« Yourself and yours » de Hong Sang-soo

Coquillage d’Argent du meilleur réalisateur au Festival de San Sebastian 2016Du 23 au 28 mars 2017Soirée-débat mardi 28 à 20h30
Présenté par Laurence Guyon

Film coréen (vo, février 2017, 1h26) de Sang-soo Hong avec Kim Ju-Hyeok, Lee Yoo-Young et Hae-hyo Kwon.

Synopsis : Le peintre Youngsoo apprend que sa petite amie Minjung a bu un verre avec un homme et s’est battue avec lui. Le couple se dispute et Minjung s’en va, déclarant qu’il est préférable qu’ils ne se voient plus pendant un certain temps. Le lendemain, Youngsoo part à sa recherche, en vain. Pendant ce temps, Minjung (ou des femmes qui lui ressemblent) rencontre d’autres hommes…

On pense, c’est vrai, à Rohmer tout de suite.
Avec beaucoup de Soju.
Dès la première scène, le décor est planté, les personnages présentés, le sujet du film, exposé. On voit d’abord le copain Joonghaeng devant la porte de Youngsoo. On verra souvent des portes (avec des compteurs au-dessus), qui s’ouvrent ou ne s’ouvrent pas.
Suit la scène de l’atelier où le ver va être mis dans le fruit. Le fruit qui va pourrir à moins qu’on n’arrive quand même à le conserver … en le (re)mettant dans l’alcool  ?
Youngsoo, artiste peintre, séduisant, séducteur, ex-buveur de Soju, avait des projets avec la délicate Minjung, grande amatrice d’alcool, qui avait passé avec lui un accord de sevrage raisonnable (5 verres de soju et 2 bières/jour, quand même). Des projets de stabilité, de vie plus saine, de mariage . Tout est balayé d’une phrase par son « ami » Joonghaeng, serpent siffleur, ironique, donneur de leçons, qui semble vouloir empêcher ces beaux projets. « Tu ne vas pas épouser Minjung quand même ? cette traînée, qui boit et se bat le soir dans les bars, avec des hommes ! » c’est, en résumé, ce qu’il laisse derrière lui au milieu des toiles et des couleurs, ce qui va envahir Youngsoo et recolorer l’intérieur de sa tête en noir. Il croira son ami et rejettera en bloc les contestations de Minjung qui, face à son déni et à ses exigences impossibles, choisira de s’en aller.
Cela va tant le déstabiliser (l’équilibre n’était, il faut dire, pas bien installé) qu’il va littéralement « tomber malade ». Il continuera d’avancer mais le cerveau tout à son obsession de récupérer Minjung et le corps ralenti par une blessure à ce qui est essentiel pour avancer : le pied, le gauche en plus (ce qui a sûrement une signification) . On a vu aussi que Minjung a une grosse marque brunâtre sur le tibia, gauche aussi.
Va suivre une errance des deux amoureux, chacun de leur côté.
Marivaudage pour elle qui se dissimule, change d’identité, s’invente une jumelle, pour avancer masquée, à la recherche d’un homme qui ne soit ni enfant, ni loup, qui la laisse vivre, qui l’accepte telle qu’elle est, n’essaie pas de la changer.
Chemin de croix pour lui qui se traîne sur ses béquilles à la rencontre de celle dont l’absence lui est insupportable. Il la poursuit, l’attend, croit la voir, et vit en rêve leurs retrouvailles. Son cher ami Joonghaeng qui ne boit plus, lui, ne manque pas de l’avertir quand il la voit dans le bar attablée, cette fois, non pas avec un mais avec deux hommes ! Mais à son arrivée  elle a disparu. On se laisse prendre à ses mirages : quand, éclairée et salvatrice, au beau milieu de l’allée, elle avance, souriante, les bras ouverts, vers lui, figé devant sa porte, ou aussi quand, l’ayant laissé enfin franchir cette porte,  elle l’enlace. Lui est de face, assis sur un banc, elle est de dos, penchée sur lui. On ne voit plus que ses fesses moulées dans une jupe étroite. Cette scène nous parle de ce qu’il évoquera dans la dernière scène du film : leur amour physique, au top.
La scène de l’eau m’a interpellée  aussi : dans la ville, elle marche les pieds dans un ruisseau rectiligne, d’eau pure, très claire. A côté mais surélevé et sur une allée, au sec, marche un homme, le cinéaste, qui a dit, lui aussi, la connaître, l’avoir déjà rencontrée, ailleurs. Ils cheminent ainsi, côte à côte, elle en bas, lui en haut. Elle lui sourit et le rejoint sur l’allée lumineuse, bordée d’arbres vert tendre. On voit ses pieds sortant de l’eau, chaussés de sandales plates. Une illustration du monde enchanté du cinéma, où on peut être mouillé et sec aussitôt  ?
Il y a aussi la vitrine avec ce mannequin fagoté de cette robe rose trop large aux hanches. Youngsoo cherche Minjung mais la couturière, l’amie de Minjung ne le renseigne pas, ne trahit pas. Elle lui dit d’attendre sa décision à elle, son appel. Elle est très occupée à ajuster des tenues. Elle dit qu’elle a beaucoup de travail. Elle ôte les bras du mannequin pour retirer cette robe qui n’est pas à sa taille. Elle l’ampute temporairement pour pouvoir ajuster la tenue, le costume. Après on lui remettra les bras.
Minjung et Youngsoo se retrouveront pour de vrai, enfin. Se réadapteront l’un à l’autre, voudront croire, tous les deux, qu’on peut repartir de zéro, tout réajuster.
Dernière scène du film : ils sont dans le lit, Minjung fait manger à Youngsoo, à la becquée, des cubes de pastèque, juteuse et fraîche.
Sans Soju.
Mais le Soju, c’est ailleurs que ça se passe(ra)

J’ai beaucoup aimé ce film de Hong Sang-soo, resserré, plus intelligible pour moi que ce que je connaissais jusqu’à présent de lui.

Un petit mot sur la langue coréenne : les phrases semblent toujours se terminer par ce qui me paraît être une diphtongue, sourde et vibrante. C’est un son très étrange qui participe de façon essentielle au film dans son ensemble. Cela illustre, pour moi, l’absolue nécessité de voir les films en VO.

Marie-Noël

« Loving » de Jeff Nichols (2)

nominé au Festival de Cannes 2016 et aux Golden Globes 2017Du 16 au 21 mars 2017Soirée-débat mardi 21 à 20h30
Présenté par Chantal Levy et Georges Joniaux

Film américain (vo, février 2017, 2h03) de Jeff Nichols avec Joel Edgerton, Ruth Negga et Marton Csokas

L’histoire des époux Loving est bouleversante.
C’est une histoire qui nous réconcilie, un peu, momentanément, avec la nature humaine. L’heureux dénouement est acté, entériné. C’est réglé. En apparence. Car l’opinion publique, le verdict populaire sur le mariage mixte, qu’il s’agisse de couleurs de peau, de religions, d’origines sociales, restent implacables, aux Etats-Unis comme dans le reste du monde. On sait bien que rien ne sera sans doute jamais réglé, au fond.
Le film raconte le chemin des époux Loving qui a mené à l’arrêt « Loving v.Virginia », abrogeant, en 1967, les dernières lois contre le métissage. Force est de constater que si Jeff Nichols a voulu nous raconter cette histoire sans pathos, tout en retenue, c’est réussi. Trop. Car, justement, c’est ce qui m’a rebutée. Qu’il n’enfonce pas, quand même, un peu le clou. Le climat social était violent en 1958 ! Et le sujet est tellement grave.
J.Nichols décide de nous faire deviner. Pas à demi mot, ici, car on ne parle pas beaucoup, mais à tel et tel regard … Dans le contexte, ça ne pouvait pas se passer comme ça. Le sujet de la ségrégation est violent en soi. Exemple : le pavé enveloppé de l’article de journal, ne peut pas avoir été déposé gentiment sur le siège ! Il ne peut qu’avoir fracassé le pare brise. Comme la scène du prisonnier noir que le policier fait passer devant la cellule de Mildred en disant qu’il devrait le mettre dans la même cellule qu’elle. On imagine la suite. Subtilement, Jeff Nichols choisit de nous le suggérer.
Et j’ai trouvé la scène cruciale du bar complètement ratée, surjouée. Trop et pas assez.

Mais, surtout, ce que je n’ai pas aimé c’est la version que Jeff Nichols fait de Richard.
Il veut tellement qu’on comprenne son origine modeste, son esprit simple qu’il en fait un personnage quasi simple d’esprit ! C’est effrayant. Ce n’est pas parce qu’on est simple, qu’on n’a pas d’esprit. Il n’est pas comme ça, Richard. Ils n’étaient pas comme ça les Loving. Ils sont simples mais surtout jeunes, amoureux, vivants, quoi ! Leur amour inconditionnel aurait mérité d’être plus palpable . Il manque pour moi un élément essentiel dans ce film : l’étincelle au fond des yeux de Richard (et Dieu sait qu’elle n’y est pas l’étincelle !). Cette étincelle qu’on voit très bien, à la fin du film, sur la photo des vrais Loving : Richard et Mildred sont sur le sofa. Richard s’est allongé et a posé la tête sur les genoux de Mildred. Il rit. Elle rayonne. Ils sont en fusion.

J’aurais voulu que le cas Loving soit traité autrement.
Voilà, je suis passée à côté du film et je me sens bien seule …

Marie-Noël

PS : mais qu’est-ce-qui a poussé J.Nichols à faire faire ce brushing bizarre (zarbi serait plus approprié) à la pauvre petite Peggy ???

 

 

« Harmonium » de Koji Fukada

 

Prix du jury Un Certain Regard au Festival de Cannes 2016Du 9 au 14 mars 2017Soirée-débat mardi 14 à 20h30
Présenté par Marie-Annick Laperle

Film Japonais (vo, janvier 2017, 1h58) de Kôji Fukada avec Tadanobu Asano, Mariko Tsutsui et Kanji Furutachi.

Synopsis : Dans une discrète banlieue japonaise, Toshio et sa femme Akié mènent une vie en apparence paisible avec leur fille. Un matin, un ancien ami de Toshio se présente à son atelier, après une décennie en prison. A la surprise d’Akié, Toshio lui offre emploi et logis. Peu à peu, ce dernier s’immisce dans la vie familiale, apprend l’harmonium à la fillette, et se rapproche doucement d’Akié.

 

Titre original « Fuchi ni tatsu » : Au bord du gouffre

L’harmonium est un instrument à vent et à clavier qui, je trouve, a cette particularité de ne jamais être harmonieux tant le mécanisme rend le son laborieux, poussif, rauque, grinçant. Sans âme.
Dans une famille, une maison et un environnement « copiés collés », on verra que le même air joué sur un piano est tout autre. C’est l’harmonie, la sérénité. L’affiche du film.

Juste avant cette scène du piano, ils partent tous les quatre : le père, Toshio, la mère Akie, la fille Hotaru et Takashi, le fils de Yasaka, à la recherche du responsable de leur malheur. Il cherche la rue de la photo. Et soudain ils entendent et reconnaissent « l’air de Yasaka » et se mettent à courir vers la musique. A courir à toute allure vers leur « salut ». Puis c’est la scène du piano : ils sont devant ce tableau de paix familiale, un mirage, et s’excusent vite d’être là. Ils ne peuvent tout simplement pas entrer dans cette harmonie, dans leur vie rêvée d’avant. D’avant le malheur.
Ce malheur qui a frappé Hotaru et sa mère.
Je ne pense pas que Yasaka soit coupable de ce malheur là. Je crois qu’Hotaru est tombée. Yasaka l’avait déjà surprise en acrobatie, entortillée dans les barres métalliques de la structure de l’aire de jeux. Là elle sera probablement tombée et la chute est pire que fatale.
Avant ce malheur, LE malheur c’est la rencontre d’Akie et de Toshio. Se conformer aux règles, avoir un mari, 1 enfant et des repas a préparer pour le reste de sa vie, avoir des bols à laver tout le temps … Un calvaire déjà en soi et en plus avec cet homme fermé, mutique. Et faux. Double peine.
C’est intéressant dans ce film de voir les personnages se nourrir. Ils sont d’abord trois. La mère dit le bénédicité, qu’elle inculque à sa fille. Le mari est ailleurs, perdu pour Dieu. Ils sont ensuite quatre avec Yasaka qui s’invite à leur table. Là Y.Kukada force un peu le trait sur le côté yakusa (pas le pire) du personnage et on voit bien le rapport de Yasaka à la nourriture : il l’engloutit ! et bruyamment ! Il en a sans doute manqué dans sa vie, ne serait-ce qu’en prison où il vient de passer 10 ans. Une chose est sûre : on n’a pas envie de manger en face de lui. (mais il lave ses bols !)
Takashi est différent. Il ne s’impose pas mais accepte avec plaisir l’invitation du père avec un « j’ai faim » presque enfantin.

Takashi est très étrange. Il perce des trous G1, G5 etc … avec l’application de l’employé modèle. Et, avec les mêmes mains, fait le portrait délicat, à l’aquarelle, d’Hotaru. Sa face cachée à lui. Il est comme fasciné par Hotaru. Jusqu’à l’embrasser fougueusement, en cachette (croit-il). Syndrome « Parle avec elle » ? Qu’est-ce qu’il sait, au juste, lui qui détient LA photo. Que lui ont révélé les lettres que son père a toujours continué à écrire à sa mère ?
A Akie le questionnant sur le destinataire de cette correspondance, Yasaka mentira et dira les envoyer à la mère du jeune homme qu’il a assassiné.
Comme Akie lui annonce dans la voiture, Takashi  veut bien qu’elle le tue devant son père retrouvé, comme si voir son père, qu’il ne connaît pas, idéalisé par l’image de sa mère amoureuse de lui toute sa vie, était l’aboutissement de sa vie, à lui, Takashi.
Le personnage d’Akie m’a, bien sûr, touchée. Voir son enfant dans cet état, c’est absolument insupportable.
Pendant la première partie du film, elle est dans le déni, dans l’oubli d’elle-même. Elle est conforme à l’image de l’épouse et mère stéréotypée : attentionnée, nourricière, ménagère, couturière, lavandière, charitable. Et transparente. Et dans la deuxième partie du film, en bonne mère chrétienne, elle est coupable, se sentant entièrement responsable du malheur de son enfant. A cause de deux trois « bécots » donnés à cet homme qui, lui au moins, lui parle ! Ça serait cher payer  …
Yasaka raconte que la mère du jeune homme qu’il a assassiné, lors du procès, se frappe elle-même, se gifle avec force. Elle se sent, elle aussi, coupable et responsable. Coupable et responsable de ne pas avoir su protéger son enfant.
Akie aura le même geste juste après les aveux de son mari. Elle se châtie en plus de porter sa croix sans faiblir .

On notera le changement du décor dans la deuxième partie du film : la partie habitat est la même mais sale. Akie a arrêté de frotter les parties communes. Elle réserve ses soins et toute son énergie exclusivement à Hotaru , à la bulle dans laquelle elle l’a placée et où elle seule a le droit de pénétrer.

Et il y a le blanc immaculé de la chemise de Yasaka, de sa combinaison de travail immaculée, elle aussi. Il est en blanc en toute circonstance (même à la pêche).
Sauf en haut du pont. On voit enfin que sa chemise est rouge. Rouge comme la jolie robe du drame, rouge comme le sac à dos de Takashi qui contient ses couleurs et les photos. Rouge comme les toits vernissés du village où se trouve l’explication.

Le blanc, le rouge, les ronds métalliques découpés à longueur de temps et on mélange ! Mais là ça coupe.

Le vieillissement des acteurs est bien réalisé . Ils ont manifestement, un grand malheur et  huit ans de plus pour la mère, huit ans de plus pour le père.

Les japonais protestants ne sont pas de tout repos !
Idem pour d’autres combinaisons, au choix.

Bien plombant « Harmonium » mais très intéressant.
Et chapeau aux acteurs qui font passer toutes ces émotions à travers le masque japonais. C’est très fort !

Marie-Noël

« Ouvert la nuit » de Edouard Baer

Nominé au Festival du film francophone d’AngoulèmeDu 2 au 7 mars 2017Soirée-débat mardi 7 à 20h30
Présenté par Marie-Noël Barnier-Vilain

Film français (janvier 2017, 1h37) de Edouard Baer avec Edouard Baer, Sabrina Ouazani, Audrey Tautou, Grégory Gadebois et …. Michel Galabru

Synopsis : Luigi a une nuit pour sauver son théâtre. Une nuit pour trouver un singe capable de monter sur les planches et récupérer l’estime de son metteur en scène japonais ; une nuit pour regagner la confiance de son équipe et le respect de sa meilleure amie – qui est aussi sa plus proche collaboratrice… et pour démontrer à la jeune stagiaire de Sciences Po, tellement pétrie de certitudes, qu’il existe aussi d’autres façons dans la vie d’appréhender les obstacles…

 

A Paris aussi tout est plus beau la nuit.

C’est une nuit où Luigi se retrouve tout près du gouffre. Échecs humains, professionnels, la mort soudaine de Dazaï, le metteur en scène japonais …
Il semble arrivé au point de non retour et, pourtant, commence alors une «Traversée de Paris », une visite d’un Paris nocturne , de « son » Paris, ni branché ni nostalgique, réel et multiculturel.
Magnifiquement mis en image par Yves Angelo.
Paris est magnifique. C’est du haut d’un parking que Luigi aime regarder le soleil se coucher.
Edouard Baer dit qu’«il s’agissait de filmer une déambulation. Il ne fallait pas s’arrêter, il fallait filmer Paris sans que ça fasse documentaire, filmer les monuments sans appuyer, aller dans des endroits singuliers sans les rendre pittoresques, filmer cette traversée avec un effet de direct, privilégiant les plans séquences».
C’est très réussi.

Luigi a un style de vie singulier, adepte de «la vie de hasard». Il y a des gens comme ça qui ont ce don de transformer chaque instant de la vie en aventure. Il balade une énergie particulière, un univers avec lui où on s’intéresse plus aux gens qu’aux lieux. Il a constamment besoin de créer le contact, éphémère, superficiel, souvent. Mais il crée le contact. Puis advienne que pourra . Luigi est menteur, lâche, flambeur. Et violent car décréter la joie et l’action permanente, le culte du superficiel et de la légèreté dans les rapports humains, c’est violent. Luigi est un sale type, oui,  sûrement, un peu.  Mais il est aussi généreux et ensorcelant. Son sourire carnassier et son regard pétillant, son énergie subjuguent, le rendent terriblement attachant. On le suit. Ou pas.

« Ouvert la nuit » nous fait passer derrière le rideau (de velours ou de fer) du théâtre. On approche les métiers de coulisses, directrice de production, régisseur, éclairagiste, costumière, de ce monde en perpétuelle effervescence.  Luigi est directeur de théâtre et son énergie, son enthousiasme ne peuvent jamais fléchir. Il faut être de sa trempe, ne pas avoir peur du risque, pour faire ce métier et ce n’est donc pas donné à tout le monde. C’est comme un sacerdoce, il ne vit que pour son théâtre : la pièce doit marcher à tout prix. Faire fonctionner un théâtre c’est quelque chose de très particulier, de difficile au jour le jour, l’avenir n’est jamais assuré. C’est une entreprise différente d’une entreprise ordinaire. Luigi est aussi un patron à l’ancienne, tendance paternaliste, certes …
Il refuse de considérer l’argent comme un problème. Pourtant il passe la majeure partie de son temps à résoudre, avec l’aide précieuse de Nawel, des problèmes d’argent.
Le film traite aussi de la vie amoureuse et familiale dans le monde de la création artistique. Luigi vit au théâtre, nuit et jour. C’est un séducteur invétéré donc toute relation de couple est pour lui impossible. Et non souhaitée ! Sa famille ce sont les acteurs, les techniciens, sa plus proche collaboratrice qui le surprend dans un placard. Il lache son « ce n’est pas ce que tu crois » de rigueur comme celui qu’il lui avait servi à elle, quelques années plus tôt … Il sait qu’il a raté quelque chose d’où sa déclaration quand il est chez elle . Elle prend ça comme une tirade de théâtre et lui-même redescend aussitôt, reconduit gentiment à la porte par le mari qu’ il venait de tenter de faire changer de rôle ! Faire durer une relation, créer une famille c’est peut-être encore plus difficile dans le milieu artistique. Luigi est très entouré mais seul. Il a mis ses enfants entre parenthèses. Il passe les voir par hasard, au petit matin. Il vient surtout se reposer mais le lit conjugal est occupé maintenant par Jacques. Tant pis. Il repart.
Luigi est égoïste, ne se préoccupe pas de la vie privée de son équipe. Vie privée ? c’est un terme qui ne lui parle pas beaucoup.
Le bébé c’est le concret, la vie ménagère qu’il a passé et passe sa vie à fuir. Un bébé il faut s’en occuper, le nourrir,  il prend naturellement le devant de la scène, il rythme la vie des autres. Insupportable ! Alors on est enfermé comme ça dans une cage ? Plus de bruit, de musique, de mouvement, de lumières ? Pour Luigi c’est un cauchemar !
Il passe le relai.

Luigi aime la nuit et tout ce qu’elle promet. C’est pour lui le moment où tout se passe, où les codes sociaux habituels sont oubliés.
Les deux personnages principaux sont en smocking, tenue à la fois de service et de soirée : Faeza est en smocking chemise blanche : elle avait été « mise au bar » du théâtre car on ne savait pas trop quoi en faire de cette stagiaire et Luigi est en smocking chemise rouge car en tant que directeur du théâtre et d’après son code vestimentaire c’est sûrement la tenue adaptée pour aller chercher 500 000 euros la nuit.
Luigi s’appelle en fait Louis. Un clin d’œil aux personnages fantasques des comédies italiennes. Luigi est un fanfaron.
Le singe résume bien le personnage de Luigi, le décalage des préoccupations qu’on peut avoir dans ces métiers de spectacle. Et c’est grâce à toutes ces préoccupations permanentes qu’il peut échapper à ses angoisses, comme celle que lui renvoie son vieux père, égaré, et réduit à la « mendicité » version caviar auprès de la toute puissante Ingrid Pelissier. C’est un monde cruel où on peut tomber très bas.

Luigi aime être sollicité en permanence. Le laisser tranquille c’est à peu près le pire qu’on puisse lui infliger.
Faeza lui plait car elle lui tient tête, elle est volontaire. C’est une fille d’aujourd’hui, qui fait Sciences Po et qui est issue « des quartiers ». Elle n’est pas née avec « une cuillère en argent dans la bouche » ou à portée immédiate des « cuillères en argent » des autres comme Luigi (comme E.Baer).

Luigi est aimable et détestable.
Comme tout le monde, plus ou moins. Et sa vie à lui, au moins, est trépidante.

« Ouvert la nuit » n’est pas un « grand » film, sans doute.
Edouard Baer fait peut-être, un peu trop son Edouard Baer . Mais pas tant que ça, le type a un bel ego …
J’ai aimé cet univers, sa folie acide et douce, le rythme, les images d’Yves Angelo, Paris comme ça la nuit et tous les acteurs.

Et c’est déjà pas mal

Marie-Noel

 

 

« Diamond Island » de Davy Chou (1)

Prix SACD à la Semaine Internationale de la Critique 2016 et Grand Prix au Festival du Film de Cabourg 2016Soirée-débat mardi 28 à 20h30

 

Présenté par Françoise Fouillé
Film cambodgien (vo, décembre 2016, 1h43) de Davy Chou avec Sobon Nuon, Cheanick Nov et Madeza Chhem

Synopsis : Diamond Island est une île sur les rives de Phnom Penh transformée par des promoteurs immobiliers pour en faire le symbole du Cambodge du futur, un paradis ultra-moderne pour les riches.

Bora a 18 ans et, comme de nombreux jeunes originaires des campagnes, il quitte son village natal pour travailler sur ce vaste chantier. C’est là qu’il se lie d’amitié avec d’autres ouvriers de son âge, jusqu’à ce qu’il retrouve son frère aîné, le charismatique Solei, disparu cinq ans plus tôt. Solei lui ouvre alors les portes d’un monde excitant, celui d’une jeunesse urbaine et favorisée, ses filles, ses nuits et ses illusions.

 

Je suis un peu restée sur ma faim.
A la fin du film, j’avais vraiment envie qu’il finisse, ce qui n’est pas super.
Pourtant, en y repensant …

Davy Chou a un style c’est indéniable, ses images et l’atmosphère qu’elles créent sont vraiment signées.
Mais ça ne fait pas un film (encore que quand on pense à « the Assassin »de Hou Hsiao-hsien …)

En plus des images en plans larges, ce qui m’a plu c’est de découvrir cette île et d’entendre le cambodgien, cette langue étrange : monocorde, faite de sons brefs qui collent évidemment aux attitudes, aux postures des personnages. Les visages aux traits immobiles filmés en longs plans fixes sont magnifiques. Dans ces yeux sombres qui nous regardent, en regardant bien on perçoit les émotions. Mais il faut bien regarder .

Le film commence par le départ de Bora de sa campagne si verte mais si pauvre. Les adieux à sa mère sont « en mode cambodgien » et même si on sait bien qu’en Asie, les effusions de peine ou de joie sont indécentes, ça fait quand même un drôle d’effet …
Il arrive avec son ami Dy à Diamond Island et, ce qui est pour ces travailleurs de chantier un enfer, commence.
Mais on ne voit pas cet enfer. Il n’est que vaguement évoqué et ça m’a gênée. La rudesse des conditions de travail des personnes arrachées à leur campagne, muées par leur pauvreté, pour construire des « fucking » palaces et autres gratte-ciels, est connue et il ne faudrait manquer aucune occasion de la montrer, sans forcément la souligner en gras, de la reconnaître. Ces jeunes sont pleins de vie et d’énergie mais tellement exploités, pressés comme des citrons, à Diamond Island ou à Palm Islands, qu’aucun d’entre eux ne se préoccupe longtemps d’être stylé ou pas stylé.
Ce n’est pas le sujet du film, soit.

Bora arrive à Diamond Island et son chemin croise celui de son frère Solei parti cinq ans plus tôt du village, sans laisser d’adresse, sans donner de nouvelles depuis et pour cause : il ne soutiendrait pas le regard de sa mère ni celui de son frère aîné sur ce qu’il est devenu. Bora croise donc par hasard le chemin de Solei, enfin, son chemin, non, pas son chemin car les personnages ne cheminent pas : pour simplement bouger il faut avoir une moto. Le chemin de Solei passe par la position de Bora. Pour bouger, il faut une moto, pour séduire une fille il faut une moto, pour chanter il faut un karaoké (les paroles des chansons populaires, c’est quelque chose !). Ils s’engluent dans « le progrès ». Solei a basculé de l’autre côté du pont. Bora choisira d’y basculer aussi après la mort de sa mère qui était sa référente. Pour se sortir de sa misère, il suivra Solei, il sacrifiera son amour pour Aza. Il roulera sans fin sur une moto phosphorescente avec une fille stylée derrière lui. A quoi bon ? Ca le mènera où ?  Bora, comme Solei, a choisi et entérine, comme Solei avant lui, le fait que ceux des campements de Diamond Island, sauf rare exception dont Aza ne fera pas partie, sont condamnés à y rester.
Aza, qui n’a jamais, de sa vie, passé le pont, l’accepte. A-t-elle jamais vraiment cru à l’Amérique ? Elle reste à la place qui semble lui avoir été attribuée à vie et joue le jeu de l’épanouissement. En chantant avec Virak, son sourire très large est démoralisant.

Reste cet environnement monstrueux bâti au prix de tant de misère, de malheur, de déracinements, de solitudes.
Désespérant. Autant qu’ailleurs.

Marie-Noel

 

OSCARS 2017

Vu en direct la remise de l’Oscar du meilleur film

Qu’on se le dise :
« Moonlight » de Barry Jenkins a remporté l’Oscar du meilleur film
« Moonlight » de Barry Jenkins a remporté l’Oscar du meilleur film
« Moonlight » de Barry Jenkins a remporté l’Oscar du meilleur film
« Moonlight » de Barry Jenkins a remporté l’Oscar du meilleur film
« Moonlight » de Barry Jenkins a remporté l’Oscar du meilleur film 

Comment réparer la bourde de Warren Beatty et Faye Dunaway (tous les deux sans lunettes) ???
Malheureusement, on ne peut pas rembobiner et le fait est que l’instant magique de l’ouverture de « son » enveloppe, de l’annonce dans le silence total de l’immense théâtre Dolby de la victoire de son film Moonlight a été volé à Barry Jenkins et à son équipe !!!
C’est irréparable, révoltant !

Warren Beatty aurait eu en main l’enveloppe du prix de la meilleure actrice décerné juste avant à Emma Stone …
A cette cérémonie où tout semble tellement huilé, organisé, orchestré, minuté, convenu.
Incroyable ! Impossible !
Et pourtant …

Décidément, quel bazar aux States

Minable

Marie-Noel

 

« Corniche Kennedy » de Dominique Cabrera

Prix Claude Chabrol au Festival du film du Croisic 2016Du 16 au 21 février 2017Soirée-débat mardi 21 à 20h30
Présenté par Laurence Guyon

Film français (janvier 2017, 1h34) de Dominique Cabrera avec Lola Creton, Aïssa Maïga et Moussa Maaskri.
d’après le roman de Maylis de Kerangal

 

Alors, après avoir dormi dessus, j’ai quand même envie de mettre quelques mots dans le blog sur ce film, somme toute, assez déconcertant, car les personnages/acteurs m’ont intéressée.

En tout premier, Medhi/Alain Demaria (un Alain de 16 ans) m’a touchée avec son coeur gros comme ça et sa bouille de poupon. Il va évidemment s’endurcir. ll va bien falloir qu’il mette ses pas dans les pas de son frère dont il garde déjà le temple. C’est révoltant mais comment faire autrement. Il le dit : pour eux, ceux de la corniche, il n’y a pas d’autre choix : sauter, dealer. C’est un monde effrayant et on a mal de savoir que, malgré tout l’amour qu’il porte à son petit frère, à sa mère, si petite elle aussi, il va probablement rencontrer tant d’embûches qu’il basculera, lui aussi. Personne pour l’aider ? Le père s’est tiré depuis belle lurette ! c’est lui, le minot, qui est devenu l’homme de la famille. Sans avoir eu le temps de grandir. Abandonné par son père.
C’est un énorme problème de société ça : courage, fuyons ! les pères s’en vont.
Alors Medhi, il brave sa peur, il rassemble son courage et il saute du haut de la corniche. Il s’entraîne à sauter toujours de plus haut, en prenant toujours plus de risques.
J’ai aimé son regard . Un Medhi amoureux c’est très touchant. Quand il respire les cheveux de Suzanne, on sait leur parfum.

En écrivant, je m’aperçois, qu’en fait, seul Medhi m’a vraiment intéressée … et aussi le trio Medhi/Suzanne/Marco parce que les dés sont jetés depuis la naissance. Marco c’est le charme à l’état pur. Ce qu’il dégage est inné et Suzanne est prise dans ses filets. Medhi ne pourra pas lutter. Il le sait et on le sait aussi depuis le début. Les images de Suzanne avec Marco sont magnifiques. Ils sont très beaux et leurs beautés s’accordent parfaitement.

Suzanne/Lola Creton et son intégration dans la bande semble vraiment super easy. Trop. A part la première rencontre où elle est un peu malmenée sinon, après, elle « pique » les deux beaux gosses et les filles laissent faire ! L’une lui dit qu’il va falloir qu’elle choisisse, une autre que tout ça va mal finir. C’est presque une conversation de salon. Mais dans l’eau . C’est vrai que c’est un film et on n’a pas le temps de dessiner un mouton mais justement c’est un film alors à la réalisatrice de nous faire percevoir le rapprochement forcément lent de ces deux mondes. Ici on ne le perçoit pas.

Marco/Kamel Kadri patauge avec les requins. Il est magnifique mais pas très convaincant. Cette histoire policière n’a pas beaucoup d’intérêt et le pire c’est que Awa/Aïssa Maïga ne semble pas s’y intéresser non plus !
Au tout début du film elle est déjà là ! Elle passe, ni vue ni connue, en jogging, dit aux plongeurs que c’est dangereux;  fait des photos ! Par hasard, elle est tombée sur eux. Son collègue lui dit d’ailleurs qu’elle a eu du nez car il a une photo du chauffeur d’Abdel le terrible et justement c’est un des plongeurs de la corniche ! Tu parles !

On aurait bien voulu faire connaissance avec les plongeurs avant, tranquillement, entre nous. La place donnée à cette histoire policière est disproportionnée. On aurait aimé que les personnages secondaires soient plus travaillés. Ils sont sûrement très intéressants. On passe à côté.

C’est pour moi, comment dire, un film inabouti, un film de débutant.

Que tous ces jeunes s’éloignent de la corniche et du reste.
Avant d’y laisser leur peau

Marie-Noel

 

« Fais de beaux rêves » de Marco Bellochio (2)

 


Film italien (vo, décembre 2016, 2h10) de Marco Bellocchio avec Valerio Mastandrea, Bérénice Bejo, Guido Caprino et Emmanuelle Devos
Titre original Fai Bei Sogni

Belphégor est, je pense, ma plus grande peur « en images ». En 65, j’avais à peu près l’âge de Massimo au début du film et j’ai pris de plein fouet cette série qui m’a marquée durablement. Je confirme que c’était absolument terrifiant pour un enfant d’une dizaine d’années ! Je me cachais les yeux de ma main . Il fallait se cacher les yeux et c’est ce que la mère de Massimo fait. Elle lui cache les yeux de sa main dans un geste tendre mais ferme et il n’a sans doute pas vu Juliette Gréco sauter dans le vide …  Mais il a vu cette femme double : une douce jeune femme toute de clair vêtue qui se transforme en Belphégor fantôme du Louvre, visage recouvert d’un masque de cuir noir, regard fixe, tout de noir vêtu.

Sa mère aussi semble avoir eu deux visages. Elle riait puis aussitôt pleurait puis aussitôt riait. Elle le « mangeait des yeux » et l’instant d’après le fixait sans le voir. Elle oubliait momentanément sa présence, son existence. Comme lorsque, cachée dans un carton,  il la cherche « pour rire » et qu’il ne la trouve pas et ne la trouve toujours pas et la cherche alors « pour de vrai »au bord de la panique, zigzaguant dans l’appartement de part et d’autre de ce couloir, lieu central de sa vie. Elle se montre enfin et alors il peut se blottir contre elle dans le carton refermé sur eux deux. C’est comme ça qu’il est bien. Mais pas rassuré. Sa mère n’est pas rassurante.
On ne voit pas son père dans cette période de fusion mère/fils . Sauf juste avant et juste après le drame.
Juste avant le drame,  il observe sa femme par la porte entrouverte de la chambre de leur enfant : elle se penche sur lui et lui murmure « fais de beaux rêves », elle enlève sa robe de chambre et la laisse sur le lit de son fils. (pour laisser son odeur ? ) .
Juste après le drame, au milieu du chaos il est emmené entre deux carabinieri. Il sort de l’appartement en jetant un regard à son fils terrorisé, sans un mot. On ne reviendra pas là-dessus. Mais on peut se demander s’il n’a pas poussé sa femme du 5ème étage.
On ne voit jamais ses deux parents ensemble à part sur les photos dans le salon. Quand Massimo voit deux amoureux s’embrasser dans un bus, il s’en inquiète auprès de sa mère : « ils sont fiancés ? » fiancés ! Sa mère ne lui cache pas les yeux mais  lui dit de ne pas regarder .
Elle ne semble pas pressée de rentrer à la maison préférant refaire un tour « un giro »,  le circuit complet de la ligne de bus.
A qui pense-t-elle quand elle jette le bouquet dans le fleuve ?
Sa mère est mystérieuse, inquiétante mais elle est surtout irremplaçable et immortelle comme toutes les mères de tous les petits garçons du monde.
Quand elle disparaît, sa peine normale sera immense mais le problème est qu’il restera inconsolable car sa mort restera résolument inexpliquée. Cette absence transformée par les adultes en amputation sera le début de son calvaire.
Pourtant ce n’est pas tant de savoir comment elle est morte qui l’aurait libéré, c’est de la voir morte. C’est ce qu’il réclame : qu’on ouvre le cercueil. Avec tout son bon sens d’enfant il sait déjà que son deuil ne peut se faire que comme ça.
Toutes les femmes ne sont pas maternelles le pire exemple étant sa nounou qui ne veut pas remplacer sa maman. Pourquoi son père a-t-il choisi cette personne glaciale pour s’occuper de son fils orphelin ??? Quelle cruauté !
Comment sont les mères dans ce film ?
Celle de Simone. Il écrit son désarroi et sa crainte de devoir supprimer sa mère tant elle est exécrable . Et le fait est que sa mère l’est (devenue), exécrable !
Celle d’Enrico particulièrement envahissante (on frôle le comportement incestueux) et que son fils repousse « hors des murs » mais qui revient, s’immisce et se vautre sur le lit attirant tout contre elle son adolescent .Et qui reprend l’instant d’après une attitude de normalité maternelle chantant « Colchiques dans les prés, fleurissent, fleurissent » !  Les enfants sont enfermés, bloqués, dans ses bras, de chaque côté. Immobilisés.
Celle de Sarajevo qui est assassinée et laisse son petit garçon plongé dans le déni, qui continue son jeu comme si de rien n’était, limitant son champ de vision au petit écran de sa game boy, faisant momentanément abstraction de tout ce qui l’entoure.
A la piscine, celles alignées au balcon surplombant le bassin où les élèves et Massimo s’entraînent et qu’on voit défiler une par une devant nos yeux. Quelles sortes de mères sont-elles, toutes ces femmes penchées sur eux ? Sur nous ? Au moins, elles, sont là, vivantes.

Puisse Elisa être celle qui le fera passer à autre chose après qu’il a eu LA réponse qu’il semblait chercher depuis si longtemps.
Puisse Elisa être aussi celle qui lui indiquera l’adresse d’un bon psy pour qu’il puisse poser LES questions qui continueront inévitablement à le hanter .

Très beau film, dérangeant. Mise en scène magistrale. Un puzzle dont chaque pièce se transforme en « poupées russes ».

Marie-Noël

 

 

 

 

« Manchester by the sea » de Kenneth Lonergan

Prix du meilleur acteur dans un drame au Golden Globes 2017 pour Casey Affleckdu 2 au 7 février 2017Soirée-débat mardi 7 à 20h30
Présenté par Marie-Annick Laperle
Film américain (vo, décembre 2016, 2h18) de Kenneth Lonergan avec Casey Affleck, Michelle Williams et Kyle Chandler

Synopsis : Manchester by the Sea nous raconte l’histoire des Chandler, une famille de la classe ouvrière, du Massachusetts. Après le décès soudain de son frère Joe (Kyle Chandler), Lee (Casey Affleck) est désigné comme le tuteur de son neveu Patrick (Lucas Hedges). Il se retrouve confronté à un passé tragique qui l’a séparé de sa femme Randi (Michelle Williams) et de la communauté où il est né et a grandi
J’ai bien pleuré, bouleversée par toute cette histoire racontée par touches, par flash-back. Tous les éléments s’ajoutent au fur et à mesure, se placent, s’ordonnent, se stabilisent. Et devant nous s’étale l’irréparable, immensément.
Tout le récit est d’une grande pudeur. Sans violon. Sans trop de violons.
A priori les personnages sont sans histoire. Lee est un jeune père de famille comblé, très amoureux de Randi, la mère de ses 3 enfants. Il vit « by the sea » et la pêche a une grande importance dans sa vie. Les sorties en mer avec son frère Joe sur le bateau, qui porte le prénom de leur mère Claudia Marie, sont des moments de pur bonheur. Son jeune neveu Patrick, Patty, est souvent de la partie et parle avec cet uncle Lee qu’il adore et vice versa. Sur le bateau, Joe et Patty sont déconnectés de leur gros problème : Elise, leur épouse et mère est « grave » alcoolique. La scène du retour de pêche est sordide mais la caméra est face aux père et fils qui entrent. Le réalisme du tableau, d’une grande brutalité pour Joe et encore plus pour Patty , nous est épargné, à nous. C’est pire. On voudrait que l’enfant soit épargné.
Mais l’irréparable n’est pas là, non, il est dans la tragédie que va provoquer involontairement Lee par son comportement pourtant « normal ». La suite d’une « fête » entre potes, bien arrosée, bien enfumée, comme d’habitude sauf que là … Il en sera anéanti, mutique à jamais, envahi par la tragédie, incapable de penser à autre chose, mort. Coupable mais déclaré innocent, il cherchera à se faire « démolir » pour payer encore et encore pour cette faute, faisant tout  pour, si possible, rester par terre, ne jamais se relever. Pour que son  corps aussi cesse de vivre.
On ne peut pas s’en relever. Il ne cherchera pas à s’en relever, ne se laissera pas distraire de sa peine, n’acceptera aucune main tendue. Quand, paradoxalement, la disparition de son frère lui ouvrira une porte sur la vie, il refusera cette renaissance et retournera à son purgatoire qu’il aménagera toutefois et entrouvrira pour Patty, au seul Patty.
Randi, elle, ne s’en remettra jamais non plus mais elle aura un enfant.

C’est un film sur l’irréparable, l’irrémédiable, l’irréversible, l’accablement, le sentiment de culpabilité . Et sur les dommages collatéraux provoqués par l’alcool((isme).

Et aussi sur la famille, l’amour fraternel, sur l’amour .
Lee et Randi s’aimaient, s’aiment et s’aimeront toujours.

Un beau mélo

(souligné d’Albinoni, de cet adagio beaucoup, beaucoup entendu ici dans les années 70 … qui enfonce inutilement le clou. Un peu dérangeant)

Marie-Noël

 

 

« Baccalauréat » de Cristian Mungiu (3)

Prix de la mise en scène au Festival de Cannes 2016

Présenté par Georges Joniaux
Film roumain (décembre 2016, 2h08) de Cristian Mungiu avec Adrian Titieni, Maria Drăguș et Lia Bugnar

Jusque là, il a tenu bon, Roméo. Il est resté fidèle aux règles morales qu’ils s’étaient fixées lui et son épouse Magda quand ils sont revenus en Roumanie après Ceausescu, avec, alors, la volonté, la certitude de reconstruire, de faire coller la réalité avec ce qu’ils avaient espéré. Mais le terrain était resté miné et il fallait juste apprendre les nouveaux codes . Faire avec . Fonctionner quand même tout en restant intègres par fidélité à une éthique devenue dérisoire, décidés à ne pas marcher dans les combines.
Roméo est médecin, il travaille dans un hôpital. Il est intéressé par ce qu’il fait, rencontre les patients, fait aussi des rencontres. Il a équilibré sa vie, tant bien que mal.
Magda, elle, est bibliothécaire. Il y a bibliothécaire et bibliothécaire. Pour elle c’est la version isolée avec des vieux livres dans le sens livres usagés, tous plus moches les uns que les autres, rangés sur des étagères minables dans un local minable, en sous-sol, avec éclairage artificiel, sans ouverture sur l’extérieur. Sans combines alors sans espoir de trouver mieux. De quoi devenir neurasthénique et c’est bien ce que Magda semble être devenue au fil des jours et des années.
Son Roméo va voir ailleurs. Pas sûr que ça lui fasse du mal. Ses rêves se sont envolés.
Leur amour s’est délité.
Reste leur fille, Eliza.
Eliza qui a sur le dos toutes les frustrations de ses parents, prise en sandwich entre leurs deux adorations. Elle doit et va réussir tout ce qu’ils ont raté. A commencer par partir de ce pays pourri. Elle est depuis l’enfance « condamnée » par eux, à vivre, après le baccalauréat, ailleurs et sans eux. Elle est comme téléguidée. Quand il y a LE bug, elle déraille et son père mettra alors tout en oeuvre pour la remettre sur les rails. Il fera fi de tous ses principes, prêt à tout, prêt à rentrer dans toutes les combines (sauf les enveloppes), rendre des « services » . On le comprend 5/5.
Eliza devra savoir et rentrer dans la combine pour qu’elle fonctionne. Son regard sur son père changera alors définitivement et un grand doute l’envahira : « Il y en a eu d’autres des combines comme ça ? Mes résultats brillants c’était mes résultats ou le résultat des combines de mon père ? Je suis qui, en fait ? » De quoi flipper à vie …
Mais Eliza est grande, elle a déjà vécu des situations violentes, perturbantes . Et elle est roumaine.
Lors de la dernière scène, elle raconte à son père qu’elle a pleuré à dessein, pour que l’examinateur lui laisse plus de temps, à cause de son bras cassé . Et elle lui dit  » je me suis bien débrouillée, hein ? » pour lui signifier qu’elle a compris comment ça marche.
Eliza croit qu’elle a tiré les ficelles.

Très beau film qui ne laisse pas entrevoir de changement à court terme en Roumanie …