise. Les institutions japonaises sont des machines à produire de la solitude.  Il nous parle aussi des travailleurs à trois sous, comme l’étaient ses parents. La misère des gens de peu,  ceux pour qui il n’y a pas d’état et qui vivent selon leurs lois faute de mieux.
Bref, il soulève les tapis, indispose, se rend détestable et politiquement incorrect…avec du mignon…

Et en outre, son film est beau et captivant

 

01:13:31   (ce lien ouvre sur les critiques de la revue Transfuge)

COLD WAR-Pawel Pawlikowski

 

Du 20 au 25 décembre 2018

Soirée débat jeudi 20 à 20h30

Autres séances jeudi et dimanche en fin d’après-midi et mardi après-midi
Film polonais (vo, octobre 2018, 1h28) de Pawel Pawlikowski avec Joanna Kulig, Tomasz Kot et Borys Szyc
Distributeur : Diaphana
Titre original Zimna Wojna

 

Présenté par : Marie-Annick Laperle

Synopsis : Pendant la guerre froide, entre la Pologne stalinienne et le Paris bohème des années 1950, un musicien épris de liberté et une jeune chanteuse passionnée vivent un amour impossible dans une époque impossible.

 

Avec une recette simple, on peut faire un bon film, un scénario qui tient la route, prenons un triangle, genre triangle amoureux,  pour cette fois, l’un des amoureux c’est la Pologne (genre mère jalouse et possessive).

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Désynchronisons les élans amoureux, façon je t’aime ! Moi non plus !

Zula préfère la Pologne au moment où Wictor l’aime et Wictor n’aime plus la Pologne etc…. Variez à souhait amour et désamour.

Et surtout,  ne jamais oublier que la Pologne du coup,  est du genre vindicative et  rancunière. Stalinienne comme pas possible. On se demande pourquoi on l’aime, mais l’amour est à la fois  filial et aveugle.

On attend le moment synchrone, ce sera le final amoureux,  le « mariage/suicide » à la pilule  de Zula et Wictor, dans cette Pologne aimée…Enfin tous trois réunis.

Arrosez sans compter de  musique propagandiste  nationale et folklorique, de Jazz  bop ; puis générique : Glen Gould, Variations Goldberg et re-musique folklorique, fin.

Heureux comme Lazzaro- Alice Rorhwacher.


 

Prix du scénario au Festival de Cannes 2018
Prix jean Renoir des lycéens
Du 13 au 18 décembre 2018
Soirée débat mardi 18 à 20h30Autres séances jeudi et dimanche en fin d’après-midi et lundi après-midi
Film italien (vo, novembre 2018, 2h07) de Alice Rohrwacher avec Adriano Tardiolo, Alba Rohrwacher, Agnese Graziani, Tomaso Ragno et Sergi LopezDistributeur : Ad Vitam 
Titre original : Lazzaro Felice

Présenté par Georges Joniaux

Synopsis : Lazzaro, un jeune paysan d’une bonté exceptionnelle vit à l’Inviolata, un hameau resté à l’écart du monde sur lequel règne la marquise Alfonsina de Luna.
La vie des paysans est inchangée depuis toujours, ils sont exploités, et à leur tour, ils abusent de la bonté de Lazzaro.
Un été, il se lie d’amitié avec Tancredi, le fils de la marquise. Une amitié si précieuse qu’elle lui fera traverser le temps et mènera Lazzaro au monde moderne.

Pour ce qui me concerne, ce fut un bonheur de voir ce film, je le tiens pour l’un de mes préférés. J’aime qu’on me raconte des histoires. Avec Alice Rorhwacher, le cinéma devient aussi une aventure  poétique,  tout l’est, l’esthétique de l’image et sa vivacité,  le choix des décors et des personnages, le son, la musique et l’histoire en forme de conte, et Lazzaro donc, cet étrange personnage !

Heureux comme Lazzaro est bien dans une tradition italienne qui souvent  conjugue réalisme et fantastique. Le journal La Croix évoque Victorio de Sica et Fédérico Félini. Alice R  cite Italo Calvino et Novecento de Bernardo Bertolluci. Pas de doute.

Parmi les caractéristiques du film, il est construit comme un diptyque, ou mieux encore comme les cartes d’atout d’un jeu de  tarot. Tête bêche scènes des champs et scènes bourgeoises. Mais la réalisatrice  y a ajouté autre chose : l’effet du temps. L’effet du temps sur les lieux et les personnages. Des scènes des champs aux scènes de la ville, 20 ans ! Ce sont donc des figures en mutation qu’on nous présente, qui conduisent des paysages de campagne à devenir ville, des groupes de paysans à devenir citadins. Des jeunes à devenir vieux. Des serfs à exclus. Ce qu’Alice Rorhwater énonce ainsi, on va du Moyen Âge technologique au Moyen Âge des âmes.

Quelques figures émergent 

La marquise Alfonsina de la Luna, elle regarde du haut de son château, dans un surplomb écrasant, ses ouvriers agricoles, qu’elle traite comme ses serfs. Elle  vole et trompe. « Les libérer c’est leur faire prendre conscience de leur esclavage ». D’ailleurs tout le monde exploite tout le monde, moi je les exploite, et eux, ils exploitent Lazzaro ! Et qui exploite Lazzaro ? demande Tancredi son fils. Forcément quelqu’un répond la marquise. Impossible pour elle,  dans son système, de penser autrement.

La figure de la marquise mute quand arrive le temps de la ville 20 ans plus tard. Les serfs sont devenus des gueux.  La ville a son cœur battant, ses banques, ses quartiers d’affaires, et sa population bien insérée, elle a aussi ses franges. (Curieusement, nous verrons ce même thème prochainement dans le film Une affaire de famille  de Kore-Eda). Dans ces franges, ces non-lieux,  les habitats précaires, de fortune dominent. Les marquises ne sont plus là, les banques leur succèdent comme système d’oppression. Banques et franges sont bien entendu des figures analogiques de l’oppression.

La figure du peuple dans la première partie est représentée avec les artifices du conte. Une petite communauté, marquée par  sa condition. Son lot c’est le servage, la duperie, la spoliation, l’escroquerie, la captation de leur force de travail et le mépris.  Peuple aliéné, tenu dans l’ignorance. Sur les terres de la marquise, pas d’école,  il n’est pas question d’apprendre à lire. Pas ou peu de lumière non plus. La marquise leur donne deux ampoules, il faut les dévisser pour aller de pièce en pièce.(la marquise n’aime pas les lumières).  Quant à l’éducation, c’est l’absence de scolarité pour les enfants et le catéchisme de la Marquise.  Le catéchisme de la marquise, la vie des saints,  dont elle les gratifie, symbolise l’action chrétienne durant des siècles vers le peuple.

Le  réalisme et le fantastique se rencontrent, puisque cette communauté vie cela dans les années  1980.  Le fantastique rend la scène contemporaine, le réalisme, c’est qu’en effet avec le christianisme du moyen âge à l’orée du 20èmesiècle, n’enseignait guère la lecture. Au peuple l’ignorance.

Dans les années 2000, cette même communauté vit aux franges de la ville. Ces membres ne sont plus serfs, ils sont  devenus gueux. Ils vivent de petits commerces et de petits larçins, rejettent tout ce qui appartient à la terre, préfèrent les chips à la chicorée qu’il leur faudrait ramasser. Là encore la forme conte fantastique fait du larcin  un métier. La seule et la dernière activité des réprouvés, rouler des gens cupides et bien pensants. Ces gueux, le cinéma italien  les connaît bien, autant  que les feuilletonnistes du 19èmesiècle partout en Europe. Ils ont d’autres attributs plus positifs, ils sont solidaires.

La figure de Lazzaro  appartient à ceux dont  Alice Rorhwacher dit : « En explorant mon pays et mon époque, j’ai souvent rencontré des « Lazzaro » : des personnes que je qualifierais de « gens braves » mais qui, le plus souvent, ne se consacrent pas à faire le bien, car elles ne savent pas ce que cela signifie. Leur nature même est de rester dans l’ombre, quand elles le peuvent, elles renoncent toujours à elles-mêmes pour laisser la place aux autres, pour ne pas déranger. Ce sont des personnes qui ne peuvent pas émerger de la masse où plutôt elles ignorent qu’il est possible de le faire. Ces gens-là s’occupent des tâches désagréables et lourdes que l’humanité laisse derrière elle, elles remédient à tout ce que les autres foulent aux pieds par inadvertance, sans que personne ne s’en aperçoive ».

Lazzaro présente des traits de sainteté, Saint François,  Sainte Agathe, et Saint Lazare (comme lui il ressuscite) .  Sa figure oppose au chritianisme institué, une sainteté qui n’appartient à aucune religion particulière,  dans un monde où comme hier,  l’homme bon est suspect et où le saint serait une menace telle qu’il faudrait le tuer.

Alors et le loup  dans cette histoire ? Il y a d’abord un hurlement au loin, un appel de l’inconnu, celui d’un être dangereusement libre. Et puis le loup dit le philosophe Baptiste Morizot est l’animal qui dans nos sociétés occidentales, nous rappelle que nous sommes aussi de la viande. Et Michel Pastoureau, l’historien a noté les occurrences des traits attachés aux loups dans la littérature du Moyen Âge au 19èmesiècle : voleur, menteur, lâche, cruel et sanguinaire, couard, fourbe, paresseux, avare ». Bref, des traits humains.

Pour terminer, par hypothèse,  la Marquise Alfonsina de Luna semble devoir son nom  à Alfonsina Storni, célèbre poétesse mexicaine s’étant suicidé et dont F. Luna a fait une chanson que voici .

Mercedes Sosa-Alfonsina y el mar – YouTube

PS : Drôle la mutation de Nicolas le régisseur et homme-lige  de la marquise, paternaliste et voleur devenant 20 plus tard recruteur à la criée au moins disant salarial.

 

Un amour impossible-Catherine Corsini

 

 

 

Du 6 au 11 décembre 2018

Soirée débat mardi 11 à 20h30

Autres séances jeudi et dimanche en fin d’après-midi et mardi après-midi

Film français (novembre 2018, 2h15) de Catherine Corsini avec Virginie Efira, Niels Schneider, Jehnny Beth et Estelle Lescure

Distributeur : Le Pacte

Synopsis : À la fin des années 50 à Châteauroux, Rachel, modeste employée de bureau, rencontre Philippe, brillant jeune homme issu d’une famille bourgeoise. De cette liaison passionnelle mais brève naîtra une petite fille, Chantal. Philippe refuse de se marier en dehors de sa classe sociale. Rachel devra élever sa fille seule. Peu importe, pour elle Chantal est son grand bonheur, c’est pourquoi elle se bat pour qu’à défaut de l’élever, Philippe lui donne son nom. Une bataille de plus de dix ans qui finira par briser sa vie et celle de sa fille.

Présenté par Laurence Guyon

Christine Angot a connu le pire, l’inceste pédophilique. Et ce film, reprend  l’un de ses récits.

Dans « un amour impossible », un titre qui flatte à cause de ses doubles, triple sens et sonne comme un roman de gare, Chantal adolescente sera, comme son auteur,  sodomisée par son père, et l’on retrouve dans le film, les thèmes de Christine Angot, les figures  de la violence familiale, des passions douloureuses et de la colère. Servi par une écriture « vérité » ou prétendue telle.

La trame du film, c’est le déroulement linéaire de la vie de Chantal et de Rachel sa mère. La vie de Chantal commence avant sa naissance par la rencontre de Philippe et Rachel. La carpe et le Lapin*(1).On peut se croire un instant dans « pas son genre de Lucas Belvaux », mais nous ne sommes pas là seulement pour ça…

Nous sommes  là pour assister à la mise en pièces par « un prédateur » de Rachel, une belle et gentille femme, qui ne demande rien, qui est travailleuse et courageuse et pas bête du tout et… de Chantal sa fille.

Rachel est une femme qui n’a pas connu son père, et qui par une sorte de compulsion de  répétition trouve l’amant  absent qui plus tard, refusera de reconnaître Chantal sa propre fille. Et ce sera le seul combat de Rachel  de faire en sorte que Philippe la reconnaisse. Et, il va la reconnaître pour mieux la connaître*(3).

Donc, il lui donnera son nom et la sodomisera. Ce qui fait dire à Chantal dans un dialogue avec sa mère quelque chose comme : « Ce qu’il voulait c’est nous humilier, humilier notre condition : Cet homme a voulu nous atteindre dans ce que nous sommes, (des gens modestes et dignes)  et à travers moi c’est toi qu’il voulait atteindre dit Chantal à Rachel, sa mère.

Voilà l’essentiel, du coup, il y a aussi le récit de Philippe*(2)  cet amant qui ne veut pas se marier, ce père qui refuse de l’être. Que sait-on de lui ?  Il est riche, beau, intelligent, polyglote  et cultivé. Son père est un homme de pouvoir antipathique. Il vit avec une femme  qui finira par se défenestrer.

Cette scène de saut invite le spectateur à en  faire un lui aussi, car le film suggère que cette suicidée est nécessairement la victime d’un époux sadique, et donc  Tel père, Tel fils ! Et cette dame n’est plus là pour nous contredire.

Christine Angot n’aime rien de mieux qu’escamoter les femmes de même qu’elle suicide la mère de son amant, elle fait disparaître sa propre mère sous le poids des déterminismes sociaux. (fille de fille mère et fille mère à son tour, fille de pauvre  et pauvre elle-même, fille d’un juif errant etc).

Or,  ce système de « bonnes raisons » qui paraît peu crédible,  ne l’est plus du tout lorsqu’un  jour Chantal raconte à sa mère que son père  l’abaisse et l’humilie gravement. Elle lui répond : «  il peut être comme ça !  »

Alors, raisonnablement on en vient à reconsidérer  « l’hagiographie » de Rachel.  C’est une femme qui accepte tout, les petites et grandes humiliations, les longues absences, et plus encore les brefs retours, qui accepte de risquer d’être enceinte et de l’être, d’élever seule son enfant, de ne rien réclamer pour elle-même et seulement, longtemps après, la reconnaissance paternelle de sa fille etc.…

Mais ça, ça porte un nom :   Le masochisme. Bref,  elle a un rapport masochiste pathologique à cet homme.  Elle privilégie tout au long de sa vie, ce mode de rapport avec Philippe.

Et donc Philippe et Chantal forment un couple sadomasochiste et Rachel est une victime pour une part d’elle même, consentante. (Ce qui n’exonère nullement Philippe, qui serait à lui seul un sujet)

Sans doute,  le parler vrai et cru de Christine Angot (Chantal) comporte sa part d’omission et probablement de dissimulations diverses autour de cette question. Toujours est-il que les dangers que faisait courir Rachel à sa fille en la confiant à son géniteur, sont aussi le produit de son masochisme permanent. (Ce qui ne comporte ni condamnation, ni jugement moral d’aucune sorte).

…Bref, il y a quelque chose de  passif-agressif dans ce récit de Christine Angot.

Pris par ce bavardage, j’allais oublier presque de dire que ce film ambiguë s’étire un peu, que sa musique emprunte beaucoup à Phil Glass, et que la narration par la petite fille est assommante.

 

 

P.S : Je me relis, bon, c’est écrit, cependant,  j’aurais peut-être dû dire que l’auteur place ses projecteurs où il veut. Par exemple, il aurait été interessant de connaître la mère de Philippe. Et la mère de Rachel donc!  Christine Angot me semble prise dans sa rationalité,  dans son système explicatif.

 

 

*(1)Cette expression appliquée aux humains servait de métaphore au couple composé d’un noble et d’une roturière. Pour y pallier, le noble se voit dans l’obligation de donner la main gauche à l’épouse  pendant la cérémonie, signifiant par ce geste qu’il ne transmettait son rang ni à sa femme ni à leur progéniture. Il est à signaler que si le noble donne sa main gauche, c’est parce que l’alliance normale entre deux personnes de même rang se mettait à la main droite. (Sur le site expressions française)

 *(2) Philippe, sans doute comme Philippe Petain, car le père de Rachel est juif, et le Philippe du film manifeste un instant un antisémitisme bon teint.

*(3) Dans l’interprétation Chrétienne de  la Genèse, Loth qui accueillait deux étrangers (en fait deux anges) vit sa maison entourée par les habitants de Sodome qui voulait …les « connaître ».

 

Mademoiselle de Joncquières – Emmanuel Mouret

 

Du 29 novembre au 4 décembre2018
Soirée débat mardi 4 à 20h30
Autres séances jeudi, dimanche en fin d’après-midi et mardi après-midi


Film français (septembre 2018, 1h49) de Emmanuel Mouret avec Cécile de France, Edouard Baer, Alice Isaaz et Laure CalamyDistributeur : Pyramide

 

 

Synopsis : Madame de La Pommeraye, jeune veuve retirée du monde, cède à la cour du marquis des Arcis, libertin notoire. Après quelques années d’un bonheur sans faille, elle découvre que le marquis s’est lassé de leur union. Follement amoureuse et terriblement blessée, elle décide de se venger de lui avec la complicité de Mademoiselle de Joncquières et de sa mère…

Présenté par Eliane Bideau

Film agréable et beau,  le meilleur d’Emmanuel  Mouret disent certains critiques. Et puis,  cette belle langue a séduit tout le monde. Ajoutons, la bonne présentation/débat. 

 

 Considérations intempestives et brèves sur Mademoiselle Dejoncquières.

 « Mes pensées, ce sont mes catins. »  Disait  Denis Diderot

Les catins sont des femmes avec qui on a commerce, avec qui on s’amuse,  mais qu’on n’épouse pas. (Ce qui revient aussi à signifier la distance qu’il prenait avec ses pensées afin de se prémunir  de tout dogmatisme)

…Et ce film montre en apparence le contraire. L’objet de toutes les pensées du Marquis des Arcis   est précisement une catin. Il est vrai qu’elle est  travestie en bigote. Mais, là il faut le dire,  c’est une belle bigote (pas une bigote sans sel* !)

D’ailleurs quoi de mieux qu’une catin pour interpréter une dévote ? C’est certainement ce que devait penser Denis Diderot, si l’on s’en tient à ses considérations sur la religion et les dévots dans l’ensemble de son œuvre…

Sur  Le Marquis des Arcis : Par son inconstance, il ressemble à Don Juan, mais ce n’est pas exactement ça, il y a en lui une sorte de quête chevaleresque de la femme absolue, qui n’existe peut-être que dans son imaginaire.

Sur Madame de la Pommeray : Si le Marquis des Arcis a aime cette femme, c’est parce qu’elle  est belle et qu’elle  lui résiste. Si elle lui résiste, c’est parce qu’elle l’aime. Mais lorsque le Marquis la quitte, Madame de Pommeray passe rapidement de la passion amoureuse,  au dépit, puis à la vengeance. Elle invente  le stratagème « machiavélique »  de  « la catin dévote ».

Mademoiselle de Joncquières, (la catin habillée en dévote ): Le marquis aime cette dévote parce qu’elle lui résiste. Et, elle lui résistera parcequ’elle ne veut pas le tromper sur ce qu’elle est !

En effet, elle n’est pas dévote, elle est catin (à son âme défendante) , mais elle est morale , aucune tricherie chez elle, si l’on veut bien excepter celle, décisive,  manigancée par Madame de la Pommeray et la complicité de la mère de Mademoiselle de J dont elle n’est  partie prenante que par contrainte.

Le Marquis a tôt fait de comprendre que Madame De la Pommeray en voulant se venger lui à fait le plus beau des cadeaux. L’exacte femme qu’il cherchait vainement. Celle qui n’est pas morale  et pure par devoir religieux, mais par nature.

Tout est bien qui finit bien.

 

*je dédie ce mot (lamentable)  à Maïté.

 

Lindy Lou- Florent Vassault

 

Présenté par Claude Guillaumaud-Pujol et avec le soutien de Amnesty International, du MRAP et de l’ACAT

Film français (vostf, octobre 2018, 1h24) de Florent Vassault

 Il y a plus de 20 ans, Lindy Lou a été appelée pour faire partie d’un jury. Depuis, la culpabilité la ronge. Sa rédemption passera-t-elle par ce voyage qu’elle entame aujourd’hui à travers le Mississippi, dans le but de confronter son expérience à celle des 11 autres jurés avec lesquels elle a condamné un homme à mort.

 

Excellente soirée hier soir,   ce documentaire était rendu intéressant par le débat mené par Claude G-P, Universitaire, militante contre la peine de mort, femme de terrain, qui connaît ce sujet, qui a été visiteuse des couloirs de la mort. Elle indique en fin de film, un élément fort  du débat, à savoir que les jurés ne sont retenus qu’à condition d’être favorables à la peine de mort…

Cette jurée n°2, 20 ans après, alors que le condamné a été exécuté, rencontre un à un les anciens membres du jury. Certains se défilent,  un d’entre eux ne se souvient plus bien, un autre manifeste des défenses obsessionnelles,  les autres se souviennent, en discutent avec courtoisie, et un quart des membres manifeste des regrets.  L’objectif du film est réussi, dans la mesure où il démontre que  cette expérience laisse des traces définitives. On peut en effet classer parmi les sujets souffrants, outre ceux qui ont des remords,  l’obsessionnel et « l’amnésique ». Ce qui pour ce jury, porte à 50% le nombre de jurés qui souffrent d’avoir condamné un homme à mort.

Et donc, que cette population composant le jury est amenée, sans avoir pu en mesurer les conséquences personnelles, à prendre une décision fatale et risquer de souffrir le reste de sa vie de cette décision.

Le film, nous montre aussi que ces jurés sont des gens bien intégrés dans la société, qu’ils l’aiment, et la plupart vivent dans de spacieuses demeures, ont de belles  (et grosses) voitures, ils pratiquent le tir, disposent de pistolets dans leur voiture etc. Ils sont le plus souvent bons chrétiens. Donc ici,  un jury blanc,  aux membres assez opulents (et corpulents), représentants de la couche moyenne supérieure de la société.

Il y a aussi une histoire dans l’histoire, le lien personnel de cette jurée n°2 avec le condamné dans les couloirs de la mort. Cette histoire n’est pas très claire, et colore d’une manière particulière tout le film. Nous laisserons de côté ce point qui à lui seul vaudrait un bon paragraphe.

Ce que j’en pense : Je fais mienne l’observation de  Didier Fassin(1), Punir est une passion contemporaine. Et là je vais le citer : aux USA, il y a  2,3 millions de prisonniers et si l’on additionne les libertés surveillées, et les aménagements de peine on obtient  7 millions de personnes.  Je retiens aussi la question de l’automaticité de l’aggravation des peines exposée par la conférencière. Le trait d’union  principal des détenus, le blanc y est minoritaire, ils sont très majoritairement pauvres.

Ce phénomène absurde se diffuse au reste du monde. La fonction d’enfermement, de punition et de surveillance est en expansion continue, presque partout.

Les exécutions capitales sont l’écume de la vague de ce système qui apparait fou,   mis en place par des pouvoirs malades  de sociétés malades.

Pour légitimer sa pratique de la peine de mort, les institutions américaines ont besoin de jury populaire. Et donc le film nous dit : « lorsqu’un jury populaire rend une sentence de mort, ça bouleverse douloureusement  la vie des jurés qui l’ont prononcé ».  Nul doute, si cette observation fait son chemin,  que les autorités qui verront ce film auront deux options :  soit mettre des psychologues à disposition du jury avant et après, soit  modifier les conditions de sélection des jurés. (on peut aussi mixer ces deux options). .

Montrer que les membres du Jury sont affectés par leur décision, qu’ils en deviennent eux aussi victimes, a son mérite . Néanmoins, j’aurai  été plus intéressé  de voir comment fonctionne ces jurys.  On se souvient du film « 12 hommes en colère »,  qui montre que cette colère n’est pas toujours mauvaise conseillère, un  jury en effervescence.  Ce qu’on ne nous montre guère, ce sont  les codes explicites et implicites de fonctionnement du système, les contraintes qu’il impose, ses injonctions etc.   Un système dont on peut suspecter qu’il a surtout besoin de  légitimer sa violence (violence d’Etat)  derrière cet apparat de démocratie que représente un jury populaire. Un jury populaire qui pense avoir un libre arbitre mais qui en réalité se découvre très  contraint. (Otage me vient à l’esprit).

Georges

 

(1) Didier Fassin : Punir, une passion contemporaine (Seuil, janvier 2017) 

 

Cléo de 5 à 7 – Agnès Varda

 

Présenté par Brigitte Rollet, universitaire
Samedi 24 novembre 2018 à 17h30
Film (avril 1962, 1h30) Avec Corinne Marchand, Antoine Bourseiller, Dominique Davray, José Luis de Vilallonga, Michel Legrand

Musique de Michel Legrand

Distributeur : Ciné-Tamaris

 

Synopsis : Cléo, belle et chanteuse, attend les résultats d’une analyse médicale. De la superstition à la peur, de la rue de Rivoli au Café de Dôme, de la coquetterie à l’angoisse, de chez elle au Parc Montsouris, Cléo vit quatre-vingt-dix minutes particulières. Son amant, son musicien, une amie puis un soldat lui ouvrent les yeux sur le monde.

Digression sur Cléo de 5 à 7

Brigitte Rollet présentatrice de ce WE consacré à Agnès Varda  nous dit que ce film a été produit par Jacques de Beauregard, qui produisait les films de la nouvelle vague, tels Godard, Demy. Il cherchait des films vite tournés, petit  budget, bon rapport en regard de l’investissement. (Si j’ai bien compris). Et on peut dire  que Cléo de cinq à sept, de ce point de vue a bien marché. C’est un beau sujet, bien écrit, bien tourné, en dépit parfois nous signale-t-elle, de regards des figurants involontaires vers la caméra. La sensible et émouvante interprétation de  Corinne Marchand  fait mieux qu’ajouter à la beauté du film.

Je m’autorise à citer critikat sous la plume de Nicolas Maille :  « Dès la première séquence, seul passage en couleurs, où le tarot de la cartomancienne exhibe, dans un montage coupe-gorge, les cartes de la mort, le film assume sa gravité. Cléo est une héroïne condamnée, condamnée, si ce n’est à mourir, du moins à porter l’épée de Damoclès de la maladie : le cancer. Le « 5 à 7 » dont il est question n’a pas la douceur des garçonnières. Il est celui de l’attente dont on soupçonne un dénouement tragique, le cadre temporel qui sépare Cléo de l’annonce de ses résultats médicaux. Là où le cinéma hollywoodien a encore de la femme une image glamour et mystifiée, Cléo la chanteuse, magnifiquement incarnée par Corinne Marchand, est un être malade à la beauté menacée ».

En effet, dès les premières images on entre chez Madame Irma,  voyante extralucide. Elle annonce à Cléo  un avenir plein de menace. Et lorsque Cléo quitte l’appartement de la voyante, Irma ouvre la porte des cabinets où, durant la séance s’était réfugié son mari et lui dit, avec émotion : « j’ai vu la mort ! ».

Maintenant Cléo passe en noir et blanc pour un troublant 5 à 7. Le 5 à 7 habituellement qualifie une liaison illégitime, 5 étant le moment de liberté, 7 sa limite décente. Ici, ce ne sont pas seulement les bornes qui sont importantes, mais la durée, 2 heures ! Celles qui la sépare de sa rencontre avec le médecin. Cléo est inquiète et tout fait signe, un chapeau, un bris de miroir, une chanson. La chanson ce sera  « Sans toi »  écrite par Agnès Varda sur une musique de Michel Legrand, et qu’on ne pourrait plus imaginer chantée par autre que Corinne Marchand. Elle dit « le Manque », cette forme cruelle et  douloureuse du désir : https://youtu.be/JIucvZLSBac..

Cléo apparaît  parfois capricieuse, enfant gâtée.  Mais ce qui  l’habite est  plus essentiel :    l’inquiétude, l’angoisse sourde…et il y a la vie qui pulse, qui exige, qui négocie parfois, mais qui veut triompher toujours. Ce que j’aime le plus dans ce film que j’aime beaucoup,  c’est le dernier tiers du film, Cléo rencontre Antoine, ça commence comme une drague agaçante dans le Parc Montsouris.  Curieusement, on découvre alors que Cléo,  si souvent capricieuse s’ouvre à cette rencontre. Ils vont cheminer ensemble. Antoine, jeune militaire en permission, se prépare à retourner le soir même,  à la guerre, en Algérie.

Antoine tue le temps en attendant de risquer d’être tué, Cléo attend un diagnostic dont elle imagine tout. Pourtant elle est disponible pour  Antoine. Il est drôle, spirituel, poète, à la fois délicat, apaisant et déconcertant. Et le temps qu’ils s’accordent est comme suspendu presque éternel. Ils sont heureux de s’être rencontré, d’être ensemble, attentif l’un à l’autre, et cela seul compte, la magie de cette rencontre.

Il faut voir ce film pour son ambiance, pour la merveilleuse interprétation de Corinne Marchand, pour sa musique, pour tous ses acteurs, pour son scénario ni plus ni moins tragique que l’histoire humaine.

Georges

 

Notes sur le Casting :

Corinne Marchand avait joué dans  Lola de Jacques Demy 1961

Antoine, le « p’tit soldat » c’est Antoine Bourseiller,  l’ancien compagnon d’Agnès Varda et père de la costumière Rosalie Varda-Demy, adoptée par Jacques Demy.

(D’une manière générale, ce film a mobilisé les amis d’A.Varda, on passera sur la séquence muette, pour s’arrêter à l’équipe, telle la scripte qui était l’épouse de Claude Chabrol, et il y a même une Lucienne Marchand (la chauffeuse de taxi, dont je me demande si elle a un lien de parenté avec Corinne.)

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

GIRL- Luckas Dhont

Du 14 au 20 novembre 2018

Soirée débat mardi 20 à 20h30

Film belge (octobre 2018, 1h45) de Lukas Dhont avec Victor Polster, Arieh Worthalter et Oliver Bodart

Distributeur :Diaphana

 

 

Présenté par Françoise Fouillé

Synopsis :Avertissement : des scènes, des propos ou des images peuvent heurter la sensibilité des spectateurs

Lara, 15 ans, rêve de devenir danseuse étoile. Avec le soutien de son père, elle se lance à corps perdu dans cette quête d’absolu. Mais ce corps ne se plie pas si facilement à la discipline que lui impose Lara, car celle-ci est née garçon.

 

Lukas Dhont met en scène un jeune homme de 14 ans, dans le rôle de Victor devenu Lara, une jeune fille qui veut devenir danseuse étoile.

Tout se passe bien dans la vie de Lara, son père est un homme sincère, aimant, dévoué et compréhensif, son petit frère l’aime autant qu’elle l’aime.  Ce petit frère taquin un jour  l’appelle Victor, mais c’est un tout petit nuage dans un monde sans nuage.  Elle a intégré une prestigieuse école de  danse, elle veut devenir danseuse étoile, son père n’a pas hésité à changer de ville pour ce projet. Elle est immédiatement admise par les jeunes filles élèves comme elle de cette école. Elle y sera une fille parmi les filles. Elle doit remplir une période d’essai. Elle travaille d’arrache-pied (c’est le moins qu’on puisse dire). Et somme toute, tout se passe bien. Elle est admise.

La caméra nous la montre souvent à  son travail, on se familiarise avec les positions et les figures, port de bras, jeté, pas de bourrée etc. La caméra est comme aimantée par Lara. Elle filme son charmant visage et son corps gracile et musculeux au travail. Apprendre à danser est une torture, parfois Lara pleure, mais reprend très vite son sourire ineffable qui ne sourit que des lèvres. Nous avons l’impression qu’il n’y a pas de sourire intérieur chez elle, seulement la tristesse et la détermination. À force de travail, elle gagne rapidement l’estime de sa professeure qui sait à la fois être exigeante et tendre.

Lara est suivie par une équipe médico-psychologique, là encore tout va bien car ces professionnels l’accompagnent attentivement dans son projet, le psychologue, la chirurgienne. On débute un traitement hormonal, mais les résultats se font attendre. Lara veut des seins comme toutes les femmes, elle veut un sexe de femme aussi. Mais tout cela va bien trop lentement pour Lara, elle s’impatiente. Elle veut être femme, apparaître telle une  femme sans ambiguïté. (Si l’on peut dire).Elle veut être une danseuse étoile, comme toutes les danseuses étoile.

Elle en veut un peu à tout le monde pour ça, à l’équipe, à son père, elle devient taciturne, secrète, tourmentée.

Elle n’a pas de vie amoureuse, les garçons et les filles ne l’intéresse pas, elle le dit à son thérapeute. Pourtant, elle va faire une tentative sans conviction. De sa fenêtre, elle aperçoit un jeune homme qui enlasse une jeune femme, ce sera lui le cobaye. Elle s’arrange pour faire sa connaissance (épisode de la lettre subtilisée) ensuite pour qu’il la fasse entrer chez lui. Il y aura un flirt, suivi d’une fellation, qui est pour elle une manière de se protéger de caresses exploratrices indiscrètes du jeune homme.

Il faut attendre longtemps pour que la scène dramatique s’installe. Il y a d’abord les prémisses le long du film, les scènes de douche ou l’on voit Lara  bien ennuyée avec sa non-conformité,  son sexe entre les jambes qu’elle aplatit avec des bandages, et surtout  cette absence de seins qu’elle essaie de cacher de ses mains. Mais un jour dans une réunion entre fille, l’une d’elles, pour le groupe, exige de Lara qu’elle montre son  sexe… Tu vois bien les nôtres lui dit-elle !

…Ce bizutage, dans le contexte d’attente et d’absence de métamorphose de Lara,  va sceller l’engrenage vers le drame et son  automutilation qui forcera son destin.

L’auto-émasculation devrait-on dire,  comme point d’orgue du film ! C’est vendeur. On remarque que les ressorts psychologiques de cet adolescent si peu exposés deviennent alors  explicites pour ce passage à l’acte. Pourquoi  Lara se coupe le sexe ?  Parce qu’on la fait trop attendre et qu’elle a été humiliée par ses collègues. (Avec cette relation cause/effet on est censé ne  plus avoir  de questions à se poser !)

Dernière image, traveling, on est quelque temps plus tard,  on voit Lara marcher à pas vif son éternel sourire qui ne sourit pas, « elle est une femme ».

Ce que j’en pense : Le film convient parfaitement au discours dominant contemporain, soit : Il y a des femmes qui naissent dans des corps d’hommes et inversement. Pourquoi, nul ne le sait mais c’est ainsi. La psychogenèse est disqualifiée, par exemple : quid du désir du père, de l’absence de la mère ? Simple contingence, question de spectateur.Ce qu’on nous montre de la demande pressante de Lara est moins signifiant d’une souffrance morale que du besoin d’agir au bon tempo face à son désir symbolique de tuer Victor pour devenir Lara. Pourquoi ? Parce qu’après plus de problème. D’autant que la chirurgie sait faire. Cette idéologie est exprimée par la marche résolue  et fière de Lara à la fin du film.

Dans la vraie vie,  le taux de suicide des jeunes transgenres est très significativement plus élevé que la moyenne (avant comme après l’intervention). Dans la vraie vie, la société marchande sait transformer nos désirs et nos nécessités en besoins. En besoins solvables. Elle sait les nommer, ici ça s’appelle  :  « réattribution sexuelle ! »

Mais ne divaguons pas Lukas Dhont voudrait simplement nous transmettre une histoire vraie qui est avant tout est celle d’une danseuse !

N’empêche, je ne peux m’empêcher de penser que Lukas Dhont avec cette caméra fascinée par ce jeune éphèbe de 14 ans(*1),  travesti en femme pour jouer le rôle d’un transsexuel met en scène autre chose que ce qu’il nous donne à voir, quelque chose qui concerne d’abord ses propres fantasmes et son propre voyeurisme. Il a trouvé son Tadzio, il est Gustav von Aschenbach. (*2).

(*1) Je ne pense pas que le tournage et la projection de  ce film  soit neutre pour Victor Polster. 

(*2) Mort à Venise de Luchino Visconti.

PS 1 :  Est-il crédible qu’un enfant de 14 ans soit soumis à un programme de « réattribution sexuelle »? et si oui, où et à quelles conditions ?  Pouvez-vous me donner des précisions si vous en disposez?

PS 2 : je me demande si le réalisateur a été interviewé sur ses motivations, pas seulement sur les habituelles questions sur la danse et de l’identité, où il est dans sa zone de confort, mais aussi sur son rapport à cet enfant et aux enfants en général.

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

AMIN – Philippe Faucon

Film français (octobre 2018, 1h31) de Philippe Faucon avec Moustapha Mbengue, Emmanuelle Devos, Marème N’Diaye

 

 

 

Présenté par Georges Joniaux

Synopsis : Amin est venu du Sénégal pour travailler en France, il y a neuf ans. Il a laissé au pays sa femme Aïcha et leurs trois enfants. En France, Amin n’a d’autre vie que son travail, d’autres amis que les hommes qui résident au foyer.
Un jour, en France, Amin rencontre Gabrielle et une liaison se noue. Au début, Amin est très retenu. Il y a le problème de la langue, de la pudeur. Jusque-là, séparé de sa femme, il menait une vie consacrée au devoir et savait qu’il fallait rester vigilant.

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Pour Philippe Faucon dont 6 films sur 9 commencent par des prénoms, le titre des films signifie qu’il veut parler de Personnes et que ces personnes sont aussi emblématiques. Il y a des Amin, des Fatima, Grégoire, Sabine etc. Tout comme il y a des « Bovary,  ou Rastignac » sauf qu’ici il ne s’agit pas d’évoquer une personnalité mais une condition.  Et l’on peut voir à la moitié du film Amin au bureau de poste envoyant de l’argent au pays et Fatima (Sonia Zeroual, dans Fatima)  qui est au guichet pour le même acte dans la file d’à côté.

Amin film éponyme, commence et se termine comme une parenthèse, sur un même plan,  un chantier de démolition,  un bull tel un monstre mécanique, dont les mâchoires de la cisaille broient et coupent, arrachent,  tandis qu’au sol, sans doute dans le bruit,  comme des fantassins, les ouvriers s’affairent.  Parmi eux, Amin casque sur la tête.

En somme,  ces images sont comme une porte qui s’ouvre et se referme sur une histoire, un épisode pudiquement filmé de la vie d’Amin, une tranche de vie dont on nous montre ce qu’elle fut,  un moment partagé, avant que cette vie ne retourne à son mystère.

Comme souvent dans les films de Philippe Faucon, les personnages principaux  sont dans un entre-deux, à un moment ou leur vie tangue.

Amin est un immigré, exilé, écartelé entre deux mondes, celui du Sénégal  où vivent  sa femme, ses trois enfants, ses frères…et la France où il y a son travail, un foyer de travailleurs, et l’amitié des gens de sa condition. Des gens de peu dont on voit  en suivant Amin de quoi est fait leur quotidien. Marqués par la pauvreté et l’exil qui colore la vie des immigrés de ses teintes les plus sombres : le travail au noir de l’un, la sexualité tarifée de l’autre.

Pour Amin, Philippe Faucon a choisi Mustapha Mbengue, un bel homme, plutôt athlétique,  qui dans sa vie  d’avant le film vivait en Italie, portait des dreadlocks, était un artiste, homme de spectacle, musicien multi-instrumentiste et aussi militant de la cause des immigrés, bref un homme extraverti.

Dans son rôle, il est à la fois  Amin du Sénégal, l’homme providentiel qui arrive les cadeaux plein les bras, qui fait vivre dignement sa femme et ses trois enfants, qui organise en France dans son foyer, une quête pour l’école, qui aide ses frères à s’installer. Un homme qui est aimé,  admiré par ses enfants. Une belle et bonne présence et quand il n’est pas là, une lourde absence. Nous en voyons quelques manifestations : le frère qui s’institue gardien d’Aïcha femme d’Amin, le fils maltraité par ses camarades de classe, le voilement de la fille par la mère d’Amin, ce qu’Amin découvre sur une photo.

Il est aussi Amin de France, un homme solitaire qui porte les stigmates de sa condition. Cet Amin-là  s’exprime au mieux  lorsqu’il est avec Gabrielle, il parle à voix basse,  avec gentillesse et  hésitation, il est un peu timide et  emprunté, il est délicat. Il indique par son comportement à la fois son statut  d’immigré, de travailleur pauvre en situation d’infériorité, et en même temps une culture où les signes d’humilité, de respect ou de déférence sont aussi ceux-là. Et enfin il exprime de l’affection et pas seulement à Gabrielle, à chacun.

C’est un rôle particulièrement complexe d’être en permanence sur  deux registres et de donner une unité au personnage, de laisser les teintes de l’exil et de l’écartèlement colorer l’ensemble. On imagine  les ressources intérieures de l’acteur,  la complexité et la finesse de la direction d’acteur.

Et on imagine aussi,  que dans la vraie vie,  pour un homme de sa condition ce qu’il en coûte de tenir debout. Il est bien possible que l’acteur n’ait pas eu à chercher très loin pour jouer ce personnage.

La femme d’Amin c’est Aïcha,  interptétée par Marème N’Diaye, elle est un personnage important du film, elle est emblématique de toutes ces femmes qui demeurent  au pays et qui comme le dit Philippe Faucon « se marient, ont des enfants en sachant qu’elles ne reverront jamais leur conjoint ». Dans cette tranche de vie qui nous est montrée, elle subit sa belle famille, le frère d’Amin qui estime légitime de lui assigner sa place. Mais Aïcha est une femme  combative et c’est aussi la nature de l’actrice,  Philippe Faucon dit d’elle : « Dans les essais préparatoires que nous avons faits, elle avait une gestuelle innée dans les scènes de colère, que je trouvais très belle »

Avec l’exil, on mesure confusément le poids de ce que l’on laisse derrière soi. Avec l’exil,  on éprouve d’abord la solitude et l’abandon. Sur la route d’Amin, une autre solitude, celle de Gabrielle  (Emmanuelle Devos). Elle est infirmière, divorcée d’avec un homme intrusif et querelleur, (Samuel Churin )  vit avec sa fille, adolescente renfrognée, dans un pavillon.

La texture de la solitude de Gabrielle n’est pas de même nature.  Gabrielle ne le sait pas encore,  mais elle a besoin d’aimer. Il lui faut sortir du jeu mesquin, visqueux, dégradant de son ex-mari. Ce sera Amin.

Déracinement de l’un, besoin d’aimer de l’autre.  Au moins leur solitude constitue-t-elle un trait d’union. Ils se découvrent, sans autre projet que de vivre l’instant, avec tendresse et bienveillance, en voulant se donner le meilleur d’eux-mêmes.

Emmanuelle Devos est une actrice parfaite pour ce genre de rôle, nous nous souvenons du magnifique « le temps de l’aventure de  Jérôme Bonell ». Mais ici, ce n’est pas exactement une aventure, c’est à la fois le comblement d’un désir et une sorte d’offrande, et tout l’art de Gabrielle est de rendre égale une situation qui ne l’est pas et banale les vexations quotidiennes d’Amin : « ils te contrôlent sans cesse parce que tu es beau », d’isoler le racisme. Et toute la force d’Amin c’est de savoir recevoir et donner tout en résistant aux sirènes de cet ailleurs possible.

Philippe Faucon prend dans ce qui est l’habituel, le quotidien de la vie  des immigrés sur un chantier, (y a-t-on vu d’autres qu’eux ?)la matière de son film. Quel est son mobile ? Peut-être nous montrer la dignité de cette minorité, et aussi le prix qu’elle paie  pour sa présence sur notre sol : une souffrance qui s’habille de tous les noms, usure physique et morale,  solitude, isolement, écartèlement, dans un milieu fortement hostile. Ce que Christophe Kantcheff nomme  « L’étranger universel » Dans Amin, Philippe Faucon met en scène un travailleur immigré sénégalais qui, entre la France et son pays, ne peut avoir d’existence pleine nulle part ».On ne peut pas dire plus juste… du coup, pour Amin,  être avec Gabrielle, ne pas l’être, telle est la question.

Une des originalités du film est de tenir à juste distance le racisme, l’ostracisme dont les immigrés sont victimes, et qui ne sont qu’extériorité, toile de fond si l’on peut dire,  pour nous montrer l’intériorité d’Amin. Elle est faite d’une affectivité tiraillée où la tristesse vient forcément après la joie, car seule compte sa voie.  (Ce que montre sa séparation d’avec Gabrielle). Intériorité qui aurait été encore plus déchirée s’ils avaient choisi de rester ensemble.  Souvenons-nous du corps de Fatima et songeons à  l’âme d’Amin. Des critiques remarquent que  Philippe Faucon est moins proche de Pialat que de Bresson. Bresson  et « ses modèles pris dans la vie ».

D’ailleurs les critiques parlent de  P.Faucon dans les mêmes termes que ceux qui en son temps, parlaient de Bresson (1).

Philippe Faucon fait appel à notre capacité de prendre conscience : Les immigrés pauvres sont des sacrifiés, et ils le savent et leurs proches le savent aussi, même s’ils se le cachent. Et nous, voulons nous le savoir ?

Georges

 

(1) se reporter aux belles critiques de Jacques Mandelbaum du Monde et de Mathieu Macheret pour la rétrospective P.Faucon à la cinémathèque.

…Et puisque le prénom d’Amin  a été trouvé lors par les scénaristes, Philippe Faucon, Yasmina Nini-Faucon, Mustapha Kharmoudi, à l’occasion de l’écoute de la chanson Amin Amin de Baly Othmani, voici cliquez sur ce lien  si le coeur vous en dit :

Baly Othmani – Amin Amin – YouTube