Comme si de rien n’était d’Eva Trobisch

Présenté par Maïté dont les notes sur les rapports cinématographiques franco-allemands étaient tellement drôles et justes… drôlerie bienvenue pour ce film grave. 

Grave et réussi, jusqu’à la fin concise et ouverte. 

En voici le synopsis : Jeanne est une femme moderne, éduquée, rationnelle, une femme qui réclame le droit d’être ce qu’elle veut. Lors d’une réunion entre anciens camarades sa vie bascule. Mais elle va persister à faire semblant que tout va bien, refuser de se considérer comme une victime et perdre le contrôle…Jusqu’à quand ?

Voici un premier long-métrage, sans un poil de gras, vif,  bien filmé, rapide, (avec tout de même un rapide travelling semi-circulaire qui arrache les yeux, mais ne chipotons pas). Et puis Aenne Schwarz, belle actrice, dans le rôle de Janne, elle est de tous les plans,  parfaite dans le rôle. Je voudrais revenir sur le nœud du film, c’est-à-dire le viol. 

Janne revient avec Martin (Hans Löw) d’une soirée d’anciens étudiants, ils se connaissent assez bien, il la raccompagne, il est grand un peu gauche, bon enfant, il est tard, tous deux sont un peu émechés, elle lui propose de dormir chez elle :

 « Tu dormiras sur le canapé » lui dit-elle. L’alcool… Le détonnateur de la séquence, c’est connu,  il diminue la perception du danger et ne désinhibe (pas seulement sur les routes).

Quelques minutes tout se passe bien, Martin est un jeune homme « propre sur lui et bien élevé »  mais alcoolisé.  Alors d’un coup, ce qu’il y a de civilisé et de courtois chez lui cède et libére l’homme instinctuel ou pulsionnel comme on voudra. Il devient entreprenant, touche Janne, cherche à l’embrasser, à l’enlacer. Et Janne,  d’une parole ferme le remet à sa place, elle lui dit que ça suffit… mais lui tout à sa pulsion, n’entend pas, ne veut pas voir ni savoir, ni penser, mais aller au bout d’un désir, et qu’importe l’interdit. Entre peur et incrédulité Janne ne sait pas ou ne peut pas résister physiquement. C’est pour la victime, une situation où la mort rode.  De ce Martin un peu bénêt qu’elle a connu  comme camarade de promo, elle s’aperçoit qu’elle ne sait rien, qu’elle le connaît à peine. Et  Martin pousse l’avantage, Janne ne bouge plus, sidérée.   C’est terminé.  Martin a franchi l’espace irrévocable  qui le sépare de la suite…  Pour lui, vivre dans la peau d’un violeur. Et pour Janne ce sera le passage de la femme libre de sa vie et de son corps à celui d’une femme violée. 

Le passage à l’acte,  c’est l’acte qui se substitue à la pensée.  Dans cette histoire «  Cette femme (que je nie en tant que sujet)  est une chose que je désire et que  donc je prends et basta ! ».  Et la réalisatrice a pris soin de mettre en place un dispositif qui le favorise : l’alcool, l’intimité, l’absence de témoins, la disproportion physique des deux personnages qui  se connaissent un peu, c’est-à-dire peu. (Sauf que Martin est  le neveu de Robert, (Tilo Nest)  le futur employeur de Janne) (On remarquera que Robert se présente comme un anti-Martin).

Dégrisé Martin va regretter, sans doute, cela n’appartient  pas à sa conception du monde, ni à l’image qu’il se fait de lui-même et sans doute, il éprouve dela culpabilité. Il va chercher à mettre des mots sur son acte. «  Je suis désolé »  tente-t-il. 

Maintenant regardons Janne, « Comme si de rien n’était »  est un film fait de paradoxes,  si Martin qui ne supporte pas l’idée d’être devenu un violeur et voudrait en quelque sorte remettre la pâte à dentifrice dans le tube,  Janne de son côté, veut continuer sa vie comme si l’acte n’avait pas eu lieu. Une critique tente d’avancer que c’est pour Janne la manière d’affirmer sa supériorité, une forme de combat tout féministe contre la barbarie masculine en somme.  Je ne crois pas à cette version trop influencée par la période où ce film a été réalisé.  Si ce n’est pas tout à fait un déni, ce serait, si j’ai bien vu la  définition psychanalytique ce  qu’on nomme la forclusion, en gros : Elle sait, mais n’accepte  pas de le savoir, comme le titre l’indique.

Lorsqu’elle apprendra qu’elle est enceinte, chez la gynécologue, elle écoute, la procédure qui lui est proposé : 

  1. Vous pouvez prendre une pilule dès maintenant.
  2. Si vous ne le faites pas dans les 3 jours, alors il sera possible de procéder à  une IVG, vous aurez alors jusqu’au 20 septembre.

Et Janne sans doute encore sidérée, laisse passer la première période pour se résigner à la seconde, sans rien en dire à Piet  (Andréas Dölher) l’homme qu’elle aime, et que pour cette raison, elle va perdre. 

Mais comment dire « j’ai été violée, par un homme que je connaissais à peine, en qui j’ai fait confiance, que j’ai fait entrer chez moi,  parce que j’étais  un peu saoûle et lui aussi ? Comment dire la suite ?  Je suis enceinte, et au lieu de prendre la pillule du lendemain, j’ai attendu, je n’arrivai pas à concevoir ce qui m’arrivait,  et là je viens de  me faire avorter en douce et je te demande de venir me chercher, parce qu’on ne me laisse pas repartir toute seule en taxi, donc  tu m’accompagnes et tu ne me poses pas de question»…

Il y a là aussi une forme de passage à l’acte de Janne qui étonne, pourquoi n’a-t-elle pas appelé sa mère ? On se souvient que Janne avait raconté vaguement, sauf l’essentiel, cette histoire à sa mère. Besoin d’avouer ? Peut-être. 

Mais ce que nous a montré Eva Trobish, c’est une femme dynamique, entreprenante, décidée, autonome, qui n’aime pas les conflits, qui a des rapports d’égale à égal avec Piet, mais le viol qu’elle a subi a  dans son esprit, atteint aussi le mode de relation qu’elle avait avec lui. Comment  après cette épeuve,  vivre d’égal à égal avec l’homme qu’elle aime,  contemporain de ce viol ? Il y a dans la demande de Janne à Piet, quelque chose d’autodestructeur -inconsciement assumé-

Le devenir de sa relation à Piet appartient au hors-champ, mais nous voyons,  dans les derniers plans,  dernier passage à l’acte, Janne dans le métro. Elle refuse d’obéir à l’injonction des contrôleurs qui lui demandent de quitter le wagon  pour la verbaliser parce qu’elle n’a pas validé son ticket. Elle ne sait vraisemblablement pas le pourquoi de sa réaction, mais ce faisant, elle réalise symboliquement autre chose, elle découvre et éprouve sa faculté de résister.  

PS : Merci à Maïté qui me signale que j’ai fait des erreurs factuelles sur les circonstances  de l’arrivée de Piet à la clinique. Je reprendrai donc cet article. (à suivre)

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