Journal des Ciné Rencontres de Prades 2021 (4 et fin)

Si le festival de Prades 2021 comporte peu de nouveaux longs-métrages de fiction, les courts-métrages ont été à l’honneur, au total 32 courts-métrages (dont 8 Iraniens)…

Nous avons également pu apprécier trois nouveaux documentaires :

« Du Rififi dans le tiroir » d’Anne Morin, cette femme et son époux se sont lancés dans une procédure d’adoption, seul le Mali rendait possible l’adoption. Anne Morin décide de filmer méticuleusement l’aventure de cette adoption, avec ses impasses, les affres de l’attente particulièrement dues au changement de pouvoir et à l’évolution des législations au Mali. Et son combat pour aboutir… Elle utilise parfois la fiction pour faire comprendre ce qu’elle a éprouvé. Ce documentaire comporte bien quelques longueurs, mais il est touchant et sa fin est heureuse. Le Jury Jeunes en a fait son premier prix. Anne Morin était autant émue que si elle avait reçu une palme d’or !

« Retourner à Sölöz » de Serge Avédikian en présence de… Serge Avedikian. Nous le connaissons, nous l’avons vu aux Cramés de la Bobine et pour certains d’entre nous à Prades en 2016. Chacun se souvient de son énergie et de son enthousiasme communicatif. Sölöz est un lieu de mémoire pour lui-même, la communauté Arménienne, pour les Turcs quoi qu’il en soit, et pour l’humanité. De quoi est faite cette mémoire et qui accepte de la faire sienne ?

Avant le génocide, ce village était celui de ses ancêtres, après le génocide des Turcs de Salonique y furent transplantés, Avedikian s’y est rendu 4 fois entre les années quatre-vingt et maintenant. Ce lieu ou à chaque voyage les traces matérielles des Arméniens s’effacent davantage est aussi pour Avedikian l’occasion d’échanger avec les habitants. Comment dialoguer, comment se rapprocher, garder le fil ? Ce Documentaire est à découvrir. D’ailleurs l’œuvre entière de Serge Avedikian le serait.

Et Pour finir avec les documentaires voici « Charlie Chaplin le Génie de la Liberté » d’Yves Jeuland et François Aimé, ils n’en sont pas à leur coup d’essai, ils avaient réalisé ensemble un documentaire sur Jean Gabin. Charlie Chaplin dure 2h25 et on ne voit pas passer le temps, c’est un travail superbe qui a necessité des années de travail. Aucun subterfuge, pas de fausses interviews de gens qui l’ont connu, seulement des extraits de films et de reportages. L’Homme privé Chaplin, l’Acteur Charlot, L’homme public Chaplin, tout cela est impeccablement tressé avec des commentaires bien documentés. Ce travail est un chef-d’œuvre ! S’il n’était pas possible de le présenter aux Cramés de la Bobine, il vous faudrait aller le voir où qu’il passe!

Le festival se termine par une carte blanche à Thierry Laurentin, Directeur de programmation à la Gaumont et… Cinéphile. 3 films Panique de Duvivier 1946 (Une adaptation de Monsieur Hire de Simenon), Ten de Abbas Kiarostami 2002 et The Swimmer1968 de Franck Perry… 3 chefs-d’œuvre présentés et débattus par Thierry Laurentin, et avec quelle maestria ! On ne peut souhaiter qu’une chose, que ces films superbes prennent place dans Ciné Culte !

Les ciné rencontres de Prades, sont un peu une université d’été des amateurs de cinéma. Et si l’on peut regretter l’absence de nouveautés, sa tenue qui n’a rien à envier aux années précédentes laisse augurer un excellent cru 2022.

Journal des ciné-rencontres de Prades 2021 (3)

Les réalisatrices irannienes

« Vous croyez regarder le cinéma ? C’est le cinéma qui vous regarde »

Thierry Laurentin

Quatre longs-métrages et une série de courts, filmés entre 2000 et maintenant, tous réalisés par des femmes, ajoutons « Ten »d’Abbas Kiarostami qui est un film qui concerne les femmes, tout cela donne à la fois une idée de la vitalité d’un cinéma iranien et nous fait entrevoir un paradoxe, plus de 30 réalisatrices !.. et dans un climat de censure omniprésente dont nous reparlerons.

Mais d’abord, un mot sur la condition des femmes, elles ont le droit de vote, elles portent le voile d’une manière très différente de celles des autres pays musulmans, le noir et les couleurs caca, s’ils gagnent du terrain, ne sont pas sur toutes les têtes féminines. Elles peuvent être élues et d’ailleurs le sont, elles travaillent au même titre que les hommes, et nombre d’entre elles occupent des postes importants, d’ailleurs nous signale Mamad Haghighat, (l’homme par qui le cinéma iranien nous pouvons apprécier le cinéma Iranien) : « 60% des universitaires sont des femmes ». L’Iran n’est donc pas le golf, loin de là. Néanmoins, la vie des femmes demeure, pour utiliser la formule d’Ajar, « une vraie source de vie quotidienne, avec tous les soucis et les peines », et nous pourrions ajouter avec les interdits, les « devoirs », les inégalités.

Néanmoins, il y a un cinéma Iranien Féminin. Comme l’ensemble du cinéma iranien, il est soumis à une stricte surveillance, en amont les scénarios sont lus et « corrigés » et en aval par la censure ! Loin d’être une digue infranchissable cette censure oblige les réalisateurs à redoubler d’astuces et de malice. Les censeurs de leur côté sont moins remarquables par leur sagacité que par leur soumission à l’autorité politico-religieuse.

Comment faire pour éviter la vindicte castratrice de ces gens-là. La liste des ruses ne sera jamais exhaustive car la créativité des réalisateurs est sans borne voici quelques exemples : parler d’une histoire passée transposable aujourd’hui, faire trois courts-métrages (les censeurs sont moins regardants sur les courts) puis les rassembler ; tondre les cheveux de l’actrice pour pouvoir montrer sa tête sans voile (le voile a pour but de cacher les cheveux) donc le voile ne s’impose plus etc. Et pour éviter le regard des autorités sur le tournage, préférence est donnée aux lieux clos, appartements, voitures. Bref, à bon chat, bon rat ! De sorte que l’imaginaire et la créativité des Iraniens en sont décuplés ! Dans ce système, les femmes ne sont pas des talents secondaires, elles sont pour certaines des réalisatrices géniales.

Les films que nous avons vus :

Marzieh Meshkini ouvre avec « Le jour où je suis devenue femme » 2001, un triptyque. En trois récits, elle décrit le pouvoir masculin dans ce qu’il peut avoir d’abominable, tel cette petite fille de 9 ans, arrachée à ses jeux d’enfants pour mettre son foulard, prélude à être maquillée, richement vêtue puis présentée au « Monsieur » qui va l’épouser où cette femme sur un vélo, parmi des dizaines de femmes à vélo, (les femmes sur un vélo, ce n’est pas islmique) poursuivie pas un cavalier qui la menace d’une manière cavalière et offre aux spectateurs une image géniale et insolite comme seul le cinéma peut en produire ! Où encore cette veuve âgée, devenue riche qui réalise des vœux devenus dérisoires et puérils. Mariées enfants, sous tutelle, libres trop tard, est-ce ainsi que les femmes vivent ?

Avec ce documentaire, Mitra Farhani avec « Fifi hurle de joie » en 2012 nous transporte en Italie pour faire connaissance de l’œuvre sculptée ou peinte de Mohasses, ce personnage un peu transfuge, censuré au plus haut point puisque ses œuvres ont été détruites par la censure en Iran, qu’il en a détruit lui-même une partie, montre le prix à payer pour être libre. Et son oeuvre témoigne de cette intolérable liberté. (Ajoutons qu’il était homosexuel, ce qui ne devait pas arranger son affaire)

Rakhshan Bani-Etemad 2013, avec « les contes » une critique très vive de la société ordinaire et de l’oppression quotidienne des braves gens par ce pouvoir diffus d’opprimer l’autre, constitutif d’un pouvoir plus grand.

Enfin, il faut surtout retenir « Le Fils » de Noshin Meraji, 2021 parce qu’il est récent, c’est un film très original. Il nous dit d’une manière ironique, avec un comique un peu noir et d’une manière pénétrante sur quoi repose un masculin pas si singulier que ça. Ce film Iranien atteint la fantaisie d’un film italien. Un film à voir, et nous ne pouvons qu’espérer qu’il pourra être présenté aux cramés de la bobine.

À suivre… Prochain billet et pour finir, je vous toucherai de quelques mots d’autres films du festival.

Journal des Ciné rencontres de Prades 2021 (2)

Prades, tout commence par ce « single » musical sur fond de Clip, (voir ci dessus), et des spectateurs qui tapent des mains pour accompagner la musique. C’est la même ambiance, la même magie du lieu, beaucoup d’habitués, nous le savons parce que nous le sommes un peu devenus.

Nous avons vu le documentaire de Chris Marker sur Simone Signoret, sincère, lucide sur elle-même, quelquefois drôle, toujours consciente. Les morceaux d’interviews sont épatants, car jamais dans ses réponses aux questions, elle ne se place où on l’attend, toujours elle surprend. Et puis Chris Marker, quel documentariste !

Nous avons déjà vu quelques bons films de cinéastes iraniennes, présenté par Mamad Haghighat que les habitués de Prades connaissent bien. Mais je remets à plus tard de vous en parler, parce qu’il va y en avoir beaucoup et en ce moment c’est aussi la rencontre avec Damien Manivel et la projection de tous ses films. Tous ceux d’entre les Cramés de la Bobine qui ont vu ses films n’ont jamais manqué d’être perplexes et déconcertés. Tous ceux qui l’ont entendu commenter ses films ont toujours été intéressés par la manière qu’il a de parler de son travail, il y a une sorte de candeur et de profondeur dans ses propos et toujours ce flou artistique. On a aussi l’impression qu’il élabore et réinvente en permanence son commentaire.   

Vous souvenez-vous de Chantal Akerman, elle disait quelque chose comme « si à la fin d’un film vous dites : « je n’ai pas vu passer le temps », c’est qu’on vous a volé votre temps !

Damien Manivel

Le temps, c’est le premier sujet de Damien Manivel, et son parti pris, c’est la lenteur. Qu’est-ce qui se passe durant ses films ? Rien ou presque, ces riens qui sont le sel même de ses films, l’imprévu, une lumière, un son, une apparition imprévue dans le champ. Son travail se manifeste souvent par des détails insolites. Quant à sa manière de filmer, un cinéphile de Prades remarquait : « pour filmer on commence par dire « Action », or il nous présente un cadre vide, l’acteur y entre par un côté, un peu quand il veut… » 

C’est exagéré ! Sans doute n’est-il pas conventionnel pourtant son travail est reconnu, il n’y a aucun doute sur ce point,  l’un de ses courts-métrages lui a permis d’obtenir le prix Jean Vigo. De toutes les façons, il semble imperméable au nombre de spectateurs dans la salle ou durant les débats. Il réalise et produit ses films lui-même, sans rien demander. Il fait son œuvre comme il l’entend. Le plus souvent dit-il avec « des lignes narratives assez simples », (et sur ce point nous ne pouvons que confirmer!).

Il nous faut donc accepter de renoncer à nos attentes et lâcher prise.

J’ai été séduit par Les Enfants d’Isadora son dernier film. Damien Manivel était danseur, il ne manque jamais de le dire. Au moment du tournage, il se sentait mûr pour faire un film sur la danse. Comme il venait de gagner un peu d’argent en produisant des films, il pense alors à travailler sur ce sujet de danse, il y avait longtemps songé, maintenant, il se sent mûr. Il commence avec Agathe Bonitzer qui n’est pas danseuse, mais crédible. Il la dirige curieusement, lorsqu’elle lui demande : « qu’est-ce que je dois faire ? » il lui dit juste d’être lente. La coach de danse d’Agathe remarque : « ce qu’elle fait en ce moment ressemble beaucoup à « la Mère » d’Isadora Duncan. Damien qui commence son film sans savoir trop ce qu’il va mettre dedans, consulte internet et les livres, la nuit, le jour, il tient son sujet : 

« Après la mort accidentelle de ses deux enfants, la danseuse mythique Isadora Duncan après une longue période de prostration a composé un solo d’adieu : La Mère ». Un siècle plus tard, quatre femmes font la rencontre de cette danse bouleversante ». 

La musique c’est celle de Scriabine. Et la structure du film est une sorte de triptyque, la rencontre avec le solo d’Isadora et son déchiffrage, l’exploration du sujet (Agathe Bonitzer), le travail (Marika Ritzi et Manon Carpentier) et la reception par le public (Elsa Wolliaston, son actrice fétiche). On est surpris et troublé par le choix des acteurs, mais c’est un bon choix, rien que ça est créatif… ils sont vraiment très bien. Comme on peut lire entre les lignes, on peut voir entre les images :  ce film réussit à montrer l’ineffable, à nous faire sentir comment chacun est saisi par une chorégraphie et sa musique, et comment elle travaille en chacun des personnages. 

Le lendemain, il nous présentait « Takara, la nuit où j’ai nagé » très vite,  j’ai somnolé…

23/07 fin de festival, le jury des jeunes a attribué une mention spéciale à Takara ce petit enfant marchant dans la neige, pour la beauté des images,

La prochaine fois je vous toucherai quelques mots de ce cinéma féminin iranien

Journal des Ciné Rencontres de Prades 2021 (1)

Les ciné-rencontres sont de retour, comme chaque année (ou presque) entre le 17 et le 23 juillet.

J’avais lu l’avant programme et 2021 s’annonçait comme un cru moyen, et puis les Cramés de la Bobine n’y sont pas venus en nombre cette année, seuls, Martine et moi…

…Et puis il y a eu l’ouverture le dimanche soir. Ça commençait par un film de Bertrand Tavernier « La princesse de Montpensier » sorti en salle en 2010, avec une distribution que je ne vais pas détailler, mais où l’on peut voir les jeunes acteurs qui nous sont désormais familiers : Mélanie Thierry, Grégoire Leprince-Ringuet, Gaspard Ulliel etc… Un film alerte, sur l’apprentissage de la condition de « jeune femme prête à marier » de cette jeune princesse…

Tout de même, ces films qui en leur temps sont passés dans les salles puis régulièrement sur nos télévisions, il faut les revoir en Salle, c’est un truisme de le dire, les films sont faits pour le cinéma. Ce Dimanche commence une rétrospective Simone Signoret, la lumière de son visage et de ses yeux, son regard, on pourrait presque dire son intériorité, je me demande comment je n’ai pu voir la plupart de ses films que sur petit écran.

Les films sont présentés et débattus par Franck Loiret Directeur de la Cinémathèque de Toulouse, et c’est une chance de l’entendre dans sa simplicité et sa précision et avec la sincérité d’une admiration qui n’est ni pesante, ni superlative. (ce qui ne sera pas mon cas).

Ça commence par « les Chemins de la Haute Ville » un film de l’anglais Richard Clayton 1959, Simone a 38 ans, c’est étrange ce film à mi-chemin où l’on reconnait à la fois la ravissante jeune femme de ses débuts et la femme mure et marquée de ses derniers rôles. Pour ce film, elle a été la première française à obtenir l’Oscar de la meilleure actrice, puis à Cannes celui d’interprétation féminine.

Voici en bref l’histoire : Joe, un jeune homme pauvre, une sorte de Julien Sorel, qui vient de sa ville industrielle, fier de ce qu’il est, convoite de devenir amoureux d’une femme riche, « de première classe » comme il dit. Il va en en convoiter deux, l’une Susan jeune dont le père est très riche, Alice (Simone), 18 ans plus âgée que lui… C’est Simone Signoret qui joue ce rôle, celui d’une femme délaissée qui séduit ce Joe, cette belle illusion. Ce film est à la fois une peinture sociale qui nous fait naviguer entre les deux mondes peu conciliables des pauvres et des riches dans cette Angleterre début de siècle.

On enchaîne avec « Casque D’or », un petit tour chez les « apaches ». Je n’avais vu ce film que deux fois et à la télé. Aujourd’hui c’est au Lido de Prades ! Je ne vais guère vous en parler, vous le connaissez, le débat sur ce film portait à la fois sur Jacques Becker qui réalise avec « Le Trou » l’un de ses deux plus grands films. « Casque d’Or » est un chef-d’œuvre. Franck Loiret nous fait remarquer deux choses, tout d’abord la banalité des échanges dans le film, tout y est simple, limpide, ensuite la rareté des répliques. Serge Reggiani qui joue le grand rôle masculin n’en a que très peu, pourtant, il ne joue pas moins que l’un de ses plus grands films. (Après ce film, il lui a fallu cinq ans pour rebondir). Jacques Becker avec son sens du détail se fait peintre fidèle d’une époque, de quartiers, ceux de Belleville et les bords de marne avec ses guinguettes à la Renoir, des milieux interlopes de cette époque et mieux que personne, la splendeur de Simone.

Pour faire une rétrospective d’actrice, on ne doit rien laisser au hasard, il faut prendre les films qui parlent le mieux d’elle, et puisqu’elle a disparu, ceux qui à chaque film nous la font regretter. Le jeu de Simone, les mots, la gestuelle, le corps peut-être ! Mais d’abord les yeux, le visage traversé d’émotions presque imperceptibles. Un prodigieux film dramatique interprété par Simone avec une exquise subtilité.

En ce moment, ce sont les Diaboliques, et demain matin ce sera « La vie devant Soi » Mais ce soir 12 courts-métrages ! Je ne vous dis que ça !

Lundi matin : « La vie devant soi » de Moshé Mizrahi qui a obtenu l’Oscar du meilleur film étranger. Bien heureux de revoir ce film qui a su conserver bien des choses de Romain Garry. Pour ma part, grand amateur d « Ajar » qui m’avait alors ravi, je regrette un peu le manque de distance humoristique du film, et celle de sa fausse naïveté, ce petit côté swing (pulsion-détente) de l’écriture de Garry. Pour le reste tout est parfait, Madame Rosa, le petit Momo, on ne pouvait imaginer mieux. Et Simone Signoret obtiendra le César de la meilleure actrice. Distinctions totalement justifiées, ce temps qui transforme les corps et les visages ne l’affecte pas, elle dépasse ça. Il y a une chose que Moshé Misrahi réussi tout comme Ajar/Garry avant lui, c’est d’émouvoir. D’ailleurs, sur ce registre, je ne sais pas si Sophia Lauren qui a interprété Madame Rosa il y a peu (pour Netflix!), a pu être aussi bouleversante que Simone Signoret.

A bientôt, Demain un documentaire de Chris Marker sur Simone Signoret, je vous en toucherai un mot, mais nous entrons désormais dans une sélection de Cinéma Iranien Féminin.

Un soupçon d’amour de Paul Vecchiali (2)

En 1961, Paul Vecchiali réalisateur débutant n’hésite pas à solliciter Nicole Courcel pour tourner « Les petits drames » son premier film. Donnez-moi une bonne raison de jouer dans votre film lui demanda-t-elle ? « Danielle Darrieux » répondit-il. Elle accepta. En 2020, Paul Vecchiali se souvient de Nicole Courcel. Il se souvient qu’en 1961, à ce même moment, elle jouait Andromaque de Racine, mis en scène par Marguerite Jamois au Théâtre des Célestins. Il y a dans ce film deux dédicaces visibles, celle à sa sœur et comédienne disparue, Sonia Saviange, une autre à Douglas Sirk et puis il y a celle-ci, invisible, intime. Un soupçon d’amour est placé sous le signe d’Andromaque et commence à un détail près par sa répétition… Marianne Basler, Geneviève dans le film en est l’interprète. Elle est sans doute pour Paul Vecchiali l’égale de Danielle Darrieux et Nicole Courcel une grande actrice. D’ailleurs, pour ce « soupçon d’amour », c’était elle ou personne.

Tout comme Henri, voir l’article ci-dessous, nous sommes intrigués par le titre du film. Ce soupçon, est-il un doute (soupçonner) ou un ajout, comme on ajoute un soupçon d’épices ou de vanille ?

De même que le titre du film cache son signifiant, le film cache son suspens.

Pour le spectateur, à mesure que le film avance, ce soupçon d’amour mutera en « Un soupçon de mort ». Jusqu’au moment où dans une très belle scène, celle de la certitude où André (Jean-Philippe Puymartin, son époux pour le film et pour la vie) rappelle à Geneviève que son enfant Jérôme, (Ferdinand Leclere) est mort il y a vingt ans.

Et nous sommes à ce moment pris dans une sorte de va-et-vient rétrospectifs, nous nous rappelons alors cette toute première image, un transat vide, sur une pelouse.
Puis la douleur de Geneviève durant la répétition d’Andromaque (Rendre un fils à sa mère), elle craque et quitte la scène …c’est une artiste dit André, elle va se ressourcer!
Et cette considération de Geneviève sur Andromaque : « Je trouve cette pièce assez ampoulée, avec cet enfant de tous les débats et qu’on ne voit jamais ! »
On se rappelle cet autre moment clé : « N’oublie pas que je t’aime » de Geneviève à André
Et encore Jérôme, cet enfant si aimant, si éthéré, presque un ange
Ce faux triangle amoureux et de vraies confidentes. (Isabelle (Fabienne Babe) Geneviève, André)

« Un soupçon d’amour » si aimable se transfigure alors, et chaque passage du film est à revisiter, les scènes et les mots prennent d’autres valeurs, d’autres significations. Geneviève devient une Andromaque qui n’a pas pu protéger son enfant contre l’adversité, et qui pourtant ne cesse de le faire et le fera toujours. Un deuil impossible, une tragédie !

Et on mesure aussi la part personnelle de Paul Vecchiali dans cette histoire, qui se souvient de cette manière de la perte d’êtres chers et doit leur dire quelque chose comme « vous êtes toujours avec moi » ou encore « je suis toujours avec vous », et en même temps, son attitude dans la vie, celle d’un homme qui affirme, dans une interview à « A voix nue » France Culture, ignorer la peur. Un homme qui ces dix dernières années a réalisé 9 longs-métrages, 3 courts, fait de la mise en scène, écrit l’Encinéclopédie un ouvrage de 1700 pages sur le cinéma des années trente ! Bien droit avec ses 91 ans, préparant un autre film, avec un budget deux fois plus élevé que pour « Un soupçon d’amour »…400 000 euros, mazette! Une somme pour ce recalé des avances sur recettes!

Un de ces jours sur nos écrans :« Notarangelo ladro di anime » de David Grieco

« Notarangelo ladro di anime » signifie Notarangelo Voleur d’âmes, il s’agit d’un documentaire qui devait passer à « Viva Il Cinéma de Tours ». Il nous parle de Domenico Notarangelo qui est photographe et d’un lieu qu’il a photographié : les Sassi de Matera.

Mais de quoi s’agit-il ? Un article de l’UNESCO nous dit que les Sassi sont situés dans la région de Basilicate de l’Italie du sud, comprenant un ensemble de maisons et d’églises rupestres, de monastères et d’hermitages couvrant 1016 hectares. Et ajoute un autre document touristique : Ce n’est pas un hasard si Matera les Sassi est aussi appelée la « deuxième Bethlehem », elle a été le décor de « L’Évangile selon saint Matthieu » de Pier Paolo Pasolini, et le document ajoute : « Dans les années cinquante, la population qui vivait dans les grottes creusées dans la montagne fut contrainte d’abandonner ces maisons pour s’installer dans des quartiers modernes.»

Grâce au témoignage photographique de D.Notarangelo nous voyons comment les documents touristiques gomment les choses. Tout y est vrai mais il y manque l’essentiel. L’essentiel de cette histoire des Sassi est contenu sur les visages et les corps de femmes, et hommes et enfants des Sassi que Notarangelo a photographié. Ce ne sont pas les magnifiques habitations troglodytes qui depuis la préhistoire etc.,  mais un lieu où sauf la solidarité humaine, tout manque, un lieu insalubre, sans même l’eau potable. L’essentiel, c’est la grande pauvreté des habitants, son dénuement, sa misère,  avec son cortège de maladies et de mort. Et cette mort est d’abord celle des jeunes enfants pour qui les parents fatalistes offrent alors de beaux et pieux enterrements.

  « Ce n’est pas nous qui regardons les Sassi de Matera, ce sont les Sassi qui nous regardent » dit-il. Notarangelo a traversé son époque en artiste engagé.  Il a tout consigné avec soin, à l’exemple de cette photo de Pasolini mondialement connue. Avec lui, on découvre les luttes sociales et les mutations qu’elles engendrent : la première femme maire de Matera, le relogement des villageois et les promesses d’un certain progrès, qui selon ce qu’on nous montre, oblige le malheur à moderniser ses moyens d’expression.

L’art de Domenico Notarangelo en s’exerçant sur les habitants des Sassi devient pour nous  un document historique rigoureux autant qu’un objet d’art. Tout le mérite de ce documentaire est de nous donner l’ambiance et le fil de cette histoire d’une manière fluide et captivante. Un grand documentaire. 

DAVID GRIECO

Le réalisateur David Grieco (Rome, 1951) est une personnalité éclectique. Comédien, en 1968 il joue dans Roméo et Juliette (Franco Zeffirelli), Théorème (P.ier Paolo Pasolini) et dans Partner (Bernardo Bertolucci), mais aussi scénariste, producteur et réalisateur de documentaires et de deux longs-métrages de fiction Evilenko (2004) et La macchinazione (2016).

Un de ces jours sur nos écrans, Douce France de Geoffrey Couanon

Geoffrey Couanon- Réalisateur, documentariste

Douce France, Geoffrey Couanon :

Ce documentaire présente un espace, autrefois champs fertiles, il y a longtemps des tulipes, puis des patates, du blé, appelé Triangle de Gonesse. Tout autour des zones urbanisées, des logements populaires, HLM pour l’essentiel, impossible de les situer tous, ils se ressemblent, nous sommes non loin de Roissy, d’Aulnay, de Sarcelle, ou de Bonneuil. Demeurent 300 hectares de champs et bois déclarés ZAC. Et au moment du documentaire, il est question d’artificialiser 80 hectares pour le projet Europa-City (1). Le réalisateur filme des jeunes français, pour beaucoup issus de la diversité (comme on dit). Tous aspirent à un avenir meilleur. Or Europa City veut y implanter et regrouper de nombreux commerces, créer une piste de ski. Et avec pour conséquence de créer des centaines d’emplois, de donner du travail.  Un projet séduisant.

Dans quelques lycées, des enseignants présentent objectivement ce projet et ses enjeux  .  Ils  proposent à des jeunes d’enquêter, ils ont déjà leur opinion, elle est le plus souvent favorable. Ils seront amenés à se documenter et à se former un avis éclairé. Ils vont rencontrer successivement le promoteur, des agriculteurs, des membres d’associations « aux cheveux gris » (qui donc qui ont fait leur vie), des commerçants, des riverains. Chemin faisant, ils découvrent ce qui existe déjà, ce qui se prépare, ce qui pourrait exister. Ils découvrent aussi les non-dits du projet.  De rencontres en visites, ils envisagent à fois l’utilité et l’inutilité du projet, la place qu’on leur y donne et l’ avenir qu’on leur dessine. Mais l’avenir d’un jeune est toujours plus grand que la place qu’on veut lui assigner. Particulièrement intéressant.‪ 

1) Depuis ce projet a été abandonné. Laissant place à d’autres lesquels?

PS : Le réalisateur est un spécialiste de l’agro-écologie, son opinion sur ce projet peut facilement se déduire. C’est un documentaire militant. Mais ce film se voit autant comme un plaidoyer contre l’artificialisation de ces terres du Triangle de Gonesse, que comme une enquête sur les jeunes dans les cités, leurs espérances, leurs devenirs.

Le site A voir à Lire fait un bon dossier sur ce film : « On ne peut pas accuser Geoffrey Couanon de forcer la mise en scène au nom de son propre combat politique. Si les adolescents cultivent peu à peu leur rapport à la nature, au monde, à l’argent, s’ils voient dans cette enquête l’opportunité de se questionner sur le sens qu’ils veulent donner à leur vie, ils n’en demeurent pas moins des jeunes ordinaires, avec l’ambivalence qui peut les caractériser à cet âge, le ricanement facile et le franc-parler ». 

Le site Publik Art produit lui aussi un beau travail critique : « Le résultat est une histoire de réveil politique collectif questionnant sur nos modes de consommation et de production, notre rapport au travail, à l’agriculture, à l’engagement pour nous amener à réfléchir aux choix de société qui sont à l’œuvre dans notre Douce France. A 17 ans, ils prennent la parole sur les questions les plus importantes de notre époque. La caméra du réalisateur Geoffrey Couanon se fait toute petite pour laisser la parole aux jeunes et à leurs interlocuteurs. Et c’est un plaisir de voir réfléchir ces jeunes que beaucoup imaginent uniquement intéressés par des sujets superficiels. Ils discutent à bâtons rompus, ils découvrent la complexité de la situation et surtout ils rencontrent d’autres individus, actifs ou non, avec chacun un point de vue à comprendre. Images d’archives et vues panoramiques permettent de situer l’histoire dans un contexte historique plus large pour une réflexion pointue sur les enjeux de notre époque ».

Un de ces jours sur nos écrans (3) : L’oubli que nous serons.

Fernando Trueba Réalisateur

« Javier Camara, dans le Dr Gomez

« L’oubli que nous serons » de Fernando Trueba fut une sélection du festival de Cannes. Rien que le titre est beau! c’est une citation d’un poème de Borges. Ce film est adapté d’un des romans de Hector Abad.

Nous sommes en Colombie à Medellin, (célèbre pour sa douceur de vivre !). C’est un film de facture classique avec toutefois une curiosité : Les flash-back sont en couleur et le présent est en noir et blanc. Comme le narrateur de l’histoire, c’est le fils, les temps de la vie familiale avec son père sont confondus avec sa vie professionnelle de médecin universitaire . Autrement dit, les choses banales, la vie de famille et la convivialité de sa vie bourgeoise sont montrées à égalité avec sa vie médicale et militante. Mais de quoi est fait ce militantisme ? Ce film offre une réflexion sur l’engagement qui pour cet homme/ médecin, va de soi. Il n’est pas négociable, vaut plus que sa propre vie. La toile de fond c’est la Colombie entre 60 et 80, avec son extrême violence politique, la misère quasi instituées, ses assassinats politiques. D’une manière quasi déontologique pour cet homme s’impose cette question : que pouvons-nous faire avant de disparaître ?

Se rappeler de ce film pour les beaux jours futurs… ceux du cinéma! 

Note sur le réalisateur : F.Trueba a une impressionnante filmographie. En 2015 il s’est distingué par : « La Reine d’Espagne » une tragicomédie grand public qui faisait suite à La fille de tes rêves, réalisé en 1998. Un film qui devrait bien marcher. Et ce fut un échec. Pourquoi ? Lors d’une remise de prix, il a déclaré qu’il détestait être espagnol, il a ajouté qu’il aurait préféré que Napoléon gagne la guerre et pire encore, qu’il n’aimait pas les grands clubs de football espagnols. Les espagnols ont boycotté le film.

Les critiques : je n’ai rien trouvé de significatif, sauf « la Dépêche » qui commence ainsi sa critique : C’est l’histoire d’un homme bon. C’est juste, j’aurais beaucoup aimé commencer mon article de cette manière 🙂

https://www.youtube.com/watch?v=55ODMYRm3xs

Un de ces jours sur nos écrans (2)

Aleem Khan Réaliwateur

After Love long métrage britannique de 1h29  du pakistanais Aleem Khan, qui commence à Douvres  se continue à Calais. 

Le début est saisissant, une femme musulmane Fahimma,  discute avec son mari qui un navigateur entre la France et l’Angleterre. Ils sont espacés, elle est dans la cuisine, lui dans la salle de séjour.  A un moment, il ne répond plus… Il vient de mourir subitement. 

Fahimma découvre que son mari avait une autre  femme à Calais. Elle décide de s’y rendre.

Nous sommes invités à suivre son voyage qui est aussi un voyage intérieur, où se superposent sidération,  peine, interrogations : L’espace entre une cuisine et une salle de séjour, entre la vie et la mort, entre cet homme et cette femme, entre ce qu’on sait et ne sait pas, entre une vie et une autre. Un voyage pour comprendre, pour recontrer et peut-être pour dessiner la vie d’après.

Comme le remarque « Le Polyester » le film comporte bien quelques clichés, mais franchement ils sont secondaires, le film est délicat et tient son rythme.

Georges

Site Le polyester : « After Love, néanmoins, fait preuve d’un savoir-faire qui fonctionne. C’est en partie dû à la qualité de l’interprétation, celle des deux actrices principales : la Britannique Joanna Scanlan et la Française Nathalie Richard. Leur duo fournit au film les ambigüités qui manquent peut-être parfois au récit. Grâce à elles, les deux héroïnes qu’elles incarnent sont éloignées et réunies de manière plutôt émouvante ».

Site Abus de Ciné : Tissant ainsi un imbroglio de liens inconnus des uns ou des autres, le très impactant scénario, signé d’Aleem Khan lui-même, construit une situation explosive, tout en traitant de l’oubli et de l’attachement à celui, disparu pour l’une, simplement absent pour l’autre, au travers d’apparents détails (un message téléphonique conservé, un plat traditionnel de son pays, une odeur persistante…). Par moment très sensoriel, « After Love » parle avec une indéniable finesse du sentiment amoureux et de ce qui unit les êtres. Une approche qui doit beaucoup à son interprète principale, d’une sobriété émouvante : Joanna Scanlan

Prochainement sur nos écrans (1)?

Kaouther Ben Hania – Réalisatrice

« L’Homme qui a vendu sa peau » 

C’est le premier film tunisien sélectionné aux Oscars, la réalisatrice est Kaouther Ben Hania que nous connaissons pour « la belle et le meute ». Le film a pour actrices et acteurs  Monica Bellucci, Yahya Mahayni,  Koen De Bouw, évoque nous dit le Monde « le pacte faustien d’un réfugié syrien avec un artiste contemporain pour passer les frontières de l’Europe ». Ce film est tiré d’une  histoire vraie : Une œuvre du Flamand Wim Delvoye, tatouée sur le dos d’un volontaire, reviendra, après la mort de son porteur, au collectionneur qui l’a achetée.

L’homme qui a vendu sa peau évoque un peu « The Square » en montrant l’imposture d’un certain art moderne et de l’argent facile dans l’art,  mais  pas seulement, il traite aussi des réfugiés et exilés, de la liberté de circulation : celle des marchandises, de l’art, et des humains, et… de la marchandisation des corps. Le scénario tisse ces thèmes ensemble pour en faire un excellent film qui dit des choses importantes sans oublier d’être captivant.

Georges

Extraits de la très belle critique parue dans Le bleu du Miroir
L’Homme qui a vendu sa peau une œuvre brutale. Son récit a beau être plus convenu que son précédent long-métrage, le quatrième film de la cinéaste n’en est pas moins brillamment traversé par la violence sourde qui se tapit dans les rapports, historiques mais aussi très contemporains, qu’entretiennent l’Orient et l’Occident ». 

Extrait du journal Le Monde :
Cette sélection aux Oscars intervient quelques jours après un César attribué à l’acteur franco-tunisien Sami Bouajila pour son rôle dans le film tunisien Un fils. Alors que le cinéma tunisien mourait à petit feu dans les années 2000, la liberté de ton apportée en 2011 par la révolution lui a donné un nouveau souffle. Depuis, une jeune génération de cinéastes et producteurs met à l’écran remous sociaux, questions politiques et conflits de l’intime, des sujets longtemps bannis qui font désormais son succès.

https://www.youtube.com/watch?v=IWeaZszKte8