« GLORY » Slava (Слава) de Kristina Grozeva et Petar Valchavov


Film bulgare (vo, avril 2017, 1h41) de Kristina Grozeva et Petar Valchanov avec Margita Gosheva, Stefan Denolyubov et Kitodar Todorov

Titre original : Slava
Distributeur : Urban Distribution

Synopsis : Tsanko, un cantonnier d’une cinquantaine d’années, trouve des billets de banque sur la voie ferrée qu’il est chargé d’entretenir. Plutôt que de les garder, l’honnête homme préfère les rendre à l’Etat qui en signe de reconnaissance organise une cérémonie en son honneur et lui offre une montre… qui ne fonctionne pas. Tsanko n’a qu’une envie : récupérer la vieille montre de famille qu’on ne lui a pas rendue. Commence alors une lutte absurde avec le Ministère des Transports et son service de relations publiques mené par la redoutable Julia Staikova pour retrouver l’objet.

Affreux, « bête » et, à la fin, méchant.

Glory m’a plu. Beaucoup.

Tsanko est sale, même le jour des félicitations et récompense du ministre. Il s’était « mis propre » mais ne l’est pas resté longtemps … Il est affreusement sale, son logis est misérable. Sa saleté et ses odeurs pourraient être un formidable bouclier,  repoussant ses semblables (auxquels il ne ressemble pas) et les tenant à l’écart. Mais non. Tous le côtoient, l’approchent, lui font endosser leurs vêtements, car ils sont tous plus « crasseux » les uns que les autres. Eux, c’est à l’intérieur.
La vie de Tsanko est réglée sur les minutes, les secondes de sa Slava hors d’âge, et il suit la voie ferrée muni de sa lourde clé à resserrer les tirefonds. Il fait chaud. On a chaud et cette eau ruisselant sur sa tête aussitôt recouverte de la casquette, fait du bien, mouille un peu tous ces cheveux longs hirsutes et poils de barbe. Une barbe qui ne sera jamais rasée, il en a fait le serment.
Les chemins de traverse ne sont pas de son ressort mais pourtant il y aurait tant à faire … Il l’a signalé à son chef puis au ministre en lui précisant bien que son chef, au courant des sorties de route, n’entreprend rien.
Quand on le voit devant tous ces billets qui lui volent dans les mains, on se réjouit de sa chance. Mais Tsanko est honnête jusqu’au bout de ses ongles salis, et il remet le pactole à la police. Mais faut-il être bête !!!
Pourtant, jusque-là, tout va encore bien. Ca se gâte quand, à Sofia, on va toucher à sa seule richesse : sa montre Slava, une vraie, offerte par son père, et qu’on va mettre la vie de ses lapins en danger. Ses gros lapins gris qu’il caresse dans le sens du poil avant de les passer, chacun leur tour, à la casserole pour améliorer son bouillon clair à l’oeuf.
A Sofia, on lui offre, en guise de récompense pour son civisme, une montre Slava, une neuve, made in China, qui ne marche pas, ce qui, pour son travail, est très handicapant.
Et surtout on lui a pris la sienne qu’il va tout faire pour tenter de récupérer dans un dialogue de sourds (Tsanko bégaie sévèrement) avec tous ces fonctionnaires agités qui se moquent bien de savoir où se trouve l’objet en question devenu le symbole du gouffre entre les nantis et les nécessiteux.
Une montre, Julia Staykhova,  40 ans, la responsable des relations publiques au ministère, en a une dans le corps. Mais, toute à sa fuite en avant, à sa course éperdue vers la réussite sociale, malgré les avertissements de son mari, elle défie le Temps. L’inversion des rôles établis, l’homme voulant « materner » et la femme « réussir », est symbolisé par la scène où on voit, chez eux, le mari en peignoir douillet à gros pois face à sa femme au corps toujours contenu, sanglé.
Le journaliste qu’on espérait être le salut du cheminot, s’avère être une planche pourrie. Il fait le buzz à la télé et passe à autre chose.
Comment Tsanko peut-il être aussi naïf et balancer ses collègues dans le Pab ?
Ils le battent à mort et quand Staykhova, dans un sursaut d’humanité, vient, en personne, lui rapporter la montre retrouvée, Tsanko, filmé en contre plongée, se dresse devant elle, tondu, rasé, balafré, sanguinolent, effrayant et on entend le tintement de son lourd outil de serrage.
S’il n’est pas mort, il a fini par devenir méchant.
Et cette dernière image est réjouissante.
Merci (on aura appris par ce film que merci se dit mersi en bulgare)

Marie-Noël

 

« Les fantômes d’Ismaël » d’Arnaud Desplechin

 

 

Avec Mathieu Amalric, Marion Cotillard, Charlotte Gainsbourg plus

 Synopsis : À la veille du tournage de son nouveau film, la vie d’un cinéaste est chamboulée par la réapparition d’un amour disparu…
Ismaël Vuillard réalise le portrait d’Ivan, un diplomate atypique inspiré de son frère. Avec Bloom, son maître et beau-père, Ismaël ne se remet pas de la mort de Carlotta, disparue il y a vingt ans. Aux côtés de Sylvia, Ismaël est heureux. Mais un jour, Carlotta, déclarée officiellement morte, revient. Sylvia s’enfuit. Ismaël refuse de que Carlotta revienne dans sa vie. Il a peur de devenir fou et quitte le tournage pour retrouver sa maison familiale à Roubaix. Là, il s’enferme, assailli par ses fantômes…

Ce film est présenté en ouverture hors compétition au Festival de Cannes 2017

Le monde de Desplechin est inconfortable et les deux heures passées avec ses fantômes m’ont laissée tourmentée, fascinée aussi, assez mal à l’aise, heureuse d’en sortir mais sûre d’y retourner. Et consciente de n’en saisir qu’une petite partie. Pas frustrée pourtant : trop grand pour moi.

Mon sentiment, en sortant de la projection, était que je n’avais pas libre accès au monde de Desplechin, que ce film était, sans doute, avant tout, fait pour lui-même et quelques très proches. Aux autres, à moi, le privilège d’entrevoir son monde et les démons qui l’habitent, son monde de création sauvage et puissante, son monde de vacarme des sentiments, d’amours mortes, de regrets, de remords.
Après avoir été bloquée, j’ai très envie de revoir son film avec les clés, les codes que ce premier passage m’a laissés, pour tenter d’approcher davantage ses fantômes, de m’en laisser approcher.
Et pour voir encore ses images, ses acteurs, ses actrices que j’ai trouvé si beaux.

Marie-Noël

« Paris la blanche » de Lidia Terki

 

Présenté par Françoise Fouillé
Film français (mars 2017, 1h26) de Lidia Terki avec Tassadit Mandi, Zahir Bouzerar, Karole Rocher, Sébastien Houbani, Dan Herzberg et Marie Denarnaud
Titre original : Toivon tuolla puolen
Distributeur : ARP Sélection
Synopsis : Sans nouvelles de son mari, Rekia, soixante-dix ans, quitte pour la première fois l’Algérie pour ramener Nour au village. Mais l’homme qu’elle finit par retrouver est devenu un étranger.

Ce film fait ouvrir les yeux et regarder en face la misère de ces hommes qui ont passé leur vie, loin de chez eux à travailler ici sur les chantiers, à construire des barres d’immeubles pour loger les autres. Le bilan est déplorable . Ils y ont passé leur vie tout en étant, dans leur tête, au moins les premières années, persuadés du retour prochain et définitif au pays, au bled où « pour l’instant » ils vont presque chaque été construire la famille, concevoir les enfants Qui, l’un après l’autre, naîtront en leur absence. Quelle destin que celui de ces femmes qui auront passé leurs vies à attendre leurs maris, seuls soutiens financiers de la famille, donc interdites d’exigence de changement.

Lidia Terki peint délicatement le portrait de cet homme rendu sans attache, s’interdisant de s’imposer à des enfants dont les semaines, les années ont fini par l’éloigner à jamais. Ses séjours au bled se sont espacés et puis il n’y est plus allé. Il ne connaît pas le dernier de ces enfants, tous en photo épinglés sur son mur. Retraité, il n’a même plus le « refuge » abrutissant du travail et est condamné à passer désormais tout son temps dans ce logement exigu, dans cet environnement dévasté, seul. C’est là chez lui. Nour/Zahir Bouzerar est bouleversant.
On passe par Pigalle et sa vie de quartier où Tara/Karole Rocher, fait figure d’ange. D’elle et des personnages autour d’elle, aux vies difficiles, émane une force vitale, une énergie qui irradie et se propage. Ils sont concernés par cette femme âgée qui s’écroule. Cette solidarité est réconfortante car toute cette misère humaine, ces vies abîmées, saccagées font vraiment « mal aux tripes ».
L’irréparable continue d’être commis.

Ce film m’a beaucoup intéressée. Mais je mets un gros bémol sur le choix de l’actrice principale, Tassadit Mandi. Autant je l’avais trouvée très bien dans « Asphalte » de S.Benchetrit, autant je trouve qu’ici, c’est vraiment une erreur de casting. Pour moi, elle n’est pas du tout le personnage de Rekia. Et je la trouve, pour tout dire, par moments à la limite du cabotinage. Dommage.

Marie-Noel

 

« Une vie ailleurs » d’Olivier Peyon

Du 3 au 9 mai 2017Soirée-débat mardi 9 à 20h30
Présenté par Laurence Guyon
Film français (mars 2017, 1h36) de Olivier Peyon avec Isabelle Carré, Ramzy Bedia et Maria Dupláa
Distributeur : Haut et Court

Synopsis  :  C’est en Uruguay que Sylvie retrouve enfin la trace de son fils, enlevé il y a quatre ans par son ex mari. Avec l’aide précieuse de Mehdi, elle part le récupérer mais arrivés là-bas, rien ne se passe comme prévu : l’enfant, élevé par sa grand-mère et sa tante, semble heureux et épanoui. Sylvie réalise alors que Felipe a grandi sans elle et que sa vie est désormais ailleurs.

 

C’est un sujet si grave que j’aurais aimé être touchée en plein coeur.

Le début du film est régalant avec l’arrivée à l’aéroport puis le transfert en car vers Montevideo, lumineuse, moderne, que je découvre, pour ma part, avec ces images. Dans le car, Sylvie sort la liasse de billets retirés au bureau de change à l’aéroport. Elle fait des enveloppes, là, et on se dit que c’est super « secure » en Uruguay. On apprend en même temps que Medhi qui l’accompagne, est un assistant social ! De son propre chef, il est parti avec elle chercher le fils de Sylvie, Felipe, 9 ans ou plutôt l’enlever à l’autre bout du monde. Un petit aller et retour, t’inquiète. On ne nous explique pas les liens qui l’unissent à Sylvie, ce qui a bien pu le pousser à s’embarquer dans cette folie. Sa détresse de mère ? Un conseil, Mehdi, change de métier. On reste un peu étonné et énervé par cette couleuvre. Mais, bon, admettons.
Le début du séjour est assez captivant, Sylvie continue à se battre pour mener à bien son projet. Elle marche, marche, marche, martèle des talons de ses boots nubuck camel, tous les sols . Clic, clic, clic … Ses pas scandent le film, sans relâche. Sylvie, petit soldat dérouté, combatif. Elle trouve une solution, un bateau, gratuit, ça tombe bien, il n’y avait plus d’enveloppe, pour quitter, le moment venu, le pays. Dès qu’elle aura récupéré son fils Felipe. Felipe que Mehdi est justement parti capturé à Florida …
Alors, à Florida, on hallucine. C’est le paradis sur terre, Florida ! On nous présente un loueur de voiture folklorique, sans vergogne et son véhicule d’un autre temps, rafistolé avec des bouts de ficelle et autres sangles ! Du coup on regarde les autos qui circulent dans Florida : toutes nickel. Un simple pick up pour mettre les vélos des gosses, ça aurait été plus sérieux, plus crédible. Mais, bon, admettons. Alors, oui, à Florida, tout est simple. Les gamins courent, jouent au foot, font du vélo, c’est le paradis. Et il n’y a pas de filles, sauf à l’église. Mais dans les rues, aucune. Elles sont où ?
A Florida, un individu inconnu dans son véhicule pourri peut approcher un stade où des gamins s’entraînent, les photographier et aussitôt les apprivoiser. On n’est pas méfiant à Florida. On peut charger des gamins de 9 ans et leurs vélos dans sa camionnette, improviser une sorte de ramassage scolaire, sans aucun problème.
Felipe est choyé par sa tante Maria, idéal féminin, pleine de grâce, un « canon », super sympa, enjouée, rieuse. Elle ne se dévoue pas, elle est heureuse avec cet enfant qui est devenu son enfant. Il sera bien temps de penser à faire sa vie, à elle, quand le petit sera grand. Magnifique ! Un peu surjoué, peut-être … Bon, admettons. Elle est très sympa, nature avec le touriste. Des liens vont se tisser entre Maria et Medhi et entre Mehdi et Felipe. On sait très vite qu’il va tomber amoureux de Maria, que Maria le fera rester à Florida. Avec elle et Sylvie. C’est déjà l’homme de la situation : quand on ne trouve plus Felipe, le jour de sa communion, c’est à Mehdi que Maria demande de le chercher. Mehdi, le seul qui ne connaisse pas la ville. Bon, admettons.
La grand-mère pourra souffler un peu, enfin délivrée de son secret. Cette grand-mère qui a menti si longtemps. Quand la police a retrouvé la trace de Felipe, à ce moment-là, son fils n’était pas mort. Elle a délibérément menti comme le souhaitait son fils et elle les a accompagnés dans leur fuite. Ensuite, quand son fils est mort, elle n’a rien changé, juste passé le relais à sa fille pour s’occuper de l’enfant. Sa fille, innocente, qui découvre ce mensonge et s’insurge « comment as-tu pu me faire ça ? » La vraie question serait « comment as-tu pu lui faire ça à lui, Felipe ? » Maria est prête à tout pour entériner la situation, pour que rien ne change. A fuir, avec Felipe. Continuer.
On nous persuade depuis le début qu’il vaut mieux pour l’enfant que rien ne change. Sylvie est une femme nerveuse, au bout du rouleau, pour qui la maternité n’a jamais été évidente. Comparée à Maria, légère, sereine, lumineuse … Et si on n’a pas compris il y a les photos Ricoré. Alors là, elle comprend, Sylvie. On lui fera une place sur les clichés. Sur la cage aux écureuils, pour commencer.
Il n’y a pas de solution. Partir, rester, partir avec lui.
Felipe aura tant de reproches à faire, plus tard. A tout le monde.

Un bon (télé)film.
Je lui reproche de ne pas m’avoir émue.
Isabelle Carré est très bien comme d’habitude, Ramzy Bedia très bien, le jeune Dylan Cortes, formidable. Je me suis trop focalisée sur les faiblesses du scénario et la linéarité de la mise en scène.

Marie-Noel

 

 

 

« De l’autre côté de l’espoir » d’Aki Kaurismäki

Meilleur réalisateurDu 27 avril au 2 mai 2017Soirée-débat mardi 2 à 20h30
Présenté par Marie-Annick Laperle

Film finlandais (mars 2017, 1h38) de Aki Kaurismäki avec Sherwan Haji, Sakari Kuosmanen et Ilkka Koivula .
Titre original : Toivon tuolla puolen

Synopsis : Helsinki. Deux destins qui se croisent. Wikhström, la cinquantaine, décide de changer de vie en quittant sa femme alcoolique et son travail de représentant de commerce pour ouvrir un restaurant. Khaled est quant à lui un jeune réfugié syrien, échoué dans la capitale par accident. Il voit sa demande d’asile rejetée mais décide de rester malgré tout. Un soir, Wikhström le trouve dans la cour de son restaurant. Touché par le jeune homme, il décide de le prendre sous son aile.

Poignardé, avant de lâcher prise, de franchir cette dernière porte qui ouvre sur l’autre côté, Khaled espère encore : sa blessure n’est pas grave, d’ailleurs le pansement n’est pas souillé, il est « le meilleur des frères » et se rend au rendez-vous avec sa sœur Miriam
Puis il va se reposer, s’adosser à un arbre et il contemple ce paysage d’usines, de cheminées d’usine, de travail, de salut, d’espoir, là, juste là, sur la rive, de l’autre côté de cette eau, en compagnie  de la petite chienne, indésirable comme lui, qui devait se planquer comme lui.

Pourtant, la-bas, avant, de l’autre côté, il avait fait aussi de belles rencontres.
Dont Mazdak, le réfugié irakien qui espère depuis plus d’un an qu’on débloque sa vie, qui partage tout avec lui, les peurs aussi, qui l’aide à retrouver sa soeur et à s’arranger pour les papiers en 2 clics et quelques billets. Mazdak le conseille aussi sur le comportement à adopter pour être un « bon » demandeur d’asile : sourire, toujours, mais pas n’importe quand, n’importe comment. Surtout pas dans la rue, le métro ! pas devant tout le monde ! on le prendrait pour un fou ! Sourire quand alors ?
A Mazdak, Khaled, bon élève, se dira tombé amoureux de la Finlande … et pressé d’en partir !

On apprécie les dialogues bien écrits, on rit aux répliques caustiques semées  tout au long du film, on rit plutôt intérieurement, vite fait car, juste après, on est replongé dans le quotidien et ses tourments.
L’absence totale de sourires est frappante. C’est, paradoxalement,  dans les yeux de Khaled, qui vient de l’enfer d’Alep, qu’on voit poindre parfois une amorce de joie et qu’on voit sourire quand il tient sa soeur dans ses bras.
Les personnages finlandais, pourtant, jusqu’ici, de fait, du bon côté de l’espoir, ne sourient pas du tout.

Il n’y a aucun enfant.

De nombreux personnages, travaillés, étonnants, captivants, certains loufoques, peuplent ce film :

La femme en bigoudis attablée devant un beau gros cactus tout rond auquel elle a fini par ressembler, fumant devant le cendrier plein de mégots , la bouteille de Koskenkorva à portée de main, quittée par son mari, ailleurs

Calamnius, le portier, toujours resté célibataire mais, attention, par choix ! Vrai ? On en doute.

Mirja, la serveuse, droite comme un I, impeccable, en kimono aussi

Nyrhinen, le cuisinier de formation basique tendance conserves, sachant néanmoins s’adapter et élaborer des mets cosmopolites « revisités » avec beaucoup de fantaisie, qui a cette faculté rare, de dormir debout avec la clope au bec (tout le monde fume beaucoup dans le film) et ne rate aucune occasion de poser une louche sur son épaule gauche comme pour en écouter la douce musique ou bien pour la protéger des salissures …

les musiciens d’un autre temps

les joueurs de poker

l’infirmière qui, pour avoir su ouvrir une porte, au bon moment, devient salvatrice.

Et puis il y a Wikhstrom, Waldemar de son prénom, qui a voulu changer, qui a bazardé ses chemises, qui a quitté sa femme pour mieux la retrouver, qui a cru en sa bonne étoile et a tout misé sur l’avenir. Il gagne parce qu’il est lui, qu’il est généreux et qu’il a tout à perdre. Personnage magnifique, désemparé et bienveillant, main tendue à Khaled à qui il donne l’essentiel : la dignité en lui ouvrant son restaurant pour manger, y travailler, en lui donnant un toit, son local de stockage devenu donc un « palais ».

Mais, voilà, la peur de l’étranger, du « chamelier » est là, dehors, qui guette et qui terrasse.

La vie de Khaled, plein d’espoirs, s’ouvrait pourtant en grand angle sur le port noir d’Helsinki illuminé …

Ari Kaurismäki est entré dans le cercle pas fermé de mes Hommes préférés.

Marie-Noël

« Certaines femmes » de Kelly Reichardt

Soirée-débat mardi 25 à 20h30
Présenté par Eliane Bideau

Film américain (vostf, février 2017, 1h47) de Kelly Reichardt avec Kristen Stewart, Michelle Williams et Laura Dern

Synopsis :Quatre femmes font face aux circonstances et aux challenges de leurs vies respectives dans une petite ville du Montana, chacune s’efforçant à sa façon de s’accomplir.

 

Cette Amérique-là, on la suppose mais on ne la voit quasi jamais comme ça, de si près. C’est très intéressant.

On y est à Livington et à Belfry, Montana, dans le « far north west »où les Chrysler et les pick up Ford ont remplacé les chevaux, où des indiens, vêtus de copies flashy de leurs costumes traditionnels, se donnent en spectacle dans une galerie marchande et ça ne choque plus personne depuis longtemps, où la junk food a envahi les restaurants.
Les vastes étendues et les montagnes alentour n’y changent rien : la vie, ici, est d’une tristesse poissante. Certaines femmes et les autres y vivent pourtant, sillonnant cette contrée en long, en large et en travers, sans issues, bloquées.
Laura est avocate de routine sans passion, sans compassion, désabusée. Laura a un amant Ryan, avocat aussi. La belle scène de la chambre éclairée de la lumière de la mi-journée, par un jeu de portes, de cloisons et de miroirs, nous dit la situation : ils ont deux visages et sont dissociés. L’homme, qui se rhabille, est son amant et il est marié. De retour de son « lunch meeting », elle doit se coltiner William Fuller, son client, qui fait le siège dans son bureau, revient toujours pour tenter d’entendre ce qu’il veut qu’elle lui dise. Elle lui redit alors toujours ce qu’elle peut lui dire : non, il n’obtiendra pas gain de cause. La loi c’est la loi. Il n’a aucun recours. Devoir le lui faire confirmer par un collègue, homme, l’humilie.
Après bien des péripéties, des situations plus ou moins crédibles, William, en prison, quitté par sa femme pour un « correspondant » écroué comme lui (dans le Wyoming en plus !) , tentera d’établir avec Laura une relation, épistolaire. Pour commencer.
Ryan, l’amant, qui a quitté Laura, par téléphone (encore un courageux), est marié à Gina, petite personne pas très sympathique, vaillant petit soldat, hyperactive, déterminée. Elle l’aura sa maison construite avec les pierres de l’ancienne école, qu’elle a enfin réussies à obtenir d’Albert, vieil homme solitaire dans son temps arrêté.
1976, c’est l’année restée dans la tête d’Albert ou bien c’est l’année où se passe le film ? Alors là ? Quelqu’un le sait ?  Pas de repères. La musique : de la country depuis des décennies et pour des décennies, les vêtements : informes, du pêche (du taupe !), les coiffures : quelles coiffures ?, les maisons, les routes … ? Guthrie, la fille de Gina et Ryan a les écouteurs de son walkman vissés aux oreilles. En 76, il y avait déjà des walkman(s) ?
Si ça se passait maintenant, elle jouerait en plus du sms.
Jamie est indienne. Son monde, son espace et son temps ont été balayés, depuis longtemps, les chevaux ne sont plus libres. On voit cet enfermement intérieur et extérieur par la scène répétée où les chevaux passent cette barrière pour rentrer à l’écurie le soir et pour sortir dans l’enclos le matin. On voit leur captivité aussi par la scène répétée de la distribution du foin par Jamie fonçant sur son quad poursuivi par la chienne, lucy.
Dans cette vie solitaire, monotone, survient LA rencontre de sa vie, Beth. On assiste à son coup de foudre. Ses jours s’en trouvent illuminés, les mardi et jeudi où elle la voit, l’écoute faire son cours, la regarde manger, toujours en retrait, s’empêchant d’accepter de partager son repas, les autres jours à attendre que ces deux jours là arrivent. Jamie est amoureuse . On est ému, lorsqu’on la voit, rayonnante, honorée de se voir distribuer par Beth, comme à tous les auditeurs, la feuille de cours, qu’elle ne pourra, pourtant, peut-être, pas lire. Et on imagine que le trajet du centre de formation jusqu’au restaurant, à cheval avec Beth en croupe, collée dans son dos, restera dans ses souvenirs un des plus beaux moments de sa vie.
Beth ne la conforte ni ne la décourage. Elle ne la voit pas vraiment. Elle aime bien cette jeune femme qui l’écoute à Belfry, si loin de Livingston et où elle souhaite ne plus venir, s’étonne à peine du long trajet qu’elle a effectué, Belfry-Livingston, quatre heures de route, pour, seulement, la revoir, ne s’étonne pas qu’elle l’ait trouvée dans la ville.
Beth trace sa route vers l’ascenseur social. Inaccessible au reste.

Un beau film qui s’étire, comme le temps dans le Montana.
Un beau film qui nous donne le temps de regarder certaines femmes.

Et puis un film avec Kirsten Stewart, pour moi la meilleure actrice de sa génération. Magnétique.

Marie-Noël

« Moonlight » de Barry Jenkins

Oscar du Meilleur film, du Meilleur acteur dans un second rôle, du Meilleur scénario adapté (1)Du 13 au 18 avril 2017Soirée-débat mardi 18 à 20h30
Présenté par Laurence Guyon

Film américain (vostf, février 2017, 1h51) de Barry Jenkins avec Alex R. Hibbert, Ashton Sanders et Trevante Rhodes.

Synopsis : Après avoir grandi dans un quartier difficile de Miami, Chiron, un jeune homme tente de trouver sa place dans le monde. Moonlight évoque son parcours, de l’enfance à l’âge adulte.

Ce drame social nous montre autant de personnages, autant d’individus qui ne se confondent pas, qui sont uniques.

Barry Jenkins, avec Tarell Alvin McCraney nous racontent cette histoire, de l’intérieur .
La violence est partout.
L’humanité aussi.

On est entré  dans ce ghetto de Miami avec Little, on y reste avec Chiron. On en sortira avec Black. Pour entrer dans un ghetto d’Atlanta etc ..
Une seule et même personne à trois âges de sa vie,dans un lieu universel avec la particularité de ne regrouper que des noirs.

Little est innocent, né dans cet enfer dont il apprend les codes. Mutique et fragile. Ça fait mal de le voir vivre ce calvaire. Après une incursion dans une zone de danger, lié au monde de sa mère, c’est Juan, le dealer en chef, baraque de 2m , 100 kgs de muscles, qui le prend sous son aile, le nourrit. Avec Teresa, sa compagne, qui exhibe ses charmes généreux, très moulés, vitrine du produit qu’elle vend. Ils vont lui vouloir du bien. Généreux et tolérants. C’est à eux que Little, différent, posera la question brutale avec ce mot employé par les autres, et par sa mère aussi. « C’est quoi, une tapette ? Comment je saurai ? » « Tu sauras ».
Juan lui apprend à nager, très belle scène à fleur d’eau.  On est dans l’eau, dans le bain avec eux.
Juan lui apprend aussi à ne jamais tourner le dos à une porte, pour toujours voir ce qui va arriver, qui va arriver. L’avenir de Chiron est donc écrit. Juan disparaîtra brutalement, sans surprise. Ca aussi c’était écrit. Il a vu venir un certain temps, mais n’a pas pu sauver sa peau. Juan, de Cuba, « blue in the moonlight ». »Alors, tu t’appelles Blue ? » « Non » et il sourit.
Ca nous reste en tête.

La lune bleue clignotante a ouvert l’épisode « Chiron ».
Little devient Chiron, dont le calvaire à l’adolescence empire encore, encerclé qu’il est par cette meute de « camarades » violents et homophobes dont Tarell, effrayant. Tarell, même prénom que le co-scénariste, dont l’histoire personnelle est proche de celle-ci.
Ce Tarell là aurait pu devenir ce Tarell ci. Et inversement.

Un cercle rouge, clignotant, ouvre l’épisode « Black ».
Dans le jardin du centre carcéral de désintox, Paula, sa mère, gémit sa peine d’avoir tout raté. Bien sûr, elle l’aimait, son baby comme elle l’appelle, ultime tentative de tout effacer, de  tout recommencer,  mais son amour était enfoui dans le gouffre abyssal de son addiction au crack. Paula, clean, semble consciente du désastre produit et pourtant lui reproche ses activités de dealer !
« Ne pars pas », implore-a-t-elle. « Je n’ai que toi, tu n’as que moi »
Il la prend dans ses bras, forcé.
La souffrance est vive et  la plaie, béante. Pour tous les deux.

On revoit une scène « rembobinée   » et sonorisée, vingt ans plus tard : Paula ressort de la chambre à reculons et on entend maintenant les mots hurlés à Little : « NE ME REGARDE PAS ! »
On comprend que, de ce moment là, il baisse la tête et les yeux, toujours. Sa détresse est immense à tous les âges de la vie.

Dans une des dernières scènes, au restaurant, en face de Kevin, il a encore les yeux baissés et on attend, on guette le moment où il va relever la tête et ouvrir les yeux. Alors, à ce moment là, exactement, on est en face du petit garçon qu’il est resté, dans l’innocence intacte de ses yeux.

Quel soulagement de voir Black redevenu Little et s’autorisant à être Chiron, fragile et tendre, la tête posée sur l’épaule de Kevin.
La scène suivante sera torride et on s’en réjouit.

Les acteurs sont magnifiques, mention spéciale à Trevante Rhodes,
et aussi à Mahershala Ali, Naomie Harris, Axel R.Hibbert, Ashton Sanders, Janelle Monae, Andre Holland  …

Très beau film sur le chemin tracé à la naissance, comment on devient ce qu’on n’est pas, ou comment on réussit à devenir, malgré tout, ce qu’on est.

On regrette que Barry Jenkins, avec Tarell Alvin McCraney et toute l’équipe aient été privés du bonheur de monter sur scène, applaudis comme il se doit, pour recevoir l’Oscar du Meilleur film 2017.
Laurence nous a lu hier soir le discours préparé par Barry Jenkins et qu’il n’a pas pu prononcer.

On voudrait bien le lire dans ce blog, Laurence, si tu veux bien. Merci

Marie-Noel

« Citoyen d’honneur » de Mariano Cohn et Gaston Duprat


CITOYEN D’HONNEUR

 Goya du Meilleur film étranger en langue espagnole et Coupe Volpi de la meilleure interprétation masculineSoirée-débat mardi 11 avril à 20h30

 Présenté par Georges Joniaux

Film argentin (mars 2017, 1h57) de Mariano Cohn et Gastón Duprat avec Oscar Martinez, Dady Brieva et Andrea Frigerio . 
Titre original : El ciudadano ilustre

Synopsis : L’Argentin Daniel Mantovani, lauréat du Prix Nobel de littérature, vit en Europe depuis plus de trente ans. Alors qu’il refuse systématiquement les multiples sollicitations dont il est l’objet, il décide d’accepter l’invitation reçue de sa petite ville natale qui souhaite le faire citoyen d’honneur. Mais est-ce vraiment une bonne idée de revenir à Salas dont les habitants sont devenus à leur insu les personnages de ses romans ?

Envie de me repasser le film … Ca commence comment déjà ? Oui, à Barcelone dans la ville et très vite on est chez Daniel Mantovani , dans son « bunker cosy » de verre, d’acier et de béton, froid mais lumineux, ouvert sur les arbres et plongeant dans une bibliothèque étourdissante, incurvée comme un ventre rempli de milliers d’ouvrages. Ce lieu reflète ce qu’il dit devoir être, selon lui, la culture : simple, claire.
Mais non ! … Le film ne commence pas à Barcelone mais à Stockholm. Il est assis près d’une vestale immaculée, coiffée d’un couvre-chef militaire. On l’appelle, c’est à lui : il fait son entrée dans cette immense salle accompagné de la jeune fille pour recevoir le prix Nobel de littérature. Il « vomira » dans son discours toute la vanité qui l’a amené jusque là et mettra l’assemblée face à sa responsabilité sur cette mascarade. Ce préambule nous présente bien Daniel : vaniteux au point de trouver ses propres livres dérisoires et de mépriser les flagorneurs qui s’égarent à le décorer, à l’encenser, à l’applaudir. En échange de quoi on le prie de bien vouloir jouer le jeu, de sourire , de saluer, de s’incliner devant un roi et une reine ! au XXIème siècle !!! Non mais sans blague ? Quelle bouffonnerie !
Lui, il a décidé d’être cash, de prendre sur lui et d’être honnête et droit même si cela lui tord les boyaux parfois, qu’il faiblit et se contredit, comme pour le fauteuil roulant. D’être honnête et que les autres le soit avec lui, c’est ça qu’il veut.
La vérité n’existe pas, il le dit et la vérité des autres est, souvent, insupportable.
Quand arrive l’invitation du maire de Salas, sa ville natale qu’il a quittée à vingt ans, à la mort de sa mère, et où il n’est jamais retourné même (surtout ? ) pas pour enterrer son père, 10 ans plus tard, il la refuse d’abord puis, debout devant l’immense baie vitrée, il y pense, l’envisage et dans son regard on voit qu’il va y aller.
On vit avec lui ces quatre jours, intensément. Séjour imaginaire ? L’invitation aurait alors servi de déclic pour reprendre l’écriture …

L’histoire se passe à Salas. On y voit des voitures de plusieurs époques dont la première qui pourrait bien dater de l’époque de son départ. Au « chauffeur de taxi » sans licence, devant cette vieille guimbarde en panne, sans portables bien sûr, la nuit, devant un feu allumé grâce à des pages d’un de ses livres, un comble mais pas grave, il en a d’autres,  il raconte l’histoire captivante des Jumeaux, histoire de jalousie, de rivalité, d’amour sublimé, de vanité, de mensonges et de malentendus. Est-ce la première histoire qu’il a inventée et qui resurgit de sa mémoire ?

Il y a beaucoup de gros véhicules rutilants dans cette toute petite ville où on peut se rendre partout à pied mais les deux véhicules indispensables, pour venir et repartir de Salas, sont, eux, « hors d’âge » .
La voiture rouge d’Irène tombe toujours en panne quand il y pénètre ! Décidément, il était écrit qu’ils n’avanceraient pas ensemble tous les deux. Il a abandonné Irène, son éternelle fiancée, douce et généreuse, à la beauté immuable et c’est Antonio qui l’a récupérée. Ce « gentil mari » s’avère être un ignoble personnage, un être abject. Ne pas se fier aux apparences.

Comment réparer ça ? Comment retrouver Irène ? Il cherche à remonter le temps, cherche son double. Rencontre sa fille, petite personne arrogante et calculatrice, libérée …
Le baiser chaste s’est transformé en coup d’un soir.

Les autres véhicules dans le film appartiennent au présent, presque au futur, les autres personnages, eux sont tels que par le passé et Daniel jette l’éponge, semble s’y résigner et finalement les enjoint à rester dans leur bêtise et leur ignorance crasses. Il les accepte tels qu’ils sont et accepte de s’en nourrir.   Lui ne changera pas non plus et exprime tout ce qu’il ressent. Sans ménagement, s’octroie le droit de se révolter brutalement contre les profiteurs et la violence de leur intrusion dans sa vie, contre l’intimité forcée avec des lecteurs, anonymes, étrangers qui veulent se l’approprier et projettent leur vie dans ses livres. Il revendique le droit de puiser dans ses souvenirs avec tous ceux qui y figurent, sans devoir se justifier, sans devoir rendre de compte.

J’ai été très touchée par la scène du cimetière : Daniel n’y apporte pas de fleurs mais, au contraire, en emporte une, simple fleur de pissenlit cueillie sur la tombe de sa mère. Précieux trésor couché délicatement dans son petit carnet.

Antonio et Roque feront avec Daniel une chasse au sanglier sur le modèle de celles organisées pour les gringos. Ce cochon de Roque n’a jamais raté une cible : Daniel sera touché en plein coeur. Et survivra.

Il a sur le côté gauche une cicatrice incurvée.
On voudrait bien la revoir. De plus près.

A part Daniel entier et tendre, seul et digne, qui m’a séduite, tous les personnages du film sont épatants. De vrais portraits, pas des esquisses comme on en voit souvent dans les films où seuls les contours sont proposés, à nous de remplir les blancs. Non, ici les personnages existent, sont détaillés tels des personnages de roman. Et c’est formidable. C’est formidable d’être traités avec cette considération par ces deux réalisateurs qui nous proposent un film que je trouve abouti tant sur le plan du scénario, que des dialogues, de la photo, du son. Ça fait du bien.
Un film superbe, très dense qui m’a surprise et que j’aime beaucoup.

Marie-Noel

« Corporate » de Nicolas Silhol

Film suivant

WEEK END JEUNES RÉALISATEURS 1er et 2 avril 2017 2017Animé par Alain Riou

Dimanche 2 Avril à 17h

En présence du scénariste Nicolas FleureauFilm français (avril 2017, 1h35) de Nicolas Silhol avec Céline Sallette, Lambert Wilson, Stéphane De Groodt, Violaine Fumeau, Alice de Lencquesaing, Nathalie Sportiello, Hyam Zaytoun et Edith Saulnier

Synopsis : Emilie Tesson-Hansen est une jeune et brillante responsable des Ressources Humaines, une « killeuse ». Suite à un drame dans son entreprise, une enquête est ouverte. Elle se retrouve en première ligne. Elle doit faire face à la pression de l’inspectrice du travail, mais aussi à sa hiérarchie qui menace de se retourner contre elle. Emilie est bien décidée à sauver sa peau. Jusqu’où restera-t-elle corporate ?

 

Ce film apprend ou bien rappelle la méthode phare de management instaurée dans les grandes entreprises depuis une trentaine d’années : par la peur voire la terreur, enrobé d’une (fine) couche de sucre. Tout est très bien décrit dans le film. C’est limpide. Clair, net, précis. On s’y croirait. On est corporate, on s’appelle tous par le prénom, peu importe le niveau dans la hiérarchie (attention, pas valable avec les ouvriers dans les entreprises avec unités de production, il y a quand même des limites !)
Et, comme on le voit très bien dans le film, on se tutoie : on oublie que ce n’est, en aucun cas, un gage ni d’estime, ni de confiance, ni de loyauté etc… On est corporate.
Il y a aussi les codes d’habillement : pas de loufoquerie dans le style vestimentaire surtout ! Tout le monde s’habille pareil , surtout ne pas faire ce qui pourrait être perçu comme une faute de goût. C’est très bien montré dans le film : Emilie Tesson-Hansen se change 2 fois par jour pour être toujours impeccable mais n’a qu’un modèle de chemisier clair avec toujours un pantalon foncé coupe serrée droite, taille basse (on pense à Nina, la fille de Toni Erdman) + des talons car on n’oublie pas d’être féminine. Et surtout ne pas sentir la transpiration ce qui dénoterait une mauvaise gestion du stress, inacceptable ! Le vendredi, opter pour le friday wear, montrer qu’on fait le distingo entre la semaine de boulot hard way et le week end où on est trop cool (on ne parle pas de l’ordi qui restera allumé 24/24h pour terminer le boulot en retard et répondre by return au mail de nuit du N+1 qui teste par la même occasion si tu es bien corporate samedi et dimanche inclus, sinon il y en a plein qui le sont et qui attendent ta place, OK ?). On pense, on vit, on consomme, on respire « corporate ». Et on voit arriver le spectre de l’âge. Être jeune, paraître jeune, être efficace, super productif. Une telle entreprise est  une secte où tout est codé. On a pû assister, en d’autres lieux, à cette scène où un PDG, voyant arriver au loin un candidat en surpoids, glissait au DRH se tenant à ses côtés : « tu le reçois sans moi, je ne reçois pas les gros ». Ca n’est pas dans le film mais ça aurait pû y être.
Quand la tuile tombe, burn out ou, pire, suicide comme dans le film, la première réaction des RH est toujours de chercher dans la vie privée pour y trouver les causes. Dans le film, la victime vient de se séparer, oui, à la suite de longs mois de mise au placard et de tout le mal-être que le malheureux a, tous les jours, rapporté avec lui à la maison, c’était sans doute devenu inévitable. Emilie est contente : sa responsabilité n’est pas engagée. Elle le sera pourtant finalement grâce au travail consciencieux de l’inspectrice du travail. Merci à elle d’exister. Deuxième règle : gommer tout ce qui peut être compromettant, tout ce qui peut prouver qu’il y avait harcèlement, mise à mort préméditée. La responsabilité est effacée. Scrapped. Et c’est le lâchage en cascade. Même Émilie pourtant pro des méthodes de tueuse, pense naïvement que son responsable va la protéger. Non, il ne la protégera pas parce qu’il ne veut pas que sa responsabilité, à lui, soit un tant soit peu engagée. Il la lâchera et la regardera tomber. Sans état d’âme. Au final il sera lâché et tombera à son tour.

Les écoles diplôment  tous les ans de jeunes RH qui voudront bien faire le ménage pour 100.000/an.

Le choix des acteurs est, je trouve, très réussi dans ce très bon film.
Céline Salette, Lambert Wilson sont excellents. Ils nous font froid dans le dos et en même temps on sent le froid les rattraper. A. de Lenquesaing est parfaite en jeune assistante pétrifiée.
Et V. Fumeau rayonne et transcende la profession d’inspectrice du travail. Humaine, résolue, elle redonne confiance.

Marie-Noël

« Drôles d’oiseaux » d’Elise Girard

En présence de la réalisatrice Samedi 1er Avril à 14h30Film français (mai 2017, 1h10) de Élise Girard avec Jean Sorel, Lolita Chammah, Virginie Ledoyen et Pascal Cervo

Synopsis : Deux personnages. Georges et Mavie. Mavie et ses 27 ans. Pleine de doutes et d’inquiétude, qui se cherche. Georges et ses 76 ans. Misanthrope, comme caché dans sa librairie, exaspéré par le monde, qui n’attend plus rien de la vie. A eux deux, ils forment le plus beau et le plus improbable des couples. Il ne veut rien, elle veut tout. Et pourtant grâce à lui, elle se trouve. Et grâce à elle, il renoue avec la vie. L’amour qu’ils ne feront jamais ensemble est le plus beau et le plus émouvant. Mais bientôt Georges doit fuir et ce qui doit arriver, arrive…

J’ai aimé un peu ce film pour l’idée de la vieille librairie où personne n’entre plus, de ce beau lieu plein de trésors que personne ne cherche plus. Pour Jean Sorel, absolument séduisant … Pour l’idée du déménagement obligé pour cause de « tapage » amoureux nocturne et diurne, incessant. Pour le choix de Pascal Cervo et l’approche de ressemblance avec Jean Sorel.

Mais sinon, l’histoire, la mise en scène avec fondu en cercle, les voix off des écrits de Mavie, m’ont passablement ennuyée. Et puis c’est dommage que Mavie n’ait pas plus d’épaisseur. Lolita Chammah, toute fille de, ne fait pas le poids en face de Jean Sorel. Elle m’a rappelé la pub Canada dry : elle a les cheveux de sa mère, elle a la démarche de sa mère, elle ressemble à sa mère mais … ce n’est pas sa mère. Elle n’en a pas la présence, l’étoffe, voilà tout.
Elle reste, dans ce film, remarquablement bien filmée. Bien éclairée. Elise Girard l’a vraiment soignée. Avec portrait dans la glace comme un tableau. Elle est belle. Et elle porte très bien le Darel. Mais tout le monde porte très bien le Darel.
Et Paris qui n’est pas Paris me dérange toujours même si la réalisatrice nous explique que justement elle a voulu une image embellie de Paris, comme dans un conte.
Un conte germanopratin. Un amour impossible entre un Georges de 80 ans et une Lolita qui n’en est pas vraiment une, avec en toile de fond une vague histoire de mafiosi et d’écologie, les goélands qui tombent à pic … Mavie est du 17 comme Roman, son jeune amoureux. Roman comme les romans qu’il évacue de la librairie. J’ai eu un soubresaut d’intérêt quand on le voit, chargé d’un carton de livres, dans la rue, devant la librairie, et qu’il croise le regard de Georges qui l’observe dans le rétroviseur. On comprend qu’ils se connaissent.
En fait, ils ne font qu’un : l’amour avec Mavie peut exister. Bien.
Le film plait beaucoup aux japonais et c’est tant mieux. Et pas étonnant. Ils doivent bien y retrouver le Paris, France qu’ils ont gravés en tête. Avec, idéal de beauté, les yeux ronds de Lolita Chammah.

Marie-Noel