« Centaure » de Aktan Arym Kubat

Prix de la Confédération internationale des cinémas d’art et d’essai à la Berlinale 2017
Du 8 au 13 mars 2018
Soirée débat mardi 13 mars à 20h30

Film kirghiz (vostf, janvier 2018, 1h29) de Aktan Arym Kubat avec Aktan Arym Kubat, Nuraly Tursunkojoev et Zarema Asanalieva 
Distributeur : Epicentre

Présenté par Marie-Annick

 

Synopsis : Dans un village au Kirghizistan. Centaure, autrefois voleur de chevaux, mène désormais une vie paisible et aime conter à son fils les légendes du temps passé, où les chevaux et les hommes ne faisaient plus qu’un. Mais un jour, un mystérieux vol de cheval a lieu et tout accuse Centaure…

Article de Marie-Annick *** Dossier de presse *** Bande annonce *** 
 

Un film kirghize sur nos écrans est chose rare mais si de surcroît il fait la conquête de nos salles obscures, la performance mérite d’être saluée.

Avec son dernier film « Centaure », Aktan Arym Kubat vient nous dire ce qui lui fait mal dans son pays qu’il aime tant. Dans une scène poignante, Centaure, le personnage principal, confie en larmes, à son cousin, qu’il pleure le temps où les hommes et les chevaux étaient unis comme les cinq doigts de la main. En filmant la vie de Centaure et sa petite famille dans un petit village kirghize d’aujourd’hui, le réalisateur nous fait comprendre tout ce que le peuple kirghize, autrefois libre et fier, a perdu après soixante-dix ans de communisme et bientôt trente ans de capitalisme.

Ses belles légendes contant les exploits de valeureux guerriers semblent avoir été remplacées par les ragots de village. Sa langue, pourtant parlée à 70% par la population n’est pas la langue officielle qui est le russe. L’épouse muette de Centaure, dans l’incapacité d’enseigner sa langue à son jeune fils en est le symbole. Le nomadisme séculaire a cédé le pas à la sédentarisation qui a fait fleurir câbles, antennes, paraboles et vidéos surveillance. Le cheval, animal sacré, considéré parfois comme un passeur d’âmes et comme le double de l’être humain à qui il a bien voulu prêter sa force, n’est plus qu’une marchandise, viande de boucherie ou crack de course acheté à prix d’or par les riches propriétaires. Désormais, occidentalisation et mondialisation installent un nouvel ordre des choses, avec d’un côté les riches, ceux qui ont réussi et ont le pouvoir de l’argent et  les plus pauvres. Et comme si ce n’était pas assez, un islam montant intolérant vient balayer les derniers restes de pratiques chamaniques où la nature, le vivant étaient respectés, balayant un peu plus encore les fondamentaux du peuple kirghize.

Alors Centaure, héros frère de Don Quichote, vole des chevaux prestigieux pour galoper toute la nuit comme un fou en toute liberté, pour éprouver la griserie de la liberté. Une liberté à laquelle il donne une dimension sacrée, les deux bras tendus vers le ciel. Que cherche-t-il à atteindre tout là-haut  ? Le cosmos ? Manas, le héros des légendes kirghizes ? Kambar Ata le protecteur des chevaux ? Tchal Kouyrouk le cheval fabuleux qui permit à un humain de retrouver son âme qu’il avait perdue ? Dieu ?

Quand le peuple kirghize retrouvera-t-il son âme, se demande le  réalisateur ?

Peut-être quand l’Homme aura retrouvé son lien profond avec la nature, quand les individus coexisteront librement au sein d’un groupe,et quand la liberté individuelle pourra s’exprimer  à l’intérieur d’une société.

En filmant la scène où Centaure laisse aux deux jeunes gens la malette contenant la bobine du film  « la pomme rouge » qu’il a conservée intacte toute sa vie, Aktan Arym Kubat semble nous dire qu’il a fait son travail et qu’il laisse à la jeunesse, avec ce maigre bagage, la responsabilité de son avenir.

Marie-Annick

L’AUTRE COTE DE L’ESPOIR Aki Kaurismäki (2)

Berlinale 2017 : Ours d’Argent du Meilleur réalisateur
Du 27 avril au 2 mai 2017
Soirée-débat mardi 2 à 20h30

Présenté par Marie-Annick Laperle

Film finlandais (mars 2017, 1h38) de Aki Kaurismäki avec Sherwan Haji, Sakari Kuosmanen et Ilkka Koivula .
Titre original : Toivon tuolla puolen

«  Le Havre », leprécédent film d’Aki Kaurismäki se terminait sur l’embarquement possible d’un jeune clandestin africain vers l’Angleterre. « L’Autre Côté de L’Espoir « s’ouvre avec un jeune émigré syrien qui débarque noir de charbon, d’un cargo accostant dans le port d’Helsinski.. Il s’avance dans la nuit émaillée de belles lumières, métaphore de sa sombre errance illuminée de belles rencontres..

Quel bonheur de retrouver Aki Kaurismäki six ans après « Le Havre » ! Bonheur de retrouver la trogne et la dégaine de ses personnages atypiques, la nostalgie de sa musique rock folk, le design d’objets démodés qui se rappellent à notre bon souvenir:un réveil des années soixante, un téléphone à cadran, un juke box sorti des oubliettes ou une limousine russe collector.

Comme c’est savoureux de déguster ses dialogues minimalistes, ciselés au burin de l’humour caustique où chaque mot est pesé à l’aune de son efficacité !

Mais si la forme est légère, le propos social reste toujours aussi fort chez Kaurismäki qui fait se rejoindre dans ce film, le monde des migrants et celui des perdants. Pour exprimer son propos, le cinéaste ne s’embarrasse pas de fioriture, de psychologie, de finasserie.Il n’y a pas de superflu chez lui . Il dégraisse la mise en scène jusqu’à l’os pour aller droit au but.

Emergé de son tas de charbon, Khaled, le jeune réfugié syrien demande une douche. La caméra montre seulement une eau noire qui dégouline sur ses pieds et s’évacue dans les égouts.La crasse réelle et symbolique accumulée par Khaled au cours de ses longs mois d’errance à travers les pays d’Europe, retourne là d’où elle n’aurait jamais du sortir : les égouts de la » déshumanité «  qui avilit autant celui qui rejette que celui qui est rejeté.

Le cinéaste n’hésite pas non plus à recourir à l’ellipse qui permet d’aller à l’essentiel..Avec lui, on ne tergiverse pas pour échanger quelques coups de poing mais encore moins pour se réconcilier, pour venir en aide ou pour montrer sa solidarité.Une porte qui s’ouvre pour Khaled, au bon moment grâce à une employée compatissante ; un camionneur qui prend des risques en cachant  Miriam sa sœur. Tout est dans la générosité spontanée.

Pas de temps à perdre non plus avec l’émotionnel, avec l’apitoiement sur soi. Khaled débite aux autorités finlandaises son histoire effroyable comme s’il s’agissait d’un compte-rendu clinique , précis et froid. En face, pas le moindre signe d’empathie. Personnellement, j’attribuerai la palme de l’économie de mot, de geste et d’émotion, à la scène de rupture entre Wikhstrom et sa femme.. Un trousseau de clés et une alliance posés sur la table par le mari. Deux regards qui se croisent. La femme qui entérine la situation en écrasant avec sa cigarette, l’anneau au fond du cendrier puis se sert un verre de vodka. Scène muette qui dit tout.

« J’agis sinon je meurs. Je joue. », dit la chanson du vieux rocker de rue. Les deux personnages principaux agissent et jouent. Wikhstrom joue au poker pour réaliser son rêve de restaurant. Khaled arpente l’Europe pour trouver un futur meilleur. Tous les deux jouent leur avenir. Et comme l’a fait remarquer un spectateur, « ça passe ou ça casse ».

Comme c’est réjouissant de retrouver ces personnages kaurismakiens qui restent debout face aux défis de la vie et gardent l’élégance des résistants impassibles et silencieux.

Comme c’est réjouissant cette dignité humaine qui émerge comme un phare , pour lancer le message d’Aki Kaurismäki : « C’est de la solidarité du peuple que viendra notre salut. »

Tchin tchin Aki ! Santé

Marie-Annick