Ouaga Girls de Theresa Traore Dahlberg

DOCUMENTAIRE DU MOIS


Du 26 avril au 1er mai 2018
Soirée débat lundi 30 à 20h30Film burkinabé (mars 2018, 1h22) de Theresa Traore DahlbergDistributeur : Juste DistributionPrésenté par Claude Sabatier Synopsis : Bien décidées à devenir mécaniciennes, Bintou, Chantale et Dina apprennent le métier à Ouagadougou. Au programme ? Étincelles sous le capot, mains dans le cambouis et surtout, bouleversements joyeux des préjugés : aucun métier ne devrait être interdit aux femmes !

« Ouaga Girls », 1er long métrage sorti le 7 mars dernier, veille de la Journée de la Femme, de la cinéaste suédoise Theresa Traore Dahlberg, de père burkinabé, met en scène l’expérience humaine et formatrice de jeunes filles à Ouagadougou, en troisième et dernière année de mécanique et carrosserie-tôlerie au Centre Féminin d’Initiation et d’Apprentissage aux Métiers. L’évocation de cette école pour jeunes femmes, créée en 1994, à l’initiative de l’association Attous-Yennenga, soutenue par l’ONG Terre des hommes suisse et Terre des hommes Allemagne, s’inscrit dans un double contexte politique, apparaissant en filigrane : celui, symbolique, sous lequel ses premières images placent le film, de l’émancipation féminine voulue par Thomas Sankara, dans sa révolution nationale communiste (1983-1987), avec des mesures comme la mise en place d’une journée du marché obligatoire pour les hommes (les poussant au partage des tâches ménagères) ou d’un salaire vital reversé par le mari à son épouse ; celui, diégétique, du contexte même de cette tranche de vie et du tournage du documentaire, la phase de transition du gouvernement provisoire et d’élections présidentielles après la chute de Blaise Compaoré accusé d’autocratie, de corruption et d’errements constitutionnels pour accéder à un 5ème mandat…Cet arrière-plan scande discrètement l’itinéraire intime et pré-professionnel des jeunes femmes : échos d’un journal télévisé, affiches électorales, discours du professeur d’histoire sur l’héritage des années Sankara.

La cinéaste fait le choix délicat et modeste d’accompagner la formation de Chantal, Bintou ou Mouniratou sans volonté didactique ni démonstrative, au risque de minorer, voire de minimiser la dimension documentaire proprement dite de son oeuvre : elle ne cherche pas à nous montrer en détail ou systématiquement les techniques de ponçage ou de peinture, à décrire l’acquisition de compétences, ou à souligner les progrès accomplis par ces futures carrossières ou garagistes sous la houlette de leurs professeurs ; elle préfère suggérer la beauté d’un geste, lors des épreuves pratiques finales, la crainte d’éclats de soudure chez une camarade sans lunettes de protection, le bourdonnement fébrile d’un habitacle de voiture, le mal de ventre d’une apprentie grondée par son enseignant qui ne voit là que paresse – sans oublier les rires qui fusent et les rêves d’amour au fond d’une fosse de réparation quand le maître de stage a le dos tourné.

La fosse de réparation comme métaphore de la communauté et symbole de l’âme ? Toujours est-il que cet espace clos et protecteur libère la parole et ouvre au spectateur un parcours socialement peu explicité (faut-il s’en plaindre ?) sur une intimité émouvante, saisie en rires étouffés, en gamineries adolescentes, en confidences balbutiées. Le paradoxe – le meilleur – de ce film réside sans doute dans ces virtualités, dans cette intensité fictionnelles par quoi il échappe justement au documentaire misérabiliste, par refus des stéréotypes sur la « misère » ou le « sous-développement » africains, et suggère l’angoisse existentielle, l’accession à l’âge adulte, la joie et la douleur de vivre. « Les phases de transition sont si fragiles dans la vie de chaque individu – explique la réalisatrice – qu’avec ce film, j’ai voulu saisir l’instant crucial où les choix déterminants s’opèrent. » S’effaçant au service de son sujet, contournant le plus souvent le passage obligé de l’entretien documentaire, Theresa Traoré Dahlberg privilégie la mise en scène d’instants intenses, tantôt volés, tantôt alanguis, qui dramatisent les échanges et fictionnalisent les situations, pour entrouvrir la porte d’un avenir rêvé ou l’abîme d’une existence déjà fragilisée : d’un côté, les interventions naïves et déterminées, lors d’un cours (de morale ou d’éducation sexuelle ?) des jeunes femmes sur les précautions à prendre en amour, les fantasmes d’une star en herbe chantant faux mais avec tant de foi et de fougue, le caractère bien affirmé de la femme désireuse de travailler et comptant bien imposer son intention à son futur mari, fût-ce au prix d’un divorce ; de l’autre, les pleurs, lors d’un entretien avec la psychologue scolaire, d’une élève semble-t-il abandonnée par sa mère, partie au Togo, les paroles confuses, le diction heurtée, le regard hébété d’une autre étudiante dont on semble comprendre que son père aurait pris un autre femme, ou qu’elle aurait vu ou subi des violences…

Film d’apprentissage, « Ouiga Girls » semble hésiter entre la fiction, des tranches de vie entraperçues, auxquelles on adhère instinctivement dans l’émotion d’un aveu, l’étincelle d’un regard badin ou brouillé – et le documentaire, qui dit peu sur l’origine sociale de ces jeunes filles, le recrutement, le fonctionnement, le financement de ce centre de formation, et n’évoque qu’allusivement l’analphabétisme (78 % de la population du Burkina Faso), l’insuffisante scolarisation (47 %) ou la précarité de la condition féminine avec les mariages précoces et forcés (un triste record mondial pour ce pays), les mutilations génitales encore pratiquées bien qu’interdites depuis 1996…A moins que tout, justement, ne soit résumé dans les lourds silences du dernier entretien ou la parole encore aphasique d’une conscience enfin un peu libérée.

Et si justement le charme et la force de ce film cosmopolite, par sa production et son équipe technique, qui donne de la jeunesse, toute d’émois et d’énergie, une image universelle, tenait à cette hésitation entre l’explication documentaire et l’expérience fictive ? Comme si la vie de ces « guerrières », qu’on s’est surpris à trouver un peu trop bavardes, un peu paresseuses et midinettes, en qui on n’avait pas tout à fait confiance, était incompréhensible et délicieusement, terriblement indicible…Comme une comédie musicale, étourdissante et quotidienne – bleu de travail et escarpins !

Claude

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