ARIAFERMA-Leonardo Di Costanzo  Notes (2)

Beaucoup d’entre nous sont sensibles aux sons d’un film et à sa musique, la musique d’Aria ferma, nous la devons à Pasquale Scialo, elle est belle, bien à sa place, et il y a ajouté des compositions d’autres musiciens.

L’une d’elles arrive tard dans le film, durant un appel des prisonniers, celle de Clapping Music de Steve Reich :

Et presque à la fin Pavlos Carvalho et Vasiliki Anastasiou, Na’ Man Pouli dont je n’ai pas trouvé de version aussi belle que celle choisie par Pasquale Scialo, suivie de Vasiliki Anastasiou, Triha bridge (que je ne peux transférer)

Souvent les films, les thèmes se répondent, vous vous souvenez, au début, il y a ces hommes, chasseurs, dans la montagne, l’un conte l’histoire de son premier tir, presque involontaire, lorsqu’il était tout jeune, il a blessé une tourterelle. Pris de pitié, il l’a recueillie et soignée. L’homme qui conte cette histoire, comme ses amis et collègues, est un gardien de prison. Et cette histoire va teinter tout le film. D’ailleurs, « Na’Man Pouli » ce chant des dernières images dit quelque chose comme : J’aimerais être un oiseau et j’aimerais voler.

La prison, c’est celle de Mortana une prison d’architecture Panoptique, Léonardo di Constanzo l’a déplacée à la montagne en postproduction, son lieu, c’est une prison de Sardaigne dans la belle ville de Sassari. Elle est fermée depuis dix ans. » Ses petites sœurs » existent ou ont existé partout dans le monde. Il y en a encore en France. L’idée de leur conception, c’est un cercle de cellules et une tour au centre de ce cercle, une tour, les gardiens pouvant voir partout sans être vus. Chaque prisonnier s’y sent épié, 24 heures/24.

Son concepteur, c’est Jeremy Bentham, un philosophe des lumières, qui se distingue par ses positions contre les châtiments corporels aux enfants, pour l’égalité des sexes, conclut : La morale sera « réformée », la santé « préservée », l’industrie « revigorée », l’instruction « diffusée », les charges publiques « allégées », l’économie « fortifiée ». « Le nœud gordien des lois sur les pauvres non pas tranché mais dénoué – tout cela par une simple idée architecturale ». Initiant ainsi la société de surveillance !

Léornardo di Constanzo en isolant la prison (en isolant un lieu d’isolement) nous offre une bien curieuse vision, d’abord son extérieur inquiétant, perdu dans un écrin de verdure (comme disent les agents immobiliers), de montagnes et de brumes. Regardons ensuite son intérieur si bien décrit par Claude dans son article. Serions-nous dans un conte ? Le film est en effet narré, structuré comme tel. C’est la forme qui convient le mieux à son propos.

La situation initiale se présente ainsi : il y a un imprévu, douze gardiens doivent garder douze prisonniers pour lesquels on n’a pas trouvé de place avant que la prison ne ferme définitivement. Sur ce chiffre 12, beaucoup ont vu un clin d’œil biblique, (la cène) ou encore un vague pendant à douze hommes en colère.

Dans son ouvrage paru en 1961 « Asiles » Erving Goffman décrit la prison, comme une institution bureaucratique, totalitaire car elle prend en charge l’ensemble des besoins, l’ensemble des éléments de vie des détenus, quelle que soit l’efficacité du système.

Il décrit ensuite comment le personnel voit le détenu : replié sur lui-même, hostile, déloyal puis comment le détenu voit le personnel : condescendant, tyrannique, mesquin, ensuite comment les détenus se voient eux-mêmes : inférieurs, faibles, coupables.

Ariaferma ne dément pas ces portraits types, ils ne cessent de coller aux personnages. Le rendu est d’autant réaliste que le réalisateur a pris pour l’ensemble des rôles secondaires d’anciens détenus et d’authentiques gardiens. Au cinéma comme dans la vie, le corps parle.

Diverses perturbations vont modifier progressivement la marche bien ordonnée des choses : Dans un climat d’incertitude sur leur sort prochain, alors que leurs contacts avec l’extérieur et leurs familles sont rompus, on sert aux prisonniers une nourriture immangeable.C’est l’outrage de trop, les prisonniers décident de faire la grève de la faim et ils s’y tiennent.

Comme par défi ou provocation, Carmine Lagioia (Sylvio Orlando) le vétéran des prisonniers bientôt libérable, propose à Gaetano Gargiuolo (Toni Servillo), le vétéran des gardiens de faire la cuisine. Paradoxalement, Gaetano accepte ce marché (et en arrive presque à se comporter comme s’il en était prescripteur). Dans cette situation, si peu bureaucratique et réglementaire, l’un est l’autre savent qu’ils doivent être à la hauteur de leur mission, qu’ils ont intérêt tacite à réussir.

A partir de cette situation, tout le film montre l’intrusion, l’infiltration de l’humanité dans le système bureaucratique du pénitencier, la subtile subversion des codes, ceux de la parole et des manières de se conduire. Gaetano qui exerce son métier au plus haut degré, avec discernement et probité, n’a jamais en son for intérieur, quitté la colombe blessée au jeu de la chasse et son désir de réparer cet oiseau qui aimait voler. Plusieurs scènes fugaces l’indiquent. De son côté, Carmine le bandit n’a jamais cessé d’être un homme, sans doute, est-il devenu un sage, celui que les autres consultent. Tous deux se libèrent de préjugés qui les enferment autant que les murs et les deux groupes (prisonniers et gardiens) se rapprochent.

Aria Ferma, dont la diffusion en France est indigne, c’est tout de même un film primé au Festival de Venise, (meilleur acteur, meilleur scénario, meilleure photographie) risque de ne pas atteindre les 8 000 spectateurs, (songeons que presque 300000 jeunes apprennent l’italien au lycée!) en ces temps d’impatience sécuritaire, devant le déni de la condition des prisonniers en France, ce film en plus d’être beau et original a le mérite de parler d’humanité.

Georges

La Conspiration du Caire-Tarik Saleh 

2023- commence bien avec un public venu nombreux pour ce film théologico-politique en forme de thriller, un film qui avance, limpide, palpitant et beau. Adam, un pieux et modeste jeune homme (dont le père tout comme lui-même, voulait faire de son fils un pêcheur), se retrouve admis à la mosquée d’al-Azhar institution islamique sunnite basée au Caire. Peut-être que lui, le fils de pêcheur, deviendra-t-il un Cheikh, un savant théologique, un notable ? Il a de grands yeux naïfs et émerveillés, il est un élève modèle, intelligent et naturellement versé à bien choisir son maître enseignant.

Mais sa petite histoire « de la petite bête qui monte » rencontre une autre histoire, celle de l’acteur et du système, une histoire pas plus grande (surtout au plan moral), mais infiniment plus puissante : Celle des rapports immédiats entre le pouvoir séculier et le pouvoir spirituel avec ses complots et ses crimes « ordinaires ». Et il se voit progressivement devenir un pion dans un jeu machiavélique. Et désespoir, il comprendra vite qu’il était un pion avant même d’être choisi comme étudiant. Il comprendra alors que sa vie, comme celle de bien d’autres ne compte pour rien.

Ce jeu machiavélique c’est d’abord celui des gens d’Abdel Fattah al-Sissi qui avec ce nom et ce CV donne au film toute sa crédibilité. Le film s’ancre dans le réel, les spectateurs que nous sommes acquièrent rapidement la certitude de la véracité d’un complot. D’autant que c’est celui d’un conteur et le scénario est très convaincant. Le jeune homme se retrouve pris dans un double chemin initiatique, celui de religieux et celui d’espion. Pour se sauver il aura à démontrer qu’il est un acteur dans ce système, (autrement dit l’huile dans le rouage), à ce prix, il pourra survivre. C’est un exercice (une épreuve) d’intelligence exquise qui est exigé de lui (digne des mille et une nuits). Sa dernière rencontre avec Cheikh Negm rappelle des débats dialectiques staliniens si funestes, si bien décrits par A.Koestler et autres procédés inquisitoriaux…

Cette histoire a le mérite d’être palpitante et vraisemblable, qu’on se rappelle l’élection du patriarche Kirill de Moscou. Remarquons au passage que c’est une histoire d’homme. Adam (nom du héros) fut le premier homme et ses enfants si l’on se fie à la Bible ne se sont pas vraiment bien entendus. Et ce film à de rares exceptions, nous montre ses enfants mâles, idéologues, ivres de pouvoir et il nous montre Adam, cet individu qui n’en peut mais ou presque, et ce presque en question, tout comme Dieu pour Adam, est grand. 

L’ange Rouge – Yasuzo Masumura -(Notes)

Sur le titre « L’Ange Rouge » une proposition : rouge comme le sang et réminiscence de l’Ange Blanc (1931) : Lora Hart (Barbara Stanwyck) qui postule pour un emploi de nurse dans un hôpital puis obtient son diplôme d’infirmière ?

Coïncidence ? en 1939 Dalton Trumbo publie un livre « Johnny s’en va t’en guerre » (Johnny Got His Gundont il fera un remarquable film antimilitariste en 1971. Voici ce qu’en dit Wikipédia :

« Joe Bonham (Timothy Bottoms) est un jeune Américain plein d’enthousiasme. Il décide de s’engager pour aller combattre sur le front pendant la première guerre mondiale. Au cours d’une mission de reconnaissance, il est grièvement blessé par un obus et perd la parole, la vue, l’ouïe et l’odorat. On lui ampute ensuite les quatre membres alors qu’on croit qu’il n’est plus conscient. Allongé sur son lit d’hôpital, il se remémore son passé et essaie de deviner le monde qui l’entoure à l’aide de la seule possibilité qui lui reste : la sensibilité de sa peau. Une infirmière particulièrement dévouée l’aide à retrouver un lien avec le monde extérieur. Lorsque le personnel médical comprend que son âme et son être sont intacts sous ce corps en apparence décédé, ils doivent prendre une décision médicale selon les valeurs et les croyances de l’époque. »

Ce film est un chef-d’œuvre antimilitariste presque à l’égal à mon goût de « Les Sentiers de la Gloire » (Stanley Kubrick) ! 

En 1966, sort « l’Ange Rouge » il reprend ce thème qu’il transpose en 1938, Guerre du Japon contre la Chine. Ici, il ne manque à l’homme que ses bras (si l’on peut dire). L’infirmière (Sakura) joue le même rôle que celui de l’infirmière du roman de Dalton Trumbo. Elle va rendre à cet homme la dignité et le bonheur que la guerre lui a dérobé.

Dans l’Ange Rouge, Sakura est le principal personnage. Avant cette histoire de l’homme sans bras, elle se fait violer ou violenter par des soldats malades, et… Le lendemain elle est disponible pour le service. Plus tard, elle tentera en vain, de sauver son jeune agresseur principal d’une mort certaine

Ensuite, c’est un grand pas de les faire figurer, vient la séquence des « femmes de réconfort », nom donné aux prostituées pour les soldats : L’une d’entre elles est prise de vomissements, on suspecte le choléra. Sakura protège ces trois femmes avec autorité contre une bande de soudards venus réclamer leur dû. Que protège cette infirmière ? L’intégrité de la troupe ou par solidarité, ces pauvres femmes ? L’une d’elle, belle indifférente fume en attendant…Et là encore, retournons sur Wikipédia :

« Femmes de réconfort est l’euphémisme employé au Japon à propos des victimes, souvent mineures, du système d’esclavage sexuel de masse organisé à travers l’Asie par et pour l’armée et la marine impériales japonaises, en particulier durant la Seconde Guerre mondiale. L’emploi de ce terme est fortement contesté par les organisations qui exigent du gouvernement japonais des excuses formelles et des réparations, et préfèrent le terme non édulcoré d’« esclaves sexuelles ».

La guerre vue des infirmeries de campagne c’est des mourants, des futurs mourants, blessés viscéraux, et sans doute des grands brûlés qu’on laisse mourir, et ceux qu’on peut soigner, en gros, ce sont ceux qu’on peut amputer. (Depuis Ambroise Paré, rien de nouveau). Ils seront alors sauvés s’ils résistent à l’amputation et à ses suites. Ça ne fait pas bézef. « Sauvés » ils seront soustraits au peuple japonais, ne retourneront pas chez eux. Le mieux étant que la population et les familles ignorent cela.

…Dans ce film anti-miitariste, l’infirmière devient curieusement amoureuse du médecin-chirurgien déprimé qu’elle admire, il ressemble à son père. Puis elle va devenir la seule survivante d’une bataille contre les chinois.

Voici un film qui dénonce les horreurs de la guerre, d’une part, celle de cette sexualité et des amours morbides (ce qui est très bien vu) et d’autre part, des soldats en situation survie, mutilés ou attendant de l’être, s’il ne leur est pas donné de mourir « au champ d’honneur ».

Mais « L’Ange Rouge » est aussi comme l’observe Évelyne, un film qui véhicule une « certaine image des femmes » et j’ajouterai, toute une époque ! Il déplore une guerre comme il le ferait de toutes guerres. Cependant l’Histoire dit autre chose : « Pendant six semaines, de décembre 1937 à janvier 1938, les troupes japonaises perpétrèrent des atrocités à grande échelle, tuant plusieurs milliers de civils chinois, violant d’innombrables femmes, pillant et brûlant des propriétés ». 1938, Une abomination ! Un holocauste ! Très proche du nazisme européen qui commence alors à s’exprimer pleinement.

Image d’archives

Malgré ses passages gores qui caractérisent bien la guerre, on a tout de même l’impression que « l’Ange Rouge » fait de la condition des femmes une péripétie liée à la situation et qu’il soustrait de son champ les crimes de guerre japonais pourtant connus et documentés au moment du tournage. Alors, sans doute parce que nous sommes en 2022, ce film me laisse une impression mitigée.

Georges

Un Beau Matin-Mia Hansen Love(2)

« Un beau Matin » au Masque et la Plume, « Un beau matin » à L’Alticiné

Pour préparer la présentation du mardi soir, j’ai écouté le Masque et la Plume. Voici quelques bribes de leurs commentaires que je souhaite à mon tour commenter. 

Michel Ciment, « C’est un peu le même problème que le précédent film de Mia… c’est qu’il y a deux récits, le rapport de cette femme avec son père handicapé, (qui rappelle F.Ozon) et l’épisode de l’amant qui est d’une banalité, d’une platitude… Elle a essayé de mixer, elle ne veut pas risquer trop, elle a eu peur d’être trop triste, donc elle fait des scènes d’amour physique, de copulation »…

Eric Neuhoff « c’est un robinet d’eau tiède, comme d’habitude, même l’histoire avec le père est exsangue, c’est d’une platitude… Et tous ces intellectuels… c’est un film sincère mais inutile… Une palme d’Or « péa »

Camille Nevers : « C’est un film qui évite de se poser la question de la mort » « véracité qui manque de vérité ».

Mia Hansen Love, si l’on excepte « l’Avenir » Ours d’Argent avec près de 300 000 entrées, voisine pour ses sept autres films  les 70 000 entrées, elle fait un cinéma dont on peut dire  pour l’instant, qu’il est confidentiel. On peut alors s’étonner que ces critiques présentent ce film juste pour le démolir. Ça n’exige aucun courage, ils n’ont pas Pialat en face d’eux. C’est donc facile.

Entre un premier critique péremptoire et expéditif ; un deuxième tout heureux de s’offrir un bon mot ; et une troisième qui donne l’impression qu’elle n’a même pas vu le film dont elle parle, on pourrait dire que ces gens au lieu de servir le cinéma d’auteur trouvent jubilatoire de prédater des films. (Tout en se satisfaisant d’en vivre !) 

Le Cinéma de Mia Hansen Love

À ce jour, le cinéma de Mia Hansen comporte 8 longs-métrages qui ont la propriété de se répondre, de s’éclairer les uns par rapport aux autres, si chaque film est une œuvre, son ensemble forme une Œuvre cohérente en tous points. Ces films ont pour matière des événements, situations de sa propre vie, mais ils sont transposés, réinventés. Il n’y a pas plus d’égotisme dans cette démarche que celle d’un peintre qui fait son autoportrait. Pour poursuivre cette analogie avec la peinture, il y a chez elle une démarche impressionniste, elle travaille par touches légères. « La vie est plus grande que le cinéma » dit-elle, et donc elle bannit les effets de caméra, le spectateur doit l’oublier. Plans et enchainements sont soignés et bien rythmés. Il y a un rythme et une harmonie d’ensemble et un style qui lui est propre.

Deux mots sur « Un beau Matin »

D’abord, il y a le casting, tous les acteurs sont justes, on pourrait dire mille choses sur chacun, je m’arrêterai sur Léa Seydoux (Sandra) sincère, sensible et humble.(Voir le billet de Pierre). Son visage se lit comme un livre. Dans un autre registre, elle investit son rôle à l’égal d’Isabelle Huppert dans l’Avenir. Autant de talent, autant de classe.

Sur le sujet du film et pour revenir aux critiques du Masque, nous savons tous que les films sur l’alzheimer, sur les maladies graves et fatales ne manquent pas, on pourrait citer « Amour » et plus près de nous « The Father ». Mia Hansen Love voulait-elle ajouter un film aux films ? Bien sûr que non, elle voulait parler d’une femme. Le sujet, c’est : il était une fois une femme dans une situation de vie deux fois éprouvante. L’une dont l’issue est certaine, celle du père, Georg (Pascal Gregorry) qui se conjugue à une autre dont l’issu est incertaine, vivre avec Clément  (Melvil Poupaud), l’homme qu’elle a choisi d’aimer. Et donc ce que Mia Hansen Love nous montre,  c’est le combat d’une femme pour résister à des tensions angoissantes, les pires, celles où se joue la séparation. Et ce qu’on voit aussi, c’est sa volonté, son risque, de construire tout de même. Bref, une vie, une femme !

On peut aussi remarquer la qualité de présence de Sandra auprès de son père et de son amant, on peut alors voir comment les dialogues, les attitudes, les expressions de visage sont marqués, nimbés par l’interpénétration des situations dans son esprit. Elles déteignent. Tous les films de Mia Hansen Love restituent la complexité de la vie, pas moins celui-ci.

Enfin, tout comme Rohmer, elle laisse à ses personnages leur chance. Elle cite volontiers « Conte d’Hiver ». La dernière image délicate, celle de l’affiche, montre Sandra, Clément et Linn (Camille Leban) la fille de Sandra, en haut de la Butte Montmartre regardant Paris : « ta maison, c’est tout droit »… La naissance d’une famille, la force de la vie.

Notes Intempestives sur « Sans Filtre » aux cramés de la bobine



Souvent  je me sens l’esprit lent et je suis incapable de réagir à chaud devant certains films. Si bien que le blog me va bien, il permet un débat après le débat, aussi je m’autorise cette petite digression sur « Sans Filtre » ce mardi aux cramés de la Bobine et j’espère que je ne serai pas le seul à réagir.

Je commencerai par dire tout le bien que je pense de la présentation de Marie-Annick, qui comme d’habitude sans notes (ça m’épatera toujours) produit un commentaire riche et d’une grande clarté. Particulièrement, j’ai aimé sa présentation éclairante du cinéma de Ruben Östlund.

Ensuite, je dirai qu’un tel film a tout ce qu’il faut d’inconfort y compris pour les spectateurs confortablement assis que nous étions.

Au moment du débat, bien documenté par Marie-Annick, très rapidement, les commentaires dans la salle ont fusé sur la qualité du film : « Mal filmé, du déjà-vu, enfonçant des portes ouvertes, misogyne etc.. »

Oui, ce film a quelque chose de déjà-vu à commencer par son style et son rythme qui est celui de Ruben  Östlund lui-même, « Sans filtre » ressemble à « The Square ». Il y a aussi des ressemblances avec d’autres films par exemple, le sujet de la seconde et troisième partie du film, Ruben Östlund cite : « Vers un destin insolite sur les flots bleus de l’été » de Lina Wertmüller 1974, la relation entre riches capitalistes et un matelot communiste sur un yacht, puis sur une île.

Il y a tout de même quelque chose d’unique dans ce film, c’est son genre d’humour. Sur La marchandisation des corps, le casting puis le défilé des mannequins entre Balenciaga et H&M est parfaitement vu et illustratif, (bien que ce sujet du corps marchandise ait été traité d’une manière un peu différente dans « L’homme qui a vendu sa peau » de Kaouther ben Ania 2019)

En première partie, le rapport du couple de mannequins à l’argent est original particulièrement lorsqu’on considère la situation de leur discussion (ce qu’ils vendent, comment ils gagnent leur vie, et cette tentative d’éthique égalitaire un peu décalée). En Seconde partie, il y a cette galerie des personnages, du salaud vendeur de « merdes phytosanitaires » au couple marchand de mines et de grenades etc. Le repas par temps de tempête est aussi un grand moment de cinéma qui évoque, vu de loin, « la grande bouffe » de Marco Ferreri, avec la fulgurance en plus. Le jeu des citations entre le capitaine alcoolique et marxiste et un oligarque Russe lui-même alcoolique qui cite Nixon (dans le texte) est un régal et enfin après l’explosion du bateau sous le feu de terroristes, la troisième partie : aucun ne cherche à savoir où il se trouve et il y a la prise de pouvoir d’Abigail femme de ménage (et femme aux Bretzels ) qui inverse le rapport dominant/dominé en montrant qui sont les vrais assistés (changement de jungle!). L’humour est le plus habile et le plus joyeux raccourci pour dire les choses. Tout cela est jubilatoire, plein d’idées fulgurantes, drôles dans une période où l’humour devient de jour en jour, on ne peut que le remarquer, la chose au monde la moins bien partagée.

Mais sur le fond :

« A gauche, on présente les gens riches comme égoïstes et superficiels, et les gens pauvres comme généreux et authentiques, le film essaie d’ébranler cette conception simpliste de l’être humain en soulignant que notre position dans la structure dépend aussi de la façon dont nous agissons » dit le réalisateur.

Tout de même, le film montre des riches implacables qui exigent des choses insensées et placent le personnel sous les fourches caudines : « je veux que tout le personnel se baigne ». En regard de ça, le réalisateur cherche à démontrer que c’est la situation qui détermine le rôle, autrement dit : Un pauvre placé dans la situation du riche, reproduit immédiatement les mêmes rapports de domination. Il montre que ce nouveau dominant, comme l’ancien, est prêt à tout pour se maintenir au pouvoir (la pierre d’Abigail au dessus de la tête de Yaya). À cette « sociologie » pauvre et lapidaire, je n’adhère aucunement, il y a ce risque qu’elle justifie voire légitime l’existant et… avec complaisance !

Une chose me semble sûre, si ce ne sont pas  les démonstrations sociologico-politiques de Ruben Östlund qui me séduisent,  je les trouve confuses et ambigues, il demeure que son film est allègre, satirique, original (quoi qu’on en dise) et drôle que j’aurais regretté de ne pas l’avoir vu. J’espère que nous sommes nombreux dans ce cas…Au plaisir de vous lire!

Georges

Notes sur Mia Hansen Love (1)

Elle est venue présenter ses films au Festival de Prades 2022. Nous venions de quitter Jean-Pierre Dardenne dont les films ne parlent pas de leur propre monde, mais d’autres, dont ils sont solidaires. Alors, les films de Mia Hansen Love offraient un contraste saisissant car ils sont d’inspiration autobiographique. Nous avons vu ses films, nous l’avons vue et entendue. Disons le tout de suite, c’est l’une des plus belles rencontres de Prades, pour son art et pour sa personne. Elle réalise une oeuvre délicate et profonde. Elle va de l’intime à l’extime, comme on dit maintenant(1) et … du singulier au pluriel

Plus d’un d’entre nous a été séduit par sa présence, sa qualité de contact, son attention. Elle est simple, ouverte, sincère. Et vite on comprend que Mia Hansen Love et son cinéma ne font qu’UN, ses films se réfèrent toujours à ce qu’elle a vécu et connaît. Et puisque prochainement aux Cramés de la Bobine, nous allons voir « Un beau matin » je souhaite ici raconter deux ou trois choses à son propos.

J’ai été impressionné par son récit de ses débuts dans le Cinéma : Mia est alors une jeune fille de 16 ans que rien ne prédestine dans cette voie, ses parents sont professeurs de philosophie, rien à voir (ou presque! car il semble bien que MHL poursuit la recherche du vrai par un autre moyen)

Souvent, les adolescents ont de sérieux passages de spleen — Surtout s’il y a eu des évènements familiaux un peu lourds — Cette tristesse est propice aux coups de foudre « providentiels » ; aimer pour ne pas se perdre…  et souvent dans ces histoires, la rupture est comme inscrite dans la rencontre. Mia l’a vécu. Quand arrive la rupture, elle est inconsolable… . Dans cet état douloureux, elle décide de couper très court ses cheveux longs.  Elle va ainsi au Lycée, paraissant alors une adolescente rebelle et libre. Et c’est ainsi qu’à sa sortie du Lycée, elle est remarquée lors d’un casting sauvage. Mia devient actrice, nous sommes en 1998. Sans doute, un coiffeur a dû reprendre sa chevelure lorsqu’elle joue pour son premier rôle dans « Fin août, début septembre », un film d’Olivier Assayas (dont plus tard, elle deviendra l’épouse et aura une fille).

Mia Hansen Love (Cheveux courts) dans « Fin aout, début septembre ».
O.Assayas 1998

On suppose que Mia dans sa reconstruction avait la faculté de s’identifier rapidement à des personnes, à se projeter dans des situations. J’imagine (par hypothèse farfelue) qu’à cette occasion de tournage, quelqu’un lui a trouvé un air de famille avec une femme remarquable, Anne-Marie Schwartzenbach, journaliste, aventurière, antifasciste, amie des enfants Mann, Erika et Klauss, (bien plus lucides que leur père sur Hitler et sa bande).

Anne-Marie Schwartzenbach

En tous les cas, sur France Culture, en 2019 dans La nuit rêvée de Mia Hansen Love, Mia lui a réservé un épisode.

Très rapidement, c’est la réalisation qui l’intéresse. Elle est une réalisatrice, elle l’est devenue d’une manière autodidacte. Elle écrit ses scénarios, elle les puise dans sa propre vie, elle les écrit seule méticuleusement. (sauf « Eden » co-ecrit avec Sven son Frère). Elle les complète parfois en dessinant ses plans vus d’en haut. Elle transpose les scènes, les transporte dans d’autres univers que les siens, parfois après de longs repérages, elle se joue les scènes, ensuite elle les retravaille avec sa scripte avec qui elle a un rapport complice. Elle préfère filmer avec de l’argentique, c’est plus beau, elle ne veut pas que la caméra se voit, donc elle refuse des effets trop visibles, tels les longs plans séquences. Quant à ses acteurs qu’ils soient professionnels ou non, ils doivent trouver l’expression juste de leurs émotions. À ses débuts de carrière, elle n’hésitait pas à faire recommencer vingt fois une séquence. Au montage, elle travaille en parfaite harmonie avec Marion Monnier. (On se ressemble dit-elle, y compris physiquement). La musique (Schubert y occupe une belle place), les bruitages, les paroles semblent profuses, pourtant, le silence est son principal « son ».

On ne peut comprendre Mia Hansen Love à partir d’un film. Les films sont les chapitres d’une oeuvre en construction. Ils se répondent un peu à la manière d’un jeu de triomino, par tous côtés. On peut rapprocher les personnages, les situations, les structures de récit, exemple celle d’un de « Bergman Island »  et celle d’ « un beau matin ». Enfin un peu comme dans la Recherche de Marcel Proust, on y mesure l’effet du temps.

Avec quelques transpositions, son troisième film, « Un amour de jeunesse », ressemble à sa propre histoire. Tourné en partie sur les bords de Loire dans la maison de sa grand-mère… ce récit d’amour de jeunesse déçu est sans doute une clé pour comprendre l’univers de Mia Hansen Love. Lola Creton l’actrice principale y est remarquable comme le fut Pomme (Isabelle Huppert) dans « la Dentellière » de Claude Goretta. Mia a dû y admirer Isabelle Huppert qui quarante ans plus tard, en 2016 jouera dans son 5e film « l’Avenir».(qui est incidemment une réponse à « la dentellière »). Mia n’est pas Goretta, elle est plus proche de Rohmer qui laisse toutes leurs chances à ses personnages. Chez Mia Hansen Love, l’expérience de la rupture n’est pas vue comme le début de la fin mais bien au contraire, comme une possibilité de dépassement, une ouverture sur le monde. Elle est une cinéaste du Sublime.

Ce troisième film aurait pu être son premier, mais son premier c’est le très sensible et bouleversant « Tout est pardonné » (Prix Louis Deluc) Elle ne pouvait que commencer ainsi.

1) Extime : relatif à la part d’intimité qui est volontairement rendue publique (par opposition à intime) : Un journal extime. (Larousse)

Chronique d’une liaison passagère-Emmanuel Mouret

En bref…

Voici un film qui a tout pour plaire, son casting : Charlotte (Sandrine Kiberlain) et Simon (Vincent Macaigne), ce gentil et idéal tandem bobo- Ce style bobo tant prisé par le cinéma d’auteurs français – Et puis il y a l’écriture soignée des dialogues qui est la marque d’Emmanuel Mouret.

Ces deux personnages se rencontrent et n’ont qu’une envie c’est de coucher ensemble. Charlotte l’exprime en mode majeur, carrément et Simon en mode mineur, teinté d’une touche de « culpabilité » et de maladresse. Le décor est planté dès la bande annonce.

…Et si tu m’aimes, prends garde à toi!

Là où tout n’est qu’affaire de désir il n’y a pas de faute : Tu ne trompes pas ta femme car c’est elle que tu aimes, il n’y aura rien d’autre que du plaisir entre nous.

Dans l’amour courtois au Moyen-Age, le chevalier servant aime sa Dame mais tous liens physiques lui sont interdits par le code de chevalerie. Ici Mouret inverse la formule. De sorte que ces deux-là finissent par être obligés d’inventer des stratagèmes de non-attachement, de non-amour pour continuer leur commerce, de se centrer sur leur désir et leur plaisir sans tâche (amoureuse).  D’ailleurs, pour conforter  leur règle de jeu,  ils font une expérience de triolisme en compagnie de la non moins pure est innocente Louise (Georgia Scalliet). Mais voilà! Charlotte et Louise deviennent amoureuses l’une de l’autre. (Louise qui du coup se fera faire une PMA en Espagne…la panoplie complète).

Alors, comment se passe une rupture dans une telle histoire ? Il y a des codes de comportement : Toute manifestation d’attachement est bannie (ce serait lourd). En revanche, l’éconduit peut à la rigueur manifester un peu d’étonnement et de tristesse nostalgique, mais il doit avant tout demeurer tendre et compréhensif.  (Ce qui est léger, élégant).

Alors, on songe un instant à Woody Allen inventeur de situations amoureuses paradoxales subvertissant les codes sociaux, exemple« Whatever Works », mais ça ne dure pas longtemps, il y a chez Woody distance humoristique et capacité d’autodérision qui à mon avis, échappent un peu à Emmanuel Mouret.

Georges

Week-End de Cinéma Italien 2022

Voilà… Bien heureux de ce week-end Italien passé ensemble, de ces moments cinématographiques animés par Jean-Claude Mirabella et…il y avait dans l’air comme une ambiance d’avant-Covid et espérons-le, d’après… Nous étions tout au plaisir de nous retrouver et d’échanger les uns les autres durant les poses.

Je vous livre ici quelques impressions sur ces films du WE vous pourrez en savoir davantage en voyageant sur le Site de Cramés de la Bobine et en lisant les excellents articles de Laurence, Marie-No, Françoise ou Marie-Annick. (en appuyant sur le bouton rouge à gauche, vous y êtes!)

Théorème de Pasolini ouvre le WE, c’est la seconde fois que nous y présentons un film ancien, après » la fille à la valise ». Pasolini aurait eu cent ans cette année, ça justifiait bien ce petit écart. Dès sa sortie en 1968, ce film a fait scandale. La venue d’un jeune homme est annoncé dans une maison bourgeoise, il y arrive séduit la bonne, la mère, le fils, la fille, le père, (mais où étaient les grands-parents ?) puis s’en retourne un peu comme il était venu. La mécanique bourgeoise, bien huilée de la famille se brise et chacun de ses membres voit en lui s’opérer un changement radical — Pour le meilleur et le pire — Sommes-nous choqués aujourd’hui d’un tel film ? Nous n’en avons pas eu l’impression, sommes nous séduits ? Guère davantage. Disons alors que ce film a satisfait la curiosité de ceux qui ne l’avaient jamais vu et de ceux qui voulaient le revoir, dans les deux cas c’était une belle introduction à la conférence du dimanche sur l’œuvre cinématographique de Pasolini, brillamment réalisée par JC Mirabella.

« Les huit montagnes », voici une avant-première, réalisée par un couple dans la vie comme au travail : Charlotte Vandermeersch et Felix Van Groeningen(vo, décembre 2022, 2h27) avec Luca Marinelli (Pietro), Alessandro Borghi (Bruno) et Filippo Timi. D’après le roman de Paolo Cognetti. On pouvait imaginer qu’avec ce cadre, ce film serait en cinémascope. Mais surprise, c’est du 1.33 (presque carré), pas mal du tout. C’est l’histoire d’une amitié entre deux jeunes garçons. Elle paraît simple, Pietro est un citadin pas trop dégourdi et Bruno depuis son plus jeune âge, un montagnard dans l’âme. Les deux enfants vont cultiver une solide amitié et s’aguerrir, d’autant qu’ils font de longues et hautes excursions guidées par le père de Piétro. Un jour, cette montagne qui a réuni ces deux amis d’enfance va les séparer, jeunes hommes, ils souhaiteront s’y retrouver, reconstruire le cours brisé des choses. Mais chacun doit faire son chemin, Bruno ne saurait quitter sa montagne, Pietro veut parcourir le vaste monde. Les réalisateurs entrelacent habilement histoire de montagne et histoire de vie, belles, tragiques parfois, singulières toujours. Pour en savoir plus : voir le billet de Laurence dans le site des cramés de la Bobine et si vous regrettez de ne pas avoir pu voir ce film, qu’à cela ne tienne ! Il sera de nouveau à l’affiche à l’Alticiné dans quelques semaines.

« America Latina » est le troisième film des frères jumeaux Damiano et Fabio d’Innocenzo, révélés avec « Frères de sang » en 2018, Leur deuxième film, et l’étrange « Storia di vacanze », sorti en 2021 et que nous avons projeté au WE italien 2021. Comme le remarque Marie Annick, ils y confirmaient leur talent et leur originalité. Là nous avons eu droit à un film déconcertant, décapant j’ajouterais. Un film qui ne se laisse pas saisir du premier coup, qui intrigue, vous ballade, prend le spectateur à contre-pied jusqu’à la dernière image. Mon sentiment de malaise à la sortie de la salle n’a pas résisté à une nuit de sommeil. Ces  jumeaux en effet ne cherchent pas à nous servir des choses prévues et à séduire qui que ce soit. Le moins qu’on puisse dire c’est qu’ils conduisent leur film comme ils l’entendent et prennent leur risque. Une chose est sûre ils auront des adeptes fidèles. Qui seront-ils ? On ne sait que répondre mais on leur souhaite le plus nombreux possible. Pour en savoir plus : voir le billet de Marie-Annick dans le Site des cramés de la Bobine.

« La dérive des continents », Film de Lionel Baier, « La dérive des continents ( au sud ) 2022, est la troisième pièce de l’Europe vue par un Suisse ( qui n’en fait pas partie ) » nous dit Françoise sur le site des Cramés de la Bobine. En 2017 nous avions vu un film italien d’Andréa Segré,« l’Ordre des Choses » qui traitait plus gravement ce sujet. Avec la dérive, la tonalité est bien plus légère. Une certitude, ce film a été apprécié par nombre spectateurs, j’ai pu le vérifier à la pose café. Je n’en étais pas si sûr car comme Laurence, je trouvais que ce film traitait trop de sujets : les relations franco/allemandes, mère/fils, amantes/amantes, imigrés/europe, la visite des politiques, ce qu’on montre et ce qu’on cache, ce qu’on travestit. Sans doute la note à la fois grave et humoristique, la générosité du film, le jeu des acteurs dont Isabelle Carré ont emportés l’adhésion.

Nostalgia Avant-première. Film de Mario Martone (vo, novembre 2022, 1h57) avec Tommaso Ragno, Pierfrancesco Favino et Francesco Di Leva. Ce film a eu le plus grand nombre de spectateurs, ce qui prouve que le public des cramés de la bobine est un public averti, certains comme moi-même ont lu le billet de Marie-No dans le Site des Cramés de la Bobine ou des critiques qui ne manquent pas sur internet. Et le film est à la hauteur de tout le bien qu’on dit de lui. Pierfrancesco Favino est de presque tous les plans. Dès le début, l’arrivée à Naples, le retour d’exil, la reprise de contact délicatement sensuel, les retrouvailles avec la mama, si petite et si fragile sont des images inoubliables. Mais cette nostalgie fait écran à d’autres choses indicibles qui petit à petit se révèlent. « L’expression d’une force inconnue qui pousse chacun à soulager sa culpabilité » dit le Docteur Freud.
Ce film va repasser à l’Alticiné, ne le manquez pas et si vous l’avez vu, vous pourrez ainsi le revoir si le coeur vous en dit.

Marcel Film réalisé par Jasmine Trinca (vo, juillet 2022, 1h33) avec Alba Rohrwacher, Maayane Conti et Giovanna Ralli. Jasmine Trinca est cette belle et excellente actrice, souvent vue aux cramés de la Bobine comme l’indique le billet de Françoise dans le Site des Cramés de la Bobine. Voici un premier film magnifiquement présenté et défendu par J.C Mirabella (sans doute à l’égal des autres, mais celui-ci en avait davantage besoin !). Un premier film prometteur, qui va aux sources du cinéma, avec ses séparations de séquences par des cartons (aux sentences énigmatiques). C’est Alba qui tient le rôle principal, celui d’une artiste de rue, elle est mime, elle a une fille mais c’est une mère énigmatique qui délaisse sa fille pour son chien. Un peu comme l’un des films précédents (América Latina) mais pour une tout autre raison, ce film poétique délivre son sens aux dernières images, nous invitant à le revisiter de mémoire.

Et bien sûr tous ceux qui le souhaitent peuvent commenter à leur guise les films de cet heureux W.E cinématographique. Déposer vos articles dans la boîte du Site les Cramés de la bobine ou les envoyer à georges.joniaux45@orange.fr

Georges

Vu à l’Alticiné…

Dix lignes, Dix lignes !

« Tout le Monde aime Jeanne » 

 Premier long-métrage de Céline Devaux et quel beau premier film ! Rien ne vaut un scénario sur mesure pour obtenir un casting parfait. Les acteurs sont dans leur registre et ils le sont avec mesure. Blanche Gardin et Laurent Lafitte sont impeccablement dirigés et donnent toute l’émotion tantôt joyeuse, tantôt désolée qu’un spectateur peut souhaiter pour ce film à la fois humoristique et grave. Nous avons lu le synopsis, Jeanne (Blanche Gardin) vient de perdre tout ce qu’elle avait et davantage encore dans ce qu’il est convenu d’appeler le fiasco de son entreprise écologique, il ne lui reste rien, en bon thérapeute, son comptable lui en explique les conséquences que par déni, elle ne semblait pas saisir vraiment. Ce qui rappelle un peu le marquis de Castellane : « non seulement je suis ruiné, mais si de plus je dois vivre pauvrement ! ». Par bonheur et malheur à la fois, il lui reste l’appartement portugais de sa mère qui vient de mourir. Jeanne toute à sa déprime s’y rend. Et c’est là qu’elle rencontre Jean (Laurent Lafitte). Bonne séance !

« Revoir Paris »

Alice Winocour la réalisatrice a choisi Virginie Efira, Benoit Magimel et quelques autres acteurs tous remarquables pour ce film qui nous parle de ceux qui après un attentat, sont à la recherche de leur histoire, ceux qui comme c’est le cas du film, cherchent à reconstituer leurs souvenirs, la vérité aussi insoutenable soit-elle… À lui survivre et à vivre. Alice Winocour, arrive à figurer à bonne distance, cette traumatologie de guerre où se bousculent fantômes et faux souvenirs et pires encore, les souvenirs vrais avec leurs images et leurs bruits terrifiants. D’abord elle a choisi Virginie Efira qui certainement interprète ici l’un de ses plus beaux rôles, elle est parfaite. Et il y a tous les autres acteurs, jusqu’au dernier plan très émouvant avec Amadou Mbow, qui nous montre des beaux traits humains : la tendresse, la compassion, la solidarité et la reconnaissance. Saisissants aussi, les décors urbains, le Paris des rues et bistrots avec ces superbes jeux d’ombres et de lumière. Bistrots et rues, insouciants et conviviaux qui furent aussi des lieux de massacre.

Georges

Bad luck banging or loony porn-Radu Jude

« Bad Luck banging or loony porn » est ce film décapant qui a obtenu l’Ours d’Or à Berlin. Radu Jude est apprécié à Berlinà l’égal de Cristian Mungiu à Cannes. Il avait déjà obtenu l’ours d’argent pour Aferim. Mais dit-il : « Je pense que l’essence du cinéma, c’est du sérieux » et pas « le tapis rouge, les robes clinquantes, les costumes et le glamour… J’aimerais m’en débarrasser, le cinéma n’a rien à voir avec ce genre de clowneries« . Ce qui est assez facile à dire lorsqu’on est récompensé et que… les producteurs seront contents pour cette fois-ci et pour celle d’après !

Par ses choix formels, et son punch, on peut dire que c’est un film beau et qui a du souffle. Et nous savons que Berlin choisit des films créatifs, c’est un festival qui prend des risques.

Ceux qui ont lu l’article de Laurence savent que ça commence hard. Bad Luck banging c’est l’intrusion brutale de la vie privée dans la vie publique. Les technologies actuelles, et les réseaux sociaux facilitent cette porosité. De quoi s’agit-il ?

Le film est composé en 3 parties, présentées ironiquement par des tableaux roses sur fond musical de Bobby Lapointe et le final du film comporte 3 fins possibles et nécessaires !

Au début, un gentil couple s’offre des ébats sexuels fantasmatiques et se filme. Or l’enregistrement se retrouve sur le Net, vaste poubelle. Et là, après cette mise en bouche si l’on peut dire, commence le film. En nous faisant voir « la pièce à conviction » Radu Jude nous transforme en voyeurs malgré nous. Mais justement de quoi est fait ce voyeur ? Quels sont les événements dont il s’est nourri avant que de le devenir  ?

Comment exprimer le désarroi d’Emi (Katia Pascariu) celle dont on a vu les ébats sexuels ? Comment alors rendre compte, sans commentaire aucun, de la solitude d’une femme, professeur de lettre, dont l’intimité a été violée, livrée aux yeux anonymes de personnes malveillantes ?

Dans un long travelling qui l’enferme dans le cadre, l’isole, elle marche d’un pas décidé le long d’un trottoir à Bucarest, il y a les bruits de la ville, pulsatiles, vrombissants, celui de toutes les grandes cités… et certainement que ça pue l’essence. Seule dans la multitude anonyme. Cette première partie ressemble à l’arrestation dans le Procès de Kafka, « On avait bien dû calomnier Joseph K car un matin… »

(Notons qu’Emi, comme tous les acteurs du film, porte un masque. On est en plein confinement. Radu Jude s’autorise à nous faire toutes la gamme des plans classiques avec masque pour tous ses acteurs et sans que ça nuise au film. Car nous qui sommes contemporains de la Covid, n’en sommes pas dérangés. Mais il est vrai que selon l’étymologie (per sona), les personnages sont des masques.)

La deuxième partie expose sous une forme documentaire le contexte de l’accusation, et c’est un portrait de société que Jude nous dessine, il y a bien quelques fleurs, Hannah Arendt ou Isaac Babel, mais ce qui domine dans la description, c’est la pornographie ambiante de la société marchande. Et cette société, c’est un peu celle des Viennois vue par Thomas Bernhard (la veulerie)  ou encore la monumentale collection de bêtise et méchanceté du journal Hara-Kiri puis Charlie des années 60 à fin 1970 (qui d’aucune manière ne pourrait exister tel quel de nos jours, compte tenu de la néo-pruderie ambiante.)

Bref, ces images documentaires que mobilise Radu Jude, sont délibérément énormes et de triste mémoire. Il ne cherche même pas à y introduire de nuances. Ce patchwork documentaire rappelle de quels événements nous avons été nourris, ce que nous avons digéré comme si de rien n’était.

Le final se compose de trois versions de l’accusation et là, Radu Jude un peu comme Tarantino, grossit le trait avec délectation. La question est la suivante, une professeure dont la fonction est d’éduquer, donc d’être exemplaire peut-elle, alors que son corps jouissant s’exhibe partout, enseigner à nos enfants ?

Radu Jude nous montre Emi qui dignement fait face à une accusation présentée d’une manière clownesque, d’enseignants et de redoutables parents d’élèves. Il nous montre de quoi les prétendues valeurs morales de l’accusation sont faites, leur tartufferie essentielle. Cette accusation pétrie de conventions bourgeoises, qui sommes toutes traverse les siècles avec une « fraîcheur » renouvelée. Elle est désormais computérisée.

Mais le clou du film m’apparaît alors que je termine ces lignes, Radu Jude réussit comme par magie à escamoter le partenaire homme de cette affaire. Où est-il ? Nous ignorions le sexe des anges, nous voici désormais avec un sexe dont on ne connait pas l’homme…Il compte pour du beurre, il n’est pas concerné…Nous vivons une époque formidable ! disait Reiser.