« Corporate » de Nicolas Silhol

Film suivant

WEEK END JEUNES RÉALISATEURS 1er et 2 avril 2017 2017Animé par Alain Riou

Dimanche 2 Avril à 17h

En présence du scénariste Nicolas FleureauFilm français (avril 2017, 1h35) de Nicolas Silhol avec Céline Sallette, Lambert Wilson, Stéphane De Groodt, Violaine Fumeau, Alice de Lencquesaing, Nathalie Sportiello, Hyam Zaytoun et Edith Saulnier

Synopsis : Emilie Tesson-Hansen est une jeune et brillante responsable des Ressources Humaines, une « killeuse ». Suite à un drame dans son entreprise, une enquête est ouverte. Elle se retrouve en première ligne. Elle doit faire face à la pression de l’inspectrice du travail, mais aussi à sa hiérarchie qui menace de se retourner contre elle. Emilie est bien décidée à sauver sa peau. Jusqu’où restera-t-elle corporate ?

 

Ce film apprend ou bien rappelle la méthode phare de management instaurée dans les grandes entreprises depuis une trentaine d’années : par la peur voire la terreur, enrobé d’une (fine) couche de sucre. Tout est très bien décrit dans le film. C’est limpide. Clair, net, précis. On s’y croirait. On est corporate, on s’appelle tous par le prénom, peu importe le niveau dans la hiérarchie (attention, pas valable avec les ouvriers dans les entreprises avec unités de production, il y a quand même des limites !)
Et, comme on le voit très bien dans le film, on se tutoie : on oublie que ce n’est, en aucun cas, un gage ni d’estime, ni de confiance, ni de loyauté etc… On est corporate.
Il y a aussi les codes d’habillement : pas de loufoquerie dans le style vestimentaire surtout ! Tout le monde s’habille pareil , surtout ne pas faire ce qui pourrait être perçu comme une faute de goût. C’est très bien montré dans le film : Emilie Tesson-Hansen se change 2 fois par jour pour être toujours impeccable mais n’a qu’un modèle de chemisier clair avec toujours un pantalon foncé coupe serrée droite, taille basse (on pense à Nina, la fille de Toni Erdman) + des talons car on n’oublie pas d’être féminine. Et surtout ne pas sentir la transpiration ce qui dénoterait une mauvaise gestion du stress, inacceptable ! Le vendredi, opter pour le friday wear, montrer qu’on fait le distingo entre la semaine de boulot hard way et le week end où on est trop cool (on ne parle pas de l’ordi qui restera allumé 24/24h pour terminer le boulot en retard et répondre by return au mail de nuit du N+1 qui teste par la même occasion si tu es bien corporate samedi et dimanche inclus, sinon il y en a plein qui le sont et qui attendent ta place, OK ?). On pense, on vit, on consomme, on respire « corporate ». Et on voit arriver le spectre de l’âge. Être jeune, paraître jeune, être efficace, super productif. Une telle entreprise est  une secte où tout est codé. On a pû assister, en d’autres lieux, à cette scène où un PDG, voyant arriver au loin un candidat en surpoids, glissait au DRH se tenant à ses côtés : « tu le reçois sans moi, je ne reçois pas les gros ». Ca n’est pas dans le film mais ça aurait pû y être.
Quand la tuile tombe, burn out ou, pire, suicide comme dans le film, la première réaction des RH est toujours de chercher dans la vie privée pour y trouver les causes. Dans le film, la victime vient de se séparer, oui, à la suite de longs mois de mise au placard et de tout le mal-être que le malheureux a, tous les jours, rapporté avec lui à la maison, c’était sans doute devenu inévitable. Emilie est contente : sa responsabilité n’est pas engagée. Elle le sera pourtant finalement grâce au travail consciencieux de l’inspectrice du travail. Merci à elle d’exister. Deuxième règle : gommer tout ce qui peut être compromettant, tout ce qui peut prouver qu’il y avait harcèlement, mise à mort préméditée. La responsabilité est effacée. Scrapped. Et c’est le lâchage en cascade. Même Émilie pourtant pro des méthodes de tueuse, pense naïvement que son responsable va la protéger. Non, il ne la protégera pas parce qu’il ne veut pas que sa responsabilité, à lui, soit un tant soit peu engagée. Il la lâchera et la regardera tomber. Sans état d’âme. Au final il sera lâché et tombera à son tour.

Les écoles diplôment  tous les ans de jeunes RH qui voudront bien faire le ménage pour 100.000/an.

Le choix des acteurs est, je trouve, très réussi dans ce très bon film.
Céline Salette, Lambert Wilson sont excellents. Ils nous font froid dans le dos et en même temps on sent le froid les rattraper. A. de Lenquesaing est parfaite en jeune assistante pétrifiée.
Et V. Fumeau rayonne et transcende la profession d’inspectrice du travail. Humaine, résolue, elle redonne confiance.

Marie-Noël

3 réflexions au sujet de « « Corporate » de Nicolas Silhol »

  1. Film passionnant en effet et tout autant cet article que je trouve épatant, car il met en mots l’ordinaire, le quotidien du dessein oppresseur de ces firmes, avec leurs rites tribaux sacrificateurs, leur cannibalisme rituel, leur novlangue, etc…quasi totalitaires. Et je viens justement de lire qu’en outre ces firmes génèrent d’énormes systèmes bureaucratiques de contrôle que les administrations publiques pourraient envier.(et je ne veux citer personne)
    A propos de fonction publique, ne croyons surtout pas que ce management leur est étranger. Il continue sous des formes remaniées. On peut par exemple se référer à Suicide ou crise à l’O.N.F, c’est une affaire qui a démarré avant celle de France Télécom et perdure à ce jour en dépit même de sa publicité.
    C’est le mérite de ce film de montrer l’actualité du sujet, la manière dont ça fonctionne et les masques que ça peut prendre.

  2. Le film tient en haleine jusqu’au dernier instant.
    Dans une ambiance de fausse convivialité, on tend des chausse-trapes, on assassine… il faut pour ça une « corporate » (= entièrement dévouée à l’entreprise) responsable des ressources humaines, une « tueuse » qui va « faire proprement le sale boulot » sans états d’âme pour rester « le meilleure ». Jusqu’au jour où le pépin survient (le suicide d’un employé dans les locaux de l’entreprise) – la « tueuse » devient alors le « fusible ».
    La rencontre de deux femmes tout aussi déterminées et attachées à accomplir leur tâche (la R.H. et l’inspectrice du travail) donne au film un tour de thriller où tout s’organise pour que tous les responsables soient démasqués.
    Pour cela, qu’est-ce qui pousse la R.H à collaborer avec l’I.T. ? Un regain d’humanité ? On en doute. La volonté de « sauver sa peau » et de « ne pas être la seule à payer », c’est certain.
    Le jeu de Céline Salette dans le rôle de cette femme impitoyable, qui dissimule ses émotions sous le déodorant est exceptionnel. Les regards sont vipérins, le visage hiératique. On ne la voit rire qu’une fois : lorsqu’elle sait avoir en main ce qu’il faut pour faire éclater la vérité et le scandale.

  3. Corporate, le film
    Le corps est incorporé dans l’entreprise et ensuite contrôlé par une langue managériale qui le réduit à une fonction précise. Dans l’armée, on parle d’incorporation dans un corps d’armée !
    Bien qu’occupant des postes à responsabilités, les cadres dans l’entreprise sont des rouages anonymes dont les initiatives sont sollicitées en même temps que négligées voire découragées par
    une prise en compte hypothétique …
    Dans la doxa, comme dans le clergé, chacun s’appelle par son prénom :
    une forme de familiarité trompeuse qui repose sur un anonymat bien réel.
    Le cadre efface le tableau du fonctionnement général.

    La mort brutale d’un cadre plonge l’entreprise dans un climat d’inquiétude puis de culpabilité qui impose un silence pesant. Chacun s’interroge intérieurement sans pouvoir réellement prendre la parole. La pauvreté des dialogues renvoie à un vocabulaire réduit, enfermant les personnages dans une caricature d’eux-mêmes.

    La mort, inaugurale et paradoxale, introduisant du vivant par le biais des émotions dans cette ingénierie socialement rigide, modifie l’expression verbale et le comportement des corps, qui se reprennent en main dans une liberté agrandie.

    Le déraillement de l’ordonnancement quasi immuable est dès lors programmé.
    Surnommée “killeuse”, la DRH froide, exécutrice (jusqu’où ?) s’oppose à l’humanité bienveillante de l’inspectrice du travail qui accepte l’autre et accueille sa parole avec circonspection.
    Céline Sallette passe ensuite à la sellette …
    Corpo-hate, pour le mot d’esprit.

    Michel Grob

Laisser un commentaire