Le journal de Dominique (9)

Lundi 6 juillet 2020

            « Une rétrospective Jean-Claude Brisseau devait avoir lieu en janvier à la Cinémathèque : elle est annulée. Je me réjouissais d’avoir peut-être (tout étant fonction non seulement des jours proposés mais aussi des horaires des films et de ceux des trains), la possibilité de voir celles de ses œuvres que, par négligence (Un Jeu brutal) ou pure connerie (L’Ange noir, parce qu’y joue Sylvie Vartan…),  j’ai manquées. Pas de bol, les dirigeants de la Cinémathèque ont cédé, les cinéphiles sont sanctionnés », écrivais-je le 19 novembre 2017.

            16h 30 : dans le cadre d’un mini festival Michel Piccoli à L’Ecoles Cinéma Club ex Ecoles 21 ex Desperado ex autre chose encore, je vois L’Ange noir.  

            Où Brisseau filme le chignon de Sylvie Vartan comme Hitchcock celui de Kim Novak dans Sueurs froides, cette femme-là n’est pas celle qu’elle prétend être, le spectateur le sait depuis le début puisqu’il l’a vue assassiner froidement un homme (se faire ensuite brutaliser par sa servante/amie/complice pour faire croire à un viol), elle lui tire dans le dos, il est à plusieurs mètres de la chambre et tout habillé par-dessus le marché, comment la police peut-elle croire à cette mise en scène ? 

C’est égal après tout, l’important n’est pas là mais dans le passé de cette femme sur lequel enquête Tchéky Karyo, avocat de la défense, suivant un intrigant jeu de piste.

Dépravation. Rivalité mère-fille. Jalousie. Exploration du désir féminin, corps nus de femmes qui se caressent. Dénonciation de l’hypocrisie. 

            Auparavant :

            6h 20 : je prends le train en oubliant de composter mon billet acheté samedi. Ne m’en rends compte (gare bouleversée dans son arrangement, Relais H fermé, je suis déboussolée) qu’en entendant l’habituelle annonce du chef de bord « les voyageurs n’ayant pas acheté ou composté leur billet… ». Ne ferme pas l’œil avant de le voir se pointer, lève le doigt comme une élève, J’ai oublié… Au dos du billet il écrit BHC AVISE le 6/07/20 5900, appose un petit coup de tampon…

(D’un autre côté, mon billet AR ayant été réglé au tarif correspondant à la période dite blanche qui prend fin le matin à 8h et recommence à 17h, je ne peux le réutiliser dans la journée, ce billet « aller ». Alors, qu’il soit composté ou pas…)

… et c’est bon. Une place sur deux reste libre même après Nemours bien que ce train des travailleurs soit habituellement bondé (vacances ? télétravail ?).

            8h 30 : j’arrive aux Halles où il n’y a plus moyen de s’asseoir. Tous les bancs sont condamnés ou même, dans la cour, carrément retirés. Je pose ma thermos et son gobelet par terre et m’accroupis pour boire mon thé et grignoter mes petits gâteaux (après ça, il s’agit de se relever). 

            9h : supputant qu’il me faudra ressortir de L’UGC Ciné Cité après chaque séance afin de ne pas croiser les spectateurs entrants, j’achète d’un coup mes billets pour les trois films que je veux y voir afin de ne pas perdre de temps en refaisant chaque fois la queue au guichet. Mais aux interséances personne ne vient guider les sortants vers l’extérieur, je peux aller aux toilettes comme bon me chante puis, les sièges du hall étant utilisables, m’asseoir pour attendre la séance suivante, manger un bout de sandwich et griffonner des notes sur les films que je viens de voir…

(Rassemblés, avec sept autres, sous le titre Forbidden Hollywood, l’ère pré-code, code Hays évidemment, qui fut appliqué en 1934)

… à savoir : 

            Ames libresA Free soul

            (Curieux comme une seule âme -Norma Shearer- se dédouble -Norma et, je présume,  Lionel Barrymore- chez nous. « Une âme libre », ça sonnait bien pourtant, non ?)

            … 1931…

(Je suis tellement perturbée par les évènements et changements de la matinée que j’en oublie d’être émue quand la salle plonge dans le noir et qu’apparait sur l’écran le lion de la MGM, c’est navrant)

… de Clarence Brown. Où Norma, fille de Lionel …

(La présentation des personnages est ambigüe : depuis la salle de bain, Norma demande à Lionel de lui passer ses sous-vêtements, on croit à deux amants)

… un grand avocat, tombe raide dingue amoureuse d’un séduisant tenancier de tripot clandestin -Clark Gable- accusé de meurtre et dont son père vient de prouver l’innocence. Lionel ne voit rien à redire à ce que Norma fréquente Clark jusqu’à ce que ce dernier lui fasse part de son désir de l’épouser. Là, il n’est pas d’accord et il se fâche tout rouge. Or, il est alcoolique. Alors, Norma lui propose un marché : je renonce à Clark si tu cesses de boire. Après trois mois de vadrouille en montagne et de couchage à la belle étoile, Norma croit Lionel guéri mais dès leur retour à la civilisation…

(Une gare. Norma est partie en avant. Elle se retourne, voit Lionel de l’autre côté des voies, un train passe, il est passé, Lionel n’est plus là) 

… il disparaît. En conséquence, Norma se sent déchargée de sa promesse et retourne chez Clark qui n’a pas digéré du tout du tout d’être largué et révèle sa véritable nature en la brutalisant et en arrangeant leur mariage pour le lendemain. Sur quoi arrive Leslie Howard à qui Norma s’était fiancée. Clark lui répond que rien à faire, il veut Norma et il l’aura et de toute façon elle n’est plus épousable vu que…

(Pas sûre que ce soit la vraie formule -trop stupéfaite pour la retenir, n’en croyais pas mes oreilles- mais celle qui me vient est équivalente dans l’élégance) 

… « elle a perdu son bonbon ». Le lendemain, Leslie tue Clark en prétextant une dette de jeu devant la police. Comment sauver sa tête ? Seul Lionel le peut. Alors Norma fait tous les bars et lieux où il pourrait se trouver et le retrouve in extremis dans un dortoir miteux.  Le procès de Leslie a commencé quand il fait son entrée au tribunal (il est malade, il tient à peine debout, il puise dans ses dernières forces), cite sa fille comme témoin… 

(Elle confesse ses relations avec Clark et la raison pour laquelle Leslie lui a tiré dessus, malgré les signes de refus que lui adresse ce dernier, c’est un gentleman) 

… et bat sa coulpe…

(L’a-t-il mise en garde contre Clark ? Non, il a laissé faire. Où était-il quand le drame est arrivé ? En train de boire)

… façon Raimu dans Les Inconnus dans la maison onze ans plus tard. Sa plaidoirie une fois terminée, il s’écroule et il meurt mais Leslie est sauvé.

Female

(Ce titre me gêne, mais d’après mon dictionnaire classique anglais-français français-anglais publié en 1950 par la Librairie Hachette, il signifie aussi « (pers) femme f., jeune fille f. »)

… 1933, de Michael Curtiz. 

La « female » en question, incarnée par une actrice, Ruth Chatterton, que je ne connais

pas, dirige une entreprise de construction automobile. Autoritaire, pète-sec au boulot, elle se transforme en un être avenant et aguichant quand elle invite chaque soir chez elle un homme,  choisi parmi ses employés (il faut la voir faire son marché !), pour le consommer vite fait bien fait. Comme le lendemain elle redevient glaciale, les pauvres n’y pigent que couic. 

            Un homme, qu’elle drague incognito dans une fête foraine afin de savoir si elle peut être courtisée par un inconnu, lui fera effectuer un spectaculaire virage à 180° : elle le retrouve le lendemain à l’usine, c’est l’ingénieur qu’elle vient de débaucher chez un concurrent. Pas lèche-botte pour un sou, ce macho puissance dix (son credo : la raison d’être d’une femme est de se marier et d’élever des enfants !) fait de la résistance, finissant par plaquer son nouveau job pour repartir au volant de son automobile. Ce que voyant, elle monte dans la sienne et lui court après. Dernier plan du film : elle lui abandonne la direction de l’usine et conclut par cette phrase d’anthologie, Je veux neuf enfants ! 

Eh ben ! 

L’Ange blanc (Night nurse), 1931, de William A. Wellman.

L’ange blanc en question, c’est Barbara Stanwyck…

(Elle a 24 ans, en paraît 16 ou 17, et si je ne savais pas que c’est elle, pas sûr que je la reconnaitrais)

… une infirmière qui fait ses classes dans un hôpital…

(Une nuit elle y soigne, sans le dénoncer à la police, un bootlegger blessé qui,  n’étant pas un ingrat, lui prouvera bientôt sa reconnaissance) 

… et, une fois son diplôme obtenu…

(Les nouvelles promues récitent d’une même voix des phrases de Florence Nightingale, qui doivent être aux infirmiers ce qu’est aux médecins le serment d’Hippocrate)

… est engagée dans une famille pour s’occuper de deux petites filles dont elle découvre bien vite la santé déplorable et la cause de cet affligeant état, qui n’est autre que Clark Gable (encore lui !), chauffeur (dans son uniforme et ses bottes noires, il ressemble à un SS) qui manigance, avec l’aide d’un médecin ripou, pour se débarrasser des fillettes en les affamant (une troisième sœur est déjà décédée) parce qu’elles ont hérité de leur père une fortune sur laquelle il compte mettre la main en épousant leur mère réduite à l’état de loque alcoolique.

Tout est bien qui finit bien (si on peut considérer les choses sous cet angle) : le bootlegger s’arrange pour que des gangsters de sa connaissance s’occupent de Clark, c’est de l’assassinat mais plus efficace que la police où veut aller Barbara qu’il emmène (ne serait-il pas un peu amoureux ?), souriante et ravie (inclinaison partagée et acceptation du crime ?), dans sa voiture.

Et le film se termine là où il avait commencé, par les mêmes plans d’ambulance roulant dans les rues à toute berzingue vers les urgences, et d’un corps qu’on en descend, tout s’explique.

(Après L’Ange blancL’Ange noir, rien de prémédité, c’est le hasard, c’est rigolo) 

            18h 25 : je prends le métro…

(Ne sachant si une attestation dérogatoire est toujours obligatoire pour y voyager aux heures de pointe, je m’en suis imprimé une, cochant la case « déplacements pour motif familial impérieux, pour l’assistance des personnes vulnérables, pour le répit et l’accompagnement des personnes handicapées et pour la garde d’enfants »)

… à Maubert-Mutualité pour Odéon (peu de gens dans la rame, je m’assieds), d’Odéon je vais à Châtelet (un peu plus de monde mais je trouve encore un siège) et de là à Bercy par la ligne 14 où ce n’est pas non plus la foule des grands jours : pas de place assise mais, appuyant mon dos contre le dossier d’un strapontin relevé, je n’ai pas plus que précédemment besoin de poser la main sur quoi que ce soit pour garder l’équilibre, c’est parfait.

            18h 48 : je pénètre dans la gare de Bercy.

            19h 02 : le train démarre. À l’heure.

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