« 12 jours » Raymond Depardon (2)

Avant 12 jours, les personnes hospitalisées en psychiatrie sans leur consentement sont présentées en audience, d’un côté un juge, de l’autre un patient, entre eux naît un dialogue sur le sens du mot liberté et de la vie.

Me plaçant d’entrée du côté des égarés, consciente que primo, de près ou de loin, on est tous concernés, un jour, par le sujet et que secundo la vision de ces malheureux me serai insupportable, « 12 jours », j’avais décidé de ne pas voir « 12 jours ».
Et puis, finalement, prenant mon courage à deux mains, dimanche matin pour être seule et pouvoir m’échapper avant la fin ou même tout au début, je me suis dirigée vers le ciné … M’entendre moi-même annoncer « 12 jours » à la caisse m’a glacé le sang ! Aurais-je été internée, enfermée, dans une vie antérieure ?

Très vite, je suis consternée. Consciente d’être dans une position de voyeurisme. Les avocats font un boulot, les juges font un boulot aussi dans un temps imparti : on perçoit que l’entrevue est minutée. Pas le temps de s ‘apitoyer sur le sort de ces pauvres bougres qui se succèdent les uns après les autres devant eux, et, jamais au grand jamais, ils ne remettront en cause les rapports des médecins ! Ce n’est pas leur domaine ils ne sont pas médecins etc … Eux ils (jugent et) abondent toujours dans le sens de la Médecine . L’un des patients lance un « mais alors vous ne servez à rien » à l’une des juges (à noter que la parité est respectée : 2 hommes, 2 femmes), à la plus jeune des juges donc qui rétorque un « ben non, je sers à rien ! » Avec une désinvolture choquante. Ca résume un peu ce film. Oui, on se demande, en effet, à quoi ils servent. A valider l’avis médical et c’est très important que, pour la conformité du dossier, sa validité,  le patient signe bien la décision de prolongation de l’internement. Après, pour les réticents, les rebelles, les sceptiques, ils peuvent toujours faire appel (!), bien sûr. Une patiente le dit : « ça ne sert à rien, moi contre eux, je ne peux pas gagner ». Très juste.
R. Depardon nous montre une brochette de malades et nous, spectateurs, chacun, selon notre sensibilité, notre vécu, sommes interpellés par celle-la plus que celui-ci, par celui-ci davantage que par celle-là. On ajoute notre incompétence devant cette montagne de souffrance.
On regarde, mis dans la position de juger.
D’où la conclusion ahurissante d’un spectateur à la sortie de la séance : « ce qui est sûr, c’est qu’ils ont tous leur place là-bas » !!!
Comment peut-on fait avoir des certitudes pareilles ?

Il ne faut pas oublier qu’un documentaire est un film. Les audiences sont filmées et donc la salle a été préalablement agencée, l’éclairage disposé, la perche accrochée. Les juges et les avocats sont consentants, préparés, acteurs donc à visages découverts. Les malades eux aussi sont préparés. Consentants ?  On nous dit en préambule que pour préserver l’anonymat, les noms ont été modifiés. Pourtant, à chaque audience, le nom du malade est lu intelligiblement par le juge … Pendant tout le film, on ne voit qu’1 seul regard caméra de la part d’un interné. Sinon ils fixent le juge . On a du les briefer. Ils ont tous ce regard fixe voire très fixe, sur le juge.
Ce regard vient bien sûr aussi des « remèdes ». Il faut vous soigner, vous êtes là pour vous soigner.
Comment on soigne cet homme né en 83 pas en 93 (la juge s’est trompé de 10 ans, pas à ça près … ), comment on le soigne cet homme qui a démoli la tête d’un inconnu dans la rue ?
Comment on soigne cette femme en souffrance au travail. Le juge ne parle pas d’une enquête chez l’employeur. Sentiment de harcèlement = paranoïa ? L’avocat tente une timide réflexion sur la réputation et les antécédents de son employeur, Orange. Sans suite.
N’oublions pas qu’un documentaire est un film qui demande un montage. Là je m’interroge : Orange est cité et cette séquence est gardée. C’est le travail qui rend fou et qui remplit les HP ? ou bien c’est la personne qui a un problème psychiatrique à la base et se croit victime de harcèlement au travail ? Dans ces grandes entreprises, en face d’un employé de cet acabit, le « diagnostic » est toujours d’affirmer d’entrée que cela vient de sa vie personnelle. Il arrive que la « victime » dont le comportement est devenu « anormal », ne passe pas par le HP mais directement par la fenêtre.
Cette femme est nerveuse, émotive et d’accord pour rester parce que, pendant ce temps là, elle n’est pas harcelée. La justice ne creuse pas un peu le sujet, là ? c’est pas noté dans le dossier ?
On soigne l’homme originaire du Mali avec un passé chargé, tentative de meurtre (14 coups de couteau sur une femme), prison et HP. Pourquoi « 12 jours » ? Il entre dans le cadre des audiences récurrentes, tous les six mois, tous les ans. Là c’est extraordinaire ! Pour cet homme dont le dossier est très épais et qui a priori ne présente pas un gage absolu de bonne conduite si il sort, la décision de sortie est mise en délibéré. Et c’est « drôle » parce que le juge annonce le délibéré juste après que ce bel homme puissant, la tête rentrée dans les épaules, l’ait regardé fixement d’un air tout à fait inquiétant ! On se croirait dans un polar !
On envisage vraiment de passer le « dossier » à cette Julie qui est disposée à l’accueillir ?
Et puis le fils du père béatifié … enfermé depuis de nombreuses années et qui nous semble très très atteint, complètement barré, lui non plus pas un cas de 12 jours. Il a tué son père et ne s’en souvient plus. Il a tant de projets ! avec Besancenot même ! On va le relâcher, il le sait (nous , non) mais à quel âge ? Celui-là aussi a un vrai physique de cinéma.

La vie est une loterie. Une farce. On rit. On pleure. Trop parfois.

Pourquoi le titre « 12 jours » ? La moitié des personnes que nous voyons dans ce documentaire n’entrent pas dans ce cadre car internés depuis plusieurs mois voire plusieurs années. Non, ce n’est pas pareil.

La sanction des 12 jours : formalité à la fois indispensable et, en l’état, inutile ?

le film de R. Depardon est bien fait, bien éclairé, bien propre. Tout est calme et bien rangé. C’est louche.

Refaire le film  en caméra cachée et alors la musique de Desplat (quel calvaire !) sera incongrue …

Marie-No

PS : maintenant je regrette, évidemment, de ne pas avoir entendu la présentation de Georges et de pas avoir assisté au débat.

« Les Gardiennes » (2)

Du 4 au 9 janvier 2018

Soirée débat mardi 9 janvier à 20h30

Film français (décembre 2017, 2h14) de Xavier Beauvois avec Nathalie Baye, Laura Smet, Iris Bry et Olivier Rabourdin

Distributeur : Pathé

Présenté par Jean-Pierre Robert

 

Je m’étais préparée à être gênée par la distribution.
Nathalie Baye rajeunie dans la vie et qu’il faut donc « re-vieillir » … Tout un progamme et … c’est réussi ! même s’il reste ce rictus qui l’empêche dorénavant de sourire (Ah ! le feu sourire de Nathalie Baye … à revoir dans « Beau père » de Bertrand Blier en pianiste ovationnée !)
Pour Les Gardiennes, certains critiques condamnaient sa gaucherie dans la maîtrise du soc de la charrue … Mais son personnage, Hortense, n’avait, jusque là, jamais labouré un champ  ! Jusqu’à ce que les hommes disparaissent pour un temps, pour toujours. Donc ça colle très bien.
Nathalie Baye est décidément une grande actrice : on oublie l’actrice et on ne voit qu’Hortense.
Laura Smet … Pourquoi Laura Smet ? La ressemblance avec sa vraie mère ? On la regarde et on s’efforce de ne pas voir son père  …
Maintenant je trouve que, si tant est que Xavier Beauvois ait eu le choix, c’est un choix plutôt judicieux. Elle a cette fêlure apparente, ce regard un peu vide, qui la rend touchante dans le rôle de Solange, un ange, délicate et gracieuse, un cœur simple, sans grande personnalité, qui souffre de l’absence de son mari qu’elle voit se transformer au fil des permissions et qu’elle seule saura garder à la raison.

Je ne m’étais pas préparée à Iris Bry. Xavier Beauvois est donc aussi un découvreur de talent !
Il nous propose Iris Bry pour jouer la lumineuse Francine . On ne sait plus laquelle illumine l’autre.
D’un personnage secondaire elle fait un personnage principal . Francine, dotée d’une force physique et mentale étonnantes, d’un magnétisme qui fait que tous ceux qui la rencontrent semblent aussitôt l’aimer.
Orpheline, elle est pourtant née sous une bonne étoile. Francine/Iris chante de sa voix envoûtante. Elle seule chante. Elle vit sa vie, suit son étoile et amorce un portrait de femme émancipée réjouissant.

Hortense, Solange, Francine, Constant, Clovis, Georges qui pourraient aussi bien s’appeler Maria, Margarethe, Hedwig, Karl, Hans, Friedrich qui priaient le même Dieu/Gott, travaillaient la terre/Erde, tuaient pour la Patrie/Heimat. Et pleuraient tous leurs morts.

L’image de la toilette devient œuvre d’art, on pense à Degas. On pense à Courbet pour les scènes de semailles.
La photo signée Caroline Champetier, est d’un bout à l’autre du film d’une très grande beauté et, partie prenante de son académisme, de sa lenteur, illustre parfaitement la volonté des femmes de garder la terre dans ce temps suspendu. Et ça m’a plu.

« Mignonne, quand le soir descendra sur la terre,
Et que le rossignol viendra chanter encore,
Quand le vent soufflera sur la verte bruyère,
Nous irons écouter la chanson des blés d’or !
Nous irons écouter la chanson des blés d’or ! » 

Je suis d’abord surprise, étonnée d’entendre Francine fredonner « Les blés d’or »… Je la connais cette chanson que les grandes personnes chantaient dans les réunions de famille de mon enfance, de ma jeunesse, ensemble avec ceux, maintenant disparus, qui la chantaient dans leur jeunesse prise dans l’étau de la guerre de 14.
Cette chanson me chavire et je m’aperçois que « Les Gardiennes » est aussi de mon époque ! C’est fou … Je ne m’ étais pas préparée à ça.

Marie-No

 

Petit PS : Henri resté à la maison pendant la messe dite pour Constant se tord les mains et se retord les mains et encore et dans l’autre sens … Scène grossière car trop longue pour montrer comme ses doigts sont noueux et ses mains calleuses …Gilbert Bonneau est un vrai paysan, on l’avait repéré et, oui, on a bien vu la preuve par les mains !

« Jeune femme » de Léonor Séraille

 

Caméra d’or au Festival de Cannes 2017
Du 14 au 19 décembre 2017
Soirée débat mardi 19 à 20h30

Film français, belge (novembre 2017, 1h37) de Léonor Serraille
Avec Laetitia Dosch, Grégoire Monsaingeon, Souleymane Seye Ndiaye

Distributeur : Shellac

Présenté par Françoise Fouillé

Synopsis : Un chat sous le bras, des portes closes, rien dans les poches, voici Paula, de retour à Paris après une longue absence. Au fil des rencontres, la jeune femme est bien décidée à prendre un nouveau départ. Avec panache.

Paula commence par se taper la tête contre la porte désormais fermée de sa vie d’avant, contre cette porte qui lui barre l’accès à son grand amour, cette porte derrière laquelle elle refuse d’être ensevelie. Joachim l’aimait et il ne l’aime plus. Elle était sa muse et il l’a remplacée. C’est à devenir « folle », en effet.
Lutter contre est normal et réparateur. Réagir est rédempteur.
Paula est une jeune femme moderne, à Paris, qui respire l’air du temps. Au Mexique d’où elle arrive, c’était différent. Elle inspirait et accompagnait « l’ artiste ». Elle disait « nous ».
Avec cette rupture, renaît Paula, celle qui dit « je », qui va peu à peu se lâcher et redonner libre cours à sa personnalité attachante, fascinante, séduisante, qui éclaire tout ce qu’elle approche.
Elle choisira la vie et ses dangers, la vie et ses difficultés. Elle se choisira, elle.
Et tant pis pour Joachim, pour sa mère et tous ceux qui passent à côté et ratent leur chance de l’aimer et d’être aimés d’elle.
Et tant mieux pour Paula qui a retrouvé ses ailes.

Quelle maîtrise du sujet, de la mise en scène et quelle actrice !
Vraiment un très beau film !

« La Belle et la meute » de Kaouter Ben Hania

 

Primé au Festival du Film Francophone d’Angoulême 2017
Du 7 au 12 décembre 2017

Film tunisien (octobre 2017, 1h40) de Kaouther Ben Hania avec Mariam Al Ferjani, Ghanem Zrelli et Noomane Hamda

Distributeur : Jour2fête

Evidemment, le sujet est grave et on est en empathie totale avec Mariam. Les femmes, toujours en première ligne, qu’on voile et qu’on dévoile, qu’on force, qu’on humilie, coupables de naissance. Ca ne s’arrêtera donc jamais ? On sait que c’est comme ça dans un état policier, on pense à la Syrie d’aujourd’hui . Non, ça ne s’arrêtera jamais et toujours on aura les tripes nouées de peur devant tant d’horreur. Révoltés.
Ce film, fiction tirée d’un fait réel raconté dans un livre (Coupable d’avoir été violée Meriem Ben Mohamed), nous emporte dans le sillon de Mariam     ( Mariam Al Ferjani, magnifique) et on vit son innocence perdue, son cheminement vers la conscience politique et même si c’est dans des circonstances dramatiques, son épanouissement de jeune adulte qui surmonte ses peurs et qui, blessée rayonnante, impose au monde qui l’entoure son courage et sa détermination à faire valoir ses droits.
Le rythme est toutefois un peu alourdi par une mise en scène très appuyée.
Le film aurait gagné en poids à être plus léger.

Certains faits réels, actuels ou historiques me sont, peu à peu, devenus insupportables à voir traités en fiction. Il me semble que je suis suffisamment hantée par toutes les horreurs dont ont été capables de tous temps nos congénères, dont ils sont et demeureront capables jusqu’à la fin des temps. Qu’on m’épargne les fictions sur leurs exactions. On ne fera jamais « mieux » que le réel !

A voir : Le documentaire de Marion Loizeau « Syrie, le cri étouffé »

Replay Infrarouge – Syrie, le cri étouffé – France 2

 

« The Square » de Ruben Östlund

Palme d’or au Festival de Cannes 2017Du 30 novembre au 5 décembre 2017Soirée débat mardi 5 à 20h30

Film suédois (vo, octobre 2017, 2h22) de Ruben Östlund avec Claes Bang, Elisabeth Moss et Dominic West

Distributeur : Bac Films

Présenté par Marie-Annick Laperle

Synopsis : Christian est un père divorcé qui aime consacrer du temps à ses deux enfants. Conservateur apprécié d’un musée d’art contemporain, il fait aussi partie de ces gens qui roulent en voiture électrique et soutiennent les grandes causes humanitaires. Il prépare sa prochaine exposition, intitulée « The Square », autour d’une installation incitant les visiteurs à l’altruisme et leur rappelant leur devoir à l’égard de leurs prochains. Mais il est parfois difficile de vivre en accord avec ses valeurs : quand Christian se fait voler son téléphone portable, sa réaction ne l’honore guère… Au même moment, l’agence de communication du musée lance une campagne surprenante pour The Square : l’accueil est totalement inattendu et plonge Christian dans une crise existentielle.

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J’ai attrapé The Square sans me demander par quel angle, de quel côté franchir la ligne.  Le film m’a saisie et j’ai plongé dedans.
Le film commence par la mise en place de la nouvelle exposition qui chasse la précédente, figurative, déjà has been, les cordes lâchent et font s’exploser l’oeuvre au sol, à l’endroit précis où sera exposé en suivant The Square et dans lequel, pour créer le buzz, des publicitaires fallacieux imagineront une scène virtuelle d’une indescriptible cruauté. L’Art contemporain est précaire et remplaçable à tout instant par du plus insolite, du plus actuel, du plus étonnant. Que restera-t-il de ces expositions ? Quelles œuvres seront gardées ? Lesquelles seront jetées ? Ce n’est pas seulement une histoire de marketing. Le temps et l’énergie consacrés à l’œuvre d’art avant qu’elle ne soit consacrée par la critique et passe à la postérité sont-ils essentiels ? J’avoue m’être déjà posé cette question devant certaines « oeuvres » qui semblent pour le moins sommaires. Les tas de gravier au Royal Museum suédois fait cet effet. On se pose la question si on serait capable de disposer dans le même espace des tas exactement pareils à intervalles très précisément identiques .  Bien sûr que oui ! Seulement c’en est l’idée qui ne viendrait pas. Sinon pour disposer l’oeuvre, il y a des bras « vulgaires »  et gare à ceux s’ils ne la respectent pas ou l’abîment ! Ruben Östlund se moque des excès de zèle et la prosternation devant ce qui est parfois de simples tas ce cailloux, montrant Christian, directeur du musée et son assistante se transformer, en douce, en« petit personnel » pour réparer la « catastrophe » engendrée par le vrai « petit personnel » pour qui le slalom pour nettoyer entre ces tas est chaque jour une épreuve à gagner avant l’arrivée en poste de la gardienne de salle et son regard acéré ! Tout ça est totalement absurde. Comme sont absurdes et ridicules les discours et postures de « décideurs » en place !

Mais l’Art moderne contemporain ce n’est pas ça, on le sait bien pour avoir déjà été ému aux larmes devant un tableau, une sculpture, une photo … d’un artiste contemporain.

Le film pose la question de la vulgarisation de l’Art au sens de « mise à la portée du plus grand nombre ». Les musées montrent des œuvres modernes mais les œuvres d’Art contemporain leur sont de moins en moins  accessibles, passant souvent de la galerie branchée à la collection privée. L’argent achète la beauté. C’est aussi ça que dénonce Ruben Östlund.

Le film brosse un tableau grand format des fossés creusés entre les hommes, figures inversées des tas de graviers, et tout aussi intouchables, immuables. Jusqu’à ce qu’une grande balayeuse passe.
La catastrophe est naturellement prévisible et annoncée.

Le film est un jeu de pistes qu’on pourrait toutes, tour à tour, explorer, dont on pourrait décrire et commenter toutes les étapes devenues autant de tableaux contemporains.
Je me suis posé la question : « Combien, jusqu’où l’Art contemporain doit-il puiser dans le classique, pour me plaire ? Et où sont les barrières de ma confiance ?  »

Magnifiquement orchestré, mise en image, mise en scène époustouflantes, sur fond de musique classique « vulgarisée », dans une très belle version contemporaine.

Je trouve que ce film est en lui-même une oeuvre d’art. Celle là on la tient, on la garde et on lui décerne, évidemment, une Palme d’or.

Marie-Noël

Rétrospective Ethan et Joel Coen

Même si on espérait une fréquentation plus forte, ce WE a été une réussite et on remercie particulièrement Thomas Sotinel et sa « personnal assistant » Françoise et tous ceux qui ont organisé cet événement et y ont participé.
Ces 6 films ont permis à ceux qui, comme moi, ne connaissaient pas bien le cinéma des Frères Coen, de s’en faire une idée plus précise.
Faut quand même se cramponner et on a un petit travail sur soi, après, pour re-positiver…

Si on me demandait mon palmarès, je dirais
1. The big Lebowski              régalant
2. Burn after reading           désopilant
3. A serious man                    plombant

« Inside Llewyn Davis », je l’avais bien aimé à sa sortie … Question musique, la folk, ça n’a jamais été trop mon truc mais, dans les années 60-70, tous les chemins passaient par la folk. Et même quand cette musique plait, ce qui tue l’amour, c’est la traduction des textes ! Le producteur voit tout de go que la reine morte en couches n’est pas vendeur. Tu m’étonnes ! Il ne faudrait pas avoir les traductions. Je continue à trouver formidable  la peinture de la grande époque  de Greenwich par les Coen. Cette époque où l’avenir restait  grand ouvert et où on pouvait se payer le luxe de choisir la misère.
Llewyn continue à me fasciner par sa volonté, son entêtement à créer, son urgence quotidienne à survivre, son dénuement, son abnégation. Son choix. Pour autant, c’est son égocentrisme qui est le plus fascinant. Il ne s’encombre jamais longtemps de problèmes posés sur sa route. Le chat en est l’illustration : ce n’est pas Ulysse donc pas le chat des Goldfein où il y a de la moussaka et où il fait bien chaud, à l’occasion, donc bye bye le chat, abandonné avec l’impotent dans la voiture, sous la neige. Il est comme ça Llewyn, il trace sa route et tant pis pour les dégâts collatéraux. De tous les personnages des Coen, on finit, tôt ou tard, par voir les travers et le côté suffisant, odieux de Llewyn surgit aussi quand il tacle la femme, plus très jeune, qui chante « sa ballade » comme au temps des ménestrels en s’accompagnant d’une cithare, ou autre instrument « in » de l’époque. Ca le fait hurler, « notre » Llewyn. Elle n’a, selon lui, pas sa place dans le « vaste monde de la création » qu’il réduit en quelques mots à son « petit monde de la création ». Lui crée, pas elle. Ou bien il ne veut pas se regarder en face ? Un p’tit moment de doute alcoolisé et hargneux qui lui vaudra, après un grand tour de piste, revenu au point de depart, une bonne raclée.

30 ans plus tard, le folk a fini par accoucher du rap. On évolue et maintenant entre un beau texte de rap ou une complainte folk, je choisis le rap. Qui l’eut cru ?

Est-ce que je me fais aujourd’hui, comme prévu, un after avec O’Brother, emprunté à la Médiathèque ? Je vais voir …

Je me regarderais bien une bonne comédie italienne, aujourd’hui, moi …

Marie-Noel

« L’Atelier » de Laurent Cantet

 

 

Du 22 au 28 novembre 2017Soirée débat mardi 28 à 20h30
Film français (octobre 2017, 1h53) de Laurent Cantet avec Marina Foïs, Matthieu Lucci, Warda Rammach et Mélissa Guilbert

Distributeur : Diaphana

Présenté par Jean-Pierre Robert

Synopsis : La Ciotat, été 2016. Antoine a accepté de suivre un atelier d’écriture où quelques jeunes en insertion doivent écrire un roman noir avec l’aide d’Olivia, une romancière connue. Le travail d’écriture va faire resurgir le passé ouvrier de la ville, son chantier naval fermé depuis 25 ans, toute une nostalgie qui n’intéresse pas Antoine. Davantage connecté à l’anxiété du monde actuel, il va s’opposer rapidement au groupe et à Olivia, que la violence du jeune homme va alarmer autant que séduire

Ils sont huit. Sept + une. Une + sept : une femme écrivaine reconnue, en vogue, qui bouge un cil et son éditeur accourt, et sept jeunes en devenir, personne ne sait encore de quoi. Sept individus ayant pour seules richesses leurs talents encore partiellement ou totalement ignorés et leur jeunesse. Ils ont en commun d’être sur les chemins de traverses fréquentés à leur âge, rallongés encore pour s’adapter à cette époque, et d’être déjà peu ou prou tous résignés. Ce portrait de groupe est très réussi. On se place avec eux et on les regarde se « risquer » à l’écriture. Rien ne leur est moins naturel que de parler, d’inventer, de raconter, de se raconter, d’exister, d’écrire, tout ça devant Olivia, cette écrivaine bobo, branchée, impeccable en toutes circonstances et ce n’est pas la chaleur de l’été à la Ciotat qui pourra la faire transpirer. Les deux jeunes filles, Malika et Lola, sont les plus spontanées, elles y vont quoi ! Puisqu’elles sont là, elles participent. Pas inhibées, pas soumises, elles se placent au soleil du regard d’Olivia et ça fait plaisir à voir. Les cinq garçons, eux, choisissent l’ombre, a priori, la passivité, rejettent plus ou moins ouvertement l’idée de participer à ce projet d’écriture de ouf. On les a mis là, c’est tout. Ils ont l’intention d’attendre que ça se passe. Fadi, Etienne, Benjamin et Bouba qui prévient d’entrée de jeu qu’il fait même des fautes d’orthographe quand il parle, alors écrire !
Et puis il y a Antoine. Le film zoome sur Antoine et on apprend son visage changeant, son esprit manipulé, son humanité endormie, sa force bouillonnante camouflée. C’est un beau jeune homme, Antoine. Tout se passe comme s’il se forçait  à ne pas réfléchir, comme s’il s’évertuait à être un autre. Il cherche sa place et trouve sur son ordinateur, ceux qui le rassurent sur l’avenir, ceux qui veulent le  guider vers un futur encadré où on n’a pas peur, où les armes se montrent, où la haine se cultive. L’atelier et surtout la puissance, l’énergie  tranquille et diffuse d’Olivia vont l’imprégner et le pousser à regarder  au-delà de ses murs, en dehors de chez son cousin, deux étages plus bas. Il va observer et chercher à comprendre ce qu’Olivia opère en lui, chercher à effacer ses traces pour finir par, enfin, commencer à lâcher prise. L’Atelier amorce son rétablissement. Quand il vient à la fin du film lire son texte, il a changé. Il va partir, s’ouvrir à l’ailleurs. En cela pour lui et sur d’autres plans, l’Atelier aura eu une résonance essentielle. Pour tous les sept, plus ou moins, on est convaincu qu’il y aura, dans leurs têtes, dans leurs vies, un avant et un après l’Atelier. Un avant et un après Olivia.

Olivia, magnifiquement interprétée par Marina Foïs, est vraiment touchante justement parce qu’elle dégage à la fois une grande force, une autorité naturelle et une grande fragilité. Peut-être que c’est, égoïstement, pour se mettre en situation de rupture avec ses habitudes et retrouver l’inspiration, qu’elle a accepté de piloter cet atelier à La Ciotat où elle n’avait jamais mis les pieds. Oui, peut-être. Elle a participé à la sélection des stagiaires et la voilà maintenant en face de ces sept jeunes personnes qu’elle découvre en même temps que nous. Elle avance sur la pointe des pied tout en fixant clairement les objectifs et les limites. Elle obtient d’eux, peu à peu, ce qu’elle cherche : la création littéraire. Peu à peu, ils lui offrent leur reconnaissance. Sans tambour ni trompette. Bienveillante, elle l’est toujours, compréhensive aussi dans le respect mutuel. Elle veut les faire réfléchir et y parvient. Un par un, jusqu’à Etienne, si récalcitrant au départ, ils prennent tous leurs cahiers et leurs stylos,ou leurs tablettes et écrivent. Bien, moins bien …  L’important ce n’est pas de bien écrire, c’est d’écrire, et d’avoir envie de raconter et d’apprendre. Tout comme l’important n’est pas de savoir chanter, mais de chanter. Olivia leur donne envie d’exprimer leurs pensées à l’oral et de les formaliser par écrit. Pour ça, elle est admirable. On voit, parfois, surtout son côté « écrivaine parisienne ». Lorsque, par exemple, elle est en grande conversation sur skype avec son éditeur et qu’elle lui parle de ses difficultés avec un jeune en particulier, on pense qu’elle parle d’Antoine. Mais non, elle parle du personnage du roman quelle essaie d’écrire et sur lequel elle bute. Ah, d’accord ! Quand elle invite Antoine à lui parler de lui, de ses journées, de ses occupations, c’est certainement aussi pour nourrir ce personnage de fiction mais pourtant, très vite, c’est elle qui déborde, qui sort de son cadre écran pour entrer dans le sien et elle le pousse dans ses retranchements. Rien ne l’obligeait à aller le repêcher chez lui, à le faire entrer chez elle. Quand il la menace de son arme et la force à l’accompagner à travers les calanques jusqu’au bord de sa corniche puis enfin l’autorise à partir, elle part, bien évidemment et court même jusqu’en haut de la côte où elle s’arrête pourtant, se retourne et à l’abri du clair de Lune, hors d’atteinte elle aussi, l’observe, en alerte, prête à agir, peut-être. Enfin, quand il arrive dans la classe d’écriture pour lire ce qu’il a rédigé, sa seule question est « c’est long ? » parce qu’elle encadre les autres et ne lui donnera pas à lui du temps pris sur celui des autres, elle ne contraindra pas les autres non plus à l’écouter. Il lit son texte apaisé et repart. Alors elle se rassied, dos tourné, et on perçoit son émotion. Antoine a avancé, s’est débloqué. Elle a réussi quelque chose. Peut-être.
La suite nous montre Antoine embarqué sur un cargo avec pour camarade d’équipage un étranger pour lequel il fait l’effort de rassembler ses quelques mots d’anglais. Et leurs rires fusent.
On entend le rire d’Antoine comme si on l’avait guetté, espéré. Antoine rit !

Vraiment un très beau film avec Marina Foïs, magnifique et ces deux jeunes actrices, ces cinq  jeunes acteurs, tous les sept amateurs, tous les sept impressionnants de naturel.
Une mention spéciale pour, dans le rôle d’Antoine, Matthieu Lucci, qui m’a immédiatement fait penser à Adèle Exarchopoulos. Va savoir …

Marie-No

« Un beau soleil intérieur » de Claire Denis

 

Prix SACD à la Quinzaine des Réalisateurs 2017Du 16 au 21 novembre 2017Soirée débat mardi 21 à 20h30Film français (septembre 2017, 1h34) de Claire Denis
Avec Juliette Binoche, Xavier Beauvois, Philippe Katerine, Gérard Depardieu, Josiane Balasko Alex Descas et Sandrine Dumas

Distributeur : Ad Vitam

Présenté par Marie-Noël Vilain

Synopsis :Isabelle, divorcée, un enfant, cherche un amour. Enfin un vrai amour.

«L’amour, c’est se jeter dans le vide vers quelqu’un» Claire Denis lors d’une présentation en Avant Première du film au Gaumont Opéra (propos rapporté par Jean-Claude qui a eu la chance d’y assister)
Isabelle a cinquante ans et veut encore se jeter dans le vide vers quelqu’un qui va la rattraper et lui faire passer l’envie, le besoin de recommencer, qui va la laisser rayonner tout en lui procurant le bonheur d’excercer sa séduction sur lui seul. C’est ça qu’elle recherche. Vivre pleinement et aimer un homme qui lui donne envie de vivre pleinement sa vie.
Isabelle est pressée, elle n’a pas le temps de tourner en rond, d’attendre que celui-ci libère ses jours et ses nuits pour elle, que celui-là trouve tout seul et dise les mots qu’elle attend, que cet autre redevienne à l’identique, au geste près, celui qu’elle a aimé, qu’un autre encore se décide à la mêler intimement à sa vie, à son quotidien, à ses amis, que Marc revienne de vacances …
Qu’est-ce qu’ils ont tous à ne pas être « son amour » ?
Elle se coltine une série d’hommes impossibles ! « Le film est comme une complainte de jazz : à chaque couplet, il y a un soliste qui vient donner sa partition, au début elle est harmonieuse mais elle finit toujours par une espèce de dissonance » dixit un critique.
Le fait est qu’à chaque chapître, à chaque rencontre, Isabelle s’envole et retombe sans personne pour la rattraper. Elle se remet debout, chaque fois un peu moins droite.
Le film traduit formidablement bien les tourments, les états d’âme de cette femme seule de 50 ans, son spleen, sa peur. Isabelle est merveilleusement interprétée par Juliette Binoche qui doit, pour le coup, faire en sorte de cacher un peu de son soleil intérieur, tant elle est naturellement rayonnante, comme éclairée de l’intérieur.
La séquence finale d’anthologie (de 16mn) entre Gérard Depardieu et Juliette Binoche nous enchante !
Tournée en une seule prise, avec deux caméras, une sur chacun, elle a été montée en champ contre champ. Les acteurs n’avaient pour dialogues qu’une trame, un fil conducteur. Gérard Depardieu commence à broder et Juliette Binoche le suit, lui colle aux mots et c’est un grand moment. Le charme opère. Une rencontre a lieu et on voit progressivement s’éclairer le corps et le visage d’Isabelle. David va s’employer à lui faire retrouver son beau soleil intérieur. La veinarde !

Tous les autres acteurs sont excellents  dans leurs rôles, Xavier Beauvois, Nicolas Duvauchelle, Josyane Balasko, Denis Podalydès etc …
Dirigés.

J’ai aimé ce film,
mais … le bémol, c’est Christine Angot. Gros bémol quand même car si on ne prend garde, ses mots (comme on les reconnaît ses mots !) nous cacheraient presque le beau soleil intérieur de Claire Denis.

Marie-Noël

PS : Je vais renseigner sur l’artiste, américaine semble-t-il à l’accent, qui expose et explique son œuvre que je trouve sublime, une juxtaposition de cieux, à Marc/Alex Descas.

« Faute d’amour » de Andrei Zvyagintsev

Prix du Jury au Festival de Cannes 2017Du 9 au 14 novembre 2017Soirée débat mardi 14 à 20h30
Présenté par Sylvie Braibant 
Film russe (septembre 2017, 2h08) de Andrey Zvyagintsev avec Alexey Rozin, Maryana Spivak et Marina Vasilyeva

Titre original Nelyubov
Distributeur : Pyramide Distribution

Synopsis :Boris et Genia sont en train de divorcer. Ils se disputent sans cesse et enchaînent les visites de leur appartement en vue de le vendre. Ils préparent déjà leur avenir respectif : Boris est en couple avec une jeune femme enceinte et Genia fréquente un homme aisé qui semble prêt à l’épouser… Aucun des deux ne semble avoir d’intérêt pour Aliocha, leur fils de 12 ans. Jusqu’à ce qu’il disparaisse.

La musique, dans ma tête, raisonne encore comme un battement de cœur métallique.

Le film raconte comment un couple en plein violent divorce est obligé de faire cause commune pour rechercher leur fils de 12 ans, disparu.

Le film raconte comment une mère reporte sa hargne d’enfant mal-aimée sur son enfant. Comment cette part sombre a étouffé sa fibre maternelle, qui, quand elle est forcée à regarder le désastre en face, dans cette pièce sordide de la morgue, resurgit, la submerge. Cette mère qui ne se préoccupe jamais de cet enfant qui l’encombre, ne connaît rien de lui,  soudainement, brutalement, à la morgue, en voyant un jeune corps mutilé, hurle de douleur « Ce n’est pas lui, je n’aurais jamais laissée personne l’approcher !» . A ce moment là on se dit que, oui, tout aurait dû se passer autrement, si  Genia avait été aimée.
Le père est pire que tout dans sa représentation, passif, égoïste, irresponsable, ne se souciant que de lui-même, chargeant sa femme du fardeau « c’est quand même toi la mère ! ». Oui, c’est elle la mère. La mère qui ne voulait pas être mère. Qu’il a convaincue à le devenir.  On ne connaît pas de « raisons valables » à ce père pour l’être si peu.  Voulait-il seulement s’aliéner la jeune Génia en l’épousant enceinte de leur enfant ? Il va s’empresser, une fois cette histoire saccagée, de recommencer et faire naître d’une autre femme, un autre enfant blond. Pour le broyer. Mais il nous revient, au détour d’une remarque de Génia qu’il est un orphelin. Alors, condamné à abandonner comme il a été lui-même abandonné ?

Ce film raconte un pays, une société qui n’aime plus ses enfants et les abandonne. Un monde connecté en permanence sur un ailleurs effaçable en un clic, où on est emporté dans une fuite en avant, une course effrénée sur piste fermée où l’héritage religieux, ici un barbu orthodoxe, finit d’aliéner les compétiteurs. Personne ne « gagne ». Le seul challenge est de continuer à courir dans le même sens que les autres, en se délestant du poids superflu.

Le monde divague.

Ce film raconte aussi l’immigration dont on parle beaucoup dans les médias.
On voit plusieurs fois un homme, seul, qui passe.
La première fois quand Aliosha le croise rentrant de l’école par la forêt, trouvant ce ruban sensé marquer une limite à ne pas franchir qu’il lance et fait s’accrocher en haut d’un arbre où on le retrouve deux ans plus tard, voletant toujours dans le paysage redevenu hivernal.
La deuxième fois quand les parents réunis malgré eux dans une voiture, pour trois heures x 2 interminables, sortent de la ville en direction de la maison de la grand-mère. Le véhicule vient vers nous et sur le trottoir, à gauche, s’éloignant à pied de nous, marche cet homme seul. Comme pour nous pour avertir que les parents , à contre-sens, font fausse route.
La troisième fois, la nuit tombe, les recherches s’arrêtent au bord d’une route. A gauche, toujours, l’homme seul entre dans le bois sombre de son même pas décidé.
La quatrième fois on est devant un abribus, où une affichette montrant la photo de l’enfant recherché, a été collée sur la vitre latérale. On voit arriver cet homme qui s’arrête derrière la vitre regardant vers la droite où le regard d’Aliosha est, lui aussi, tourné.
La dernière fois, on le voit, ouvrier parmi d’autres ouvriers manifestement immigrés. La caméra nous montre d’abord notre homme fixant sur le mur, à droite, une barre servant à poser une étagère puis mouvement de caméra, à gauche, dans la même pièce, un ouvrier arrachant des lambeaux de papier peint … L’un détruit, l’autre batît. Dans cet ordre.
L’étranger, bientôt désigné comme le voleur d’enfant, le responsable de la perte d’identité nationale ? Ou bien désigné comme messager porteur d’espoir, de renouveau, de renaissance ?

Tous les bâtiments dans ce film m’ont fascinée. Les récents, comme l’appartement comme déjà abandonné et la chambre où Aliosha concentre son existence et que sa mère lui ordonne de ranger pour la vendre à un autre, comme si c’était possible, la cuisine ouverte sur  le séjour, où ses parents se déchirent et où l’enfant n’arrive plus à manger, ou aussi comme la magnifique maison de l’amant de Génia, moderne, épurée, ouvrant largement sur la forêt, habitée par la forêt avec cet arbre décoratif planté dans le salon. Comme la maison de la grand-mère, toute une histoire, cette maison ! remplie de haine et de venin, barricadée, impénétrable. Ou aussi comme le centre commercial vivant, le centre culturel mort, la cantine du travail du père filmée du dessus, terrifiante, les immeubles pleins de fenêtres aux vitres multicolores éclairées de l’intérieur etc, etc …

Je suis sortie du film muette devant ce monument à lui tout seul, souffle coupé, bouleversée par la beauté de ces images désespérées.

Marie-No

« Jalouse » de David et Stéphane Foenkinos

 

Synopsis :Nathalie Pêcheux, professeure de lettres divorcée, passe quasiment du jour au lendemain de mère attentionnée à jalouse maladive. Si sa première cible est sa ravissante fille de 18 ans, Mathilde, danseuse classique, son champ d’action s’étend bientôt à ses amis, ses collègues, voire son voisinage… Entre comédie grinçante et suspense psychologique, la bascule inattendue d’une femme

 

 

Jalouse, moi ? C’est la dernière réplique du film et on comprend, a posteriori pour moi, que là n’est pas le problème.
Nathalie est, à ce moment là de sa vie, foncièrement malheureuse et le malheur rend jaloux, méchant, fou. Elle a perdu le fil de sa vie, petit à petit sans le voir venir : son mari l’a quittée, sa fille s’est métamorphosée en une jeune fille superbe. Nathalie aborde la ménopause dans le déni, elle voit arriver dans le lycée chic où elle est prof,  une jeune femme qui va enseigner les mêmes classes qu’elle !  Et, patatras, un jour, commence son égarement …
C’était comment juste avant, un peu avant ? Son mari était parti, oui, bon, ils ne s’aimaient plus et t’as vu sa nouvelle femme, jeune mais quelle conne !, sa fille Mathilde, elle, suit sa lubie, la danse … ma fille, une danseuse ! elle n’en parle même pas … seuls les métiers de l’esprit sont dignes de sa considération.

Nathalie a cinquante ans, et elle n’a pas réalisé qu’elle avait changé, que son corps changeait, que dans « son » lycée où elle règne en khâgne, la suite, jeune et brillante arriverait forcément et serait accueillie à bras ouverts ! Que sa fille était devenue une jeune femme magnifique et qu’elle serait regardée de plus en plus et elle, femme devenue « mûre » le serait moins, de moins en moins.
Un jour, elle se réveille, et c’est tout son monde qui semble avoir changé. Son ressenti est d’une puissance telle qu’elle perd pied,  «disjoncte » . Elle va commencer sa défense , pour survivre, et s’en prendre à la terre entière, à ceux qui l’entourent en particulier. Ça va être d’une grande violence et elle va mettre sa seule énergie dans son acharnement à faire du mal aux autres. Elle va se perdre et aller très loin.
En sortant de la projection, je trouvais que c’était pousser un peu loin pour qu’au final tout redevienne bien lisse …
En y repensant, je vois Nathalie comme une métaphore de la fragilité féminine à cet âge de la vie et des tourments concomitants. Et c’est réjouissant que ce thème soit proposé et,  tout compte fait, si justement traité par des hommes. Certains âges  de la vie peuvent être des cataclysmes. Ils l’ont bien cerné. Savoir marcher sur des œufs pour répondre à une ruée dans les brancards. C’est la grande sagesse de l’ex mari et de sa jeune femme, qui toute « conne » qu’elle est, est d’une bienveillance à toute épreuve, de son amie Sophie et de son mari. Ils l’accompagnent pour l’aider à se remettre debout.
La fin qui semble un peu optimiste, ne l’est pas tant que ça. Nathalie s’est occupée des autres dans sa vie, de son mari, de sa fille, de ses amis, de son amie Sophie,  de ses élèves. Maintenant elle a franchi un cap. Elle va continuer sa route mais elle aura changée. Elle cherchera à élargir son cercle, à se préoccuper des autres, à les voir tout simplement, comme la vieille dame de la piscine, elle essayera de rattraper l’amoureux potentiel vertement econduit, de « reconquérir » sa fille, surtout.  Mais fragile elle restera.

Alors attention, danger. Nathalie est forte mais fragile. C’est ça qu’elle vient de crier. Très fort.

Marie-No

PS : Nathalie est considéré comme le deuxième prénom féminin le plus porté en France. Hier, aujourd’hui, demain … on sent (presque) toutes, un jour, un peu de Nathalie en nous, non ?