« Harmonium » de Koji Fukada

 

Prix du jury Un Certain Regard au Festival de Cannes 2016Du 9 au 14 mars 2017Soirée-débat mardi 14 à 20h30
Présenté par Marie-Annick Laperle

Film Japonais (vo, janvier 2017, 1h58) de Kôji Fukada avec Tadanobu Asano, Mariko Tsutsui et Kanji Furutachi.

Synopsis : Dans une discrète banlieue japonaise, Toshio et sa femme Akié mènent une vie en apparence paisible avec leur fille. Un matin, un ancien ami de Toshio se présente à son atelier, après une décennie en prison. A la surprise d’Akié, Toshio lui offre emploi et logis. Peu à peu, ce dernier s’immisce dans la vie familiale, apprend l’harmonium à la fillette, et se rapproche doucement d’Akié.

 

Titre original « Fuchi ni tatsu » : Au bord du gouffre

L’harmonium est un instrument à vent et à clavier qui, je trouve, a cette particularité de ne jamais être harmonieux tant le mécanisme rend le son laborieux, poussif, rauque, grinçant. Sans âme.
Dans une famille, une maison et un environnement « copiés collés », on verra que le même air joué sur un piano est tout autre. C’est l’harmonie, la sérénité. L’affiche du film.

Juste avant cette scène du piano, ils partent tous les quatre : le père, Toshio, la mère Akie, la fille Hotaru et Takashi, le fils de Yasaka, à la recherche du responsable de leur malheur. Il cherche la rue de la photo. Et soudain ils entendent et reconnaissent « l’air de Yasaka » et se mettent à courir vers la musique. A courir à toute allure vers leur « salut ». Puis c’est la scène du piano : ils sont devant ce tableau de paix familiale, un mirage, et s’excusent vite d’être là. Ils ne peuvent tout simplement pas entrer dans cette harmonie, dans leur vie rêvée d’avant. D’avant le malheur.
Ce malheur qui a frappé Hotaru et sa mère.
Je ne pense pas que Yasaka soit coupable de ce malheur là. Je crois qu’Hotaru est tombée. Yasaka l’avait déjà surprise en acrobatie, entortillée dans les barres métalliques de la structure de l’aire de jeux. Là elle sera probablement tombée et la chute est pire que fatale.
Avant ce malheur, LE malheur c’est la rencontre d’Akie et de Toshio. Se conformer aux règles, avoir un mari, 1 enfant et des repas a préparer pour le reste de sa vie, avoir des bols à laver tout le temps … Un calvaire déjà en soi et en plus avec cet homme fermé, mutique. Et faux. Double peine.
C’est intéressant dans ce film de voir les personnages se nourrir. Ils sont d’abord trois. La mère dit le bénédicité, qu’elle inculque à sa fille. Le mari est ailleurs, perdu pour Dieu. Ils sont ensuite quatre avec Yasaka qui s’invite à leur table. Là Y.Kukada force un peu le trait sur le côté yakusa (pas le pire) du personnage et on voit bien le rapport de Yasaka à la nourriture : il l’engloutit ! et bruyamment ! Il en a sans doute manqué dans sa vie, ne serait-ce qu’en prison où il vient de passer 10 ans. Une chose est sûre : on n’a pas envie de manger en face de lui. (mais il lave ses bols !)
Takashi est différent. Il ne s’impose pas mais accepte avec plaisir l’invitation du père avec un « j’ai faim » presque enfantin.

Takashi est très étrange. Il perce des trous G1, G5 etc … avec l’application de l’employé modèle. Et, avec les mêmes mains, fait le portrait délicat, à l’aquarelle, d’Hotaru. Sa face cachée à lui. Il est comme fasciné par Hotaru. Jusqu’à l’embrasser fougueusement, en cachette (croit-il). Syndrome « Parle avec elle » ? Qu’est-ce qu’il sait, au juste, lui qui détient LA photo. Que lui ont révélé les lettres que son père a toujours continué à écrire à sa mère ?
A Akie le questionnant sur le destinataire de cette correspondance, Yasaka mentira et dira les envoyer à la mère du jeune homme qu’il a assassiné.
Comme Akie lui annonce dans la voiture, Takashi  veut bien qu’elle le tue devant son père retrouvé, comme si voir son père, qu’il ne connaît pas, idéalisé par l’image de sa mère amoureuse de lui toute sa vie, était l’aboutissement de sa vie, à lui, Takashi.
Le personnage d’Akie m’a, bien sûr, touchée. Voir son enfant dans cet état, c’est absolument insupportable.
Pendant la première partie du film, elle est dans le déni, dans l’oubli d’elle-même. Elle est conforme à l’image de l’épouse et mère stéréotypée : attentionnée, nourricière, ménagère, couturière, lavandière, charitable. Et transparente. Et dans la deuxième partie du film, en bonne mère chrétienne, elle est coupable, se sentant entièrement responsable du malheur de son enfant. A cause de deux trois « bécots » donnés à cet homme qui, lui au moins, lui parle ! Ça serait cher payer  …
Yasaka raconte que la mère du jeune homme qu’il a assassiné, lors du procès, se frappe elle-même, se gifle avec force. Elle se sent, elle aussi, coupable et responsable. Coupable et responsable de ne pas avoir su protéger son enfant.
Akie aura le même geste juste après les aveux de son mari. Elle se châtie en plus de porter sa croix sans faiblir .

On notera le changement du décor dans la deuxième partie du film : la partie habitat est la même mais sale. Akie a arrêté de frotter les parties communes. Elle réserve ses soins et toute son énergie exclusivement à Hotaru , à la bulle dans laquelle elle l’a placée et où elle seule a le droit de pénétrer.

Et il y a le blanc immaculé de la chemise de Yasaka, de sa combinaison de travail immaculée, elle aussi. Il est en blanc en toute circonstance (même à la pêche).
Sauf en haut du pont. On voit enfin que sa chemise est rouge. Rouge comme la jolie robe du drame, rouge comme le sac à dos de Takashi qui contient ses couleurs et les photos. Rouge comme les toits vernissés du village où se trouve l’explication.

Le blanc, le rouge, les ronds métalliques découpés à longueur de temps et on mélange ! Mais là ça coupe.

Le vieillissement des acteurs est bien réalisé . Ils ont manifestement, un grand malheur et  huit ans de plus pour la mère, huit ans de plus pour le père.

Les japonais protestants ne sont pas de tout repos !
Idem pour d’autres combinaisons, au choix.

Bien plombant « Harmonium » mais très intéressant.
Et chapeau aux acteurs qui font passer toutes ces émotions à travers le masque japonais. C’est très fort !

Marie-Noël

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