« L’insulte » de Ziad Doueiri

1 Prix et 3 nominations à la Mostra de Venise 2017
Du 1er au 6 mars 2018
Soirée débat mardi 6 mars à 20h30

Film libanais (vostf, janvier 2018, 1h52) de Ziad Doueiri avec Adel Karam, Rita Hayek, Kamel et El BashaDistributeur : Diaphana 

Présenté par Jean-Pierre Robert

 

Synopsis : A Beyrouth, de nos jours, une insulte qui dégénère conduit Toni (chrétien libanais) et Yasser (réfugié palestinien) devant les tribunaux. De blessures secrètes en révélations, l’affrontement des avocats porte le Liban au bord de l’explosion sociale mais oblige ces deux hommes à se regarder en face.

Notes sur les avocats dans le film

J’ai aimé ce film, sa présentation et le débat qui soulignent à quel point la question libanaise est douloureuse et compliquée. Je souhaiterais m’attarder sur le rôle des avocats dans cette affaire.

Disons d’abord que la forme du film a quelques rapports avec les cercles produits par un caillou jeté dans l’eau. À partir d’une injure, d’un conflit interpersonnel, le cercle des personnes concernées s’étend. Celui des amis et des proches, celui des groupes de pression, celui de la foule et de l’opinion, celui de l’institution représentée par le Président en personne.

La toile de fond : Beyrouth, une ville particulièrement dense. Un patchwork de communautés et de religions enchâssées. Selon wikipédia « Le Liban compterait 54 % de musulmans (dont environ 27 % de chiites et 27 % de sunnites), 5 % de druzes, 41 % de chrétiens (23 % de maronites,etc… » et les guerres…regarder la chronologie du Liban, c’est se plonger dans « guerre, guerre civile, invasions, attentats, etc. » D’où la propagande permanente et le déploiement facile d’idéologies meurtrières.

Aussi, dans ce monde-là ou la différenciation est la règle, quand deux personnes entrent en conflit, s’injurient, qu’elles en viennent aux mains, elles portent en elles leur système religieux et communautaire, les blessures de la guerre, celles qui les ont souvent opposées. Sans oublier les discours idéologiques et propagandistes haineux (politico-militaro-religieux) dont ils se laissent bercer, et c’est le cas de Toni et peut-être Yasser. Ils expriment l’un et l’autre d’une manière emblématique, par leurs blessures et leurs souffrances profondes, les blessures de leur pays et en même temps, « le prêt à penser » des préjugés et de la propagande. Ce qui se joue dans l’insulte tient  à la fois du psychodrame et du sociodrame.

Toni poursuit Yasser en justice. Romanesque et intéressante, « l’invention » dans le scénario des avocats des deux protagonistes. L’avocat de Toni est un vieux monsieur, l’avocate de Yasser est une jeune femme. L’un est un défenseur des chrétiens, l’autre est défenseur de minorités opprimées, ici les Palestiniens. L’un est le père et l’autre la fille. L’un et l’autre ont été choisis ou conseillés par les entourages respectifs des deux protagonistes parce qu’ils sont les meilleurs. Un duel de champions en somme. On suspecte alors que ce choix de règlement du conflit, sera en même temps celui d’un conflit père/fille et qu’il risque de ne pas tendre vers l’apaisement, parce qu’il se jouera autre chose que le procès.

Et les interventions de ces deux personnages forment une sorte de récit dans le récit. On voit bien le double enjeu de ces deux avocats : S’opposer en dépit de leur parenté. Etre parents en dépit de leur opposition. Ça ne devrait pas être crédible, mais ça marche, on y croit. D’autant qu’ils démontrent par leur opposition tranchée que liberté de pensée existe encore dans ce pays. On imagine aussi que le concours de persuasion et de chamaillerie va commencer entre avocats que tout oppose et que tout réuni. Là encore on retrouve une métaphore du Liban, « être à la fois ensemble et séparés ».

Le fil conducteur du film revient pour une large part aux avocats puisqu’il permet des éclairages successifs sur Toni et Yasser. Le scénario réparti bien les billes, plus avance le procès, plus on découvre à quel point les torts sont  partagés, et que le match nul se profile. Et à chaque fois que l’un ou l’autre marque des points, la tension augmente d’un cran. Comment en sortir ? C’est le père qui découvre la voie étroite. Reformuler les termes de la plainte, la ramener à ses origines qui ne sont pas dans les passages à l’acte immédiat mais dans les vies et les actes passés. Et là on pense à « Carré 35 » de Caravaca ou à « en attendant les hirondelles » de Karim Massaoui. Soit le ressort comprimé d’un traumatisme, de la mort ou la guerre qui se dévoile à travers des passages à l’acte. Alors, le non-dit, le secret, s’incarne d’une manière sourde dans tous les actes de la vie de Toni et Yasser. Le présent sert d’alibi à un passé mal vécu qui cherche à s’exprimer par tous moyens. L’un et l’autre se pensent libres, ils ne sont que les jouets de leurs passés respectifs. Et les avocats, dans ce film, font advenir une vérité de ces personnages. Je ne m’en tiendrai qu’à ce seul aspect. Le film est bien plus riche que ça.

Alors, est-ce qu’être conscient d’un traumatisme aide à mieux vivre, à être plus heureux, à se sentir moins angoissé, moins peureux, moins coléreux ? Peut-être.

J’ajouterai que ce film a trouvé une manière de parler de simples quidams et en même temps de tout un peuple lui aussi si proche et si opposé. Lui aussi blessé, lui aussi baigné dans une propagande meurtrière. Et ce film dit à ce peuple : « Votre violence d’aujourd’hui, avant d’y céder, songez qu’elle s’est nourrie de l’écho lointain d’autres violences en partage…Remember. Ne la laissez pas gagner ». Il propose aux Libanais de vivre ensemble, ce qu’ils font déjà, disons alors de vivre ensemble lucides et vigilants,  et donc en paix…

Georges

 

 

 

 

 

 

 

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