ACUSADA de Gonzalo TOBAL

Pour ce deuxième long-métrage Gonzalo Tobal nous montre à la fois une histoire policière  et le processus qui se met en place autour du   « présumé coupable » :  sa famille, ses avocats, les médias  face à un fait divers complexe et violent. Un processus donc, qui est pour une part intime et pour l’autre publique, avec ses implications   juridiques, médiatiques,  familiales, sociales.

La jeune Lali Esposito qui joue Dolorès Dreir est une interpréte principale très honorable, d’autant que c’est son premier film pour le grand écran et à l’international. 

La distribution secondaire  est constituée d’acteurs que nous connaissons à l’image de Leonardo Sbaraglia( rôle du père)  que les cramés de la Bobine ont pu voir dans Douleur et Gloire d’Almodovar et dans les nouveaux  sauvages  de Damian Szyfron  

Ou encore  d’Inès Estévez qui interprète Bétina, la mère de Dolorès, qui  jouait dans Félicidad projeté  à sa sortie aux Cramés.  Soulignons au passage qu’elle est aussi  une remarquable chanteuse de Jazz( cf. youtube). Soit dit en apparté, on peut aussi espérer que cette remarquable actrice ait fait un procès à son chirurgien plastique ou que ce professionnel soit conduit à se recycler.

Ce film n’est certainement  pas inoubliable, il présente de nombreux défauts. Sa musique est trop appuyée, les mouvements de caméra le sont parfois un peu aussi,  par exemple, cet effet de zoom  avant  vers la fin du film : lors  de cet instant de solitude  ou l’on peut voir Dolorès seule avec elle- même, observant  au loin sur les toits. Suit un plan fixe, elle observe  ce puma imaginaire ou réel. Ce puma qui comme elle a été livré, tel un monstre du Loch ness,  à l’intérêt zappant et fugace d’une population gavée d’événements -Une population passionnelle prompte à se déchainer-. 

Et puis il y a dans le scénario un abus de scènes  providentielles un peu faciles :

La mère intervient à temps quand Dolorès sa fille veut rendre visite à la mère de Camilla, l’assassinée. L’avocat rentre dans le café au moment où sa cliente risquait de parler avec les témoins. Le père arrive en voiture à l’hacienda au moment où sa fille est assise sur la margelle du puits … 

Mais on ne peut enlever à ce film, ni son côté palpitant, ni le côté touchant, fort et fragile de Lali Esposito dans l’incarnation de son rôle.  Et puis ce film est aussi une chronique du jeu social, judiciaire et médiatique devant une affaire « indécidable ». Une affaire où une fois la justice passée, coupable ou innocent, il ne restera que des décombres fumants. 

On remarque  la faculté d’auto-illusion, d’autojustification  des personnages, (qui aussi la nôtre) qu’il nous montre : La construction d’un récit collectif qui conduit à l’acquittement est un tissu de vérités tronquées et de mensonges délibérés, brefs de petits arrangements avec le réel. L’amie de Dolorès essaie de disssuader un témoin.  Le père  fait disparaître un sac à dos qui peut-être aurait été à charge. Plus loin il dit, « après tout ce que j’ai fait, si tu es condamnée, tu n’es plus ma fille ». Qu’elle soit innocente ou coupable ne rentre pas dans son calcul.  Le grand avocat ami de la famille qui pille méthodiquement (et de bon droit)  son ami pour défendre sa fille avec une stratégie qui  ne repose que sur le doute. La mère qui n’aime rien tant que le silence. La fille qui seule sait mais se prête (à l’exception de l’interview) a tous les scénarios prévus pour elle, fussent-ils faux. On pourrait ainsi dérouler l’ensemble du film qui de ce point de vue est parfaitement réussi. 

Il y a un autre aspect bien traité, c’est celui de l’innocence et de la culpabilité. Qu’un innoncent se sente et se manifeste comme un coupable dans une telle situation, le pire pour lui est à craindre! Qu’un coupable se sente ou se prétende innocent et se défende comme tel, alors il augmentera ses chances de  se sauver : « Messieurs, n’avouez jamais » a dit  Davinain, au pied de l’échafaud. Le plus souvent la culpabilité et l’innocence cohabitent intimement autant chez l’accusée que chez ses intimes. La prééminence du jeu social sur la vérité est bien montrée dans Acusada. Deux illustrations me viennent  à propos de ce jeu avec la culpabilité :

Dolorès est avec son ami (celui qu’elle a rencontré pour le service sexuel), elle lui dit  quelque chose comme : « tu ne t’imagines pas que je vais te dire si je suis coupable ou innoncente alors que 40 millions de personnes attendent »… elle ajoute après un court mais pesant silence « mais je suis innocente ».  Lorsque Dolorès  est assise sur la margelle du puits, son père démontre qu’il la pensait coupable… « mais je ne l’ai pas fait papa !  » 

Et pour nous Français, cette justice argentine qui ressemble à l’américaine, recèle un mystère attrayant, on peut y attendre son procès ailleurs qu’en prison… et répulsif à la fois, si l’on en juge par l’exemple des USA avec sa politique d’enfermement et ses erreurs tragiques pour ne pas dire cyniques. 

Roubaix, Une Lumière, Arnaud Despleschin

Présenté par Laurence

À Roubaix, « un soir de Noël, Daoud le chef de la police locale et Louis, fraîchement diplômé, font face au meurtre d’une vieille femme. Les voisines de la victime, deux jeunes femmes, Claude et Marie, sont arrêtées. Elles sont toxicomanes, alcooliques, amantes »…Nous dit le synopsis.  Ce film tiré d’une histoire vraie interprété pour les deux femmes par  Léa Seydoux (Claude) et Sara Forestier (Marie) et pour la police, Roschdy Zem (le commissaire Daoud).  

Arnaud Despleschin réalise encore son meilleur film, (c’est ce que je pense à chaque fois). Il réussit à raconter simultanément trois choses à la fois, l’histoire d’une ville, l’histoire d’une population pour l’essentielle immigrée,  l’histoire d’une enquête sur un meurtre sordide et de ses protagonistes. Tout cela interprété avec une classe exceptionnelle  par les quatre principaux acteurs.

On est surpris par  le décor du film, Roubaix est à elle seule un personnage, et la lumière de Roubaix n’est décidément plus qu’une petite lumière  venue de loin. Roubaix  est riche  de sa richesse passée de ville industrielle et laborieuse, elle a encore son décor bourgeois et ses bâtisses cossues du temps des manufactures et celles de plus en plus délabrées des courées et des petites maisons où vivaient les ouvriers pauvres souvent immigrés. Là  vivent encore des pauvres, parmi eux, nombre de vieux immigrés et marginaux,  cette fois sans travail, sans avenir. Le taux de chômage y avoisine les 31%.  Et 43% des habitants de Roubaix vivent sous le seuil de pauvreté.   Roubaix est un décor pour nous qui le voyons et une blessure pour nombre de ceux qui y vivent.

Depleschin sait que  l’histoire de cette population se confond pour l’essentiel à la population immigrée, le plus généralement du Maghreb.  Et l’histoire des Maghrébins de Roubaix nous est montrée  sous différentes formes, comme un film dans le film.

D’abord le Commissaire Daoud, enfant de Roubaix et fils d’immigrés  symbolise le prix de l’intégration (être et ne pas être en même temps). Mystérieux et solitaire, il a quelque chose de marginal  à  incarner l’institution policière dans une ville de France. Etre le représentant de la paix et être   celui qui a réussi et se retrouve à  distance obligée avec sa communauté.  Sauf parfois, pour se souvenir avec un oncle  des humiliations passées. Il se souvient d’une boîte de nuit interdite aux Arabes et aux chiens,  qui reprend le « Betreten für Hunden und Juden verboten » des nazis.  Il consacre son temps a rendre visite à un neveu en prison, qu’il a peut être fait arrêter et qui ne veut surtout pas le voir. Mais il est son cousin si proche et si loin.

La texture* du commissaire Daoud est  de celle des grands flics et détectives des romans policiers, tels parmi mes préférés, Nestor Burma, Maigret,  Néro Wolf. Il a un côté fatigué insomniaque,  une sagacité remarquable, de bonnes capacités hypothético-déductives…Par exemple, la recherche des coupables de l’incendie et la découverte de l’enchainement logique qui l’oriente vers une autre affaire, un meurtre – Celui sordide et presque gratuit d’une pauvre vieille- Il mène à  Claude et Marie- Elles sont tout ce qu’indique le synopsis, mais sont aussi le produit de la misère de Roubaix et de son aura. Une misère intergénérationnelle, un héritage,  suivi de leur rencontre à toutes deux « c’est parce que c’était elle, c’est parce que c’était moi ». Le commissaire Daoud reconstitue le mécanisme intime du lien entre ces deux êtres, par deux quasi-monologues intuitifs et pénétrants. Le film prend fin ou commence la justice, tellement juste et injuste à la fois, comme le sont  les justices de classes.

PS : Texture à Roubaix (inévitable)

Charles Gérard (1922-2019)

L\'acteur Charles Gerard, le 5 décembre 2016 à Paris.

Ses parents avaient fui l’Arménie soviétique en 1920, car son père était un général tsariste et Charles était né sous le prénom de Gérard en 1922 à Istambul qui s’appelait, alors, Constantinople.
Emigrés en France courant des années 20, les Adjémian s’étaient installés à Marseille puis au Pré-Saint-Gervais.
Sous l’occupation, Gérard Adjémian se retrouve seul. Il a 20 ans.

Boxeur souvent KO, c’est autour du ring qu’il fait la connaissance, et deviendra ami pour la vie, de Jean-Paul Belmondo qui l’emmène dans le monde du Cinéma où, sous le nom de Charles Gérard, il s’essaie à l’écriture de scénario et à la réalisation.
Mais c’est comme acteur, dans une soixantaine de films pour, entre autres, Claude Lelouch, Henri Decoin, Nadine Trintignant, Gérard Oury, Philippe de Broca, Henri Verneuil, Francis Veber, Claude Zidi, Georges Lautner, Elie Chouraqui, qu’il fera carrière.
Pour Lelouch, depuis « Un homme et une femme », il était Charlot.
Immédiatement sympathique, il incarnait à merveille le pote de toujours, la bienveillance, le soutien inconditionnel.

Aujourd’hui, on mesure combien Charles Gérard nous était familier.

Les Arbres remarquables (2)

Les Arbres Remarquables, un patrimoine à protéger : Affiche

Documentaire de Georges Feterman, Jean-Pierre Duval et Caroline Breton
Soirée-débat lundi 16 septembre 2019
Animée par :
Bérengère Metzger de l’Association Ecolokaterre pour l’Arboretum des Barres et de Maxime Fauqueur Présidentde l’Association A.R.B.R.E

Dans la vie, je me tiens plutôt éloignée des arbres, des arbres de la forêt, dressés vers le ciel, serrés, menaçants, étouffants à tel point que, dès le premier pas dans une forêt, mon souci est d’en sortir, de m’en sortir. Au secours !
Alors le documentaire d’hier soir, m’a agréablement surprise. Les arbres qu’on y rencontrent sont des arbres à part, solitaires, libres, autoclonés parfois, plantés parmi les hommes, visibles et remarquables déjà parce qu’on ne peut pas ne pas les voir, et remarquables par leur âge, leurs formes, leurs racines ancrées ici ressortant plus loin, régénérées, renouvelées. Des forces de la nature ! Ces arbres-là sont des refuges, des œuvres d’art qu’on a envie d’observer longuement comme on observe les tableaux qui nous plaisent, globalement et minutieusement, infiniment.
Faire la connaissance de ces êtres lumineux et obscurs, délicieusement verts, profondément sombres, majestueusement tordus, bossus, aux formes élargies, étendues ou stoppées, improbables, rafistolés parfois, a été un réel plaisir.
Arbres remarquables et précieux.
Hier, j’ai pensé à d’autres individus feuillus moins remarquables,  parfois remarqués d’un seul, de moi, de toi, de lui, d’un autre, d’une autre avant, en leurs temps, d’enfants qu’ils ont fait grandir.
La place de la République était alors un terrain de jeux. Quel bonheur de s’y retrouver, de s’éparpiller, envolées de moineaux qui vivaient dans la ville. Il y avait l’école, les courses effrénées dans le quartier et puis le rassemblement, les retrouvailles  des gamins du quartier, toujours sur la place, à l’ombre des platanes.
Quand, en 2010 on a fait disparaître des arbres de son enfance, un vieil homme a pleuré. Un enfant, né en 1926, inconsolable qu’on ait coupé ses platanes remarquables. 

 

L’image contient peut-être : arbre, ciel, plein air et nature

« L’arbre tordu vit sa vie, l’arbre droit finit en planche »
Proverbe chinois

Marie-No

PS : La musique … dommage
On laisse le mot de la fin au vieux monsieur « Il va pas bientôt l’arrêter, son truc ? »
Sans compter qu’il va falloir le redescendre le piano droit rouge incongru.

 

Les arbres remarquables de Georges Feterman, Jean-Pierre Duval-Caroline Breton

A propos des arbres Francis Hallé  Biologiste, Botaniste, spécialiste des Forêts tropicales écrit :

« Je me demande si le rapport premier aux arbres n’est pas d’abord esthétique, avant même d’être scientifique. Quand on rencontre un bel arbre, c’est tout simplement extraordinaire » 

Dans plaidoyer pour l’arbre il ajoute : 

Lorsqu’on abat un ramin, une angélique, ou un maobi on réduit la surface d’échange de la planète de 300 hectares, rien d’étonnant que le climat s’en ressente, surtout si le chantier abat 80 arbres par jour. Aucun être vivant n’approche même de très loin, les surfaces d’échange d’un grand arbre ». 


Le film était superbe, avec des défauts pardonnables, sans doute un peu trop long et trop ponctué par des accords musicaux parfois (mais pas toujours)  trop sirupeux,  appuyés et dérangeants. Mais les arbres ! 

Tout d’abord, pour débattre ce film, il y avait deux intervenants Bérangère Metzger de Ecolokaterre et Maxime Fauqueur de ARBRES.  Différents spectateurs m’ont questionné : ils se connaissaient ? Non ils ne se connaissaient pas ai-je répondu, mais ils se reconnaissaient bien. Ils avaient en commun une même chose. Tous deux sont des militants, c’est-à-dire des gens qui consacrent une large partie de leur vie à une cause qu’ils entendent faire partager. Au bout du compte, c’est par des gens comme eux qu’avancent nos prises de conscience, et très modestement mais sans aucun doute, la civilisation.  Ici la cause des arbres. C’est superbe de se dire, puisque je vis,  je vais parler des arbres, les faire connaître et… être leur avocat. Que ces « passeurs » soient remerciés pour cette soirée, pour leur conviction, leur compétence et leur gentillesse. 

Le film nous présente de très harmonieux et majestueux arbres, et aussi d’autres, vieux, très vénérables, (j’ai lu que les arbres étaient immortels, c’est-à-dire que contrairement aux animaux dont l’homme, ils n’ont pas  la mort programmée dans leurs gènes, les causes de leur mort sont totalement déterminées de l’extérieur, en d’autres termes un arbre ne meurt pas sans être tué). Et tout de même en attendant l’agent de leur fin de vie, quel élan vital ! Des arbres noueux, meurtris,  aux branches tordues,  cassées, beaux par leur dimension et leurs stigmates. Parfois même, ils sont couchés, ou leurs troncs  sont emplis de cavités. Mais ils sont là, bien  vivants, depuis des siècles, vénérables. Et le film nous signale discrètement, qu’ils s’entraident, « perfusent » celui  d’entre eux qui ne peut plus y arriver seul. L’arbre est un être social,  capable de coopération et de don  de soi (1).

Le film est ponctué d’interventions toutes remarquablement choisies, en premier lieu,  celles de Francis Hallé et d’Alain Baraton, tout autant pour exemple, celles de Georges Feterman ou de Maxime Fauqueur. 

Je retiens de ce documentaire et du débat, qu’à travers les arbres c’est de l’histoire humaine, de l’ambivalente histoire humaine dont il est question. Les arbres ont commencé leur vie sur terre il y a 380 millions d’années, et nous, nous n’y sommes que depuis 200 mille ans. Ils n’ont que faire de nous ! Dans cette histoire, l’homme met des mots sur les choses : il nomme, accorde des propriétés et… s’approprie – puis…si bon lui semble, se donne tout autant des droits de vie et de mort des arbres sur sa propriété.  Car comme le faisait remarquer M.Fauqueur, la propriété est un droit absolu (qui ne laisse donc aucune place au bien commun).

Si l’on se place du point de vue de l’homme, l’arbre a dès l’aube de l’humanité  constitué  sa condition d’existence, lui permettant de  se protéger,  se nourrir, se chauffer… de construire, de s’outiller. Il fut la condition même de notre possibilité d’existence puis de notre civilisation . Si l’on se place de celui de l’arbre, on peut dire qu’il a rencontré en l’homme son plus constant prédateur. 

Et c’est une force de ce film de nous  montrer qu’il existe aussi et depuis tous temps et maintenant plus qu’hier,  une relation entre les hommes et l’arbre chargée d’attention de bons soins et d’amour, de nous dire qu’elle est possible et que certains la vive.  (N’empêche, la tronçonneuse selon chacun et sans permis est une calamité !)

Bien sûr, ce qui nous a été montré, c’est pour l’essentiel, l’arbre des villes, dans son agencement urbain, monuments,  châteaux et églises, jardins, promontoires…mais c’est un pas. Constatons d’ailleurs que le sauvage fait toujours peur et cette peur est ancrée en nous, comme l’affirmait François Terrasson(*2) dans les années 1980, de là une cascade de conséquences(*3) : « L’homme a tendance à détruire ce qui lui fait peur. Il ne va pas demander qu’on abatte la forêt, mais qu’on fasse reculer la ronce, le reptile et l’inconnu. Bref, il réclame le nettoyage des sous-bois, l’ouverture de nouveaux chemins et l’installation d’écriteaux rassurants. Derrière les discours de technocrates aménageurs, (…) se cacherait l’antique crainte de la nature sauvage »…

Soit ! N’empêche, ce film tout comme la littérature de vulgarisation sur les arbres indique que les temps changent, et il y a un public de plus en plus nombreux pour ça . Il devient plus difficile de défendre l’idée que les arbres sont de simples choses utilitaires ou décoratives. Et certains élus qu’Alain Baraton (4) dénonce, ont du souci à se faire pour assouvir leur passion d’exister uniquement par le bétonnage. Les humains qui considèrent l’arbre avec émotion, tendresse et respect sont de plus en plus nombreux et ils se battent (5). On monte des marches, rappelons-nous qu’il a fallu le même effort insensé pour que les esclaves soient considérés comme des hommes ! (*6 ) Alors, en dépit des études scientifiques, voir l’arbre comme vivant et sensible demeure un chemin à faire.

L’éventuel lecteur  de mes digressions intempestives qui serait allé au bout m’excusera, et s’il veut bien  garder une seule chose de ces lignes ce pourrait être  : Allez voir « Les arbres remarquables », c’est un documentaire qui non seulement nous montre de beaux arbres mais en outre, donne à voir des rapports profonds et responsables de l’humain à l’arbre… et si vous l’avez vu, conseillez-le tout simplement !

(1) Dès les années 1930, un écologue japonais, Kinji Imanashi avait décrit des mécanismes de coopération inter-espèces et dans une même espèce in  » le Monde des êtres vivants ». Edition Wildproject, domaine Sauvage 2009. Depuis, les observations en ce sens n’ont cessé de se multiplier.

2 et 3) François Terrasson, « La peur de la Nature » édition Sang de la Terre 1988, commenté par Marc Ambroise-Rendu in le Monde 1988 (bien heureux d’avoir conservé l’article dans le livre!)

4) Alain Baraton « La haine de l’Arbre » Actes Sud 2013, il cite de nombreux cas prouvés d’allégations de maladies pour abattre des arbres, et depuis de grands projets inutiles qu’il cite n’ont pas manqué, pour le plus grand bonheur des prêteurs et du BTP et la mauvaise fortune des arbres gênants)

5) Que la spectatrice et militante soit remerciée pour sa sensible et pertinente intervention concernant le Boulevard de Belles Manières, la politique c’est d’abord ça!

6) Ecouté il y a peu, T.Piketty à la radio qui disait que lors de la fin de l’esclavage aux USA, on n’a pas indemnisé les esclaves, mais leurs »maîtres ».

La Femme de mon frère-Monia Chokri

Film canadien (juin 2019, 1h57) de Monia Chokri avec Anne-Elisabeth Bossé, Patrick Hivon et Sasson Gabai

Synopsis :Montréal. Sophia, jeune et brillante diplômée sans emploi, vit chez son frère Karim. Leur relation fusionnelle est mise à l’épreuve lorsque Karim, séducteur invétéré, tombe éperdument amoureux d’Eloïse, la gynécologue de Sophia…

Présenté par Marie-Noël Vilain

Lors de sa présentation Marie-No nous signalait toutes les proximités entre Monia Chokri et son équipe et Xavier Dolan.
Et jusqu’à l’image remarquait-on. Demeure l’humour, ça on ne peut pas dire qu’il a été emprunté à Xavier Dolan. On peut même dire que Monia Chokri volontairement ou non s’en sépare sur ce point. Dans les films de Xavier Dolan pour  ce que j’ai pu en voir, ce sont les affects passionnels qui dominent, débordent le film et  nous les spectateurs sommes pris dans une sorte de syndrome de Stockholm, subjugués par ce réalisateur   qui  a rendu si lourde de souffrances la vie de ses personnages… Et donc un temps la nôtre ! Nous l’en aimons que davantage. Dolan sidère ses spectateurs dans les deux sens du terme. Le film de Monia Chokri est bien différent, lisons ce que dit Xavier Dolan : 

« Je suis incroyablement fier du film « La femme de mon frère », de mon amie Monia Chokri. Dans une époque caractérisée par l’univers de l’influence et la facilité d’une plateforme publique, écrire et réaliser un film est un geste artistique singulier, fort, unique. À l’image de ce geste, le style de la cinéaste est qui plus est si personnel qu’il fait de cette œuvre un objet qui est entièrement propre à Monia, à son univers, ses préoccupations, ses instincts esthétiques, politiques, philosophiques. Il est tellement rare de voir un film et de penser : je n’ai jamais rien vu de tel! Hormis les associations faciles et systématiques, La femme de mon frère de Monia Chokri est un film qui n’aurait pu être fait que par Monia Chokri. Mais quel bonheur d’en plus pouvoir dire que ce film fait par une artiste est aussi fait pour tous. Que tous pourront apprécier son humour, son goût, son émotion, son interprétation si simple, et complexe, et humaine (Anne-Elisabeth!!!). Monia prend tellement de plaisir, de passion à filmer et réfléchir à ce que veut dire filmer. En découvrant son film, je me suis énormément remis en question. J’ai réalisé l’importance de la mise en scène. Je me suis souvenu de sa valeur et de sa vitalité! Merci Monia » (MSN.com). 

S’il signale gentiment une faiblesse du film (Les associations faciles et systématiques), il en remarque l’humour.  Et en effet,  nous rions et sourions, en tout confort, car il n’y a dans « la femme de mon frère » aucune méchanceté. Pourtant les scènes de ce film sont souvent  un peu comme un oreiller percé après une bataille d’oreiller, c’est encore drôle, mais ça ne l’est plus tout à fait, et les plumes tombent légères.  

C’est une fonction de l’humour de mettre une distance entre les choses dramatiques de la vie et nous-même. On se souvient la première image avec cette femme au visage rond qui parle avec dédain et drôlerie invonlontaire de  quelque chose, on ne sait pas trop quoi encore, on ne sait d’ailleurs même pas où on est, on se croit au théâtre, et ça nous amuse. Puis zoom, champ, contre champ, échange entre des personnages, on se rend compte que c’est la délibération d’une thèse de Doctorat et que l’impétrante, debout en retrait,  Sophia (Anne-Elisabeth Bossé), appartiendra au monde des Docteurs, mais à la marge, on comprend que sa thèse qui n’est pas dans les canons, porte sur un sujet  certes passionnant (A.Gramsci) ne prépare à rien d’autre qu’enseigner et que ses chances d’enseigner sont des plus  minces. Plus tard nous connaitrons les frais d’études  48 000 dollars… sa vie post-universitaire sera compliquée. Sophia n’a pas les codes, elle ne les a jamais eu ! Mais la manière de voir cette femme du jury, c’est celle de Sophia, avec ce regard, tout va bien.


Plus loin dans le film, on est chez les parents,   Sophia y est avec son frère Karim (Patrick Ivon). L’intérieur,  c’est celui d’intellectuels modestes, il  est plein de livres. Les parents, sont drôles, tellement complices. Et ces quatre-là éprouve une joie peu commune de se retrouver, d’être ensemble. Hichem (Sasson Gabai) le père est un idéaliste joyeux, un immigré, cordial buveur, Lucie la  mère (Micheline Bernard) une femme drôle et décidée.  Nous apprendrons Incidemment que l’un et l’autre sont séparés, et que lui, sans travail, vit dans le garage aménagé (des revenus de sa femme)-Une sorte de je t’aime, moi non plus- 

Il y a dans ce film un humour libérateur et un humour protecteur, celui qui évite l’affrontement et préserve l’intégrité de ceux qui en use, et mieux que ça, renforce…  Monia Chokri conjugue avec élégance le drame et la comédie, la légereté de l’humour recouvre les pesanteurs  de la vie. Et ce qui fait l’élégance, c’est l’humour.

Et Sophie, son personnage principal a une faculté d’autodérision que Woody Allen ne désavouerait pas.  

J’ai aussi été intéressé par le rapport fraternel Karim/Sophie, leur complicité ambivalente qui joue avec l’inceste sans jamais y tomber (Par exemple, la scène qui se présente comme un baiser, mais qui n’en est que le simulacre, l’objectif de Karim  est de mordre le nez de sa sœur) et plus tard, la manière dont Sophie finit par se départir de sa possessivité envers Karim. La résolution par le face-à-face avec Eloïse (Evelyne Brochu), la femme de son frère est très réussie.

Et tout comme les images du début du film, j’aimerais revoir cette image des  multiples frères et sœurs sur une barque, ils ne se regardent pas mais ils sont ensemble, leur regard tombe l’un sur l’autre et ils se sourient, il y a entre eux une confiance permanente. Et comme Sophie et Karim ont été également aimés de leurs parents, on projette les mêmes sentiments sur ces frères et soeurs là.   

Avec ce premier long métrage à la fois grave et joyeux, Monia Chokry devient  une réalisatrice à suivre.

Perdrix de Erwan Le Duc

Perdrix : Affiche

Le réalisateur, Erwan Le Duc, est journaliste sportif à la base. Genre, le type couvre le Mondial de foot en Ukraine !!!
Comme quoi il ne faut jamais désespérer de rien puisque, avec « Perdrix », son premier film long métrage, Erwan Le Duc nous offre une comédie romantique, déjantée, soignée, signée.

Une telle émotion, une telle fantaisie avaient bien besoin de sortir !
D’abord sur nos gardes, on plonge vite dans l’histoire et on prend un plaisir mélancolique à être avec cette famille loufoque mais pas tant que ça, soudée, mais pas tant que ça, figée dans l’empêchement.
Ca parle d’amour. L’amour naissant et évident entre Pierre et Juliette, l’amour pudique, débordant, étouffant, d’une mère pour ses fils, d’un père pour sa fille, l’amour préservé et ravageur d’une femme pour son mari disparu, l’amour fraternel.
L’équilibre est trouvé entre la fantaisie et l’émotion.
Dans la famille Perdrix, le gardien du temple c’est Pierre (Swann Arlaud, épatant en gradé lunaire), le fils aîné, gendarme bienveillant qui n’ a pas grand chose à gendarmer dans sa bourgade perdue des Vosges. A part garder un œil sur la colonie de nudistes, arrivés là depuis peu, voulant faire reconnaître leur droit à se présenter sans artifices, sans masque, nus donc et signifier à tous par des « actions » l’urgence à adhérer à leur cause, à se débarrasser du superflu, à participer à leur révolution.
Pierre Perdix doit aussi encadrer les reconstitutions historiques. Il y a des tanks, des jeeps à garer. Et les bénévoles à accompagner. Ils se passent l’uniforme tantôt français, tantôt allemand. Interchangeables, pareils. Un seul mot d’ordre : zénitude.
Nicolas Maury (le Hervé de Dix pour cent) est Julien dit Juju, le frère de Pierre. Juju père opaque, biologiste réfugié dans la géodrilologie, vouant une passion totale à ces animaux fouisseurs, précieux indispensables alliés du futur, acteurs majeurs dans la qualité du fonctionnement des agroécosystèmes. Juju a une fille, Marion, ado, dans la honte du père, faute de mère,  et le sien lui tape l’affiche format XXL ! Elle, ce qu’elle veut c’est partir en sport études option ping-pong, échapper à sa grand-mère aussi, Thérèse, formidable Fanny Ardant, enfermée dans son deuil avec tous les siens, réfugiée dans son garage, dans l’écoute des autres. Car cette tribu, entre eux, ne se parle pas. Ça s’est décidé comme ça, quand le père est mort, il y a des années. Ils se sont groupés et figés. Thérèse inconsolable d’avoir perdu l’homme de sa vie, l’homme idéal, croque désormais tous les autres, simples mortels, ce qui ne la console nullement.
Un beau jour,  Juliette débarque et Juliette (Maud Wyler formidable en malheureuse électrisée), c’est le contraire. Son cas est tout aussi pathologique, remarquez ! Juliette c’est la fuite en avant avec sa vie consignée sur des petits carnets qui la retiennent en arrière.
Qu’est-ce qui pourra bien rompre ces malédictions ?
L’amour évidemment !
L’amour qui les fera tous sortir du cadre pour les remettre sur le chemin du possible bonheur.

Beaux personnages, dialogues travaillés,
Une jolie comédie, originale et émouvante.
C’est rare.

Marie-No

Compte rendu (en retard) du 60ème Festival de Cinéma de Prades!

Le lundi commence allègrement le 60eFestival du Cinéma de Prades, eh oui ! 

Avec « Vire-moi si tu peux », deuxième court métrage d’un jeune réalisateur,   Camille Delamarre, c’est aussi un acteur et surtout un monteur reconnu. Ici, il  bénéficie d’un sacré casting et donc d’un bon coup de pouce, avec deux acteurs principaux, Patrick Timsit et Richard Berry, c’est drôle et très bien fait.  Et donc nous allons guetter son premier long-

Ensuite nous faisons la connaissance de Serge Bromberg qui a fondé Lobster, une société un peu folle, dont la mission consiste à  retouver et à rénover des films disparus ou anciens, on n’imagine pas combien le hasard est généreux,  comment s’agencent les coïncidences pour ceux qui cherchent, pour ce genre  « d’archéologue du cinéma ». Serge Bromberg est un découvreur. Il est cabotin, mais c’est un artiste,  personne n’est parfait. Ce qui est parfait c’est le travail de sa maison. Vient le ciné, le temps de voir du muet ! On regarde parfois ça avec un peu de condescendance, on n’y tient pas plus que ça, mais que la séance commence et on remise très vite nos préjugés.  Ma culture cinématographique concernant Meliès, se bornait à l’image de la lune qui reçoit une fusée dans l’œil, celle qui illustre le 60èmeFestival de Prades ! Mais le film ? Eh bien nous avons eu droit à une projection colorisée, comme lors de sa première projection!  Dès ses débuts, le cinéma se rêvait en couleurs. Avec Meliès, on est dans un imaginaire débridé,  à l’époque de Jules Vernes, on songe à la conquête de l’espace, six savants fous alunissent, rencontrent des lunaires, (des sélénites), ces drôles d’extraterrestres ! Les trucages commencent dès les débuts du cinéma. 

Autorisons-nous cet aparté, l’histoire compare souvent  deux tendances, Melies, sa fantaisie et ses trucages et les Frères Lumières (l’artiste et le scientifique),  pour leur mise en lumière du réel. Observons aussi que lorsqu’on regarde la galerie de portraits des fondateurs du cinéma on n’y voit que des messieurs.  On oublie Alice Guy née en 1873, dont pourtant Wikipédia nous dit : « Avec La fée aux choux, qu’elle tourne en 1896, elle est la première réalisatrice de l’histoire du cinéma. Elle joue un rôle de pionnière en ayant l’idée de filmer du contenu de fiction pour faire vendre des caméras proposées par Gaumont. En 1910, elle est aussi la première femme créatrice d’une société de production de films, la Solax Co3 ». Une paille ! Mille films presque tous disparus ou mal identifiés. Pour l’essentiel  Serge Bromberg et ses collègues n’en ont  probablement jamais eu la restauration, car il nous apprend qu’en quelques décennies, les bobines de 35 mm en nitrate de cellulose durcissent  deviennent compactes, indébobinables, avant  que de se ratatiner sur elles-mêmes.  (Mon explication est un peu sommaire, j’en conviens, mais ça ne change rien au résultat). Autant dire que les films que nous propose Serge Bromberg sont de purs miracles ! Sauvés, reconstitués grâce des recherches folles dans le vaste monde et à des techniques impossibles (science et  patience !)

Et au total, nous avons vu quelques muets, dont quelques magnifiques Laurel et Hardy et particulièrement « Vive la Liberté » qui se déroule au sommet d’un gratte-ciel… Terreur époustouflante, et rire libérateur garanti !  Nous avons aussi vu la plus grande bataille de tarte à la crème de l’histoire du cinéma, et bien d’autres trésors. 

Serge Bromberg nous quitte, il était un véritable showman,  accompagnateur pianiste (très Jazzy)  des films, conteur, et drôle. Alors, une petite anecdote  pour finir : Serge Bromberg  est dans la salle et nous discutons avec lui en petit groupe, et le piano qui devait lui permettre d’accompagner un film manquait. Alors, il nous dit : « On va sans doute me trouver un peu excessif, mais dans la mesure où j’accompagne ce film au piano, j’en ai exigé un !». 

 Arrive Nicolas Philibert et ses  documentaires. On se souvient de l’immense succès d’Être et Avoir.

Au physique, imaginez Marilyn Monroe sur la grille de métro,  maintenant, mettez à sa place Nicolas Philibert, qu’obtenez-vous ? Un homme avec tous les cheveux sans exception,  dressés sur la tête. 

Blague à part, c’est un homme de petite taille,  un peu austère et réservé, mais qui immédiatement captive. Son visage, son timbre de voix, cette manière  de parler sans jamais élever le ton, et lentement, pesant chaque mot,  scrupuleux, très attentif. Lorsqu’on lui demande pourquoi, il fait du cinéma, il cite Henry James : « j’écris des livres pour savoir ce qu’il y a dedans disait-il, et moi je fais des films pour savoir ce qu’il y a dedans ». 

Et je ne sais pas si c’est un effet de sélection, on a l’impression que Nicolas Philibert aime les lieux clos, les systèmes fermés, et il les filme en essayant paradoxalement, d’en savoir le moins possible sur le sujet, en gardant sa capacité d’étonnement : 

« La ville Louvre ; le pays des sourds ; de Chaque instant ; La nuit tombe sur la ménagerie ; La Maison de la Radio ; La moindre des choses ; Un animal des animaux » Musée, institution de sourds, école d’infirmière, zoo, radio, asile, jardin des plantes. Pourrait-il aussi bien filmer dans un lieu mal circonscrit ? Il faut que j’en trouve un pour le voir.

Il ne fallait rien louper. Il y a une sorte de magie dans ses films :  le ton,  la distance, la méticulosité, et son amour des visages, pas du visage qui joue un rôle social, non, celui de l’être en tension, celui qui travaille, qui pense, qui fait. Celui dont le projet, l’action  lui fait oublier qu’il existe, qu’il est en train d’exister. Le style de Nicolas Philibert a quelque chose de fascinant. Pris dans cet engrenage qu’est la succession de ses films, on voudrait que ça ne s’arrête pas, on a l’impression de comprendre, d’être avec, de partager. L’instant de la projection, on est orang-outan, sourd, journaliste ou empailleur…On est en empathie avec les personnages de ses sujets. Lors de son dernier débat, Nicolas Philipbert demandait au public qu’est-ce qu’un grand  film ? Et nous y sommes allés de nos définitions malhabiles ou parfois aiguisées. Il gardait la sienne pour la fin, je n’en ai pas retenu les termes, mais je me souviens que sa définition n’était pas celle d’un film en particulier, mais celle d’un chef-d’œuvre, en substance il dit à peu près : « Quelque chose qui dépasse celui qui l’a fait, quelque chose de plus grand que l’intention de son auteur !  »… C’est ce que Nabokov disait du « Don Quichotte ! »

Mon bémol  c’est « La moindre des choses » ce documentaire passionnant se passe à Laborde, institution pour personnes malades mentales. Qu’est-ce que la psychiatrie institutionnelle avait demandé N.Philibert au Docteur  Jean Oury, fondateur de l’Institution, et lui de répondre laconiquement : « C’est la moindre de choses » … Séduisant, car on est invité à découvrir la chose en question. 

Pourtant, je trouve que ce film ne voit pas assez la part de l’institution dans la maladie de ces braves gens,  sauf un instant fugace, par un personnage du film, (François je crois), élégant, sensible, spirituel, édenté…Pourquoi les vieux et moins vieux pensionnaires n’ont plus de dents en psychiatrie, pourquoi leur rasage devient approximatif ? Comment parmi la multitude de malades, devient-on un vieux pensionnaire qu’est-ce qu’on y gagne, et surtout, qu’est-ce qu’on y perd ? 

Puis vient le moment où l’on quitte Nicolas Philibert, plutôt c’est lui qui nous quitte et nous le regrettons. 

Intermède, Laïla Marrakchi, avec 2 longs et un court… pour ma part, j’aurai sans doute préféré l’inverse car les affres de la jeune bourgeoisie branchée marocaine m’intéressent autant que « la boum » .

Arrive Cédric Kahn, je ne connaissais pas, je n’avais vu qu’un film de lui, et là, belle sélection et autant vous le dire tout de suite, il va succéder avec une classe folle à Nicolas Philibert. Qu’est-ce qu’on nous présente ?  

« Une vie Meilleure, la Prière, Feux rouges, Roberto Succo, l’Ennui, Vie Sauvage ».Mais d’abord un mot de l’homme Cédric Kahn, il succédait bien à Philibert pour l’éthique et dans l’attention portée aux personnages et aux acteurs, aux situations et à la manière de les filmer. Mais l’homme Cédric Kahn m’apparaît plus naturel, moins construit, plus spontané et il fait de la fiction. 

Il a chez lui, une sorte de méfiance pour le « psychologisme » et il feint de ne rien trop savoir des personnages, il laisse à chaque spectateur son libre jugement,  il préfère de loin parler des circonstances et conditions de tournage, des acteurs qu’il a filmés. Au contact, il est simple, direct, attentif (très), et toujours le plus clair et  fluide possible dans ses commentaires, il accepte les critiques les plus dures comme les plus élogieuses avec placidité et bienveillance. Cédric Kahn est son meilleur agent parce qu’il a un contact spontané et fin et  peut-être son plus mauvais parce qu’il n’exprime aucune vanité d’aucune sorte, dans un monde qui n’est pas fait pour ça. 

Dans cette sélection, deux films étaient inspirés de livres, l’un « feux rouges » de Simenon, et « L’ennui » de Moravia, je réunis ces deux films très différents, parce qu’il se trouve que j’ai  un peu lu les auteurs. Cédric Kahn s’inspire, il ne reproduit pas, il ne craint pas de modifier les histoires. Pourtant, les Simenon et Moravia de Cedric Kahn y sont mieux que sentis, ils y sont eux-mêmes. Cedric Kahn est un cinéaste de l’ambiance, du climat.  De ces films, il faut tout voir et revoir si l’on peut. « La vie sauvage » d’abord, vous savez ce marginal un peu mégalomane qui  décide de soustraire ses enfants à la décision de justice et à leur mère, et les élève en fugitifs comme des Sioux. C’est presque un documentaire, c’est aussi un remarquable travail d’acteurs. A l’exemple aussi de « L’ennui », le fameux Moravia dont je parlais à l’instant, le héros fait aussi penser à « un amour de Swann » en moins soft au plan physique mais en aussi vif et douloureux sur le plan affectif… il y a des voies où il ne faut pas s’embarquer !  Un film remarquablement joué là aussi. (Charles Berling, Sophie Guillemin (quel rôle ! elle y est parfaite) et Arielle Dombasle. Mais surtout, il faut attendre avec impatience le prochain film de Cédric Kahn « Fête de famille » et ne pas le manquer, Les Cramés de la Bobine seront vigilants.

Avant de finir ce billet, déjà bien long,  trois choses : 

-Il y a un prix du public  du Court-Métrage à Prades, et il y a une rigoureuse présélection qui aboutit à nous présenter 15 courts-métrages. Ambroise Michel, l’un des réalisateurs était présent, c’était le seul, il n’a pas gagné, mais tout de même,  son « court » était bien fait et drôle.  Presque tous étaient bons. Si un jour près de chez-nous, un ciné projette des courts, je serais un bon  client. Nefta Foot Club a obtenu le prix, je ne sais pas comment les organisateurs ont fait pour trouver un vainqueur, pour ma part,  à 80 % d’entre eux, j’ai mis la note maximum… Mais je le reconnais  volontiers, Nefta est un franc moment de ciné, drôle, original et inattendu.

-En bref : Signalons deux films légèrement anciens,  « Parlez-moi de vous » de Pierre Pinaud, un premier long métrage, avec dans le rôle  principal, magnifique,  Karine Viard, elle est en compagnie de Nicolas Duvauchelle et bien d’autres. Puis vint  « Larguées, d’Eloïse lang »  Camille Cottin, Camille Chamoux, Miou-Miou, ce n’est pas ce que je préfère, les bonnes actrices ne font pas nécessairement de bons films. Et deux prévisonnements : Papicha de Mounia Médour, remarquable, dans la lignée du grand « Mustang » puis Alice et le Maire de Nicolas Pariser( Avec  Fabrice Lucchini et Anaïs Demoustier.) Superbes  et à retenir !

-Enfin, le Festival de Prades,  demeure une joie dans la vie de ses festivaliers. Pas seulement parce qu’on y reconnaît les visages amis, qu’on y apprécie les compétences, la gentillesse, le travail, les choix, mais aussi pour le style du Festival de Prades, son climat sympathique. 

Et puis, l’essentiel du Festival est mono Salle…et rien que ça,  rend ce festival distinct et agréable, les habitués des festivals musique, théâtre, ciné, comprendront. Décidément, Prades, cette belle petite ville touristique, avec ses 6000 habitants, demeure  une grande ville de la Musique et du Cinéma.

Jean-Pierre Mocky 1929 ou 1933 /2019

Au début, Jean Pierre Mocky était peintre,  et il l’est resté,  une peinture par d’autres moyens.

Jean-Pierre Mocky, la dernière fois que je l’ai aperçu c’était dans la rue quelque part dans Paris, vers le quai Branly,  avant cela,  c’était  à la télé en 2013, dans « On n’est pas couché » une émission tardive et très regardée,  il présentait son dernier film d’alors,  « le Renard Jaune », face à lui  Natacha Polony et  Aymeric Caron (Laurent Ruquier, « Modérateur »). Nul ne s’étonnera d’apprendre que lors de cette émission,  Jean-Pierre Mocky,  les a très rapidement  traités de cons, leur a dit qu’ils représentaient exactement ceux qu’ils n’aimaient pas.   Les deux journalistes n’étaient pas de reste, dans un autre genre, une autre grossièreté.

On peut être gêné par le style de prise de parole de Jean-Pierre Mocky, mais il a souvent eu le mérite de mettre en lumière verbiages et impostures, et à travers ces deux journalistes d’un soir,  l’imposture et la vacuité générale de ces gens qui font l’opinion.  (Comme avant lui l’ont fait Thomas Bernhard et quelques autres)  

Et dans cet orage, il y avait tout Mocky : « Vous démolissez un film qui n’a pas de pognon et qui fera 15 spectateurs ! Foutez-moi la paix ! » « Il y a toujours eu des gens comme vous » (et Il cite des  cinéastes empêchés de travailler pour les mêmes raisons).

Mocky pour ce film comme pour tous les autres, a tourné sans argent, là c’est un copain « Marchand de Vin », « C’est Jean Bellaïsch, qui a financé le film,  quelqu’un qui aime le cinéma et qui s’y connaît »  

Je me souviens qu’alors nous nous étions précipités pour voir « Le Renard Jaune » dont la distribution, comme souvent chez Jean-Pierre Mocky était prodigieuse. Et comme presque toujours, nous avons aimé.  Mocky a travaillé avec les meilleurs acteurs, meilleurs opérateurs, meilleurs musiciens. Ces gens l’aimaient, et il les aimait, il les connaissait mieux que personne, car si cet homme pouvait être bourru, il devait aussi être  amical et c’était  une encyclopédie vivante du cinéma, à l’égal d’un Tavernier. 

Je recherche dans ma vieille collection de « L’autre Journal » j’ai retrouvé un numéro de Mai 1986 »,  c’est une  splendide revue de Michel Butel, et je tombe alors sur un article de Paul Sabini « Mocky, donc aime faire des films et pourtant, depuis quelque temps, ceux pour qui il les fait n’ont pas le temps de le lui rendre. Ces films comme dit la comptine, font trois petits tours et puis s’en vont des salles, parce que ceux qui tiennent le marché aiment beaucoup l’argent et que lui n’en rapporte pas assez…Mocky, lui, réussit à dissoudre la gangue  qui étouffe le travail des autres, de ceux qui lui ressemblent. »

La vie de Mocky  c’est le cinéma, il a commencé avec les plus grands, et fut même un acteur, il l’est demeuré en tous points.  Mais, c’est le réalisateur anar que je préfère, lui et son œuvre ne font qu’un. Il y aura un temps où l’on considérera l’ensemble plutôt que de dire « il a fait le meilleur et le pire ». En attendant, si je ne me sens nullement qualifié pour qualifier son travail , j’imagine tout de même que c’est un chef-d’œuvre.

Mocky, c’était un homme libre qui  a fait un cinéma qu’on ne voit que rarement. Si l’argent  fut un frein, le néopuritanisme de ces dernières décennies en fut un autre. Mais restons confiants,  la galerie des personnages qui  sévit désormais sous d’autres déguisements que ceux  de ses curés trouvera ses Mocky, car  Mocky est éternel.

Je joins deux liens, Strip Tease pour sa drôlerie (mais on y voit aussi l’homme dans l’action, pressé, inquiet, sans un rond )

Et j’ai eu plaisir à écouter Vladimir Cosma et surtout Jean-François Stevenin, qui parle très bien de Mocky.

STRIP TEASE – Le parapluie de Cherbourg – YouTube
https://www.youtube.com/watch?v=rrbXkUvOTVg

https://www.franceinter.fr/emissions/le-6-9/le-6-9-09-aout-2019

Jean-Pierre Mocky (1933-2019)

Jean-Pierre Mocky au Clap Ciné !

Bouleversant, drôle, provoquant, choquant, étonnant, époustouflant, impressionnant, touchant, séduisant, charmant.
Dans la vie, Mocky avait mis des distances, ses distances avec les imbéciles, les hypocrites, les malotrus dont il n’a cessé, à l’écran, de brosser des portraits depuis 1959, infatigable enthousiaste mélancolique, attachant détaché. 66 films ! Et il avait encore du pain sur la planche.
On n’a pas fait gaffe qu’il pouvait s’envoler et voilà !
Le 8 août, Jean-Pierre Mocky est parti rejoindre les irremplaçables.