J’accuse-Roman Polanski

Soirée débat
lundi 6 janvier 2020 à partir de 18h

Présenté par Claude Sabatier en présence de Charles Dreyfus petit fils de Alfred Dreyfus (1).

La projection du film précédée d’une conférence d’Alain Pagès sur « l’Affaire Dreyfus au cinéma ».

Film français (novembre 2019, 2h12) de Roman Polanski
Avec Jean Dujardin, Louis Garrel, Emmanuelle Seigner, Didier Sandre, Melvil Poupaud, Mathieu Amalric …. 

Synopsis : Pendant les 12 années qu’elle dura, l’Affaire Dreyfus déchira la France, provoquant un véritable séisme dans le monde entier.
Dans cet immense scandale, le plus grand sans doute de la fin du XIXème siècle, se mêlent erreur judiciaire, déni de justice et antisémitisme. L’affaire est racontée du point de vue du Colonel Picquart qui, une fois nommé à la tête du contre-espionnage, va découvrir que les preuves contre le Capitaine Alfred Dreyfus avaient été fabriquées.
A partir de cet instant et au péril de sa carrière puis de sa vie, il n’aura de cesse d’identifier les vrais coupables et de réhabiliter Alfred Dreyfus. 

Heureuse soirée du 6 janvier,  Claude Sabatier et les cramés de la Bobine présentaient  J’ACCUSE,  de Roman  Polanski.  Claude  avait invité Alain Pagès, spécialiste de Zola et d’Alfred Dreyfus,  ainsi que Charles Dreyfus le petit-fils d’Alfred. Du coup la Salle 3 était   comble et un peu juste pour cette soirée-conférence, film, débat.

 Si l’on en juge par le succès du film, l’affaire Dreyfus demeure  un lieu de mémoire.  Et s’il avait fallu une image pour décrire le souffle de l’Histoire et son empreinte sur les histoires de vie, il suffisait à chacun d’apercevoir Charles Dreyfus petit-fils, cet homme nonagénaire, dont le port, l’attitude et la vivacité du regard  rappellaient ceux de son grand-père . 

La conférence d’Alain Pagès portait sur la filmographie de l’Affaire et ses différentes approches. Elle préparait bien au film, nous n’en comprenions que mieux les choix scénaristiques de Polanski conçu à partir du roman de son co-scénariste Robert Harris. L’originalité de « J’accuse »   a consisté à décaler le point de vue du récit, nous montrer Dreyfus sous le prisme de Picquart,  et de choisir la forme thriller pour donner du mouvement au film, le sortir de la case documentaire où il aurait été aisé de l’y laisser-aller. Il y a dans cette démarche une volonté de distanciation. Picquart face à un dispositif : le haut commandement de l’armée,  ses serviteurs  et  à son idéologie. Idéologie qu’il partage entièrement antisémitisme compris, à un détail près : Il considère que la vérité l’emporte sur toute autre considération. Ce détail changera le cours de l’histoire.

Alain Pages nous dit que par souci d’équilibre et de raccourci, le scénario  a modifié légèrement certains faits, mais que globalement, l’exactitude historique prévaut.  Nous y reviendrons.

Il ajoute que  les décors et scènes s’inspirent de l’imagerie des journaux de l’époque et on a tous en tête « le petit journal » dont on peut apercevoir des exemplaires chez les bouquinistes.  Dans ses films, Roman Polanski, est un maître de l’imaginaire autant que de l’image. Avec lui nous y sommes.  

Sur le plan technique, il travaille avec des techniciens fidèles et talentueux  à commencer par Pawel Edelman son Directeur Photo qui a été de presque tous ses grands films,   Hervé Deluze le chef monteur, idem  et Jean Rabasse son chef décorateur qui n’avait travaillé que pour  deux films avec Polanski, mais dont le CV est impressionnant. S’il n’était à ce point chargé d’histoire, ce film pourrait n’être regardé rien que pour ses décors,  ses plans et  changements de plans,  son habileté de montage. Tout cela dégage une impression de fluidité, de clarté saisissantes,   et de force. À l’extrême, l’image donne presque une impression de rutilance et de style pompier (au bon sens du terme). 

Nous avons aperçu  avec surprise ce que pouvait voir Alfred Dreyfus debout dans le Bureau d’un Général : Pimpante et victorieuse,  la Tour Eiffel, souvenir de l’exposition Universelle de 1889. Dreyfus devra peut-être quelque chose à l’exposition suivante, celle de 1900. Par cette affaire  la France faisait parler d’elle en des  termes exécrables dans la presse internationale, fâcheux retentissement. Lorsque fin  1899, il obtient la grâce du Président Émile Loubet… Il était temps. 

Les acteurs : D’abord, il y a Jean Dujardin magnifique dans ce rôle principal du Lieutenant-Colonel Marie-Georges Picquart, ensuite tous les personnages jusqu’au  moindre d’entre eux sont impeccables. Pour Louis Garrel en Capitaine Alfred Dreyfus, il faut dire « chapeau » au directeur de casting et au maquilleur…et à l’acteur. La métamorphose  est confondante, il est Dreyfus. La preuve ?  Charles Dreyfus le petit-fils dans la salle, parmi nous,  se tenait comme lui !  

On voit aussi par brèves incursions, la populace écumante,  avec ses violences, ses invectives. Ce qu’on ne voit pas ou peu,  c’est la presse déchaînée telle celle de l’action française.  Mais quel casting, le moindre rôle occupe tout l’espace.   Je me souviens celui du Professeur Bertillon (Denis Podalidés) graphologue de circonstance et de ses théories fumeuses…Sa fumisterie. Ou encore dans un rôle essentiel Grégory Gadebois interprétant le Commandant Hubert Henry , ce courageux serviteur issu du rang, faussaire de circonstance, capable de se battre comme un chien pour l’armée, prêt à n’importe quels coups bas pour cette (mauvaise) mère.

Et puis il y a l’histoire, et justement,  celle de Roman Polanski est originale. Il filme moins la vérité en marche, que le courage  et le prix de la vérité et a contrario, la puissance radicale et aveuglante du mensonge, avec ses faussaires falsificateurs de tous poils. (Aujourd’hui pour moins que ça, on parle de « post-vérité » !)  Il montre moins le Capitaine Dreyfus que les passions folles qui s’exercent autour de lui  dans le milieu militaire. Moins le bouc émissaire que les sacrificateurs. Et il donne des visages aux persécuteurs, ceux d’ailleurs identifiés par Zola dans « j’accuse ». Et tous ces gens forment pour l’essentiel, une caste d’officiers généraux et supérieurs, vaincus mais altiers, populaires  et aimés,  pétris de tradition catholique,   antijudaïque…Tout comme Picquart d’ailleurs.    

Impossible dans ce film de séparer le fond et la forme, le fil de l’histoire, la manière passionnante dont elle est racontée, dont elle s’enchaîne, les dialogues, toujours brefs et signifiants, la musique d’Alexandre Desplat, le refus du pathos,   tout  est là pour en faire une merveille. 

 Je voudrais toutefois revenir sur un point qu’Alain Pagès considère juste comme un raccourci. On voit le lieutenant-colonel Picquart, s’entretenir avec Emile Zola, lui suggérer d’agir, lui en démontrer la nécessité.  Cette nécessité qui deviendra pour Emile Zola aussi intime que celle de Voltaire pour Callas. Et d’ailleurs, l’aura  et le charisme de Zola plane sur toute l’histoire. Mais tout de même il faut le rappeler, l’homme qui a aiguillonné Zola, c’est Bernard Lazare. Signalons que le texte de  « J’accuse » en forme d’anaphore dont le film porte le nom lui doit beaucoup. Zola  lui a donné  sa forme  définitive  et l’a incarné, avec sa stature et son courage. Et près de Zola,  il faudrait ajouter son ami Octave Mirbeau…  Ce bémol est peu de chose, peu en regard de ce que montre ce très grand film. 

Les blancs dans le récit…Les intellectuels, les politiques, la presse, le peuple, l’église, l’antisémitisme endémique européen et ici français, constituent un hors-champ béant et volontaire. 

Le film montre le courage, celui de résister,  et ce courage définitivement minoritaire n’est pas seulement symbolique et moral, il est aussi physique.  Celui du Capitaine et des siens, de Fernand Labori, l’avocat de Dreyfus, de Zola… Et enfin celui  de Picquart dont on peut discuter bien des traits,  mais qui lorsqu’il a  découvert qu’il avait fait erreur et qu’il avait été trompé, est devenu celui par qui  le scandale a pu se manifester…et il fallait  être capable d’en supporter les conséquences. 

Après la conférence d’Alain Pagès on connaissait les originalités de ce film « J’accuse », il  figure en bonne place parmi tous ceux sur l’Affaire Dreyfus.  On peut dire que Roman Polanski dont nous avons fait une rétrospective en 2015 a réalisé une fois encore un film qui compte ! 

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