DESERTS-Faouzi Bensaïdi

Carte routière étalée sur le capot d’une voiture, deux hommes ne parviennent pas à se mettre d’accord sur la direction à prendre. La carte s’envole. Ainsi le spectateur est déjà prévenu du risque qu’il a de se perdre dans l’histoire qui va être racontée.

Durant la première heure, « Déserts » tient un discours parfaitement clair, montrant deux agents de recouvrement, Hamid et Medhi, qui parcourent le sud marocain désertique pour contraindre des emprunteurs très pauvres à rembourser l’argent emprunté à un organisme de crédit. Tous les moyens , même les plus cruels, sont bons pour récupérer les créances. Pour dénoncer un système ultra libéral destructeur et les conditions de vie de villageois démunis, le réalisateur utilise le ton de la comédie dans une succession de scènes loufoques. Bien que le travail de ces deux héros soit détestable, on se prend peu à peu d’affection pour eux devant leurs maladresses et les situations ridicules qu’ils provoquent. On comprend qu’eux aussi sont les victimes d’un système qui utilise des pauvres contre des pauvres et qu’ils trimbalent une bonne dose de soucis avec eux. Emprunter pour s’offrir un mariage, pour soigner une mère malade ou cautionner le mensonge d’un fils qui doit payer grassement des passeurs qui le conduiront sans certitude à cette Europe convoitée, est un luxe qui devient source d’une misère encore plus grande. Cette première partie permet aussi de découvrir, sous le Maroc officiel où l’alcool est interdit et où la condition des femmes est soumise à des lois conservatrices, un Maroc plus souterrain où les hommes se saoulent de bières et de vodka, se livrent à la prostitution féminine ou masculine. Le réquisitoire de Faouzi Bensaïdi contre l’ultralibéralisme et l’ubérisation du travail culmine avec le discours grotesque et caricatural de la manager qui stimule sa troupe de harceleurs en faisant miroiter des salaires multipliés par quatre à ceux qui seront les meilleurs.                                                                                                                               Le discours aurait pu s’arrêter là et le film aussi.

Mais le réalisateur fait intervenir le personnage de l’évadé amoureux, injustement emprisonné par son rival. Le film bascule sans transition ni carte pour orienter le spectateur. L’homme emprisonné reprend sa liberté ; le cinéaste aussi. Plutôt que de poursuivre sa critique stérile d’un monde capitaliste, Bensaïdi nous propose, ainsi qu’ à ses deux héros de départ, de prendre la tangente et de la hauteur. Après les avoir perdus de vue, nous les retrouvons perchés sur une falaise, dans un décor sublime, regardant impuissants, leur véhicule volé par l’évadé, se perdre à l’horizon. Ne maîtrisant plus rien, les voilà à l’arrêt, contraints de lâcher prise, de s’autoriser eux aussi la liberté de laisser tomber la pression mise sur eux. Le récit, depuis le début ancré dans une réalité sociale, prend des airs de western, plonge en contemplation dans la beauté profonde du désert, flirte avec le conte philosophique, s’autorise une histoire d’amour contrarié et de vengeance. Le traitement du temps et de l’image a lui aussi basculé. Beaucoup de plans fixes, un temps qui s’étire en une longue méditation. A partir de là, le spectateur doit s’abstraire du sujet de départ et se laisser aller à ce qu’expriment les images sans chercher une logique de récit. Dans une scène superbe, le cinéaste filme l’intérieur de la maison où vit Yto, la femme mariée contre son gré à un homme qu’elle n’aime pas. Un grand mur ocré, percé d’ouvertures, donne à voir ce qui se passe en bas et en haut à l’étage. Simultanément, le spectateur voit Yto qui s’apprête à fuir avec l’homme qu’elle aime, ce dernier qui vient la chercher et les témoins qui n’osent intervenir. Plus loin, la caméra se fixe sur le visage grave de cette même femme qui a fait un choix douloureux : se libérer d’un mariage forcé et s’amputer de ses enfants. Elle dénoue le fichu qui retient sa chevelure et la laisse se déployer dans un geste d’ultime liberté. Plus loin nous retrouvons Hamid et Medhi ; à l’occasion d’un bivouac au coin du feu, ils se livrent et s’offrent la liberté de parler de leurs blessures qui sont toujours celles du cœur. Soudainement ce sont des migrants qui surgissent . Des hommes qui espèrent encore se libérer de leur misère malgré le récit plutôt décourageant du passeur. Enfin il y a ce mur percé en son milieu d’une ouverture encadrée par deux arbres. Dans ce qui nous enferme il y a toujours une ouverture, que nos deux héros finiront par franchir. Derrière, le monde n’aura pas changé mais peut-être le regarderont-ils différemment parce qu’ils auront changé.

Cette deuxième partie qui semble plutôt décousue, je la vois comme un espace de liberté et d’humanité qui se dresse contre l’inhumanité d’un système économique et social où le monde s’engouffre. Elle nous met au défi de mettre de côté nos attentes de spectateurs pour entrer dans la créativité d’un auteur, au risque de nous perdre ou de nous endormir paisiblement, comme ma voisine. Une autre vertu de ce film, certainement.

Marie-Annick          

De nos jours … de Hong Sang-soo

우리의 하루 (Uliui halu) Notre journée

De nos jours … fonctionne par chapitres alternés et partagés entre une ancienne actrice et un vieux poète.
Et, ce matin, le lien entre les deux histoires m’apparait …
Comme quoi décidément, toujours « d’abord, dormir dessus ».
L’actrice qui ne veut plus jouer, rentrée depuis peu à Séoul et hébergée par une amie, c’est la fille du poète alcoolique qui tente de se sevrer !
Sa fille qu’il ne voit plus depuis qu’il a quitté sa mère. Quand ils ont divorcé, elle a pris son parti à elle et leurs jours communs se sont arrêtés. Un goût pour les siestes prolongées, l’ajout de gochujang dans les ramyun, leur histoire se profile à travers ces vestiges comportementaux d’un passé commun.
Et puis les guitares. C’est fou de ne voir ça que ce matin … La guitare qu’il a envoyé en version mini à sa fille biologique restée une enfant dans son souvenir et la grande guitare à cordes d’acier qu’il offre à la jeune réalisatrice qu’il a choisi comme fille adoptive.
Voir ce lien entre les deux histoires dans ce dernier film de Hong Sang-Soo qui est pour le moins … déconcertant, bizarrement, ça me réconforte.
4 mois après La Romancière, le film et le heureux hasard, le plus prolifique des réalisateurs coréens et peut-être des réalisateurs tout court, nous revient avec De nos jours …, un nouvel objet cinématographique qui ne ressemble qu’à lui.
Même en connaissant bien HSS, on peut trouver les 84 minutes longues. Ce n’est pas grave.

Un gros chat caressé et gavé de friandises pendant 10 minutes, un personnage qui mange des pâtes au piment en s’extasiant devant une caméra (scène d’ouverture). Il ne faut pas ici, et encore moins que « d’habitude » s’attendre à une quelconque scène d’action ou à une recherche de mise en scène : plans fixes et prolongés, zooms avant, recadrages intempestifs, les dialogues en forme de haïku évoquant les choses simples, peuvent paraître déroutants.
HSS nous « balance » au cœur d’une conversation, à la limite de comprendre ce qui se passe … poussant le minimalisme jusqu’à nous fournir avant chaque scène un carton avec un court texte qui renseigne un peu sur les tenants et les aboutissants et nous dit surtout que ce qui va être important ce sont les minutes qui vont suivre, ici et maintenant. Les protagonistes sont filmés en un lieu unique, en intérieur, pour ne pas risquer les rencontres fortuites qui viendraient perturer ces instants en suspens.
Hong Sang-soo ne prend jamais le spectateur par la main … et ne lui laisse pas le loisir de s’échapper. Il faut vouloir se concentrer sur les gestes, les silences, les conversations d’apparence anodine desquelles émane cependant toute la force de l’intrigue.
 » C’est quoi vivre ? demande l’apprenti écrivain au poète.
– Vivre ? Ce que tu cherches, c’est la bonne réponse, non ? Il y a trop de bonnes réponses, il y en a dans chaque livre. Tu en connais d’ailleurs déjà. Pas vrai ?
– Oui.
– Ce sont des mauvaises réponses.
– Toutes ?
– Oui, toutes. C’est pour ça qu’on est tous gauches, immatures et incomplets. On le devient tous à la fin. Mais quand on est en vie, on ne s’en rend pas compte. »

Plutôt un chifoumi que de tenter de répondre à des questions existentielles qui n’ont pas de réponse.

Au final, plutôt manger et boire tant qu’on le peut. Plutôt croquer la vie, savourer l’instant et être conscient de la possible fugacité des choses comme avec la soudaine et tragique disparition de Nous , le chat, qui donne l’occasion à la jeune actrice en devenir de se remémorer un moment disparu, moment unique, avec un autre Nous, chien celui-là, dont le propriétaire lui avait fait perdre la tête et exulter le corps.
Chez HSS, les films se suivent et se ressemblent. Il ne faut pas en vouloir autrement et se mettre en condition, tourner sur « off » le bouton de notre cerveau connecté à l’action, la turbulence, la fuite en avant, et alors le récit en apparence modeste et figé de Hong Sang-soo, qui semble ici se retourner sans soju sur son vécu et se demander ce qui a compté dans sa vie, fera son effet.
La magie des films de Hong Sang-soo, toujours, est dans la trace qu’ils laissent dans notre esprit en y distillant comme au compte-gouttes les détails qui nous avaient d’abord échappés.

Marie-No

Sur la branche de Marie Garel-Weiss (2)

Sur la Branche – France – 1h31 – 26/07/23 – Réalisateur : Marie Garel-Weiss Scénariste : Ferdinand Berville – Marie Garel-Weiss – Benoît Graffin LEGENDE PHOTO : Benoît Poelvoorde et Daphne Patakia

Pour incarner Djam, Tony Gatlif avait choisi Daphné Patakia aussi parce qu’elle avait la démarche de Charlot.
Dans Sur la branche, son 2ème long métrage pour le cinéma, Marie Garel-Weiss utilise dans les plans larges sa démarche pour coller à Mimi, le personnage principal, et ça lui va à merveille.
Bien à plat dans ses derbies, Mimi, jeune femme au regard doux et pénétrant, marche vers ce monde qui lui procure trop d’émotions et des réactions trop vives pour être « normales ».
« j’ai un peu de mal avec mon nouveau traitement, je suis obsessionnelle, mais c’est une qualité dans le travail, non ? » Non. Non plus.
Au cinéma, le sujet des désordres psychiques est le plus souvent abordé par l’autre versant, le sombre, celui qui fait les drames, et assez rarement par ce versant-ci en osant tenter d’en faire un atout comique et romantique en plus. C’est ce que réussit Marie Garel-Weiss avec Sur la branche, en faisant une comédie sensible avec un fond sévère qui remonte par endroits et pousse fort le plafond du genre.
L’histoire commence dans une institution psychiatrique -c’est beau, c’est vert, c’est calme, c’est où ?- Mimi échange avec un autre patient, celui qui fait souvent ce rêve que sa mère s’assied sur son lit et qu’il lui plante un couteau à pain entre les deux yeux (c’est sur « à pain » qu’on marque)
Mimi l’écoute sans sourciller et se réjouit qu’il soit sortant. Elle aussi sort bientôt.
Le film affiche d’entrée la nature et l’air qu’il lui plaira de jouer pour raconter ses quelques mésaventures, bien d’autres suivront, ce bout de vie d’une jeune femme différente, bipolaire, avocate qui n’a jamais plaidé. Elle revient à ce qu’elle aimait et, au culot, et par un heureux hasard, arrive à s’incruster au cœur d’un cabinet d’avocats parisiens. De fil en aiguille, elle se glisse dans la vie de Paul, ex associé dudit cabinet dont il a été viré, avocat véreux et bientôt radié de l’ordre des avocats. Mais ses démêlés ne nous intéressent pas tant que la rencontre entre la très idéaliste et très angoissée Mimi « je suis coincée à l’intérieur de moi-même car j’ai peur de la vie » et le désabusé Paul qui, en robe de chambre de jute qui pue (là, c’est sur « jute » qu’on marque), apprivoise sa dépression. Le duo s’embarque dans une affaire de justice compliquée qui les mène à Christophe (Raphaël Quenard, fascinant comme d’hab !) l’escroc que Mimi sait innocent et qui d’ailleurs se revèle être de son « pays », la Bretagne.

C’est rythmé, les scènes ne sont jamais étirées et on se prend au jeu, on se prend à croire furtivement que c’est possible, que Mimi va retrouver ses marques, celles de quand elle était petite et qu’elle était formidable, pour ses parents, aussi, tristes et retranchés dans le deuil de cette enfant-là.
Si le ton du film est parfois surprenant, par exemple lorsqu’à des moments inopportuns, Mimi parle de sa vie, de sa santé mentale, de ses pulsions sexuelles incontrôlables, qu’elle arrive parfois à vivre, Sur la branche réussit à être drôle sans jamais faire rire aux dépens de son héroïne en urgence absolue de sa vérité et de sa justice.
Enquête criminelle édulcorée, comédie romantique sans espoir, le sujet est cruel,
le film est une ode aux décalés, ceux qui ne cadrent pas dans la vie et ne seront jamais casés.
« Mimi n’a pas le sentiment des limites, même sa pathologie n’est pas une limite (…) « , « explique la réalisatrice Marie Garel-Weiss « On voulait faire une comédie : il ne fallait pas s’appuyer sur sa faiblesse, mais sur sa force. On est avec elle, à l’intérieur d’elle. Ce n’est pas pareil que de regarder quelqu’un et d’avoir une forme d’empathie ou de commisération (…) »
Pour porter ce ton comique Benoît Poelvoorde est excellent dans le rôle de Paul, personnage lâche, veule, et pourtant d’une grande sensibilité et extrêmement séduisant.
Daphné Patakia habite le beau rôle de Mimi que Marie Garel-Weiss lui offre. Une jolie jeune femme, amusante, obsessionnelle et butée, envahissante, incapable de comprendre les hésitations des autres, attachante.
Un temps en équilibre, Mimi a fini un jour par tomber de sa branche.
Perchée, elle l’est toujours. Autrement. Pour longtemps.
Marie Garel-Weiss réussit à nous faire tenir sur son fil entre le réel et le fantasmagorique.
Un beau moment, troublant, un style élégant, dont on sort joyeusement triste.

Marie-No

Anatomie d’une chute de Justine Triet

Vu 2 fois bientôt 3
Comment dire ? Le film exerce une telle attraction, plonge dans une telle sidération … Mon conseil serait de le voir une première fois, de laisser infuser, d’y retourner pour finir de s’en imprégner, voir comment tout ça s’articule.
Puis y retourner et … enjoy !
Sans vouloir percer le mystère de la mort de Samuel.
Accident, homicide, suicide ? Peu importe. Et de moins en moins au fil des visionnages.
Anatomie d’une chute, c’est l’histoire de la mort d’un couple, de la fin de l’amour et de ce qui la précipite, l’histoire de la déliquescence d’un couple et de son point de rupture.
Comment c’est arrivé ? Qu’est-ce qui est arrivé à Sandra et Samuel, les amoureux de l’affiche, pour qu’ils ne s’aiment plus ?
Ils ne se comprenaient pas mais ce n’est pas la raison. On ne se comprend jamais vraiment et c’est assez vivifiant. La chute n’a sans doute pas été amorcée par l’incompréhension. Non, le problème c’est quand on décide qu’on ne se comprend plus.
C’est là plutôt du côté du ressentiment que ça se passe. Un jour l’un(e) en a voulu à l’autre, l’un a reproché à l’autre son propre manque de créativité, son manque d’inspiration, l’un a reproché à l’autre de lui avoir volé ses mots, l’une a reproché à l’autre de l’avoir piègée dans son cadre de vie à lui, l’un(e) a reproché à l’autre l’Accident, celui qui a transformé leur enfant, leurs jours , leurs nuits.
L’abandon du fantasme de l’égalité, l’impossible égalité, aura donné la joute mortelle à leur couple vacillant.
L’un et l’autre voulaient pourtant assumer le poids de la charge mentale mais à condition d’être reconnu(s). Le jour où ils ne se sont plus dit merci, le jour où le constat d’ingratitude a été établi, ce jour-là, ils ont commencé à tomber et la mutation a commencé: i-el(le) est devenu inconnu et bientôt ennemi.
Anatomie d’une chute pose la question de la Justice.
Une femme est accusée du meurtre de son mari et ce film est aussi un film de procès jusqu’à la décision de justice qui va tomber. Daniel, l’enfant devient central. Il assiste à l’explosion du couple que formait ses parents, c’est très douloureux pour lui et pour nous qui ressentons viscéralement ce que lui ressent. De témoin, l’enfant clairvoyant devient juré faisant basculer le verdict et exerçant ainsi une influence décisive sur le destin de sa mère et le sien. Mouvements saccadés de la caméra pour suivre et rendre compte de l’agitation qui règne dans un tribunal, et dans les têtes, gros plans pour capter les regards, les simples froncements de sourcils, les battements de paupières, on est immergé dans cette salle d’audience, le souffle coupé !
Anatomie d’une chute, est un film où le personnage féminin et le schéma familial classiques sont inversés cf la scène de couple sans doute une des plus stupéfiantes jamais réalisées !
Dans la vie, Sandra ne demande pas la permission. Elle privilégie son accomplissement personnel, professionnel à elle avant de se préoccuper de celui de son mari et de sa carrière, de l’assistance et de l’éducation de son enfant, elle n’a que faire de la normalité sexuelle, conjugale, familiale.
Sandra n’est gardienne d’aucun temple.

Pour la musique envahissante qui arrive quelques minutes après le début du film, rejouée lors de la reconstitution, puis au tribunal lors du visionnage de l’enregistrement,, Justine Triet cherchait quelque chose d’assez léger qui contraste avec la situation. Le choix s’est arrêté sur « P.I.M.P » par Bacao Rhythm & Steel Band
(reprise instrumentale de la chanson de 50 Cent, avec des rythmes de steel band)
Pas prêts de l’oublier …

https://youtu.be/e9XJgbeycBQ?si=sEi1oMSGHeCbOUJj


Autres musiques du film
« Asturias » (Leyenda) – Milo Machado Graner
(pièce emblématique espagnole composée par Isaac Albéniz)
« Prélude en Mi mineur op. 28 n°4 – Chopin / par Milo Machado Graner et Sandra Hüller.
Variations sur un Prélude – Benoit Daniel, d’après Chopin


Par l’écriture ciselée, la mise en scène puissante, les acteurs : Sandra Hüller fascinante dans le rôle principal, une actrice au jeu magnifiquement opaque ici encore accentué par les ruptures linguistiques, Milo Machado Graner interprète Daniel, Antoine Reinartz, l’avocat général, terrible, Swann Arlaud, l’avocat de Sandra, inquiétant, l’équipe du film avec Simon Beaufils à la photo, Laurent Sénéchal au montage,
Ce film est un chef d’oeuvre


Je croyais que je me sentirais soulagée. (…) C’est juste fini.;

Marie-No

L’Eté dernier de Catherine Breillat (2)


Quand on ne sait pas mentir, il vaut mieux dire la vérité.
Or Anne (Léa Drucker) l’héroïne du film est avocate pénaliste, menteuse professionnelle donc.
Ce qui lui importe c’est 1) son métier (avocate spécialisée en droit de l’enfance) 2) ses filles adoptées sur le tard, des poupées-pansements sur la plaie ouverte de son ventre vide, laissé béat par un avortement qu’on rapproche d’une relation toxique, forcée (incestueuse ?) 3) son mari, sa maison francilienne. Son statut social.
En repoussoir, en garde-fou, figure Mina (Clotilde Courau) sa sœur coiffeuse, son double, celle qu’elle ne voulait pas devenir.
Partant de là, sauf si la passion s’invitait dans sa cour, de Théo son beau-fils âgé de 17 ans, elle ne fera qu’une bouchée, c’est certain !
De la passion, la vraie, celle qui fait tout oublier, qui fait s’oublier et tout quitter, Anne est très loin … Il teste et se prend au jeu quand elle s’amuse.
Quitter une soirée avec les amis de son mari, quantités négligeables, relations sans intérêt, et partir la nuit sur la trottinette électrique derrière un Théo qui part chercher des cigarettes, waouh … trop drôle ! Dans le registre « transgressons les interdits, on est jeune, soyons fous », pardon, mais cette scène a quand même quelque chose de ridicule. Même pas un semblant de vertige de l’amour ressenti.
Et la scène d’amour conjugal, consternante ! Faut bien y aller de temps en temps, la tête froide, le corps on n’en parle pas, elle attendant que lui ait fini sans cesser de monologuer, OK mais est-ce indispensable d’enfoncer le clou à ce point pour, au cas où ça nous aurait échappé, pointer du doigt leur vie sexuelle misérable, nous signifier l’absence de tout passion dans leur train train quotidien ? Pour justifier qu’elle se risque avec Théo ?
Le problème c’est que quand il s’agit de montrer la puissance érotique entre elle et son jeune amant, L’Été dernier n’a rien de singulier, rien de « sulfureux » pour reprendre l’adjectif qui colle aux films de Catherine Breillat. Au contraire, les scènes sont filmées sans corps emmêlés, sans contrechamps, sans échange. Catherine Breillat a demandé à Léa Drucker de reproduire le visage de Marie-Madeleine en extase du Caravage, c’est la seule expression d’un état extatique, de jouissance pure.

C’est d’un sujet bien moins scandaleux, tout simplement bourgeois, dont Catherine Breillat s’empare et sur le thème du désir incestueux d’une femme pour son beau-fils, s’enchaînent dans la première partie un chapelet de scènes attendues (éveil sensuel, frôlements) jusqu’au passage à l’acte. C’est laborieux presqu’ennuyeux si ce n’était le talent des Lea Drucker, Olivier Rabourdin, Samuel Kircher très bien en fruit défendu.
Tout a eu lieu mais rien n’a eu lieu.
Dans le deuxième partie du film, l’art de Catherine Breillat entrant en collision avec ce ronronnement se réveille.
Lorsque face aux accusations, Anne avoue que « c’est ignoble », elle semble d’abord se juger elle-même avant de faire volte-face et jouer la femme indignée, campant sur cette position jusqu’à la scène finale.
Dans les scènes de mensonge éhonté, devant le mari, puis devant le beau-fils accusateur, et face à l’avocat de celui-ci, Anne, sans sourciller, fait fi de tout pour préserver les apparences.
Perchée sur ses talons hauts et habillée de robes d’une coupe impeccable reproduite en plusieurs couleurs claires et toujours assorties à ses escarpins, Anne a décidé de ce que serait la vérité.
L’Eté dernier, remake du film danois Queen of hearts de May El-Toukhy, pose un problème fondamental: il sonne faux du début à la fin. Impossible de croire à la trame de L’Été dernier. La pauvreté confondante des dialogues faits de poncifs et l’invraisemblance des mots dans la bouche de cet adolescent qui s’exprime dans une langue d’un autre âge que le sien.
On passe de l’attitude agressive et insultante de Théo réticent à toute possibilité d’intégration chez son père qu’il déteste de ne pas lui avoir donné du temps, qui cambriole la maison où il est accueilli, à Anne qui lui demande en toute confiance de la tatouer, à une scène intime dans l’herbe où elle se laisse, c’est un comble, enregistrer !

L’Été dernier est trop petit, avec des airs de téléfilm, ne racontant rien de bien passionnant sur le sujet si délicat de l’inceste dans une famille recomposée.

L’histoire illustrée à gros coups de crayons, sans appuyer là où ça aurait fait mal, donne un film tranquille qui manque de chair, d’ambiguïté, de consistance.
Reste que le plan final est quand même très réussi.

Marie-No

Yannick de Quentin Dupieux

Ce long-métrage a été tourné en secret en six jours. Le réalisateur confie « je voulais faire autrement, en dehors des rails classiques de production. Je fais un film par an, avec une préparation sur plusieurs mois et une forme de confort. Là, j’avais envie de revenir à mes premières amours, c’est-à-dire au film impossible. J’ai toujours au fond de moi ce truc qui brûle, ce goût du film qui ne devrait pas exister. Yannick est comme une sortie de route dans ma filmographie, c’est un objet à part. »

Quentin Dupieux surprend toujours.
On aime ou on n’aime pas mais ce n’est pas si simple. Moi, je l’aime parfois beaucoup (Au poste, Incroyable mais vrai) et parfois (vraiment) pas du tout (Le Daim).
Yannick, son 12ème long métrage (une idée de rétro) est le film surprise de l’été, on ne l’a pas vu venir, comme tombé du ciel, financé en fond propre, sans garanties de chaînes télé ou d’un distributeur, tourné en 6 jours donc et contrairement à ce qui se fait souvent, dans un décor qui n’est pas créé pour l’occasion -pas le temps de toutes façons- mais dans un vrai théâtre, le Dejazet, un des plus anciens de Paris, un bijou.
Un écrin pour un huis clos court (1h07 générique compris) et percutant, un thriller mi comédie mi drame. Une tragédie plutôt, déguisée en comédie. Il faut bien donner le change.
Plein de surprises, ce Yannick.
Un postulat de départ : un spectateur mécontent interrompt une mauvaise pièce de théâtre de boulevard. Le quatrième mur tombe. La forme conventionnelle du film fait mine de ne pas contenir le récit qui s’échappe, s’égare et rebondit. C’est comme ça que Quentin Dupieux nous cueille. Son cinéma est toujours moins absurde qu’il n’y paraît d’abord. C’est de ressentiment, de peur, de cynisme, de sadisme, de vide, de mépris, de frustration, de manque de reconnaissance, de grande solitude dont il est question.
C’est comme ça que Yannick nous cueille, par son originalité maîtrisée, et la profonde émotion qu’il suscite. Ses quatre comédiens y sont pour beaucoup. Raphaël Quenard/Yannick, en tête, sur qui le film est centré, pour qui le film a été écrit et qui nous transporte en même temps qu’il transporte les spectateurs du théâtre où la comédie puis la tragédie s’installe. Brillant. Raphaël Quenard du Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand. Brillant décidément !
Autour de Yannick, les personnages ont peur mais rien ne pourrait les empêcher de se moquer. Quelque chose se passe, ça monte … avec, en point d’orgue, le pétage de plombs spectaculaire de Paul Rivière/Pio Marmai.
Bravo, c’est ça qu’attendait Yannick ! l’Art est là, l’authenticité est enfin là, on applaudit l’acteur vidé, entouré. Yannick a obtenu ce qu’il voulait et il est gagné par l’émotion, celle qu’il venait chercher, ici, ce soir et qu’il a dû arracher !
Encore plus qu’à l’habitude chez Quentin Dupieux, l’histoire est concise, ramassée, avec des plans longs et larges nécessitant un jeu parfait.
Sur l’écran noir de fin, on a tout le temps de voir la suite
Et ça serre le cœur, très fort.
Le prénom Yannick signifie « Dieu fait grâce », « Dieu pardonne » …
Encore heureux qu’Il pardonne !
C’est beau et c’est tragique.
Avec Yannick, Quentin Dupieux nous offre peut-être son plus beau film.
A ce jour.
Marie-No

Alma Viva de Cristèle Alves Meira

Comme chaque été, Salomé, incarnée par la jeune Lua Michel dont le regard profond nous happe dès la première image, passe ses vacances chez sa grand-mère (Ester Catalão), sa chère Avó, dans le petit village très isolé de Trás-os-Montes (derrière les monts), dans le nord du Portugal, un territoire secret très peu filmé et où le temps semble s’être arrêté pour de faux et probablement pour de vrai.
Le film s’ouvre justement sur l’oeil de Salomé dissimulée derrière un rideau, faisant penser au regard du comédien observant les spectateurs qui arrivent et prennent place, et il se referme sur son regard face caméra fort, libéré.
Il s’en est passé des choses entretemps !
Tout commence par une veillée mortuaire, au cours de laquelle Salomé se joint naturellement aux incantations de sa grand-mère à Saint Georges, elle chante avec elle et allume les cigarettes destinées à apaiser l’esprit du défunt, admirative et adepte naturelle des rites magiques et autres conversations avec les morts de sa chère Avó.
Nous plaçant pour le reste de l’histoire à hauteur de la petite fille, ce premier plan nous plonge de fait dans un espace de cohabitation entre les vivants et les morts, entre réalisme et onirisme, avec souvent le son avant l’image, l’oreille avant l’œil, et petit à petit tout s’ordonne avec l’entrée en scène de tous les protagonistes de cette histoire de rires et de larmes, de ce récit entre drame et comédie familiale que Cristèle Alves Meira nous raconte si bien.
Autour de cette grand-mère gravitent Salomé, aimée et libre comme l’air, la tante et l’oncle aveugle restés au village, le cousin, les parents absents, un deuxième oncle qui arrive de France avec sa voiture rutilante, un autre oncle qu’on attendra longtemps. Et la voisine.
C’est une partie de pêche miraculeuse (à l’explosif !) à la rivière, qui va réveiller des vieux démons et faire basculer le film dans une tragi-comédie mystique.
Quand, avant de s’éteindre, se tordant de douleur après avoir dégusté les poissons préparés par la voisine, Avó, dans un dernier souffle, accuse cette dernière de l’avoir empoisonnée, Salomé la croit dur comme fer et, comme habitée par l’esprit de son aïeule, commence alors à se comporter de façon étrange, comme happée par un vertige vers la mort, comme possédée.

Sans basculer dans le film de genre, la cinéaste nous offre une poignée d’images saisissantes : devant une psyché, dans un cauchemar, la vision terrifiante du corps de l’enfant flanqué du visage de la vieille femme morte, ou montrant la petite fille errant la nuit dans le village en âme vengeresse ou encore allongée, immobile, au fond d’un trou (ici la future piscine de l’oncle Joaquim débarqué de l’Hexagone), prête à être ensevelie… C’est tout le village qui est secoué.
Tout doucement, le récit injecte des éléments surnaturels faisant subtilement évoluer le film tout en maintenant l’équilibre, comme sur un fil, grâce à la délicatesse du récit et à la profondeur des personnages de Cristèle Alves Meira et grâce aussi à la photographie du chef opérateur Rui Pocas. Merveilleuses images pour un merveilleux récit. Grâce aux acteurs dont les nombreux non professionnels issus de cette terre et qui en parlent la langue de génération en génération.
« Tôt ou tard, toutes les femmes indépendantes se font traiter de sorcières », « les vivants ferment les yeux des morts, les morts ouvrent les yeux des vivants », assène l’oncle malvoyant, figure de tragédie grecque , alors que se déchaînent les passions de la famille réunie par le décès de la mère et déchirée par les questions d’héritage, divisée en clans, les exilés/déserteurs contre les résidents au long cours dont la tante enchaînée au village par son amour interdit.
Salomé finira par dire à sa grand-mère qu’elle l’aime plus que toutes les étoiles du monde mais qu’elle ne veut pas devenir sorcière. Qu’il faut qu’elle la laisse et la libère de cet habit pas taillé pour elle.
Le film se conclut suivant les codes de la tragédie semés en route (l’orchestre en guise de choeur antique, les oracles de l’oncle aveugle, l’exil, les jets de pierre, l’ensevelissement…) unissant le mythe et le contemporain.
Alors que le feu, un fléau du siècle, cerne le village, l’aïeule est enfin portée en terre et la pluie providentielle, miraculeuse, se met à tomber calmant les furies, éteignant les passions. Merci Avó.
Cristèle Alves Meira dit « Ce film, je l’ai tourné dans le village de ma mère. Je suis née en France de parents portugais qui ont émigré dans les années 70, au moment de la dictature de Salazar. Ce village, je l’ai côtoyé depuis mon enfance, et j’ai voulu filmer ce territoire, ces montagnes chargées de mes ancêtres, des mémoires des anciens et de beaucoup de légendes. En fait, c’est une région habitée par la culture celte, par conséquent, il y a encore énormément de traditions qui sont vouées à disparaître. Ce film est une façon de les imprimer et de les garder pour toujours. Je voulais absolument poser mon regard sur des croyances secrètes et taboues, sur la sorcellerie, sur les guerres entre voisins et les litiges qu’elles génèrent : Alma Viva est le résultat de tout cela. »
« Tu es comme moi, tu as le corps ouvert » célébrant la force protectrice d’une lignée de femmes tout en proposant une réflexion sur la transmission au sein d’un gynécée moderne, où jalousies et vanités peuvent se dresser en d’infranchissables obstacles, Alma Viva, donne à voir ce qu’est le deuil, la douleur de perdre une « âme vivante » et fait réfléchir sur les regrets, les manquements. C’est un film profond, cocasse qui parle d’adultère, d’amours interdites, transgressives, un film qui parle de la vie et de la mort, qui montre les cadavres dans les cercueils, les mouches, les odeurs, les viscères des poissons, la toilette de corps vieux, lourds et abîmés, un film qui montre la danse, les rires, la petite fille coiffant sa grand-mère tant aimée. C’est poignant.

Avec Alma Viva, Cristèle Alves Meira signe un premier long-métrage remarquable, ensorcelant et délicat, tragique et léger.

Marie-No

Alma Viva a été sélectionné à la semaine de la critique à Cannes et représentait le Portugal aux Oscars 2023.

Le Barrage d’Ali Cherri (2)

Partir d’un lieu, d’un paysage, voir ce qu’il montre de la violence du monde et, la laissant hors champ, capter dans l’air, la terre et l’eau toutes les particules qu’elle a semé tout au long des siècles, à cet endroit précis et dans les esprits qui le peuplent.
Au barrage de Merowe au nord du Soudan, on rencontre ceux que l’ouvrage a délogé et qui, n’ayant pas « d’ailleurs », sont restés, se sont installés de manière sauvage autour du lac artificiel, précisément là, à cet endroit, pour sentir sous leurs pieds la terre où ils sont nés.
Pour vivre, ils ont rejoint les ouvriers, malaxant sans relâche cette terre argileuse pour en mouler des centaines de briques, d’abord séchées au soleil brûlant, cuites ensuite, tous condamnés à recommencer inlassablement sans connaître jamais l’emploi qui leur est destiné.

Maher (Maher el-Khair) est de ceux-là.
Dès les premières images, on est frappé par sa force, sa présence, l’intensité de son regard. Par son immense beauté, par les proportions sculpturales de son corps.
Maher s’échappe régulièrement vers le désert, à l’écart du monde des hommes, des humains, pour sculpter une étrange créature qu’il façonne de ses longues mains, y apposant ça et là, par petites touches, en caresses, de la terre mouillée, se plongeant tout entier dans un monde où tout est possible.
Maher fait des allers-retours entre l’âpre réalité de sa condition, et son monde imaginaire. Et peu à peu, s’absente du monde réel, de son quotidien soumis à la régularité de son labeur et rémunéré au bon vouloir d’un patron à main claire.
Quand la pluie fera s’écrouler sa créature, elle se fondra en lui totalement, le rendant fort de pouvoir la faire renaître un jour.
Montré par les superpositions où il s’évanouit dans l’image, son travail de détachement a commencé et dès lors on ne distingue plus très bien ce qu’il voit de ce qui se passe dans sa tête.
Cette évolution passe inévitablement par la violence, métaphorique et aussi physique. Quand il tue le chien, il le libère et se libère aussi de l’oppression du monde, il s’ancre dans son espace imaginaire, colmate les brèches en brûlant le camp, précipitant les habitations et l’outil de travail dans la fournaise.
La blessure marquée dans le dos de Maher est particulièrement intrigante. Elle semble évoluer et, bien que soignée, s’aggraver pour ressembler de plus en plus à de la terre séchée, comme s’il allait lui-même devenir une créature de boue. Il plonge son doigt dans le trou, le pénètre comme pour s’en persuader. Cette blessure est si troublante … et, en y repensant, c’est une image oubliée de Saint Thomas mettant son doigt dans les stigmates de Jésus pour croire à sa mort et surtout à sa résurrection qui se juxtapose. Etrange et dérangeant de se la remémorer au cinéma. Une autre violence.
A la fin du film, lorsque devant la statue titanesque surgie des profondeurs du Nil, Maher s’immerge tout entier, s’offrant alors à ses eaux pour disparaître et renaître, la blessure disparaît.
Le temps est venu de l’apaisement, du lâcher prise, de l’abandon.
De l’enchantement.
Par la présence magnétique de Maher, Ali Cherri approfondit par le cinéma son travail d’artiste sur les répercussions de la violence sur la vie minérale, animale, végétale.
Magnifique par ses images sidérantes montrant des paysages grandioses de cette région du Soudan et grâce à la présence magnétique de Maher, Ali Cherri, tisse une toile mêlant réalisme et fantastique pour faire de son premier long métrage, Le Barrage, une œuvre cinématographique originale et fascinante.
Et qui laisse place à de nombreuses interprétations.

Marie-No

The Lost King-Stephen Frears

                                    

Avec ce dernier film, Stephen Frears continue le travail commencé avec « Filoména » et «  Florence Foster Jenkins », dressant le portrait de femmes ordinaires mais extrêmement courageuses. Filoména a recherché toute sa vie l’enfant qu’on lui avait retiré et Florence Foster Jenkins est parvenue à devenir cantatrice alors qu’elle n’avait que peu de talent.

   L’héroïne de son film c’est Philippa Langley, une historienne amateur qui se met en tête de retrouver la tombe du roi Richard III, une aventure invraisemblable qui lui demandera huit ans de recherche obstinée et lui vaudra beaucoup d’incompréhension tant au niveau de son entourage qu’à celui des spécialistes. Persuadée avec d’autres ricardiens qui vont beaucoup l’aider, que Richard III n’est pas le monstre que décrit Shakespeare dans sa pièce,  et que sa tombe se trouve dans le choeur de l’ancienne église de Greyfriars devenue parking, elle va soulever des montagnes pour parvenir à son but. Si le réalisateur prend des libertés avec la vie privée de la vrai Philippa, en revanche il montre la réalité du travail acharné qu’elle a mené, s’entourant de personnes sérieuses comme Annette Carson, John Ashdown Hill ou Audrey Strange qui vont lui donner de précieuses informations. Le film montre une Philippa parfois fragilisée (elle souffre de fatigue chronique accentuée par le stress) ou décrédibilisée mais toujours portée par une foi totale et une intuition qui ne la lâchera pas. Son obsession de réhabiliter ce roi maltraité par l’histoire est matérialisée par l’apparition de l’esprit de Richard III avec lequel elle prend l’habitude de parler, procédé contestable qui manque à mon goût de subtilité mais qui montre qu’en faisant ces recherches elle vit dans un autre monde, un monde où elle se sent bien.

Sally Hawkins parvient à nous toucher dans ce combat de femme passionnée mais sans déraison, armée de connaissances immenses mais sans diplômes qui affronte cinq cents ans de mensonges à l’encontre de ce roi. Stephen Frears filme une double réhabilitation . Celle de Richard III dont le squelette mis à jour ne révélera ni bosse, ni bras atrophié ni jambe plus courte mais seulement une scoliose sévère lui donnant une épaule plus haute que l’autre, qui aura enfin droit à une sépulture et sera reconnu roi légitime et non plus usurpateur . Celle de Philippa Langley qui renoue avec sa vraie valeur à travers ce parcours du combattant. Historienne sans titre, mise à l’écart par les sachants de l’université de Leicester quand enfin ses huit années d’ efforts sont couronnés de succès, il lui faudra attendre trois ans avant d’être récompensée de l’Ordre de l’Empire Britannique par la reine et cinq années de plus pour que Stephen Frears lui rende cet hommage. 

     Si « The lost king » ne fait pas partie des plus belles réalisations de Stephen Frears, il a du moins le mérite de rappeler que l’une des premières règles  à appliquer dans la recherche, quel que soit le domaine, est de toujours remettre en cause ce qui semble être tenu pour vérité.

Marie-Annick

Chien de la casse de Jean-Baptiste Durand

stoïcien, stoïcienne
adjectif et nom (latin stoïcius) : qui témoigne d’une impassibilité courageuse devant le malheur, la douleur etc


Dog est donc stoïcien, sans aucun doute
Et cela illustre toute l’ambiguïté des personnages de l’histoire où nous emmène Jean-Baptiste Durand.
C’est l’histoire de Dog et Mirales. De Mirales et Dog. Et, un jour, arrive Elsa, l’étincelle, qui, par un concours de circonstances, va être le détonateur, un détonateur silencieux, pour une mise à feu que Mirales, et Dog aussi, avaient depuis longtemps en ligne de mire.
Depuis la sixième, première année de collège, l’année de leur rencontre quand Mirales/Antoine arrive au Pouget chargé de son fardeau qu’il mettra tout ce temps à déposer, en partie seulement mais en grande partie, aux pieds de Dog/Damien et au prix d’un sacrifice.
C’est Mirabar, son chien, qu’il sacrifie sur l’autel de l’âge adulte, Mirabar dont l’oraison funèbre nous émeut autant qu’elle nous fait sourire comme tant d’autres scènes de ce film rédempteur, salvateur, subtil, enthousiasmant.
Comme souvent dans la vie, le plus en souffrance n’est pas celui qu’on croit. Jean-Baptiste Durand nous balade au bras de ses deux héros, nous invite chez eux, creuse leurs pluralités.
On balance entre Dog, taiseux et introverti et Mirales hâbleur et provocateur, cruel, tragique lascar vendeur de shit, épris de littérature et de mots, il cite Montaigne, connait très bien l’œuvre de Hermann Hesse (cette scène aussi nous fige). Mirales aux manières impeccables et bien cachées (la scène d’anniversaire au restaurant !), Mirales, pianiste refoulé, échoué,qui se délecte des notes de sa voisine pianiste interprétées par Evelina Pitti (magnifique personnage !) qui répète la Tempête.
Lui qui comme pour s’étourdir, met du rap à fond dans sa « caisse » vit avec sa mère fragilisée réfugiée dans sa peinture, il la nourrit … Mirales l’écorché vif, qui se la joue voyou, mâle toxique, se débat, fait du bruit, prisonnier en liberté, âme errante et maudite attachée à un lieu qu’il s’applique à faire son tombeau. Un écorché vif et dans ce rôle, Raphaël Quenard, un Dewaere en puissance !
Dog, son pilier, son ange gardien, quasi muet car que dire, que faire sinon attendre stoïquement le dénouement qu’il présage et finit par forcer, est joué par Antony Bajon dont la présence occupe l’espace de façon magistrale. Anthony Bajon (29 ans), repéré dans Les Ogres de Léa Fehner, retrouvé entre autres dans La Prière de Cédric Kahn, Tu mérites un amour de Hafsia Herzi.
Une bombe !

Dans Chien de la casse, son 1er long métrage, Jean-Baptiste Durand nous parle de ce qu’il connaît, une jeunesse péri urbaine, nous invite chez lui dans un village de l’Hérault, hors saison, ses rues vides, ses volets clos, l’ennui qui rode, … où il fait si bon vivre la poésie au quotidien.

Chien de la casse dans la subtilité des relations entre ses personnages fascinants et touchants d’humanité, trouve son tempo, son existence et c’est magnifique !

Marie-No

Pour information : Si vous n’avez pas pu le voir ici à l’alticiné ces dernères semaines, Chien de la casse est toujours programmé et dans de plus en plus de salles (90 la semaine dernière, 152 cette semaine dont Fontainebleau)