Une Fille Facile- Rebecca Zlotowski

Film français (août 2019, 1h32) de Rebecca Zlotowski avec Mina Farid, Zahia Dehar, Benoît Magimel, Clotilde Courau, Loubna Abibar et Cedric Apietto

Synopsis : Naïma a 16 ans et vit à Cannes. Alors qu’elle se donne l’été pour choisir ce qu’elle veut faire dans la vie, sa cousine Sofia, au mode de vie attirant, vient passer les vacances avec elle. Ensemble, elles vont vivre un été inoubliable. 

« Tous les palais sont ridicules : malgré leur intérêt historique, ils ne sont que l’expression dénuée de goût et pénible de l’ostentation. »
Charlie Chaplin – 1889-1977 – Ma vie

Dans une des ses interviews Rebecca Zlotowski nous dit : « enfant, avec mes parents nous aimions aller regarder les riches dans leur yacht, installés  face aux pizzerias ». Jeux de signes donc… (Jeu qui nous sera commenté en cours de film,  à l’unilatéral,  en se plaçant du point de vue du propriétaire du yacht). 

Dès le début Sofia, « la fille facile* » offre à Naïma (sa cousine)  un sac à main comme le sien, un sac Chanel  blanc nacré d’un goût  radicalement hystérique. Ensuite on  a comme l’impression que le scénario du film est une parodie de ceux  des photos-romans.  Les scènes et  dialogues sont  superficiels,  se produisent dans un décor qui est une sorte de compilation de signes ostentatoires, presque de clichés (dont un yacht et  son riche intérieur, le sextant, un crocodile en bois rare menaçant, le personnel de service,  les villas somptueuses etc.).

Pour Sofia, tout baigne, et nous le verrons plus tard, lors d’une  scène  de plage : Sofia et Naïma marchant sur la plage, par la magie du cinéma, disons un jeu de plans,   les galets des plages de Cannes deviennent doux  comme le sable de l’Atlantique : gros plan sur les pieds agiles de Sofia et Naïma puis plan poitrine ou plan américain (je ne sais plus) pour le haut de ces deux filles au moins libres… de toutes grimaces douloureuses, contrairement à l’ensemble des plagistes cannois (qui eux ne peuvent se couper en deux et  méritent toute notre compassion) 

Le film se place sous le signe d’ une citation curieuse  de Blaise Pascal : « La chose la plus importante, c’est le métier : le hasard en dispose »,  qu’on croirait échappée d’une épreuve de dissertation. Et la dissertation c’est le film :  

Le hasard en question, n’a pas permis à Sofia l’héroïne,  de naître riche mais de devenir désirable, c’est déjà ça ! Sofia, « la fille facile »  est d’origine maghrébine et probablement modeste, elle dispose d’attributs féminins qui selon les canons font d’elle une pin-up.  C’est sa situation initiale.  C’est ce qui la guide dans ses choix de vie.  Et comme elle apprécie et recherche les signes extérieurs de richesse et de puissance, qu’elle est elle-même, vue par  d’autres, perçue comme un signe de richesse et de puissance, le commerce de soi par soi devient alors, une sorte d’évidence. Pour Sofia, le hasard du métier sera  le hasard des rencontres. En bref, la fille facile  est une belle fille, qui aime le luxe ou ce qui lui apparaît tel …Et monnaie ses charmes, cet autre luxe. 

Son genre de personnage est connu depuis l’antiquité, sous le nom d’Hétaïre, il l’est aujourd’hui  sous le nom  d’escorte girl.  C’est un métier où rien n’est moins important que de s’attacher à quelqu’un, d’aimer comme on dit. Lorsqu’on n’a pas d’attaches, on est libre !  Dit-elle. 

Une autre manière de rappeler son désir de ne pas se lier, c’est un tatouage à la cambrure du dos et des fesses  qui indique « Carpe Diem », comme un programme,   dans  une acception qui ferait frémir Horace, mais qui lui revient. Le casting est impeccable, Zahia Dehar, l’actrice qui interprète Sofia, fut ce qu’elle joue. 

Si ce n’était pas tragique, on trouverait presque comique que des hommes en ruinent d’autres, les exploitent, les épuisent pour s’approprier ça, ce luxe, ce  kitch définitif, ce néant . 

Je garde aussi un bon souvenir de la rencontre avec Calypso (Clotilde Courau), sur son île, dans sa propriété et du dialogue qui en a suivi :     

S — : « Chaque fois que j’entends la corne de brume d’un bateau, ça me fait penser à Marguerite Duras.

La riche Calypso,  cherche alors à  déstabiliser Sofia, dont elle devine la fonction,  à lui faire éprouver une petite humiliation facétieuse. Un peu sarcastique,  elle lui demande : 

—     Qu’avez-vous lu de Duras ? 

—     J’aime tout, ça dépend comment je me sens, c’est délicat, c’est gênant …

—     Mais on est entre nous là !  

—     Avant c’était  LA DOULEUR… Aujourd’hui je vais dire que c’est  L’AMANT»

Test terminé, Sofia a montré les signes « suffisants », il ne faut pas grand-chose,  on peut changer de terrain de joute. 

Le combat de Sofia   se déplacera vers le rapport à son amant… Et on ne peut pas dire que passé  la phase de séduction et de « don, contre-don », que ce rapport soit marqué par la délicatesse. Il la fait chasser par ses gens, sous une fausse accusation de vol.   

Mais, être Sofia, c’est se sentir « libre » parmi les mufles, les délinquants légaux, c’est aussi expérimenter  ce  qu’a démontré Bourdieu dans « LA DISTINCTION», pendant la culture,  la lutte de pouvoir et  la lutte des classes continuent et nous ajouterons pendant le commerce des charmes aussi.   

Mais au total, et je ne sais pas si tout ça, correspond à l’intention de Rebecca Zlotowski où si je me fais un film dans le film,  finalement cette « fille facile » est avec  toute sa cupidité de pie, son mimétisme un peu ridicule,  une copie plutôt sympathique des gens qu’elle fréquente, ce n’est pas difficile. Quant à « la liberté » dont elle se pense dépositaire, c’est un autre sujet! Naïma son admirative cousine, qui a partagé certains moments avec elle, n’en sera pas adepte.

* NB : Une remarque, ces termes n’ont pas d’équivalent masculin

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