DJAM de Tony Gatlif (2)

 

TONY GATLIF, cinéaste en statue de la liberté des peuples.

 

Il sait de quoi il parle, lui qui à l’âge de douze ans a quitté son pays natal, l’Algérie pour une terre inconnue, la France et ses grandes villes. Il dit se souvenir des milliers de  » pieds noirs » débarquant à Marseille avec juste une valise, seul héritage de plusieurs générations d’instituteurs, de petits employés, petits fonctionnaires, pour qui l’Algérie était leur patrie.
Il a 14 ans et cette vision ne le quittera plus. Cette jeunesse chaotique, dans les rues et maisons de redressement, enracine dans son âme l’idée que l’identité d’un être et d’un peuple est supérieure à tout, qu’il faut rester soi-même. Gatlif explique que les gens dans leur exil n’emmène avec eux qu’une petite valise mais qu’il porte en eux leur culture qu’ils vont garder ( ici chant, musique et danse avec le rébétiko )
C’est pourquoi après de multiples films sur l’exil, l’enfermement, en 2017, il parle légitimement de la Grèce, matrice des valeurs européennes mais bafouée et martyrisée par les banques mondiales et européennes.
Ce n’est pas un hasard si l’héroïne, du film Djam, est une rebelle, elle refuse l’ordre établi, elle met en valeur la pauvreté plutôt que la richesse. Si elle s’habille plutôt en homme ( même si elle n’oublie pas le sexe !!) si elle est brusque, décidée mais surtout fidèle à ce qu’elle est, c’est le résultat de son histoire. Une orpheline (sa mère est morte, en exil à Paris, mais on ne parle jamais du père ) qui a reporté son affection sur ses racines, son beau-père  » l’oncle Kakourgos Simon Abkarian et l’île de Lesbos avec son port Mytilène. C’est un être en révolte, contre l’injustice,congtre son grand-père collabo de la dictature des colonels, contre les huissiers des banques qui volent le bien du peuple.
Comment montrer le martyre du peuple grec, l’exil de ses forces vives ? L’idée du road- movie et du voyage à Istanbul pour chercher la bielle magique, permet au scénario de répondre à la question.
Avec la rencontre d’Avril (Maryne Cayon) jeune ado paumée, issue de la banlieue qui cherche son destin vers d’improbables horizons
et rêve d’un islam libérateur, proie facile pour les recruteurs islamiques. La rencontre avec Djam, solide, fantasque, lui permet de se trouver et d’éclairer sa conscience.
Surtout T. Gatlif ne donne pas de leçon avec les mots ce n’est pas un moralisateur (comme dans les médias  » Fais pas ci, fais pas ça » ) il donne juste à voir, des images, de longs plans fixes, beaucoup de gros plans sur les visages, sans commentaire ; juste voir; la gare vide et fermée, les hôtels vides, les bateaux en rade, les chiens errants, et on voit la crise économique.

Très belle idée aussi, que celle du personnage grec, Pano, qui a tout perdu à cause des banques mais qui veut mourir debout, dans la tombe qu’il se creuse, qui pleure sur son futur exil en Norvège lorsque la chanson évoque l’attachement à son village mais qui comme tant d’autres ne pourra pas partir. Il n’y a plus d’avenir, il n’y a plus d’espoir.
Idem pour les réfugiés dans l’île de Lesbos, qui pendant des années sont arrivés par milliers de Syrie via la Turquie, quelques plans sur les gilets de sauvetage suffisent à la prise de conscience d’Avril.
Gatlif respecte une certaine éthique, il a refusé de filmer les chaussures d’enfants trouvées sur les plages, il dit que  » ça aurait été tire larmes et qu’on ne fait pas de cinéma avec une catastrophe humanitaire « .
Il y aurait encore beaucoup de choses à dire sur ce film poignant, sur le rébétiko, musique de l’exil et comment la musique, le chant et la danse (superbe scène de danse avec Kakourgos/Abkarian) accompagne la vie de ces grecs.
Pour terminer laissons parler l’auteur : » Quand je tournais, les Grecs et bien sûr Daphné Patakia (Djam) me parlaient de l’histoire de leur famille. Ils me disaient combien c’était important de garder la tête haute dans des moments aussi terribles : perdre sa maison, sa terre, son port. C’est ça le film; il répète que l’important, c’est d’être ensemble, que c’est tout ce qui nous reste. Être ensemble pour ne pas se retourner en masse contre un chef, mais pour parler, raconter.
Quand on fait un film, une musique, on attend que les gens viennent le voir ou l’écouter ».

Françoise

 

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