« Ouvert la nuit » de Edouard Baer

Nominé au Festival du film francophone d’AngoulèmeDu 2 au 7 mars 2017Soirée-débat mardi 7 à 20h30
Présenté par Marie-Noël Barnier-Vilain

Film français (janvier 2017, 1h37) de Edouard Baer avec Edouard Baer, Sabrina Ouazani, Audrey Tautou, Grégory Gadebois et …. Michel Galabru

Synopsis : Luigi a une nuit pour sauver son théâtre. Une nuit pour trouver un singe capable de monter sur les planches et récupérer l’estime de son metteur en scène japonais ; une nuit pour regagner la confiance de son équipe et le respect de sa meilleure amie – qui est aussi sa plus proche collaboratrice… et pour démontrer à la jeune stagiaire de Sciences Po, tellement pétrie de certitudes, qu’il existe aussi d’autres façons dans la vie d’appréhender les obstacles…

 

A Paris aussi tout est plus beau la nuit.

C’est une nuit où Luigi se retrouve tout près du gouffre. Échecs humains, professionnels, la mort soudaine de Dazaï, le metteur en scène japonais …
Il semble arrivé au point de non retour et, pourtant, commence alors une «Traversée de Paris », une visite d’un Paris nocturne , de « son » Paris, ni branché ni nostalgique, réel et multiculturel.
Magnifiquement mis en image par Yves Angelo.
Paris est magnifique. C’est du haut d’un parking que Luigi aime regarder le soleil se coucher.
Edouard Baer dit qu’«il s’agissait de filmer une déambulation. Il ne fallait pas s’arrêter, il fallait filmer Paris sans que ça fasse documentaire, filmer les monuments sans appuyer, aller dans des endroits singuliers sans les rendre pittoresques, filmer cette traversée avec un effet de direct, privilégiant les plans séquences».
C’est très réussi.

Luigi a un style de vie singulier, adepte de «la vie de hasard». Il y a des gens comme ça qui ont ce don de transformer chaque instant de la vie en aventure. Il balade une énergie particulière, un univers avec lui où on s’intéresse plus aux gens qu’aux lieux. Il a constamment besoin de créer le contact, éphémère, superficiel, souvent. Mais il crée le contact. Puis advienne que pourra . Luigi est menteur, lâche, flambeur. Et violent car décréter la joie et l’action permanente, le culte du superficiel et de la légèreté dans les rapports humains, c’est violent. Luigi est un sale type, oui,  sûrement, un peu.  Mais il est aussi généreux et ensorcelant. Son sourire carnassier et son regard pétillant, son énergie subjuguent, le rendent terriblement attachant. On le suit. Ou pas.

« Ouvert la nuit » nous fait passer derrière le rideau (de velours ou de fer) du théâtre. On approche les métiers de coulisses, directrice de production, régisseur, éclairagiste, costumière, de ce monde en perpétuelle effervescence.  Luigi est directeur de théâtre et son énergie, son enthousiasme ne peuvent jamais fléchir. Il faut être de sa trempe, ne pas avoir peur du risque, pour faire ce métier et ce n’est donc pas donné à tout le monde. C’est comme un sacerdoce, il ne vit que pour son théâtre : la pièce doit marcher à tout prix. Faire fonctionner un théâtre c’est quelque chose de très particulier, de difficile au jour le jour, l’avenir n’est jamais assuré. C’est une entreprise différente d’une entreprise ordinaire. Luigi est aussi un patron à l’ancienne, tendance paternaliste, certes …
Il refuse de considérer l’argent comme un problème. Pourtant il passe la majeure partie de son temps à résoudre, avec l’aide précieuse de Nawel, des problèmes d’argent.
Le film traite aussi de la vie amoureuse et familiale dans le monde de la création artistique. Luigi vit au théâtre, nuit et jour. C’est un séducteur invétéré donc toute relation de couple est pour lui impossible. Et non souhaitée ! Sa famille ce sont les acteurs, les techniciens, sa plus proche collaboratrice qui le surprend dans un placard. Il lache son « ce n’est pas ce que tu crois » de rigueur comme celui qu’il lui avait servi à elle, quelques années plus tôt … Il sait qu’il a raté quelque chose d’où sa déclaration quand il est chez elle . Elle prend ça comme une tirade de théâtre et lui-même redescend aussitôt, reconduit gentiment à la porte par le mari qu’ il venait de tenter de faire changer de rôle ! Faire durer une relation, créer une famille c’est peut-être encore plus difficile dans le milieu artistique. Luigi est très entouré mais seul. Il a mis ses enfants entre parenthèses. Il passe les voir par hasard, au petit matin. Il vient surtout se reposer mais le lit conjugal est occupé maintenant par Jacques. Tant pis. Il repart.
Luigi est égoïste, ne se préoccupe pas de la vie privée de son équipe. Vie privée ? c’est un terme qui ne lui parle pas beaucoup.
Le bébé c’est le concret, la vie ménagère qu’il a passé et passe sa vie à fuir. Un bébé il faut s’en occuper, le nourrir,  il prend naturellement le devant de la scène, il rythme la vie des autres. Insupportable ! Alors on est enfermé comme ça dans une cage ? Plus de bruit, de musique, de mouvement, de lumières ? Pour Luigi c’est un cauchemar !
Il passe le relai.

Luigi aime la nuit et tout ce qu’elle promet. C’est pour lui le moment où tout se passe, où les codes sociaux habituels sont oubliés.
Les deux personnages principaux sont en smocking, tenue à la fois de service et de soirée : Faeza est en smocking chemise blanche : elle avait été « mise au bar » du théâtre car on ne savait pas trop quoi en faire de cette stagiaire et Luigi est en smocking chemise rouge car en tant que directeur du théâtre et d’après son code vestimentaire c’est sûrement la tenue adaptée pour aller chercher 500 000 euros la nuit.
Luigi s’appelle en fait Louis. Un clin d’œil aux personnages fantasques des comédies italiennes. Luigi est un fanfaron.
Le singe résume bien le personnage de Luigi, le décalage des préoccupations qu’on peut avoir dans ces métiers de spectacle. Et c’est grâce à toutes ces préoccupations permanentes qu’il peut échapper à ses angoisses, comme celle que lui renvoie son vieux père, égaré, et réduit à la « mendicité » version caviar auprès de la toute puissante Ingrid Pelissier. C’est un monde cruel où on peut tomber très bas.

Luigi aime être sollicité en permanence. Le laisser tranquille c’est à peu près le pire qu’on puisse lui infliger.
Faeza lui plait car elle lui tient tête, elle est volontaire. C’est une fille d’aujourd’hui, qui fait Sciences Po et qui est issue « des quartiers ». Elle n’est pas née avec « une cuillère en argent dans la bouche » ou à portée immédiate des « cuillères en argent » des autres comme Luigi (comme E.Baer).

Luigi est aimable et détestable.
Comme tout le monde, plus ou moins. Et sa vie à lui, au moins, est trépidante.

« Ouvert la nuit » n’est pas un « grand » film, sans doute.
Edouard Baer fait peut-être, un peu trop son Edouard Baer . Mais pas tant que ça, le type a un bel ego …
J’ai aimé cet univers, sa folie acide et douce, le rythme, les images d’Yves Angelo, Paris comme ça la nuit et tous les acteurs.

Et c’est déjà pas mal

Marie-Noel

 

 

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