Les films de Dominique (2)

            Dans  son  documentaire  A  la recherche d’Ingmar Bergman,  Margarethe Von Trotta nous apprend qu’un de ses films (Les Années de plomb, je crois) figure dans la liste des dix ou onze films préférés  du cinéaste.

            Quels films figureraient dans ma liste à moi ? me suis-je demandé. La chronique d’Anne-Lorraine datée du 29 janvier, qui m’est dédiée ainsi qu’à deux autres amoureux du cinéma de sa connaissance, me pousse à me lancer à retardement. Voici donc :

• Le Limier  de Joseph L. Mankiewicz,  avec Michael  Caine et  le génial Laurence 

Olivier qui se délecte à incarner Andrew Wyke, auteur de romans policiers, personnage abject qu’on adore détester. Ses sous-entendus méprisants envers Milo Tindolini, anglicisé Tindle (« become English… », murmure-t-il en jetant un regard torve à son rival) sont un régal. Quant à sa passion pour le jeu elle est telle que, quand bien même sa vie en dépend, il atteint la jouissance (et Laurence Olivier aussi en l’interprétant) en cherchant à résoudre les énigmes posées par Milo. Ajouter à cela un scénario diaboliquement intelligent, une mise en scène élégante et fluide qui fait oublier qu’on est en plein théâtre et on a le film parfait, que j’ai vu une bonne quinzaine de fois au cinéma, que j’avais enregistré lors d’un passage à la télévision sur une cassette vidéo et qu’Arlette, grâce à son appareil magique qui permet de copier le VHS sur DVD, m’a permis de pouvoir conserver car le film n’est jamais sorti dans le commerce (question de droits ?).

Et bénie soit aussi Lucile pour m’avoir un jour offert, au seul vu de son titre, le livre de Tanguy Viel Cinéma sans se douter qu’il était consacré au film de ma vie et à la passion qu’il m’inspire.

(Et je retrouve dans mon journal 2008 -26 février- ces quelques lignes : « Le Limier, de Joseph L. Mankiewicz. Scénario diabolique, mise en scène brillantissime -un des chocs cinématographiques de ma vie- et Laurence Olivier qui se délecte : joueur, mesquin, sournois, méprisant. Grandiose. Le plus grand acteur du monde.

            Je n’ai pas vu ni ne verrai la version Branagh)

            • Journal intime du « splendide quadragénaire » (aujourd’hui sexagénaire mais tout aussi superbe, n’en doutons pas un seul instant) Nanni Moretti. 

Quel plaisir de le voir rouler dans les rues de Rome, invectiver le journaliste qui a dit du bien d’un film qu’il a détesté, proclamer haut et fort son admiration pour Jennifer Beals et pour Pasolini.  

Quel bonheur de le voir imiter Silvana Mangano dansant le mambo et partir dans les îles éoliennes avec un ami soudainement devenu accro aux séries américaines (ah ! cette scène où l’ami impatient l’envoie demander à de lointains touristes américains ce que deviennent ses personnages préférés dans des épisodes encore inédits en Italie, et qu’il lui hurle la réponse prosaïque par-dessus le majestueux paysage strombolien qui les sépare !). Et cet humour pour décrire les remèdes fantaisistes que les médecins lui ordonnent pour calmer son prurit. Enfin, quel bel hymne à la vie que le plan final !   

            • Le Bal des vampires, évidemment. Grâces soit rendues à Roman Polanski, c’est par lui que j’ai eu la révélation soudaine…

(À l’âge de 20 ans, quand même… c’était en 1968, au mois de juin, mes parents m’avaient ramenée de Dijon à Troyes depuis plusieurs semaines, pendant qu’on trouvait encore de l’essence et non, je n’ai en rien participé aux mouvements sociaux) 

… du rôle du réalisateur : dans la scène où Alfred tente d’échapper à Herbert en courant tout autour d’une galerie pour revenir à son point de départ où l’attend tranquillement le vampire, il fallait bien que quelqu’un ait pensé tout ça avant, non ? 

Le Bal des Vampires : film dont je peux réciter par cœur, et en VO s’il vous plaît, le début et la fin (« That night, penetrating deep into the heart of Transylvania, profesor Abronsius was unaware… » Et je jure que je n’ai pas revu le film pour écrire ces mots et que j’aurais pu continuer jusqu’au bout).

Et c’est depuis que nous l’avons vu (soit presque cinquante ans) que mon amie Simone (elle m’accompagnait, rue Émile Zola à Troyes, au cinéma Le Paris, disparu depuis, devenu une boutique de fringues) et moi, de nos jours encore, nous donnons du « très chère » en souvenir de la scène où Herbert demande à Alfred, dans la version française qui est celle dans laquelle nous avons découvert le film, « Alors très cher, vous êtes plus à l’aise ? », quand la VO y va d’un sobre « and now, feeling better ? »

J’aime aussi beaucoup Le Locataire.

• La Croisière du Navigator de Buster Keaton. 

Bien sûr, il y a aussi Les Fiancées en folie et son avalanche de rochers auquel il échappe par des prodiges d’agilité. Mais c’est avec le Navigator que je l’ai découvert à Dijon quand j’étais étudiante, j’y étais allée un peu par devoir, c’est un classique, et était ressortie totalement conquise. Il faut dire que la salle était d’une réceptivité comme j’en ai rarement vue, les rires fusaient de partout et quand, en scaphandre, il plonge pour effectuer des réparations à la coque du bateau en posant à côté de lui un panneau « attention travaux », je pleurais autant d’hilarité que d’émotion. De la poésie pure. 

Concernant Buster Keaton, je regrette de n’avoir pas mentionné la merveilleuse musique de Claude Bolling qui dans les années 1960 accompagnait Le Navigator, Les Fiancées en folie et Steamboat Bill Junior et que je n’ai jamais réentendue depuis dans aucune reprise de ces films. J’ai juste un 45 tours avec deux courts extraits du dernier, et que je ne peux même pas réécouter parce que mon tourne-disque ne fonctionne plus…)

• Le Salon de musique de Satyajit Ray qui filme la fin d’un monde : appréciant le raffinement et la beauté, son héros ruiné doit céder la place aux nouveaux riches et leur vulgarité (dans un style très différent, Luchino Visconti faisait le même constat dans Le Guépard).

Et aussi, bien sûr, le beau portrait de femme qu’est Charulata.

            • De La Joyeuse divorcéeL’Entreprenant M. PetrovEn suivant la flotteSwing timeTop hatAmanda, lequel choisir parmi ces Fred Astaire/Ginger Rogers aux scénarios un peu  faiblards (en tout cas, toujours sur le même schéma il a le coup de foudre pour elle elle le repousse il la séduit en la faisant danser ils roucoulent mais quelque chose vient se mettre en travers et à la fin après un ultime rebondissement tout s’arrange) mais aux séquences dansées fabuleuses (aérien monsieur Astaire) filmées en plans larges (pas de saucissonnage sur les différentes parties du corps, tout est dans la continuité qui seule permet d’apprécier la fluidité des pas), aux chansons signées Gershwin, Irving Berlin ou Cole Porter et aux seconds rôles épatants (mon faible pour Edward Everett Horton qui joue les idiots à merveille).

            Sans oublier Tous en scène de Minnelli et son fabuleux Girl hunt ballet où Cyd Charisse, robe rouge fendue et longs gants noirs, donne des frissons en vampant Fred Astaire, pour une fois ce n’est pas lui que je regarde, c’est sa partenaire. 

            • Plumes de cheval avec les Marx Brothers. 

Je n’ai pas tout de suite accroché au film : qu’est-ce que c’est que ce recteur d’université qui monte sur les tables et débite des fadaises ? Et le déclic, à la fin, pendant le match de football : oui c’est absurde, mais c’est bon !

            C’était la période bénite de la Paramount qui nous a aussi offert Monnaie de singe (ah ! Harpo imitant Maurice Chevalier !) et La Soupe au canard mis en scène par le grand Léo McCarey (passant à la MGM, les frères se sont dilués dans le soap, trop d’amoureux transis auxquels ils viennent en aide, un contresens total. Encore, si l’amoureux avait été Zeppo ! Mais il s’était débiné le traitre, il faut dire qu’il n’était pas très déjanté). 

            • Le Verre de bière fatal, génial condensé du mauvais esprit marque de fabrique de WC Fields  qui  envoie allégrement valser  toutes  les sacro-saintes valeurs  américaines et en particulier celle de la famille. 

Il faut le voir 

Chanter la balade de son fils Chester (lequel, parti à la ville, boit le fatal verre de bière du titre et, sous l’empire de l’alcool, vole la recette de l’Armée du Salut) en s’accompagnant, avec ses moufles, d’une sorte de balalaïka.  

Sortir dans la tempête de neige (« It ain’t a fit night out for man or beast ») en recevant au visage un seau de confettis lancée par un technicien caché derrière le décor. 

Couper un pain en deux parts inégales et les comparer afin d’être bien sûr de donner la plus petite à sa femme. 

Accueillir à bras ouverts Chester sorti de prison, le faire asseoir et lui servir la soupe (jeu d’assiettes musicales autour de la table, la mère tend à son fils sa propre assiette encore pleine, laquelle est promptement interceptée par Fields qui met la sienne, bien entamée, sur celle posée devant Chester qui passe à sa mère l’assiette vide du dessous). 

Enfin il faut voir les vieux parents, après avoir pleuré d’émotion en apprenant que Chester est revenu pour toujours vivre à la ferme avec eux, après lui avoir fait moult salamalecs avant d’aller au lit…

(Good night pa ! good night Chester ! Good night ma ! Good night Chester ! Sleep well Chester ! Thank you pa ! Sleep well Chester ! Thank you ma ! et j’en passe ; et depuis nos années d’étudiantes à Dijon Simone et moi ne manquons jamais de nous souhaiter bonne nuit par une succession de good night pa good night ma good night Chester suivie d’un petit rire complice, comprend qui peut)

… l’accuser de revenir vivre à leurs crochets quand il avoue ne pas avoir conservé l’argent du vol avant de le jeter dehors sans ménagement, en pyjama dans la neige.

(J’aurai la joie de retrouver ce même mauvais esprit chez Dino Risi :

« Et les parents de frapper leurs rejetons avec leurs poings et une canne et, tandis que ces

derniers s’enfuient pour échapper aux coups, de leur lancer tout ce qui leur tombe sous la main)

la fin de ses Pauvres millionnairess’apparente -en un peu moins hard, on est à Rome, il fait chaud et la mamma finira sans doute, en rouspétant ronchonnant tempêtant, à accueillir son fils et toute sa smala- à celle du Verre de bière fatal : 

Piazza Navona. Renato Salvatori, sa femme, sa sœur et le mari de sa sœur, débarquent avec leur mobilier. Retrouvailles chaleureuses. On se jette dans les bras l’un de l’autre :

-Ma maman chérie !

-Mon fils adoré !

-On  partira plus.  On est  au chômage,  on reste à la maison !   Et  nos  femmes sont enceintes !

-Sans travail et avec des enfants !

Et  les parents de frapper leurs rejetons avec leurs poings et une canne et,  tandis 

que ces derniers s’enfuient pour échapper aux coups, de leur lancer tout ce qui leur tombe sous la main)

            (Que j’ai mis encore plus de temps à apprécier que Plumes de cheval. Les deux films passaient en programme double à Dijon, d’abord Fields, ensuite les Marx. Et comme je voulais à tout prix revoir ces derniers, j’étais obligée de « me taper » la Riche affaire à chaque fois, et ce fut une excellente chose car, après avoir tempêté fulminé pesté à n’en plus finir, j’ai fini par l’aimer et pas qu’un peu !)  

… avec la scène où un importun vient déranger Fields, qui essaie vainement de trouver le sommeil sur son balcon, en lui demandant s’il connaît un certain Carl La Fong, L majuscule petit a, F majuscule petit o petit n petit g.

No I don’t know Carl La Fong, capital L small a, capital F small o small n small g. And if I did know Carl La Fong, I wouldn’t admit it !)

• Les Sept samouraïs d’Akira Kurosawa, avec son alternance de scènes d’action et de moments contemplatifs.

Et aussi Dersou Ouzala

• Le Voyage à Tokyo de Yasujiro Ozu. On a rarement montré avec autant de sensibilité combien sont gênants les vieux parents.

            • Et Le Boucher de Claude Chabrol (« Capri petite île » et « Un petit couteau peut-être ? ») dans lequel Jean Yanne offre à Stéphane Audran « Un petit bouquet de gigot » et meurt dans un baiser (« Mademoiselle Hélène, embrassez-moi »). 

          Mardi 17 septembre 2019

Le Tango de Satan de Béla Tarr

Le Tango de Satan    

Je n’avais jamais osé aller voir une œuvre de Béla Tarr : réputation d’austérité et longueur de ses films.

Le Tango de Satan : 7 h 15 en noir et blanc…

(« Son style : des plans qui s’étirent, un pessimisme ambiant et le noir et blanc.  » Je recours à la couleur si j’ai besoin de vous montrer quelque chose avec la couleur. En revanche, si je n’éprouve pas la nécessité de vous montrer une image en vert, en rouge ou en bleu, dans ce cas-là je trouve bien préférable le noir et blanc. Justement, je peux jouer avec les nuances de blanc et de noir, et votre œil en tant que spectateur va toujours être attiré, rechercher le point le plus clair sur l’écran. Et c’est fantastique comme on peut jouer avec tout le nuancier, toute l’échelle des gris. Et puis j’ai cette audace, je peux le dire, de laisser une bonne partie de l’écran complètement obscurcie, noircie, comme ça. C’est ça que j’aime faire[1] » »)  

… et trois séances. Ma foi, si je m’ennuie, je peux toujours en rester à la première partie. C’est d’ailleurs ce que préconise le réalisateur : « J’aime faire des scènes d’ouverture longues. C’est comme cela que je peux présenter le personnage principal et que je vous présente le style. C’est vous qui décidez de rester ou partir. C’est comme un pacte entre vous et moi » dans une vidéo[2] que je trouve sur internet. 

La scène d’ouverture. Les personnages ? Des vaches que l’on suit pendant 7 minutes 30 au fil de leur déplacement en un lent panoramique suivi d’un travelling latéral le long des murs décrépis des bâtiments de la ferme collective (mais comment s’est-il arrangé pour que les vaches suivent le trajet voulu sans, apparemment, le concours d’un seul être humain ?). 

Quand tout cela est fini, on se retrouve dans un intérieur, devant une fenêtre, attendant en plan fixe que le jour se lève. Puis on découvre un couple qui sort du lit, la femme qui se lave le sexe accroupie au-dessus d’une bassine posée sur le sol, et des pièces moches et mal tenues.

Les gens sont habillés sans soin, les tricots ont des trous par lesquels la laine s’effiloche, il suffirait de tirer sur un fil pour que tout se défasse.

Dehors, il ne cesse de pleuvoir. Les sols des cours et des chemins : des bourbiers dans lesquels on patauge et on glisse. 

Une longue séquence du premier volet se déroule chez un docteur alcoolique et acariâtre qui passe la plupart de son temps assis derrière son bureau avec vue directe sur les WC (dont la porte est en permanence ouverte) et, par la fenêtre, sur les va-et-vient de ses voisins dont il épie les moindres faits et gestes, les notant scrupuleusement dans un carnet (un par personne) assortis de commentaires. Béla Tarr ne nous épargne rien de ces minables occupations.

Ayant terminé sa bonbonne d’alcool, il se trouve dans l’obligation de sortir, sous la flotte et dans la nuit, pour refaire ses provisions. La caméra le suit dans son périple au cours duquel il est abordé par une gamine dont il se débarrasse brutalement et qui le fait glisser dans la boue et chuter lourdement. Poursuivant son périple, il s’écroule finalement au bord d’une route où un camionneur le ramasse. 

La deuxième partie se concentre autour d’une gamine qui maltraite un chat (longue séquence insoutenable, on déteste cette sale fillette), finissant par l’empoisonner…

(Et on espère seulement que c’est pour de faux, que c’est juste du somnifère ajouté dans sa gamelle que boit le chat vu qu’il s’ « endort » en direct)

… et qui, à la suite d’agressions verbales…

(Sa mère, un voisin voleur. On devine que ces méchancetés font partie de son quotidien et le « je suis plus forte que toi » qu’elle lance au chat pendant qu’elle le brutalise prend tout son sens) 

… s’en va dans la nuit la pluie la boue, le chat tout raide sous le bras et la mort aux rats dans la poche, s’approche du troquet, regarde par la fenêtre… 

(Dans la première partie, c’est elle que nous avions vue observer les danseurs du dehors puis importuner le médecin sans en connaître les raisons. A présent nous voyons derrière la vitre depuis l’intérieur son petit visage halluciné que, chacun trop absorbé par soi-même, personne ne remarque, et l’accostage du médecin prend une tout autre dimension)  

… les villageois réunis, et ça boit et ça danse, ça s’agite plutôt, ça gesticule dans tous les sens pendant 10 minutes et 27 secondes…

(« Il fait aussi des plans séquences sa marque de fabrique. « D’abord le plan-séquence nous parle du temps. C’est une histoire de rythme. Le plan-séquence développe une tension particulière. Lorsqu’on tourne un plan-séquence, tout le monde doit travailler ensemble. Les acteurs doivent être dedans. Ils n’ont pas droit à l’erreur parce que la caméra tourne »[3] »)

… de tension hypnotique, au son d’un accordéon déchaîné des pieds tapent le sol, des bras poussent des mains tirent, les corps possédés roulent, se heurtent, se bousculent. Le spectateur, lui, est tétanisé. 

Et la gamine quitte le village, marche sous la pluie par un chemin boueux (long travelling arrière sur elle et son regard fixe), s’assied parmi les ruines d’un bâtiment, sort la mort aux rats de sa poche, en avale une grande poignée et s’allonge, le cadavre du chat toujours serré contre elle. Et le spectateur est pris de détresse, sa gorge se noue, les larmes lui montent aux yeux.

La troisième partie débute par le discours très sensé dans lequel un revenant, de retour après avoir purgé une peine de prison, rend les villageois et leur laisser-aller responsables de la mort de la fillette. Il propose à ceux qui désirent se libérer de le suivre et, après s’être fait remettre leurs économies afin de préparer leur nouvelle vie, leur donne rendez-vous dans une maison isolée… 

(Cortège de marcheurs et de charrettes tirées à bras, filmé en longs travellings arrière, avant, latéraux et qu’on suit jusqu’à leur arrivée sans qu’on se lasse un seul instant.) 

Mais nul eldorado n’attend les candidats au changement : le revenant et son compère ont été enrôlés par la police et les emplois proposés sont, sans qu’ils s’en doutent, ceux d’indics.  

Et le film se clôt sur le docteur qui, revenu chez lui, cloue des planches à ses fenêtres et, dans l’obscurité totale, prononce les mots qu’on entend en voix off au tout début. 

Cercle vicieux. Désespoir dont jamais on ne sort.

Les travellings : un autre, magnifique et nocturne, suit les recruteurs le long d’une rue déserte envahie par une armée de papiers et journaux qui, poussés par un vent furieux, accompagnent leur marche, s’accrochent à leurs jambes, roulent au rythme de leurs pas, comme dans un rêve ou un cauchemar.

Outre ces mouvements de caméra, Béla Tarr fait aussi un très bon usage des panoramiques enveloppants qui emprisonnent les personnages à 360° : dans la maison abandonnée, les villageois endormis en cercle ; dans leur bureau, les policiers chargés d’analyser le rapport du recruteur sur les villageois. Tous pris au piège.

Sans oublier l’importance donnée aux sons : outre les bruits que font la pluie, le vent, les papiers, ceux d’une cloche, d’un verre qu’on tape sur un comptoir, du meuglement des vaches, d’une musique (de Mihály Víg) qui prend aux tripes. 

Désespérance. Et pourtant, quand s’inscrit le mot FIN, je voudrais tant que ça continue.

                                                                                                                       Mardi 18 février 2020


[1] https://www.youtube.com/watch?v=sAS0bkmdWC4