L’Eté dernier de Catherine Breillat (2)


Quand on ne sait pas mentir, il vaut mieux dire la vérité.
Or Anne (Léa Drucker) l’héroïne du film est avocate pénaliste, menteuse professionnelle donc.
Ce qui lui importe c’est 1) son métier (avocate spécialisée en droit de l’enfance) 2) ses filles adoptées sur le tard, des poupées-pansements sur la plaie ouverte de son ventre vide, laissé béat par un avortement qu’on rapproche d’une relation toxique, forcée (incestueuse ?) 3) son mari, sa maison francilienne. Son statut social.
En repoussoir, en garde-fou, figure Mina (Clotilde Courau) sa sœur coiffeuse, son double, celle qu’elle ne voulait pas devenir.
Partant de là, sauf si la passion s’invitait dans sa cour, de Théo son beau-fils âgé de 17 ans, elle ne fera qu’une bouchée, c’est certain !
De la passion, la vraie, celle qui fait tout oublier, qui fait s’oublier et tout quitter, Anne est très loin … Il teste et se prend au jeu quand elle s’amuse.
Quitter une soirée avec les amis de son mari, quantités négligeables, relations sans intérêt, et partir la nuit sur la trottinette électrique derrière un Théo qui part chercher des cigarettes, waouh … trop drôle ! Dans le registre « transgressons les interdits, on est jeune, soyons fous », pardon, mais cette scène a quand même quelque chose de ridicule. Même pas un semblant de vertige de l’amour ressenti.
Et la scène d’amour conjugal, consternante ! Faut bien y aller de temps en temps, la tête froide, le corps on n’en parle pas, elle attendant que lui ait fini sans cesser de monologuer, OK mais est-ce indispensable d’enfoncer le clou à ce point pour, au cas où ça nous aurait échappé, pointer du doigt leur vie sexuelle misérable, nous signifier l’absence de tout passion dans leur train train quotidien ? Pour justifier qu’elle se risque avec Théo ?
Le problème c’est que quand il s’agit de montrer la puissance érotique entre elle et son jeune amant, L’Été dernier n’a rien de singulier, rien de « sulfureux » pour reprendre l’adjectif qui colle aux films de Catherine Breillat. Au contraire, les scènes sont filmées sans corps emmêlés, sans contrechamps, sans échange. Catherine Breillat a demandé à Léa Drucker de reproduire le visage de Marie-Madeleine en extase du Caravage, c’est la seule expression d’un état extatique, de jouissance pure.

C’est d’un sujet bien moins scandaleux, tout simplement bourgeois, dont Catherine Breillat s’empare et sur le thème du désir incestueux d’une femme pour son beau-fils, s’enchaînent dans la première partie un chapelet de scènes attendues (éveil sensuel, frôlements) jusqu’au passage à l’acte. C’est laborieux presqu’ennuyeux si ce n’était le talent des Lea Drucker, Olivier Rabourdin, Samuel Kircher très bien en fruit défendu.
Tout a eu lieu mais rien n’a eu lieu.
Dans le deuxième partie du film, l’art de Catherine Breillat entrant en collision avec ce ronronnement se réveille.
Lorsque face aux accusations, Anne avoue que « c’est ignoble », elle semble d’abord se juger elle-même avant de faire volte-face et jouer la femme indignée, campant sur cette position jusqu’à la scène finale.
Dans les scènes de mensonge éhonté, devant le mari, puis devant le beau-fils accusateur, et face à l’avocat de celui-ci, Anne, sans sourciller, fait fi de tout pour préserver les apparences.
Perchée sur ses talons hauts et habillée de robes d’une coupe impeccable reproduite en plusieurs couleurs claires et toujours assorties à ses escarpins, Anne a décidé de ce que serait la vérité.
L’Eté dernier, remake du film danois Queen of hearts de May El-Toukhy, pose un problème fondamental: il sonne faux du début à la fin. Impossible de croire à la trame de L’Été dernier. La pauvreté confondante des dialogues faits de poncifs et l’invraisemblance des mots dans la bouche de cet adolescent qui s’exprime dans une langue d’un autre âge que le sien.
On passe de l’attitude agressive et insultante de Théo réticent à toute possibilité d’intégration chez son père qu’il déteste de ne pas lui avoir donné du temps, qui cambriole la maison où il est accueilli, à Anne qui lui demande en toute confiance de la tatouer, à une scène intime dans l’herbe où elle se laisse, c’est un comble, enregistrer !

L’Été dernier est trop petit, avec des airs de téléfilm, ne racontant rien de bien passionnant sur le sujet si délicat de l’inceste dans une famille recomposée.

L’histoire illustrée à gros coups de crayons, sans appuyer là où ça aurait fait mal, donne un film tranquille qui manque de chair, d’ambiguïté, de consistance.
Reste que le plan final est quand même très réussi.

Marie-No

Yannick de Quentin Dupieux

Ce long-métrage a été tourné en secret en six jours. Le réalisateur confie « je voulais faire autrement, en dehors des rails classiques de production. Je fais un film par an, avec une préparation sur plusieurs mois et une forme de confort. Là, j’avais envie de revenir à mes premières amours, c’est-à-dire au film impossible. J’ai toujours au fond de moi ce truc qui brûle, ce goût du film qui ne devrait pas exister. Yannick est comme une sortie de route dans ma filmographie, c’est un objet à part. »

Quentin Dupieux surprend toujours.
On aime ou on n’aime pas mais ce n’est pas si simple. Moi, je l’aime parfois beaucoup (Au poste, Incroyable mais vrai) et parfois (vraiment) pas du tout (Le Daim).
Yannick, son 12ème long métrage (une idée de rétro) est le film surprise de l’été, on ne l’a pas vu venir, comme tombé du ciel, financé en fond propre, sans garanties de chaînes télé ou d’un distributeur, tourné en 6 jours donc et contrairement à ce qui se fait souvent, dans un décor qui n’est pas créé pour l’occasion -pas le temps de toutes façons- mais dans un vrai théâtre, le Dejazet, un des plus anciens de Paris, un bijou.
Un écrin pour un huis clos court (1h07 générique compris) et percutant, un thriller mi comédie mi drame. Une tragédie plutôt, déguisée en comédie. Il faut bien donner le change.
Plein de surprises, ce Yannick.
Un postulat de départ : un spectateur mécontent interrompt une mauvaise pièce de théâtre de boulevard. Le quatrième mur tombe. La forme conventionnelle du film fait mine de ne pas contenir le récit qui s’échappe, s’égare et rebondit. C’est comme ça que Quentin Dupieux nous cueille. Son cinéma est toujours moins absurde qu’il n’y paraît d’abord. C’est de ressentiment, de peur, de cynisme, de sadisme, de vide, de mépris, de frustration, de manque de reconnaissance, de grande solitude dont il est question.
C’est comme ça que Yannick nous cueille, par son originalité maîtrisée, et la profonde émotion qu’il suscite. Ses quatre comédiens y sont pour beaucoup. Raphaël Quenard/Yannick, en tête, sur qui le film est centré, pour qui le film a été écrit et qui nous transporte en même temps qu’il transporte les spectateurs du théâtre où la comédie puis la tragédie s’installe. Brillant. Raphaël Quenard du Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand. Brillant décidément !
Autour de Yannick, les personnages ont peur mais rien ne pourrait les empêcher de se moquer. Quelque chose se passe, ça monte … avec, en point d’orgue, le pétage de plombs spectaculaire de Paul Rivière/Pio Marmai.
Bravo, c’est ça qu’attendait Yannick ! l’Art est là, l’authenticité est enfin là, on applaudit l’acteur vidé, entouré. Yannick a obtenu ce qu’il voulait et il est gagné par l’émotion, celle qu’il venait chercher, ici, ce soir et qu’il a dû arracher !
Encore plus qu’à l’habitude chez Quentin Dupieux, l’histoire est concise, ramassée, avec des plans longs et larges nécessitant un jeu parfait.
Sur l’écran noir de fin, on a tout le temps de voir la suite
Et ça serre le cœur, très fort.
Le prénom Yannick signifie « Dieu fait grâce », « Dieu pardonne » …
Encore heureux qu’Il pardonne !
C’est beau et c’est tragique.
Avec Yannick, Quentin Dupieux nous offre peut-être son plus beau film.
A ce jour.
Marie-No

Alma Viva de Cristèle Alves Meira

Comme chaque été, Salomé, incarnée par la jeune Lua Michel dont le regard profond nous happe dès la première image, passe ses vacances chez sa grand-mère (Ester Catalão), sa chère Avó, dans le petit village très isolé de Trás-os-Montes (derrière les monts), dans le nord du Portugal, un territoire secret très peu filmé et où le temps semble s’être arrêté pour de faux et probablement pour de vrai.
Le film s’ouvre justement sur l’oeil de Salomé dissimulée derrière un rideau, faisant penser au regard du comédien observant les spectateurs qui arrivent et prennent place, et il se referme sur son regard face caméra fort, libéré.
Il s’en est passé des choses entretemps !
Tout commence par une veillée mortuaire, au cours de laquelle Salomé se joint naturellement aux incantations de sa grand-mère à Saint Georges, elle chante avec elle et allume les cigarettes destinées à apaiser l’esprit du défunt, admirative et adepte naturelle des rites magiques et autres conversations avec les morts de sa chère Avó.
Nous plaçant pour le reste de l’histoire à hauteur de la petite fille, ce premier plan nous plonge de fait dans un espace de cohabitation entre les vivants et les morts, entre réalisme et onirisme, avec souvent le son avant l’image, l’oreille avant l’œil, et petit à petit tout s’ordonne avec l’entrée en scène de tous les protagonistes de cette histoire de rires et de larmes, de ce récit entre drame et comédie familiale que Cristèle Alves Meira nous raconte si bien.
Autour de cette grand-mère gravitent Salomé, aimée et libre comme l’air, la tante et l’oncle aveugle restés au village, le cousin, les parents absents, un deuxième oncle qui arrive de France avec sa voiture rutilante, un autre oncle qu’on attendra longtemps. Et la voisine.
C’est une partie de pêche miraculeuse (à l’explosif !) à la rivière, qui va réveiller des vieux démons et faire basculer le film dans une tragi-comédie mystique.
Quand, avant de s’éteindre, se tordant de douleur après avoir dégusté les poissons préparés par la voisine, Avó, dans un dernier souffle, accuse cette dernière de l’avoir empoisonnée, Salomé la croit dur comme fer et, comme habitée par l’esprit de son aïeule, commence alors à se comporter de façon étrange, comme happée par un vertige vers la mort, comme possédée.

Sans basculer dans le film de genre, la cinéaste nous offre une poignée d’images saisissantes : devant une psyché, dans un cauchemar, la vision terrifiante du corps de l’enfant flanqué du visage de la vieille femme morte, ou montrant la petite fille errant la nuit dans le village en âme vengeresse ou encore allongée, immobile, au fond d’un trou (ici la future piscine de l’oncle Joaquim débarqué de l’Hexagone), prête à être ensevelie… C’est tout le village qui est secoué.
Tout doucement, le récit injecte des éléments surnaturels faisant subtilement évoluer le film tout en maintenant l’équilibre, comme sur un fil, grâce à la délicatesse du récit et à la profondeur des personnages de Cristèle Alves Meira et grâce aussi à la photographie du chef opérateur Rui Pocas. Merveilleuses images pour un merveilleux récit. Grâce aux acteurs dont les nombreux non professionnels issus de cette terre et qui en parlent la langue de génération en génération.
« Tôt ou tard, toutes les femmes indépendantes se font traiter de sorcières », « les vivants ferment les yeux des morts, les morts ouvrent les yeux des vivants », assène l’oncle malvoyant, figure de tragédie grecque , alors que se déchaînent les passions de la famille réunie par le décès de la mère et déchirée par les questions d’héritage, divisée en clans, les exilés/déserteurs contre les résidents au long cours dont la tante enchaînée au village par son amour interdit.
Salomé finira par dire à sa grand-mère qu’elle l’aime plus que toutes les étoiles du monde mais qu’elle ne veut pas devenir sorcière. Qu’il faut qu’elle la laisse et la libère de cet habit pas taillé pour elle.
Le film se conclut suivant les codes de la tragédie semés en route (l’orchestre en guise de choeur antique, les oracles de l’oncle aveugle, l’exil, les jets de pierre, l’ensevelissement…) unissant le mythe et le contemporain.
Alors que le feu, un fléau du siècle, cerne le village, l’aïeule est enfin portée en terre et la pluie providentielle, miraculeuse, se met à tomber calmant les furies, éteignant les passions. Merci Avó.
Cristèle Alves Meira dit « Ce film, je l’ai tourné dans le village de ma mère. Je suis née en France de parents portugais qui ont émigré dans les années 70, au moment de la dictature de Salazar. Ce village, je l’ai côtoyé depuis mon enfance, et j’ai voulu filmer ce territoire, ces montagnes chargées de mes ancêtres, des mémoires des anciens et de beaucoup de légendes. En fait, c’est une région habitée par la culture celte, par conséquent, il y a encore énormément de traditions qui sont vouées à disparaître. Ce film est une façon de les imprimer et de les garder pour toujours. Je voulais absolument poser mon regard sur des croyances secrètes et taboues, sur la sorcellerie, sur les guerres entre voisins et les litiges qu’elles génèrent : Alma Viva est le résultat de tout cela. »
« Tu es comme moi, tu as le corps ouvert » célébrant la force protectrice d’une lignée de femmes tout en proposant une réflexion sur la transmission au sein d’un gynécée moderne, où jalousies et vanités peuvent se dresser en d’infranchissables obstacles, Alma Viva, donne à voir ce qu’est le deuil, la douleur de perdre une « âme vivante » et fait réfléchir sur les regrets, les manquements. C’est un film profond, cocasse qui parle d’adultère, d’amours interdites, transgressives, un film qui parle de la vie et de la mort, qui montre les cadavres dans les cercueils, les mouches, les odeurs, les viscères des poissons, la toilette de corps vieux, lourds et abîmés, un film qui montre la danse, les rires, la petite fille coiffant sa grand-mère tant aimée. C’est poignant.

Avec Alma Viva, Cristèle Alves Meira signe un premier long-métrage remarquable, ensorcelant et délicat, tragique et léger.

Marie-No

Alma Viva a été sélectionné à la semaine de la critique à Cannes et représentait le Portugal aux Oscars 2023.

Le Barrage d’Ali Cherri (2)

Partir d’un lieu, d’un paysage, voir ce qu’il montre de la violence du monde et, la laissant hors champ, capter dans l’air, la terre et l’eau toutes les particules qu’elle a semé tout au long des siècles, à cet endroit précis et dans les esprits qui le peuplent.
Au barrage de Merowe au nord du Soudan, on rencontre ceux que l’ouvrage a délogé et qui, n’ayant pas « d’ailleurs », sont restés, se sont installés de manière sauvage autour du lac artificiel, précisément là, à cet endroit, pour sentir sous leurs pieds la terre où ils sont nés.
Pour vivre, ils ont rejoint les ouvriers, malaxant sans relâche cette terre argileuse pour en mouler des centaines de briques, d’abord séchées au soleil brûlant, cuites ensuite, tous condamnés à recommencer inlassablement sans connaître jamais l’emploi qui leur est destiné.

Maher (Maher el-Khair) est de ceux-là.
Dès les premières images, on est frappé par sa force, sa présence, l’intensité de son regard. Par son immense beauté, par les proportions sculpturales de son corps.
Maher s’échappe régulièrement vers le désert, à l’écart du monde des hommes, des humains, pour sculpter une étrange créature qu’il façonne de ses longues mains, y apposant ça et là, par petites touches, en caresses, de la terre mouillée, se plongeant tout entier dans un monde où tout est possible.
Maher fait des allers-retours entre l’âpre réalité de sa condition, et son monde imaginaire. Et peu à peu, s’absente du monde réel, de son quotidien soumis à la régularité de son labeur et rémunéré au bon vouloir d’un patron à main claire.
Quand la pluie fera s’écrouler sa créature, elle se fondra en lui totalement, le rendant fort de pouvoir la faire renaître un jour.
Montré par les superpositions où il s’évanouit dans l’image, son travail de détachement a commencé et dès lors on ne distingue plus très bien ce qu’il voit de ce qui se passe dans sa tête.
Cette évolution passe inévitablement par la violence, métaphorique et aussi physique. Quand il tue le chien, il le libère et se libère aussi de l’oppression du monde, il s’ancre dans son espace imaginaire, colmate les brèches en brûlant le camp, précipitant les habitations et l’outil de travail dans la fournaise.
La blessure marquée dans le dos de Maher est particulièrement intrigante. Elle semble évoluer et, bien que soignée, s’aggraver pour ressembler de plus en plus à de la terre séchée, comme s’il allait lui-même devenir une créature de boue. Il plonge son doigt dans le trou, le pénètre comme pour s’en persuader. Cette blessure est si troublante … et, en y repensant, c’est une image oubliée de Saint Thomas mettant son doigt dans les stigmates de Jésus pour croire à sa mort et surtout à sa résurrection qui se juxtapose. Etrange et dérangeant de se la remémorer au cinéma. Une autre violence.
A la fin du film, lorsque devant la statue titanesque surgie des profondeurs du Nil, Maher s’immerge tout entier, s’offrant alors à ses eaux pour disparaître et renaître, la blessure disparaît.
Le temps est venu de l’apaisement, du lâcher prise, de l’abandon.
De l’enchantement.
Par la présence magnétique de Maher, Ali Cherri approfondit par le cinéma son travail d’artiste sur les répercussions de la violence sur la vie minérale, animale, végétale.
Magnifique par ses images sidérantes montrant des paysages grandioses de cette région du Soudan et grâce à la présence magnétique de Maher, Ali Cherri, tisse une toile mêlant réalisme et fantastique pour faire de son premier long métrage, Le Barrage, une œuvre cinématographique originale et fascinante.
Et qui laisse place à de nombreuses interprétations.

Marie-No

The Lost King-Stephen Frears

                                    

Avec ce dernier film, Stephen Frears continue le travail commencé avec « Filoména » et «  Florence Foster Jenkins », dressant le portrait de femmes ordinaires mais extrêmement courageuses. Filoména a recherché toute sa vie l’enfant qu’on lui avait retiré et Florence Foster Jenkins est parvenue à devenir cantatrice alors qu’elle n’avait que peu de talent.

   L’héroïne de son film c’est Philippa Langley, une historienne amateur qui se met en tête de retrouver la tombe du roi Richard III, une aventure invraisemblable qui lui demandera huit ans de recherche obstinée et lui vaudra beaucoup d’incompréhension tant au niveau de son entourage qu’à celui des spécialistes. Persuadée avec d’autres ricardiens qui vont beaucoup l’aider, que Richard III n’est pas le monstre que décrit Shakespeare dans sa pièce,  et que sa tombe se trouve dans le choeur de l’ancienne église de Greyfriars devenue parking, elle va soulever des montagnes pour parvenir à son but. Si le réalisateur prend des libertés avec la vie privée de la vrai Philippa, en revanche il montre la réalité du travail acharné qu’elle a mené, s’entourant de personnes sérieuses comme Annette Carson, John Ashdown Hill ou Audrey Strange qui vont lui donner de précieuses informations. Le film montre une Philippa parfois fragilisée (elle souffre de fatigue chronique accentuée par le stress) ou décrédibilisée mais toujours portée par une foi totale et une intuition qui ne la lâchera pas. Son obsession de réhabiliter ce roi maltraité par l’histoire est matérialisée par l’apparition de l’esprit de Richard III avec lequel elle prend l’habitude de parler, procédé contestable qui manque à mon goût de subtilité mais qui montre qu’en faisant ces recherches elle vit dans un autre monde, un monde où elle se sent bien.

Sally Hawkins parvient à nous toucher dans ce combat de femme passionnée mais sans déraison, armée de connaissances immenses mais sans diplômes qui affronte cinq cents ans de mensonges à l’encontre de ce roi. Stephen Frears filme une double réhabilitation . Celle de Richard III dont le squelette mis à jour ne révélera ni bosse, ni bras atrophié ni jambe plus courte mais seulement une scoliose sévère lui donnant une épaule plus haute que l’autre, qui aura enfin droit à une sépulture et sera reconnu roi légitime et non plus usurpateur . Celle de Philippa Langley qui renoue avec sa vraie valeur à travers ce parcours du combattant. Historienne sans titre, mise à l’écart par les sachants de l’université de Leicester quand enfin ses huit années d’ efforts sont couronnés de succès, il lui faudra attendre trois ans avant d’être récompensée de l’Ordre de l’Empire Britannique par la reine et cinq années de plus pour que Stephen Frears lui rende cet hommage. 

     Si « The lost king » ne fait pas partie des plus belles réalisations de Stephen Frears, il a du moins le mérite de rappeler que l’une des premières règles  à appliquer dans la recherche, quel que soit le domaine, est de toujours remettre en cause ce qui semble être tenu pour vérité.

Marie-Annick

Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand

stoïcien, stoïcienne
adjectif et nom (latin stoïcius) : qui témoigne d’une impassibilité courageuse devant le malheur, la douleur etc


Dog est donc stoïcien, sans aucun doute
Et cela illustre toute l’ambiguïté des personnages de l’histoire où nous emmène Jean-Baptiste Durand.
C’est l’histoire de Dog et Mirales. De Mirales et Dog. Et, un jour, arrive Elsa, l’étincelle, qui, par un concours de circonstances, va être le détonateur, un détonateur silencieux, pour une mise à feu que Mirales, et Dog aussi, avaient depuis longtemps en ligne de mire.
Depuis la sixième, première année de collège, l’année de leur rencontre quand Mirales/Antoine arrive au Pouget chargé de son fardeau qu’il mettra tout ce temps à déposer, en partie seulement mais en grande partie, aux pieds de Dog/Damien et au prix d’un sacrifice.
C’est Mirabar, son chien, qu’il sacrifie sur l’autel de l’âge adulte, Mirabar dont l’oraison funèbre nous émeut autant qu’elle nous fait sourire comme tant d’autres scènes de ce film rédempteur, salvateur, subtil, enthousiasmant.
Comme souvent dans la vie, le plus en souffrance n’est pas celui qu’on croit. Jean-Baptiste Durand nous balade au bras de ses deux héros, nous invite chez eux, creuse leurs pluralités.
On balance entre Dog, taiseux et introverti et Mirales hâbleur et provocateur, cruel, tragique lascar vendeur de shit, épris de littérature et de mots, il cite Montaigne, connait très bien l’œuvre de Hermann Hesse (cette scène aussi nous fige). Mirales aux manières impeccables et bien cachées (la scène d’anniversaire au restaurant !), Mirales, pianiste refoulé, échoué,qui se délecte des notes de sa voisine pianiste interprétées par Evelina Pitti (magnifique personnage !) qui répète la Tempête.
Lui qui comme pour s’étourdir, met du rap à fond dans sa « caisse » vit avec sa mère fragilisée réfugiée dans sa peinture, il la nourrit … Mirales l’écorché vif, qui se la joue voyou, mâle toxique, se débat, fait du bruit, prisonnier en liberté, âme errante et maudite attachée à un lieu qu’il s’applique à faire son tombeau. Un écorché vif et dans ce rôle, Raphaël Quenard, un Dewaere en puissance !
Dog, son pilier, son ange gardien, quasi muet car que dire, que faire sinon attendre stoïquement le dénouement qu’il présage et finit par forcer, est joué par Antony Bajon dont la présence occupe l’espace de façon magistrale. Anthony Bajon (29 ans), repéré dans Les Ogres de Léa Fehner, retrouvé entre autres dans La Prière de Cédric Kahn, Tu mérites un amour de Hafsia Herzi.
Une bombe !

Dans Chien de la casse, son 1er long métrage, Jean-Baptiste Durand nous parle de ce qu’il connaît, une jeunesse péri urbaine, nous invite chez lui dans un village de l’Hérault, hors saison, ses rues vides, ses volets clos, l’ennui qui rode, … où il fait si bon vivre la poésie au quotidien.

Chien de la casse dans la subtilité des relations entre ses personnages fascinants et touchants d’humanité, trouve son tempo, son existence et c’est magnifique !

Marie-No

Pour information : Si vous n’avez pas pu le voir ici à l’alticiné ces dernères semaines, Chien de la casse est toujours programmé et dans de plus en plus de salles (90 la semaine dernière, 152 cette semaine dont Fontainebleau)


Le Retour des Hirondelles-Li Ruijun

                          

                                                    

Sixième film de Li Ruijun et premier à être distribué en France, « le retour des hirondelles rend compte de la relation ancestrale qui lie l’homme à la terre. Le réalisateur dépeint une Chine rurale contemporaine archaïque, en voie de disparition. La Chine avance à marche forcée et Xi Jing Piing ne laisse pas traîner les choses. Sa vision il entend l’imposer à tous et tous doivent prendre le train de la modernisation à outrance.

                                             

 Li Ruijun montre un couple d’agriculteurs atypique et magnifique qui ne veut pas monter dans le train. Dans cette région du Gansu dont il est originaire et qui est une des plus pauvres, le cinéaste suit ce couple qui cultive un minuscule lopin de terre avec une araire et un âne. L’homme qui ne dit mot a passé sa vie, exploité par son frère et sa belle-soeur. La femme qui semble muette est handicapée physique à force de mauvais traitements. On les marie sans demander leur avis ( une pratique interdite mais tolérée), grâce à une marieuse qui obtiendra sans nul doute salaire pour être parvenue à débarrasser les deux familles de ces deux fardeaux encombrants. Avec un tel synopsis on aurait pu s’attendre à subir un drame misérabiliste pendant plus de deux heures. Il n’en sera rien. Les deux parias qui ne se connaissent pas et s’observent avec un intérêt plus que mitigé pour l’homme et avec crainte pour la femme, vont peu à peu nouer une relation profonde qui ne peut que toucher le spectateur. Considérés comme des moins que rien et des rebuts, ils vont patiemment et magnifiquement retrouver leur humanité. Et c’est magistralement beau même si j’ai eu le cœur serré durant toute la séance, devant ces humains qui se contentent d’être au lieu de rêver ce qu’ils n’ont pas. La relation puissante qu’ils vont créer se construit non pas avec des mots mais avec des gestes de respect et des actes de bienveillance qui parsèment tout le film. Il lui prépare à manger, il lui achète un manteau pour masquer son incontinence, lui dessine une fleur sur le poignet avec des grains de blé, la fait descendre dans la rivière qui l’effraie pour calmer la brûlure de son eczéma du blé. Elle l’attend un soir d’hiver avec un flacon d’eau chaude pour le réchauffer ; elle surveille ses moindres signes de fatigue et lui enjoint de se reposer ; surtout elle manifeste son opposition et son inquiétude à chaque fois qu’il doit donner son sang à un responsable local qui en a besoin.

      Chassés de leurs familles puis de la maison abandonnée qu’ils ont investie, Ma Youtie entreprend de bâtir sa maison, leur maison, leur foyer bien à eux, un bonheur qui semblait inatteignable. Oui, je dis bien bonheur, un bonheur simple qui consiste à pouvoir se nourrir, s’abriter, se donner le respect et la dignité auxquels tout être humain à droit. Ce que les autres ne leur ont pas donné, ils se donneront à eux-mêmes, loin des autres.

     Leur alliée suprême c’est la terre elle-même, la terre nourricière que Ma Youtie qualifie de « juste » car elle donne à tout le monde sans juger qui est bon ou mauvais. La travailler leur redonne valeur et fierté. Ce lien très fort qui unit Ma Youie et Cao Guying et celui qui les lie à la terre se découvre particulièrement au moment où la pluie torrentielle s’abat sur les briques de terre que Ma Youtie s’est éreinté à fabriquer et à faire sécher. Pataugeant et glissant dans la boue, incapables de se relever et de lutter ; ils s’accrochent alors l’un à l’autre comme des rescapés d’un cataclysme et ils éclatent de rire. Ne pas céder au désespoir et rire de ce mauvais coup du sort.

Dans le soin apporté au travail de la terre, le réalisateur exprime son attachement à cet endroit qui l’a façonné, qu’il aime et qu’il respecte. L’amour pour cette terre qui nous comble de ses richesses et de ses merveilles, Li Ruijun le distille à travers les gestes traditionnels : labourer, semer, désherber, récolter, dans l’amour et le respect du vivant. Patient travail au rythme des saisons que la caméra a suivi de mars à octobre. Pendant ces huit mois, le réalisateur et toute son équipe ont effectué les travaux des champs et construit la maison de terre. On comprend mieux pourquoi ses acteurs sont des membres de sa famille ou des amis. Quel acteur professionnel aurait accepté et su reproduire ces gestes ancestraux transmis et appris de génération en génération mais voués à la disparition avec la mécanisation à outrance ?

Impossible de ne pas parler de leur deuxième allié : l’âne, animal qualifié de misérable à plusieurs reprises mais sans lequel rien ne pourrait être réalisé. Moins noble que le cheval, il est pourtant le compagnon indissociable de l’homme depuis toujours et dans les endroits les plus pauvres et plus difficiles à cultiver. Un âne dur à la tâche et qui est respecté lui aussi. Symbole de la maltraitance et du mépris, il retrouve lui aussi sa dignité et la récompense, même maigre, de son travail. À la fin du film, la liberté lui sera rendue dans une scène de séparation où l’immensité à perte de vue renvoie à la solitude qui sera dorénavant le sort de Ma Youtie. Une solitude encagée dans un appartement tout neuf qui ne signifie rien d’autre que l’échec d’une tentative de vie en autarcie. Adam abandonné par sa Eve disparue, chassé de son paradis patiemment et courageusement construit par un extérieur impitoyable, Ma Youtie devient le symbole d’un combat inégal, celui de l’individu contre la collectivité, celui de la marginalité contre la conformité.

 On aurait pourtant voulu y croire à cet univers sécurisant où l’humain, l’animal, le végétal et la terre pouvaient s’harmoniser. On aurait voulu y croire à cette possibilité de se prendre en charge et de choisir sa vie. Mais Ma Youtie le dit : « Que peut le blé contre la faucille ? » Que peut le malheureux paysan contre les dirigeants de coopératives qui ne paient pas les récoltes mais roulent en BMW ? Que peut le petit propriétaire vivement incité ou obligé d’abandonner ses terres, contre des élus gouvernementaux qui en profitent pour les acheter à bas prix ? Que peut-on contre des directives gouvernementales qui entendent déplacer tous les pauvres vers les villes où ils fourniront une main-d’œuvre bon marché ? Que peut Ma Youtie contre le projet de Xi Jing Ping d’éradiquer la pauvreté et dont le succès a été triomphalement annoncé au vingtième congrès du parti ?

Que peut cet être profondément bon qu’est Ma Youtie contre la cupidité ? Illettré mais riche de l’intelligence du cœur qui lui commande entre autres, de donner son sang sans contrepartie, il est le symbole d’un état qui vampirise son peuple.

 C’est sans doute pour toutes ces raisons que le film a disparu brutalement des salles puis des plates-formes de cinéma après trois mois de succès. La censure chinoise ne peut autoriser un réalisateur à contredire même avec moult précautions, une vérité officielle.

 Que peut une maison de terre contre un bulldozer ? Image effrayante d’un étatisme qui broie sans état d’âme.

Marie-Annick

Joyland – Saim Sadiq (2)

Saim Sadiq, réalisateur pakistanais de 32 ans, avait déjà, dans son court métrage Chérie (2019), traité du sujet de la trans-identité et de la danse dans les cabarets érotiques de Lahore.
Pour son 1er long-métrage, Joyland (2022), il reprend ce thème qu’il inclut dans une version plus globale, autour d‘une famille, à Lahore toujours, sa ville.
Son film est beau et courageux, sur un sujet qui dans son pays ne prête pas à sourire même (surtout pas) avec une Biba géante transportée à scooter vers un toit-terrasse !

Le film commence magistralement en nous plongeant dans une cuisine, où une jeune femme perd les eaux. Un homme, jeune lui aussi et qui semble être là à sa place, regarde la flaque, bras ballants … Quand la jeune femme prononce le mot « moto », c’est le déclic, il entre en action et on les accompagne , sur cet engin, dans les rues de Lahore vers la maternité.
Dans la cuisine, on a laissé une enfant, 8 ans à peu près, chargée de nettoyer le liquide amniotique où baignait jusque-là le demi dieu annoncé, un garçon.
Ces premières scènes sont captivantes. Un tourbillon !
On a commencé à se raconter une histoire mais ce « couple » imaginé est vite balayé quand arrive Saleem, le frère et père du bébé, le mari de Fayyaz qui ne veut pas d’un bébé fille, une fille de plus … on leur avait pourtant « prédit » un garçon ! Il va falloir recommencer !

L’autre, c’est Haider à qui son frère reproche même d’être là et qui repart vers ses casseroles dare-dare.
Haider a une épouse Mumtaz. Ils se sont mariés pour obéir à leurs familles, sans se connaître mais avec bienveillance et l’espoir que l’amour viendrait. Haider a promis de permettre à sa femme de travailler. Et c’est la situation de départ dans cette grande famille : Haider s’occupe des tâches ménagères et des enfants de son frère avec leur mère Fayyaz et son épouse, Mumtaz, travaille et aime travailler.
C’est un schéma qui leur convient bien sauf que ça ne peut pas durer vu que ce n’est pas convenable ! Normalement, l’homme travaille, la femme fait tout le reste, c’est comme ça au Pakistan. On pourrait dire qu’ailleurs, c’est pareil, qu’autre part c’était pareil il n’y a pas si longtemps (et même si les femmes travaillent, la charge mentale, elle, n’a pas beaucoup bougé). On peut dire aussi qu’ailleurs c’est redevenu comme ça. Comme au Pakistan, donc


Haider n’a pas ou peu de désir pour sa femme, est obligé, elle attend, le reçoit quand il vient et que leur nièce n’a pas pris place entre eux dans le lit. Munnaz, elle, satisfait son trop plein de désir en matant son beau-frère qui, le soir, en bas dans la cour, vit une relation sexuelle intense par internet sur l’écran de son téléphone portable . Le Pakistan n’a pas le monopole des sexualités virtuelles parallèles voire misérables, 2 sens sur 5.

Haider ne s’extirpera pas du carcan familial, ne se libèrera de rien. Le poids sur la nasse pèse trop lourd et quand bien même … sa relation à Biba le mène à un autre écueil. La scène d’amour debout laisse voir l’incompréhension d’Haider autour de la nature de l’identité de genre de la danseuse.
Biba est une femme, pas un homosexuel.
Il se retrouve ainsi inadapté à la vie en communauté, que ce soit chez lui ou dans cette autre famille, d’adoption, celle-là.
La nouvelle vie professionnelle d’Haider et ce qui la constitue, provoquera le drame et le basculement dans le tragique dans un dernier acte où chaque membre de la famille perd le contrôle.
Pour Munnaz, prisonnière de sa vie, on a tremblé.
Et quand dans un acte héroïque elle emporte son enfant à naître, avec elle dans la mort, on est soulagé de la voir échapper à son calvaire.
Et très en colère.
Le pays de la joie, ce sera peut-être pour une autre vie
C’est quand même mal parti … même en changeant de continent

Marie-No

PS : Joyland a été proposé un matin lors des 3 jours ACC de Dreux.
On avait le choix avec Corsage de Marie Kreuzer : à voir aussi.

Juste sous vos yeux de Hong Sang-Soo

Vingt-quatre heures dans une vie, quand le temps est venu d’alléger le temps, de revisiter son enfance, de dire ses erreurs, d’affronter ses rêves envolés.
Lorsque le temps presse de « rire de tout de peur d’être obligé d’en pleurer »
San-gok qui fut actrice, étoile filante dans une autre vie que la sienne, une vie presque oubliée, est revenue pour quelques jours dans sa Corée du Sud natale.
Elle s’applique à goûter ce qui est là en face d’elle, à apprécier les plaisirs simples d’un beau paysage où les couleurs saturées lui sautent forcément aux yeux, d’une tasse de café, d’une cigarette, même si elle se recache pour fumer.


Réflexion sur le temps qui passe, sur la mort, Juste sous vos yeux est une invitation à profiter de la vie, fragile, si précieuse quand on sait les jours comptés.
Par petites touches Hong Sang-soo nous met sur la piste du secret de cette femme que l’âge a rattrapée.
Dire avant tout que San-gok est interprétée par la magnifique actrice Lee Hye-young qui donne au personnage sa grâce, sa délicatesse, son élégance et son charme infinis.
Une journée dans la vie d’une femme, qui retrouve sa soeur et les lieux de son enfance avant de se rendre à un rendez-vous, élément déclencheur de sa venue à Séoul. Dans une épure soutenue de bout en bout du film, les scènes se succèdent et nous emmènent dans les dédales du récit admirable d’un parcours de vie dense et détaillé, suite de scènes gracieuses d’intimité familiale remplies de non-dits.
Ca déborde de partout, inondant les conversations avec sa soeur d’une gêne certaine, recouvrant la rencontre avec son neveu, reportée et déplacée dans la rue, d’un flux de tendresse, emportant la visite de la maison de son enfance, où vit toujours la petite fille qu’elle fut, dans une vague de mélancolie.
Comme les souvenirs sont lourds …
Et maintenant ?
Lors d’un tête-à-tête au fond d’un bar désert dont il a les clés, Jae-Won, le réalisateur propose un rôle à San-gok qui le refuse aussitôt et, entre crevettes frites et porc aigre-doux (chopés par le jeune assistant au restau chinois du coin), et surtout entre deux rasades d’alcool fort (chinois aussi), c’est la fin du secret.
La vérité a éclaté, brutale, embarrassant tant le réalisateur que, l’alcool aidant, il verse quelques larmes … On fait du cinéma ou on n’en fait pas !
San-gok, elle, parle, beaucoup et voilà que c’est elle qui le réconforte ! Un comble !
Ils se rapprochent, ont quelques gestes, elle lui fait dire sans mal ce qu’elle veut entendre : qu’il veut coucher avec elle, qu’ils partiront demain et qu’il la filmera. Pourquoi ne pas rêver une dernière fois à la vie, à l’amour, au cinéma ?
Un magnifique plan silencieux , deux silhouettes de dos, sous la pluie avec du bleu, à attendre, et pour elle, les derniers moments d’illusion …
Un message le lendemain matin sur le répondeur de San-gok la fait redescendre sur terre et, à la deuxième écoute, elle se réfugie encore dans ce rire étrange, incongru, cruel sur elle-même et sur les hommes, s’efforçant de mettre le tragique à distance. Un rire prolongé par des sanglots, dès qu’elle tourne le dos.
« Tu fais un rêve? » On sait que sa sœur ne lui racontera son rêve qu’après midi.
Elle ignore encore que les heures sont comptées.

Juste sous vos yeux, est un régal, du concentré de Hong Sang-soo : économie de plans sur une partition virtuose.
Des voix qui se succèdent, se répondent, se toisent, s’affrontent, s’ignorent, se séduisent, comme dans un opéra racontant à merveille ce qui se voit et ce qui ne se voit pas.
Avec pour ce film une tonalité dramatique, tragique, inhabituelle chez Hong Sang-Soo … qui peut inquiéter.

Mais il semblerait que ce soit un moment de flip passager : vu le film suivant La romancière, le film et le heureux hasard et … c’est une autre histoire !


Marie-No