Comme des Rois de Xabi Molia (2)

 


Du 5 au 10 juillet 2018
Soirée débat vendredi 6 juillet à 20h30
Film français (mai 2018, 1h24) de Xabi Molia avec Kad Merad, Kacey Mottet Klein, Sylvie Testud, Tiphaine Daviot, Clément Clavel et Amir El Kassem

 

Animé par Alain Riou
 critique au « Nouvel Observateur », au « Masque et la plume » et au « Cercle »

 

Distributeur : Haut et Court

Synopsis : Joseph ne parvient pas à joindre les deux bouts. Sa petite entreprise d’escroquerie au porte-à-porte, dans laquelle il a embarqué son fils Micka, est sous pression depuis que le propriétaire de l’appartement où vit toute sa famille a choisi la manière forte pour récupérer les loyers en retard. Joseph a plus que jamais besoin de son fils, mais Micka rêve en secret d’une autre vie. Loin des arnaques, loin de son père…

 

Comme beaucoup d’entre nous, j’apprécie l’article de Marie-No. Ce n’est pas un film inoubliable, et donc nous l’oublierons. Durant la projection je pensais à un autre film, « je règle mon pas sur le pas de mon père,  de Rémy Waterhouse avec Jean Yanne et Guillaume Canet ». Un père escroc qui cherche à faire de son fils un escroc et finit même par l’escroquer tellement il est escroc.

Dans « comme des rois », il n’y a que deux personnages. Un père et un fils.  Et là aussi, on est   en présence  d’un père dangereux. C’est, comme dit Alain Riou,  un mythomane,  mais bien plus je crois, un auto- mythomane, un homme qui a la faculté de s’auto-illusionner, et qui en perdant, comme chaque fois, ne désespère jamais car il est incapable de se remettre en question. Avec son fils la règle est simple,  d’abord,  il le manipule, le fait entrer de gré ou de force  dans son jeu (combines, larçins, escroqueries diverses)et toutes les fois où son fils réussit, (selon les règles du père)  il est fier de ce qu’il lui a appris, toutes les fois où il échoue,  il devient cassant, dépréciatif. C’est un personnage narcissique qui donc se noie dans son image.

Quant au fils, curieuse mise en abyme (au 2edegré, car c’est un film qui le dit), remarquons-le, pour être lui-même,  pour ne plus être quelqu’un dont on se joue, il choisit de tenter de devenir acteur, quelqu’un   qui joue au lieu d’être joué.  Acteur, c’est ce qu’il sera, en prison avec (et à cause de…)  son père dans le dernier plan du film.

L’un tire l’autre vers le fond, avec la certitude d’être un éducateur, et l’autre qui même au fond du trou, continue de jouer à l’acteur et en  même temps le jeu de son père qui s’en trouve valorisé. L’un et l’autre dans la plus parfaite inconscience du « drôle de drame » ou de « l’horrible comédie » qu’ils jouent et se jouent.

 

Retour au Palais – Yamina Zoutat

 

Soirée débat lundi 18 à 20h30

Film franco-suisse (avril 2018, 1h27) de Yamina Zoutat

 

Présenté par Françoise Fouillé
Synopsis : C’est une gigantesque demeure qui compte, dit-on, 6999 portes, 3150 fenêtres et 28 kilomètres de couloirs. Des caves aux greniers et jusque sur les toits, le personnel de la maison s’affaire à toute heure, pendant que les murs résonnent de ce qui se juge ici. Enfants battus, trafics, divorces, enlèvements, crimes de sang… Cette maison, c’est le Palais de Justice de Paris dont le déménagement est imminent.

Curieux ce synopsis, tellement dissocié du contenu  du documentaire, après « pendant que les murs résonnent de ce qui se juge ici », tout le reste est presque  hors-champ.

Donc, voici le Palais de Justice.  Il est présenté par ses détails,  comme les pièces d’un  vaste puzzle dont nous ne connaîtrons pas l’ensemble. (Boiseries, pierres et serrures,  mais aussi obscurité, étroitesse des lieux, WC à la turc en acier. Il y a aussi le bruissement des  voix  et des choses…chariots et serrures… et  résonne parfois des clameurs humaines, sans doute hanté par le convoi du 24 janvier et quelques autres.  Il y a aussi   des personnages, ils sont là un peu comme dans un jeu des 7 familles, dont nous ne connaîtrions pas exactement  les familles,  un coursier intérieur et son diable  porte-dossiers, une standardiste aveugle, souriante et jolie, des policiers de tous poils, des agents techniques,  etc… et un instant,  de loin,  séparés par une vitre, des gens de loi, revêtus de « robes » rouges  ou noires*(1),  graves, assis dans un certain ordre,  obscure. Ils apparaissent  à la fois  kitchs et solennels. Bref, ce que nous montre Y.Z, c’est un peu d’histoire, celle du palais et l’évocation de quelques   « beaux assassinats »  dans le lieu où on les traite. Un lieu aux fonctionnalités et aux  pratiques  vieillottes.

Curieusement, les seules allusions à la peine tiennent en un objet insolite, l’urne patinée :   coupable, non coupable ( Urne qui nous assure-t-on  a contenu des condamnations à mort).  Ajoutons  son complément, une broyeuse à papier électrique dernier cri. Sans elles on  oublierait presque que ce palais est le pourvoyeur des prisons, lieu qui peut-être,  avec le 16ème arrondissement de Paris, est le mieux préservé de la mixité sociale.

Il y a  dans ce doc d’Y.Z  une nostalgie sincère, le Palais représente un attachement,  une Vie. Une vie  d’observation et de travail  pour décrire justice et injustices , nostalgie teintée d’ambivalence…(un peu celle de quelqu’un qui dirait c’était mieux avant dans un téléphone portable (2*) « dernière génération »,

…et ce matin, je tombe sur cette citation : «  Le verdict ne vient pas d’un seul coup, la procédure se transforme peu à peu en verdict. » voilà qui, comme souvent avec Kafka,   tombe à pic.

 

(1*)A ce propos, Françoise nous informe que l’hermine est remplacée par une peau de lapin… A la bonne heure!

(2*) ou une caméra si on veut.

 

MILLA – Valérie Massadian (2)

Prix spécial du jury international et de la meilleure réalisatrice au Festival de Locarno
Du 7 au 12 juin 2018
Soirée débat mardi 12 juin à 20h30

Film français (avril 2018, 2h08) de Valérie Massadian avec

Séverine Jonckeere, Luc Chessel et Ethan Jonckeere

Distributeur : JHR Films

Présenté par Georges Joniaux

Synopsis : Milla 17 ans, et Leo à peine plus, trouvent refuge dans une petite ville au bord de la Manche.
L’amour à vivre, la vie à inventer. La vie à tenir, coûte que coûte et malgré tout. 

Le premier qui dit la vérité
Il doit être exécuté ». Guy Béart

 

Nous avons  lu des critiques élogieuses de ce film, dans le Monde, la 7èmeobsession, Télérama, les Cahiers du Cinéma et des dizaines d’autres critiques.  D’ailleurs, avec ça, la société de distribution escomptait certainement mieux de ce film qui est demeuré  relativement confidentiel en dépit d’une bonne distribution.  Pourtant, voici un film que les cramés  de la bobine, comme beaucoup de spectateurs en France, n’ont pas aimé. Et, pour certains, pas du tout, du tout…Hier soir aussi, certains n’avaient-ils  pas envie de voir ce film, et plus encore, ce « pas envie », allait crescendo de plan en plan. D’ailleurs une spectatrice en a eu assez et a quitté la salle.

Que s’est-il passé ? Tout le monde est d’accord pour dire que Valérie Massadian filme bien. Il y a des plans magnifiques, un regard de grand photographe,  des enchaînements subtils. Des critiques louent sa profondeur de champ.

Nous avons entendu principalement trois reproches à ce film : Le premier, sa longueur, le deuxième son absence de scénario, le  troisième, le jeu de l’actrice, peu expressive et silencieuse. Ces trois arguments se combinant selon chacun.

Je crois qu’une large part de ces reproches tient à l’intransigeance artistique de Valérie Massadian. Mais de notre côté de spectateurs, ne  sommes-nous pas devant l’écran avec nos habitudes, et nos référentiels qui justement font écran à son travail ?   Alors commençons par nous regarder un peu, à travers nos choix de films  :

Considérons seulement quelques films présentés récemment sur la pauvreté, dans la sélection des Cramés de la bobine. Quand nous les passons en revue, nous constatons qu’ils sont souvent  en quelque sorte allégés par des scénarios à rebondissement, des  dialogues et  scènes piquantes,  il y a de l’action et des  sentiments. De sorte que nous les supportons bien.  Je pense par exemple  à « Louise Vimert », « Sans toit ni loi »,  « le Havre », « Rosetta » « Fatima ». Tous remarquables. Repensons un instant  à  « au bord du monde » de Claude Drexel, il s’arrête auprès des clochards, échange avec eux, mais il introduit dans son film, un artifice paysager, un écrin, «  Paris ma bonne ville (presque sans voitures), Paris ville lumière ». Bref, il biaise.

Je n’ai pas souvenir d’avoir vu une fiction qui soit essentiellement « contemplative » sur la pauvreté, c’est à dire qui se satisfait de la regarder et nous la fait regarder en face.  Et Milla est  pour moi le premier.

Mais  revenons un instant  à Valérie Massadian. Nous avons pu lire, qu’elle avait eu une l’enfance esseulée. Comme elle a eu la chance, la volonté et le talent d’être une artiste, elle a su se distancier de cette expérience primitive, quitter les voies toutes faites que cette expérience traçait. On peut dire qu’elle a été sauvée par l’art et par les quelques rencontres clés qu’elle a pu faire dans ce milieu. Elle a été sauvée par les regards qu’on a portés sur elle, les chances qu’on lui a donné. En tout cas par sa volonté première de se placer dans cette configuration.  Et, on se doute  que son premier film, Nana doit affectivement à Nan Goldin. Les belles rencontres, et la sublimation artistique. Mais Valérie Massadian est issue d’une famille d’artistes, ce qui n’est pas le cas de tous, et elle le sait. Son travail consiste à montrer comment ça se passe quand on vient de nulle part ou de pas grand-chose…

Dans Milla, Valérie Massadian  ne cherche pas à expliquer, elle considère qu’on est assez grands,  elle montre, car elle a à montrer. Elle nous montre quoi ? Trois actes de la vie d’une pauvre jeune femme. Elle aime, elle est veuve et enceinte, elle a un enfant.  Et le scénario ? Presque rien, l’effet du temps et des choses de la vie dans le dénuement – rien que ça- Ce dénuement qui se manifeste  par la gaucherie de Milla avec les objets, avec les activités de sa vie quotidienne, avec les mots, avec les autres.  Quant à sa vie relationnelle, marquée (probablement une fois de plus)  du sceau de la perte, elle est rendue  la plus réduite possible. Valérie Massadian sait rendre cette sensation. Milla montre la volonté sourde  de ne pas prendre de place, de ne pas encombrer, ni par les mots, ni par son corps…à n’être qu’à peine. Bref à compter le moins possible.

Valérie Massadian montre aussi ce que trop de critiques ont appelé la résilience.  Par instinct, par expérience et par lecture, je n’aime pas ce mot et je n’y crois pas.  Sauf si l’on entend par là, la capacité à rebondir et à vivre socialement en dépit  ses vieilles plaies, blessures, parfois inguérissables.  On voit bien que Milla porte les stigmates de ce qu’elle est : Son look, sa gestuelle maladroite, son rapport aux objets,  la pauvreté de son expression faciale. En accentuant le regard, on voit aussi qu’elle utilise toute son énergie psychique à vivre et tenir debout. On distingue l’élan vital d’une personne  tendue vers un devenir incertain, pour elle et pour son enfant. Et avec Ethan, c’est une symbiose, toute maladroite et  angoissée. La réalisatrice a choisi une actrice dont le vécu était voisin de celui de son personnage. Elle qui est une artiste, supposait l’effet cathartique de son travail avec elle. On peut parier que Séverine Jonckerre sera après ce film  délivrée, elle pourra s’ouvrir au monde. Valérie Massadian, qui sait de quoi elle parle, a voulu nous montrer à la fois l’écrasement et la résistance. Nous ne voulons pas voir l’écrasement, nous ne comprenons pas la résistance en question car elle nous est étrangère. Le pauvre n’est pas seulement celui qui n’a pas, c’est aussi celui qui plus que personne paie le prix de vivre.

Avouons qu’il y a plus reposant.

Ajoutons la poétique de  Valérie Massadian, ses cadres, sa bande-son,  mais aussi tout comme les textes qu’elle a choisis,  le poème de Léo, celui de Marie Ravenel par Léo et Milla, Add it up, de Ghost Dance, et la tendre chanson de Fréhel « Où sont mes amants ».

Certainement, je ne vous étonnerai pas de mon opinion, j’aime ce que nous montre Valérie Massadian, j’aime son parti-pris et son courage. Un courage de ne pas être aimée qui ferait frémir n’importe quel acteur du domaine social.  Je pense qu’elle réalise une œuvre de cinéaste. C’est parfois aussi une solitude, souhaitons la brève.

Georges

PS : Je viens de lire l’article de Marie-No, qui comme d’habitude m’a réjoui. Toutefois, je ne partage pas son histoire de bobo, car si les bourgeois existent bel et bien qui sont  les bobos ?  Une catégorie floue et pratique, mais c’est une autre histoire.

…En revanche, Candeloro ! j’en ris encore. 

 

The Third Murder – Kore-Eda

Nominé à la Mostra de Venise et au Festival du film policier de Beaune
Du 24 au 29 mai 2018
Soirée débat mardi 29 mai à 20h30

Film japonais (vo, 2018, 1h43) de Hirokazu Kore-eda avec Masaharu Fukuyama, Koji Yakusho et Suzu Hirose

Titre original : Sandome no Satsujin
Distributeur : Le Pacte

Présenté par Georges Joniaux

Synopsis : Le grand avocat Shigemori est chargé de défendre Misumi, accusé de vol et d’assassinat. Ce dernier a déjà purgé une peine de prison pour meurtre 30 ans auparavant. Les chances pour Shigemori de gagner ce procès semblent minces, d’autant que Misumi a avoué son crime, malgré la peine de mort qui l’attend s’il est condamné. Pourtant, au fil de l’enquête et des témoignages, Shigemori commence à douter de la culpabilité de son client.

Le film commence par un assassinat, Misumi tue un homme en lui assénant un coup de clé à molette sur la nuque et brûle son corps avec de l’essence. Sa culpabilité ne fait aucun doute, d’ailleurs il a tout avoué. Son récit est conforme aux images que nous avons vues. Misumi a déjà fait 30 ans de prison pour deux assassinats. Cette fois il est accusé de vol et d’assassinat. Il risque la peine de mort.

C’est une vérité simple, il a tué pour voler.  La peine de mort existe au Japon, il devrait être pendu, c’est plié. Or, Shigémori, l’avocat de la défense, un homme à la fois cynique et sagace, observe des faits plutôt contradictoires avec la version officielle et  se met à douter des faits.

Nos convictions de spectateurs avancent un peu en même temps que les découvertes de l’avocat Shigémori… nous les remanierons constamment car ce film est aussi un thriller. Du coup nous nous demandons quel est le statut de ces premières images ? Nous montrent-elles le crime ou une version plausible du crime, telle que de Misumi l’a avoué, et telle qu’elle convient à la procureur ?

Il nous sera suggéré différents mobilesdu crime dont deux qui excluent  le supposé coupable.

-Misumi a tué pour voler car il était endetté, dettes de jeu. C’est la version admise (extorquée ?). L’avocat découvre qu’il a 50 000 yens sur son compte et pas l’ombre d’une dette. Nous y reviendrons.

– Il a tué son patron par vengeance. 2 mobiles, il venait d’être licencié ou son patron commettait des actes délictueux.

– Il a tué son patron sur commande de l’épouse qui voulait toucher l’assurance vie.

– Il a tué son patron parce qu’il était incestueux, qu’il aimait  cet enfant un peu comme sa propre fille (qu’il n’a plus revu depuis qu’elle avait 8 ans)

(Si on ne sait pas qui a tué, une certitude, tous les plans de Misumi consistent à protéger cette enfant, y compris contre elle-même)

-Le patron a été tué par n’importe qui

-Il a été tué par sa propre fille et le Misumi endosse ce meurtre.

Koré-Eda a pris soin de rendre la culpabilité ou l’innocence de Misumi indécidable, il s’est arrangé pour que nous ne soyons sûrs de rien.

La défense du coupable ( ?)  Est  l’occasion de voir le fonctionnement de la justice et de la défense et les attitudes des protagonistes. Si l’on se rappelle bien le jeu cynique de Shigemori l’avocat de la défense, on doit se rappeler que la procureure ne l’est pas moins, qui veut refuser l’enregistrement d’un argument parce qu’il contredit sa version. De même elle a retenu l’endettement au jeu comme cause de meurtre alors que Misumi a un compte créditeur récent, confortable, de source obscure. Bref de part et d’autre la vérité ne sort de son puits. Du côté du  représentant du juge, ce n’est pas mieux : « On ne recommencera pas un procès, ça coûte cher  et ça entacherait sa réputation ».

Du côté de l’investigation,  l’avocat bouge lui aussi et faute de percer les mystères de  l’affaire, il découvre des choses intéressantes sur la femme de la victime  et sur sa  fille. L’une, la mère affecte une attitude peinée, que viennent contredire ses magouilles et son silence coupable lors des rapports incestueux de son époux avec leur fille. La fille plus authentique et sensible, est proche de Misumi, « l’assassin » de son père.  L’avocat mesure   le  mystère de cet assassinat et surtout,  le mystère Misumi.  Ce dont témoigne la gradation des plans  de rencontre de ces deux hommes, chacun d’un côté derrière la vitre du  parloir.

Remarquable cheminement de l’avocat. Comment marquer les mouvements de son âme, lui qui prétend justement ne pas avoir d’état d’âme, « l’empathie est inutile pour défendre un accusé, dit-il au début du film ».Pour être plus juste, il faudrait dire : remarquable la manière de Koré-Eda pour montrer l’évolution de l’avocat. Tout se passe dans la relation duelle du parloir. À chaque fois il cadre d’une manière nouvelle, et toutes les variantes de prise de vue sont utilisées, du simple champ contrechamp en passant face à face, un face-à-face avec effacement de la cloison, jusqu’à la fusion, superposition des images de l’un et de l’autre. Il y a même un dialogue, ou le reflet de Misumi le fait paraître tel un spectre. Mais revenons à l’avocat, il ne sortira pas indemne de ces confrontations. Il y a entre lui est Misumi un mouvement progressif  qui rappelle la philosophie de Lévinas, une relation de visage à visage, une relation à autrui, chaque fois plus authentique et qui oblige.

Misumi « La coquille vide » ?  Un prêt à penser.

Le policier qui avait arrêté Misumi il y a 30 ans témoigne à l’avocat :  « cet homme changeait  de version à chaque fois, c’était une coquille vide ».C’est une réflexion qui a de l’allure, même si on ne sait pas trop ce que cela signifie. Dans le dernier dialogue, Shigémori reprend, « Êtes-vous une coquille vide !? ». L’attitude de Misumi montre l’inanité de la formule, la coquille vide est ce qui reste d’un être qui a été vivant, il n’y a pas de génération spontanée de coquille. Une coquille vide est aussi un réceptacle, et Misumi a été le réceptacle de tout ce qu’on a échafaudé à sa place. Il est le meurtrier par toutes les versions à la fois, même les plus contradictoires. Il en arrive même à plaider coupable pour être sûr d’être condamné.

Shigémori découvre progressivement que cet homme avait préparé sa mort. Payé son loyer, tué ses oiseaux (sauf un, qu’il a laissé s’envoler) avant d’aller se constituer prisonnier et d’avouer tout ce qu’on veut.  Il découvre aussi que ce n’est pas le hasard qui l’a conduit à le défendre. Lui qui pensait avoir choisi son client en vient à penser qu’il a été choisi par lui.

Misumi a joué avec les avocats et la justice comme un joueur de go, en stratège,  quelquefois en tacticien ( changer de stratégie de défense et plaider non coupable est un coup tactique). Shigémori qui était dans les pas de son père, le Juge  qui 30 ans plus tôt, avait gracié Misumi retrouve et adopte salutairement une démarche qui fut celle  de son père par Misumi interposé. L’effort de Shigémori pour comprendre son client est quelque chose de nouveau chez lui. La rencontre entre ces deux hommes dans la prison cette fois, après la condamnation à mort  laisse penser qu’il a compris quelque chose de Misumi. Cette tentative de compréhension tout intellectuelle, assez dépourvue d’affects, vaut pour de la compassion. Et, après cette affaire, on suppose que Shigémori ne sera plus exactement le même  homme.

Le rapport des enfants avec les pères est abordé d’une manière récurente dans les films de Kore-Eda. Ici deux exemples, celui d’un père violeur, et de son côté,   le père de l’avocat en vieillissant qui  a perdu de son humanité, ses présupposés sur les criminels se résument ainsi : « Il y aurait des natures criminelles ». Avec la rencontre de Misumi, le balancier semble aller dans l’autre sens pour le fils.

Misumi est condamné à mort. Quittons le film un instant pour dire que la peine de mort a l’assentiment de 80 % de la population japonaise. Nous avons vu que la justice  produit un système qui veut juger en dehors de la vérité (sincérité) et  choisi, au Japon comme ailleurs, de mettre en place un jeu où les faits ne valent pas pour leur valeur « vraie ou fausse », mais pour leur « tarif », c’est-à-dire   la sanction encourue par le prévenu. Kore-Eda, montre que ce  jeu   a ses valeurs propres et n’inclut nécessairement la vérité mais l’usage (l’instrumentalisation)  qu’on en fait. L’approximation, le caractère douteux du jugement peut aboutir à la peine de mort qui elle, n’est pas une approximation.

Avec Misumi, Koré-Eda nous présente un personnage qui est un assassin idéal qui arrive à point nommé en tant que coupable, et peu importe qu’il le soit ou non. D’ailleurs il n’est peut-être « qu’un simple candidat au suicide judiciairement assisté ». En France par exemple, en son temps, l’affaire Buffet/Bontemps avait révélé un homme (Buffet) qui a utilisé la justice pour mettre fin à ses jours et plus encore. … Il existe d’autres exemples similaires aux USA.(1)

Avec ce film, Koré-Eda va à  contresens  de l’opinion dominante Japonaise sur la justice et la  peine de mort.  Il  réalise une fois de plus un très bel fiction et en même temps un bon documentaire.

 

PS : En revanche les prisons au Japon, si elles sont bien reproduites dans le film, semblent moins ignobles qu’en France, il est vrai que ce n’est pas très difficile.

(1) Je crois me souvenir que cet usage de la peine de mort comme moyen de  suicide a été décrite et documentée dans « la compulsion d’avouer » de Théodor Reik. (psychanalyste 1888/1969) 

(1 bis) Se souvenir de la fascination pour la mort de Gary Gilmore dans « le chant du Bourreau » de Norman Mailer ou encore de « l’instinct de mort » de Mesrine.

 

 

 

 

L’ordre des choses- Andréa Segré (2)

 


Avec la participation d’Amnesty International
Soirée débat mardi 8 mai à 20h30
Film italien (vo, mars 2018, 1h55) de Andrea Segre 
Avec Paolo Pierobon, Giuseppe Battiston et Fabrizio Ferracane

Titre original : L’Ordine delle cose
Distributeur : Sophie Dulac

animé par Jean-Claude Samouiller, membre de la Commission Personnes Déracinées d’Amnesty International France

Synopsis : Rinaldi, policier italien de grande expérience, est envoyé par son gouvernement en Libye afin de négocier le maintien des migrants sur le sol africain. Sur place, il se heurte à la complexité des rapports tribaux libyens et à la puissance des trafiquants exploitant la détresse des réfugiés. 
Au cours de son enquête, il rencontre dans un centre de rétention, Swada, une jeune somalienne qui le supplie de l’aider. Habituellement froid et méthodique, Rinaldi va devoir faire un choix douloureux entre sa conscience et la raison d’Etat : est-il possible de renverser l’ordre des choses ?

Mais qui est Rinaldi ?

Tout d’abord un grand remerciement à Marie Christine Diard et à Jean-Claude Samouiller d’Amnesty-Internationale.   C’est en effet toujours un plaisir de recevoir des invités pour discuter un film.  Et c’est aussi une chance lorsqu’ils produisent  un débat, des informations et des commentaires éclairants pour apprécier un film. C’est le cas Marie Christine Diard pour sa présentation et de Jean-Claude Samouiller qui a animé  le débat autour du film et de son actualité.

Il y a une forte similitude entre la trame historique et sociale de l’Ordre des Choses écrit 3 ans avant le rapport d’Amnesty Internationale  2017 :  « UN OBSCUR RÉSEAU DE COMPLICITÉS VIOLENCES CONTRE LES RÉFUGIÉS ET LES MIGRANTS QUI CHERCHENT À SE RENDRE EN EUROPE » dont voici la citation d’ouverture :

« En Libye, c’est soit la mort, soit la prison, ou l’Italie. Tu ne peux pas faire marche arrière, tu ne peux pas faire demi-tour » 

Et Andréa Segré dans le dossier de presse de l’Ordre des Choses dit à peu près  ceci : La politique confinement/refoulement livre des hommes et des femmes (considérés comme des parasites) aux mains de dictateurs sanguinaires et corrompus que nous payons pour qu’ils emprisonnent ces réfugiés. On chasse plus loin leur mort, nous acceptons qu’ils meurent sans que nous le sachions.

Mais ce film ne vaut pas seulement pour son côté documentaire. Il nous place dans la position de Rinaldi, un  policier de haut vol que le synopsis présente très bien. Et ça marche. Qui est Rinaldi ?  Dans le Dossier de Presse Andréas Segré, nous livre quelques détails sur ce personnage : Avant le tournage, l’acteur a dû longtemps s’entraîner à l’escrime. Rinaldi la pratique, elle exige concentration, précision et connaissance de soi et, ajoute Segré,   j’ai conseillé au comédien de lire « Heichman à Jérusalem de Hannah Arendt ».

Dans ce  livre d’Hannah Arendt nous  dit qu’Heichman a déclaré « Je n’ai pas été mêlé à l’assassinat de Juifs –je n’ai jamais tué un Juif, ni d’ailleurs un non-juif,  je n’ai jamais tué un être humain… plus tard, il déclara « naïf » et ambigu « il se trouve que je n’ai jamais eu à le faire (1)  ».  Les mécanismes de la bonne conscience et de la mauvaise foi ont été exposé mille fois par les psychologues ». Heichman se considérait comme un simple agent (sans libre arbitre) et dans son essai,  Hannah Arendt  parlait de la Banalité du mal, c’est-à-dire, si j’ai bien compris, du renoncement d’un individu à penser. Penser c’est être en dialogue sérieux avec soi-même. (Quelque chose comme examiner et s’examiner à la fois.)

Quel rapport entre le personnage Rinaldi et ce qui précède ?  Bien peu, il n’est certainement pas Heichman,  mais il  a cette propension à renoncer à son libre arbitre, cette « soumission à l’autorité » (2) du parfait serviteur de l’Etat, mais  jetons un coup d’œil sur le personnage :

Rinaldi est comme on dit, « propre sur lui », chic, distingué. Visage fin et fines moustaches, cheveux bien coupés qui donne l’impression d’être complété d’un toupet haut de gamme, costume de bonne façon, à veste courte et pantalon discrètement slim. Il est raffiné, son cadre de vie est « luxe », épuré, très Zen comme on le prétend maintenant. Il se détend devant sa télé avec un simulateur d’escrime, car il est demeuré sportif, et il travaille avec un Mac Book Pro. Ses enfants sont charmants et  comme peuvent l’être les enfants, juste un peu abusifs. Quant à sa femme,  elle est une belle et brillante urgentiste. Visiblement il l’adore. L’un et l’autre cloisonnent leur vie professionnelle et leur vie privée, on ne mélange pas tout. Monsieur a ses rituels, il est méticuleux. Il a une distance élégante et courtoise avec ses amis, mais on le sent fidèle. Avec ses supérieurs, il est précis et persuasif. Et nous le découvrirons, obéissant, fiable.

Et dans l’exercice de son métier : Avec ses interlocuteurs Libyens, chefs de clan mitigés miliciens corrompus et cruels, il est « droit dans ses bottes », ne cille pas, mais sait se salir un peu les mains, il sait aussi respirer les odeurs fétides des prisons et des morgues improvisées sans broncher. Bref, il a du sang froid, parfait. On sent qu’on est en présence d’un grand serviteur. L’élite.

Or,  il arriva que visitant un camp de rétention,  il rencontrât Swada une femme, et qu’il eut l’instant de faiblesse d’accepter de transmettre une clé USB à un oncle d’Italie.

 Pour être un grand flic, Rinaldi n’en est pas moins homme. D’ailleurs on sentait quelques craquements dans sa cuirasse. Andréas Segré nous en indique deux, le départ de Gérard, son homologue français et  la contemplation pensive du portrait de Béatrice Cenci, noble italienne « parricide  exécutée au 16ème siècle. Plusieurs fois violée par son père. Elle symbolise la rebélion. Ses complices eurent la tête écrasée à coup de pierre, quant à Béatrice, elle fut décapitée à l’aide de la Manaya (une ancêtre de la guillotine) ».Mais revenons à Swada, son oncle a payé la rançon, elle est libre quelque part dans Tripoli. Elle communique avec Rinaldi par skype, elle est heureuse. Elle rêve de rejoindre son époux en Finlande…elle sera reprise.

Le passage  du film qui révèle le mieux Rinaldi tient en deux réunions avec le ministre de l’intérieur :

Lors de la première, Rinaldi fait la proposition d’agrandir un camp de rétention tenu  par un groupe de miliciens, sadiques et corrompus, avec pour argument, « ils existent, ils trafiquent faute de fonds ». La seconde, donner aux garde-côtes libyens des moyens techniques et de formation pour arraisonner les bateaux des passeurs. Le dispositif proposé par Rinaldi comporte donc 2 axes : Arraisonner et Retenir. Le clan de garde-côtes  et celui des camps de rétention sont ennemis. L’un et l’autre sont corrompus. Le premier torture et rançonne, le second s’arrange avec certains passeurs.

Entre-temps, Rinaldi peut constater que Swada a été  reprise. Il échafaude des actions pour la libérer. Le Chef  milicien s’aperçoit de l’intérêt de Rinaldi pour elle.  Depuis une première visite dans le centre de rétention, l’un et l’autre se connaissent et s’estiment peu (c’est une litote). Ce Chef milicien fait comprendre à Rinaldi que si elle l’intéresse, il lui faudra payer. Rinaldi lui dit simplement : « faites attention ». Entre ces deux hommes, il n’y a pas seulement de la tension. Rinaldi n’est pas habitué à être traité avec arrogance.

La seconde réunionavec le Ministre. Rinaldi comprend que l’Etat n’est  pas disposé à payer davantage pour les camps de rétention,  mais qu’il veut des  garde-côtes opérationnels. Et faute d’obtenir les moyens d’investissement dans les camps de rétention, il dit à Rinaldi :   » trouvez-moi un scoop ».

Rinaldi a 3 missions : Obtenir des résultats des garde-côtes, gérer le camp de rétention, trouver un scoop.

Rinaldi a un dilemme, s’il fait libérer Swada, il tombe sous les fourches caudines du chef de camp de rétention.  Que faire ?

Il choisit de sacrifier Swada, et de faire un dossier contre le Chef du camp de rétention.  Il lui faut au passage sacrifier un indicateur exposé. Qu’importe !….Ce sera le scoop. Une pierre deux coups. Avec un scoop comme ça, véritable écran de fumée, le ministre peut gagner du temps : « ce n’est pas seulement une question de moyens, mais d’abord de  bon usage des moyens »  pourra-t-il dire.

Rinaldi, n’obtient pas la libération de Swada, il oubliera.  En revanche, il s’est débarrassé d’une personne qui ne valait pas grand-chose qui lui tenait tête et qu’il n’aimait pas. Ce faisant,  il a donné à son ministre le scoop qu’il attendait et obtenu un meilleur fonctionnement des brigades côtières. Très fort  ce Rinaldi, et les petits arrangements avec  sa conscience soumise se nomment Intérêt supérieur de l’État.

 

  1. Hannah Arendt Eichmann à Jérusalem Folio1997, page 43
  2. Soumission à l’autorité est le titre d’un ouvrage de Stanley Milgram

 

Tesnota, une vie à l’étroit,Kantemir Balagov (2)

 

Interprétation fumeuse.

Comme nombre de films russes que nous avons vus ces derniers temps, à l’exemple d’ « une femme douce » et de quelques autres, Tesnota (une vie à l’étroit)  se caractérise par une esthétique glauque, sinistre. Dans Tesnota, format 1.33,  cadres et surcadrages contribuent au resserrement. Quant aux couleurs, elles sont souvent saturées, bistre, sépia, marron, caca d’oie etc.  Le réalisateur joue sur l’attraction/répulsion.

Cette esthétique  ajoute au sens du film, une sorte de sens/sensation, une exhibition expressionniste de la misère matérielle, sociale  et  morale assez décadente d’un pays. Elle est au service du sentiment dominant d’oppression qui est le seul sujet du film et qu’importent les entorses au réel.  Montrer l’enfermement  national, communautaire  familial et individuel est l’objet du film par métaphores interposées, c’est ce que je vais tenter de développer.

Ici deux communautés juive et kabarde à la fin des années 90. Des juifs qui ne vivent peut-être pas comme des juifs, et des musulmans itou.

Nous sommes dans une famille juive, tout semble aller pour le mieux, le père  et sa fille Ilana sont mécaniciens dans leur garage. On voit qu’ils sont complices, heureux de travailler ensemble. Et pour satisfaire la mère, il y a, en perspective, les fiançailles de David, le fils. Cependant tout se détraque quand survient le  kidnapping de David et de sa fiancée. Pour des raisons de préjugés antisémites, la mafia suppose qu’ils sont riches et peuvent payer. Mais cette famille est pauvre et la communauté ne peuvent payer cette rançon, en outre  l’état de faiblesse de cette famille éveille des convoitises. La famille va devoir tout envisager pour sauver David.

Alors qu’Ilana  a une liaison transgressive avec Nazim, un kabarde, un brave costaud, un peu rustre, franc buveur et petite tête, la mère se découvre un plan au service de son objectif de délivrer David : marier sa fille à un jeune homme d’une famille juive voisine, dont les parents pourront payer cette rançon. C’est l’occasion de nous montrer le portrait d’une mère dévorante. Le fils  délivré va aller son chemin sans se retourner et la fille va échapper au mariage arrangé, (tel que décrit par Claude) et  rentrer dans le rang après quelques provocations, tentatives de révolte. Mais revenons à cette mère dévorante, de quoi est-elle le nom ? Je réserve cette réponse pour la dernière ligne.

Pourquoi avoir choisi de montrer une communauté juive ? On peut-y voir plusieurs raisons, la première, c’est que comme les chrétiens, ils sont hyperminoritaires, la deuxième tient peut-être à l’illusion sociologique, « on sait faire la sociologie des autres ». Je fais l’hypothèse d’une troisième possibilité, ces juifs représentent autre chose de plus qu’eux-mêmes. Peut-être les Kabardes eux-mêmes. Les juifs seraient aux Kabardes ce que les kabardes seraient à leurs grands frères russes.

Ce film comporte un passage documentaire cruel, l’égorgement de soldats russes par des Tchétchènes, ils mettent en scène leur saloperie,  la terreur et la mort.  Cette scène a cristallisé l’ensemble de la discussion des Cramés de la bobine et cette discussion ne s’éteint pas avec le débat.

Elle appartient à ces images qui  prétendent condamner la violence, mais qui en réalité ont pour fonction de préparer ou de justifier la vengeance violente de l’autre camp.

Le réalisateur lui-même musulman, ne peut ignorer cela. Est-il tordu et ambigu ? Quelle est la fonction de ce passage ? Si l’hypothèse précédente fonctionne, (les juifs seraient une analogie des Kabardes) alors, il s’agirait du même système. Montrer les crimes tchétchènes, c’est aussi montrer les crimes russes sans passer par la case censure. Et j’imagine même ces censeurs séduits  par la scène.

Je sais ma tendance à surinterpréter, il est possible que je donne à l’auteur des intentions qu’il n’a pas. Peut-être appartient-il à ces partisans du « No Futur » esthétisants qui fleurissent partout, dans le cinéma et la littérature. Mais ça ne change rien, il donne à voir une   certaine Russie.

Cette Russie comme une longue liste de pays, Iran, Turquie etc.… A avec la censure et la terreur une relation privilégiée. Mais il me semble que si l’on veut montrer la mafia,  la violence, la corruption, l’alcoolisme, l’enfermement communautaire, familial et l’individualisme dans un pays décadent, on peut faire comme ça, le principe de la poupée russe en quelque sorte. Et, autre analogie,  cette Russie nationaliste ne serait-elle pas une mère dévorante ?

« La Juste Route » de Ferenc Török

Du 29 mars au 3 avril 2018
Soirée débat mardi 3 avril à 20h30

Film hongrois (vostf, janvier 2018, 1h31) de Ferenc Török avec Péter Rudolf, Bence Tasnádi et Tamás Szabó KimmelDistributeur : Septième Factory 
Titre original : 1945Présenté par Georges Joniaux

Synopsis : En août 1945, au cœur de la Hongrie, un village s’apprête à célébrer le mariage du fils du secrétaire de mairie tandis que deux juifs orthodoxes arrivent, chargés de lourdes caisses. Un bruit circule qu’ils sont les héritiers de déportés et que d’autres, plus nombreux peuvent revenir réclamer leurs biens. Leur arrivée questionne la responsabilité de certains et bouleverse le destin des jeunes mariés.

 « Le nazisme était terminé et le communisme n’avait pas encore commencé. Nous avons essayé de capter l’atmosphère de cette époque ».  Ferenc Török

Le titre original de  ce film en Hongrois est 1945, ce titre est intéressant car il pointe un moment ou la Hongrie est encore en devenir. Le titre français ne l’est pas moins, la juste route, est-elle celle qui va d’un point à un autre, de la gare au cimetière ?

 L’originalité du film c’est son point de vue :  il y a deux juifs qui vont leur triste chemin, ils sont comme le disait Jean-Pierre « tels des ectoplasmes ». Ils portent des signes distinctifs des juifs traditionnels, ce qui éveille des interrogations, des  craintes et  réveille des mauvaises consciences chez les villageois.

J’admets bien volontiers avec Sylvie de considérer que les juifs hongrois traditionalistes sont une représentation inadéquate des juifs hongrois, je n’en persiste pas moins à  considérer qu’ils existent, et  que les choisir eux plutôt que d’autres était judicieux dans le scénario, pour la démonstration et pour le lieu ou se déroule l’action. Cette cérémonie où père et  fils  marchent dignement,  en misérable cortège, derrière de modestes reliques de morts dont les dépouilles sont parties en fumée est crédible parce que ce sont  des gens pieux et modestes qui exécutent ce rituel et que par ailleurs, ils devaient être familiers aux villageois.

Ces revenants sont des signes inducteurs du « retour du refoulé » dans le village.  Ils sont les révélateurs des choses cachées, encryptées* dans les âmes des villageois. Et au fond ce qui est essentiel dans le film, ce n’est pas tant eux mais ce qu’ils induisent. Ce qui se  passe  dans le village pendant que ces deux-là marchent.

Ce qui se passe : Peu avant, la Hongrie, alliée de l’Allemagne, a tenté de changer d’alliance et en mars 1944, elle est occupée par les Allemands.

Les villageois vont connaître la terreur pour certains, on le vérifie avec cette vieille dame qui a avoué qu’elle cachait des enfants juifs, les condamnant à une mort certaine. Il y a aussi  la collaboration et l’opportunisme pour d’autres. C’est le cas du secrétaire de Mairie qui a manipulé et soudoyé un pauvre bougre pour qu’il dénonce Pollak, son « meilleur ami » et ainsi s’approprier  ses biens.

Le cœur du film c’est d’une part  la spoliation, et le rachat à vil prix de ces biens et  c’est une des grandeurs de ce film de montrer que la spoliation concerne ce qui faisait la vie même de ces gens spoliés et pas seulement comme on le voit trop souvent des objets d’art, symboles de culture et de puissance. Ici était visée la modeste épicerie des Pollak,  là où ils seront, ils n’en auront plus besoin, devait penser le secrétaire de mairie…Comme à la fin du film, le rappelle allégoriquement  la  fumée du train de 15 heures, dans lequel les deux juifs repartent.

Et d’autre part, c’est la souffrance des gens du village complices qui par leur silence  partagent l’indignité du vol.  Comme ça va bien avec le sujet du film, je m’autorise cette citation du livre d’Ezekiel :

« Les pères ont mangé des raisins verts, et les dents des enfants en ont été agacées ».

On peut appeler enfants, le fils qui à la révélation de la turpitude de son père et quitte tout, y compris sa belle,volage et cupide fiancée. Enfant, ce pauvre homme alcoolique qui a obtenu une modeste maison en guise de remerciements pour sa collaboration… Et finit par se pendre. Enfant, la femme délaissée de ce secrétaire de mairie, qui se shoote à l’éther pour ne pas voir l’homme avec qui elle vit. Enfants tous ces passifs villageois qui se rendent au cimetière pour savoir ce qui se passe et « contribuer à n’en pas douter, à régler l’éventuel désordre ».

La liste des enfants aux dents agacées est bien longue car les  « secrétaires de mairie », assassin et voleur, et leurs frères embarquent tout le monde dans leur indignité.

Ferenc Torok contribue à  rendre la question de la spoliation des juifs  claire en la situant là où elle est, au cœur de la vie même des spoliés comme des spoliateurs et des silencieux complices, et en montrant que les crimes cachés ne cessent de faire vagues et traversent les générations.

J’imagine par extension,  que F.Torok nous dit  aussi que la pensée réactionnaire de Orban et  les siens, repose sur l’assentiment d’une population « aux dents agacées », qui refuse de considérer que la juste route c’est celle qui va à la vérité.

*J’emprunte  le terme  crypte   à  Marie Torok et Nicolas Abraham, psychanalystes  qui ont consacré des articles originaux et  convaincants à cette question des secrets familiaux.

Cinéma d’ailleurs, « Viva Il Cinéma » 5ème festival de Tours

 

 

Du 14 au 18 Mars, 4 cramés de la bobine se sont rendus à la 5ème édition des journées de Viva il Cinéma de tours où 24  fictions et documentaires ont été présentés. Nous nous y sommes rendus.

 

 

 

Il y a quelques années nous pensions que ce cinéma était mal en point, il marque les signes d’un bon rétablissement. Il y a dans le cinéma que nous avons vu, une créativité, un bonheur de filmer qui rappelle les grandes années du cinéma italien. Nous avons pu voir 13 d’entre eux, inédits et avant-premières.

Les inédits n’ont pas encore de distributeurs, peut-être n’en auront-ils jamais en France et donc n’y seront-ils jamais diffusés, nous vous en toucherons tout de même un mot parce que nous espérons qu’ils trouveront leurs diffuseurs et de nombreuses salles pour défendre ce cinéma-là.

Il y a eu deux prix attribués, celui de la Ville de Tours et celui du Jeune Jury, nous les signalerons au passage

 

Ammore e Malavita « à Naples on ne vit que deux fois » de Marco Manetti.

L’idée de départ, un mafieu essaie de disparaître de la circulation. Un film drôle, qui tient de la comédie, de la comédie musicale, avec des meurtres en série, une histoire d’amour, du suspens et de l’invention. A voir s’il arrive sur les écrans en France, si vous avez envie de vous distraire, et si le cœur vous en dit. Davantage Pop Corn qu’Art et essai. (***)

 

 

In Guerra per amore, de PierFrancesco Diliberto,

 

 

« NYC1943, Arturo souhaite épouser Flora, mais son oncle qui en a la charge veut la marier au fils d’un chef mafieux. Alors pour obtenir la main de sa belle, Arturo décide d’aller directement demander sa main au père de Flora qui vit en Sicile. Comme il n’a pas de quoi se payer le voyage, il s’engage dans l’armée qui va débarquer en Sicile ».

Alors là, c’est du cinéma ! Ça a l’allure d’une comédie, il y a des passages drôles et jamais vus, et ça gagne en gravité sans jamais perdre l’humour. On imagine que le réalisateur a été séduit par la Vie est belle. Le sujet qu’il traite est grave : Comment les Etats Unis ont installé durablement la mafia en Sicile. Un film drôle et intelligent qui n’est pas sans rappeler une histoire fraîche. Nous espérons que ce film aura tout le succès qu’il mérite. (*****)

 

I Figli della Note (les fils de la nuit) d’Andréa de Sicca. ( le petit-fils de Victorio !). Ce film a obtenu le prix du Jury des Jeunes.

« Issu d’un milieu aisé, Giulio est envoyé dans un pensionnat strict qui forme les dirigeants de demain. Et tout est permis pour former l’Elite de la société »…Il y a non loin, un lieu d’évasion, un « lieu de plaisir nocturne » si on peut appeler ça comme ça. Giulio tombe « amoureux » d’une jeune femme qui s’y prostitue. C’est un film sur les étudiants, et les étudiants de Tours ont aimé voir des étudiants transformés en jouet par un monde adulte dominateur et dévoyé, ils ont aimé le climat complotiste manipulatoire et glauque qui nimbe le film. Film au demeurant peu inventif. (**)

 

Il Padre d’Italia (le père d’Italie)  de Fabio Mollo.

Inédit. Espérons que ce film va être projeté en France. C’est un film original : « Paolo est trentenaire, il ne se remet pas de la séparation d’avec l’homme avec qui il a vécu durant 8 ans. Une nuit, il rencontre Mia, une jeune femme exubérante et fantasque, enceinte de quelques mois. Elle lui demande de l’aide. Alors commence un voyage plein de rebondissements à travers l’Italie ». C’est aussi un film sur l’attachement, qui interroge la nature de l’attachement. Les acteurs sont Luca Marinelli (nous l’avons vu dans 3 films, cet acteur est un vrai caméléon)et Isabella Ragonese. Retenons bien ces noms et ne loupons surtout pas ce film! (*****)

 

Una Questione Privata un film de Paolo et Vittorio Taviani avec Luca Marinelli (voir ci-dessus).

En présence de Paolo Taviani. C’est bien leur patte. Voici un film qui commence par un triangle amoureux et chaste, (c’est l’affaire privée) la toile de fond devient le fascisme et la lutte des partisans. Les deux garçons deviennent des partisans. Quelle sera l’influence de cette affaire privée dans leur engagement ? Un film élégant, classique et beau. (****)

 

Easy d’Andréa Magnani

a obtenu le prix de la ville de Tours. 

« Easy (diminutif d’Isodoro), est ex-pilote de course, un gros monsieur déprimé, boulimique et solitaire qui ne fait plus rien. Son frère lui propose un job, transporter le cercueil d’un maçon décédé, en Ukraine- un voyage semé d’embuches-« . C’est énorme, drôle et grave, ça s’essouffle et se relance sans qu’on sache trop bien pourquoi.  Nous n’avons jamais vu un road movie avec cercueil.  Je n’aurai pas voté pour ce film, mais le burlesque (derrière lequel se cache un vécu)  à bien le droit d’être à l’honneur.(***)

 

Il più grande sogno (le plus grand rêve) de Michele Vannucci.

Reconstitution à la manière documentaire d’une histoire vraie : « Mirko est de retour chez lui après avoir passé 8 ans en prison. Il veut une seconde chance, un nouveau départ qui lui permettrait de tourner définitivement le dos à la violence et la criminalité. Il souhaite reconquérir le coeur de ses deux filles, reprendre son histoire avec sa femme et rendre sa propre vie plus positive. Une opportunité inespérée se présente lorsqu’il est élu président d’une association caritative de son quartier, une zone abandonnée de la banlieue de Rome. » On ne peut pas dire que le film jouit d’un bon scénario ni d’acteurs exceptionnels, ni qu’il soit bien filmé, mais ce film a réussi le miracle de se faire oublier au profit du débat de l’équipe de tournage et du coup tonnerre d’applaudissement. Le jour où vous irez voir ce film, tâchez que la fameuse équipe soit là.(**)

 

Sicilian Ghost Story d’Antonio Piazza. Un autre film sur la Sicile

dont voici le synopsis : « Dans un village sicilien aux confins d’une forêt, Giuseppe, 13 ans, disparaît. Luna, une camarade de classe, refuse la disparition du garçon dont elle est amoureuse et tente de rompre la loi du silence. Pour le retrouver, au risque de sa propre vie, elle tente de rejoindre le monde obscur où son ami est emprisonné et auquel le lac offre une mystérieuse voie d’accès ». Attention histoire vraie qui commence comme une histoire merveilleuse, joue avec le fantastique, pour mieux nous ramener à une histoire qui se termine tragiquement. Tout comme « In Guerra per amore, de PierFrancesco Diliberto » ce film est fort et bouleversant. Il dénonce les méthodes mafieuse et les silences coupables. Comme c’est une avant-première, il va passer dans les salles. Allez-y ! Vous ne le regretterez pas.(*****)

 

Si returno Ernest Pignon-Ernest et la figure de Pasolini, documentaire en sa présence ainsi qu’une représentante du collectif Zikozel :

« Qu’est-ce que nous avons fait de sa mort ? » Quarante ans après l’assassinat de Pasolini, Ernest Pignon-Ernest, l’un des pionniers de l’art urbain international, entreprend un voyage en Italie pour poser cette question sur les lieux de la vie, de l’œuvre et de la mort du poète. À Rome, Ostie, Matera et Naples, l’artiste interpelle les habitants et les passants en collant sur les murs une pietà laïque dans laquelle Pasolini, au regard sévère, porte son propre corps sans vie ».

C’est un artiste humble qui nous expose sa démarche. Celle d’un art éphémère,  celle d’un plasticien pour qui la rencontre du public et l’agencement de son œuvre comptent autant que l’œuvre. E.P.E bénéficiait d’une salle conquise et admirative.

 

La Tenerezza, (la tendresse) de Gianni Amelio, une avant-première, quelle chance ! il sera diffusé.

Encore un film remarquable. Le nouveau film du réalisateur calabrais aborde les relations familiales et le dédale de sentiments qui en découle et en même temps une rencontre de voisinage avec une gentille famille, une sorte d’ailleurs à domicile et c’est tellement autre chose ! Et pourtant! Encore un film remarquable, avec pour interpréte Elio Germano. Allez-y,  si vous en avez l’occasion, vous ne regretterez pas. (*****)

 

Tutto quello Che vuoi « tout ce que tu voudras » de Francesco Bruni, Inédit,

quand je pense que vous riquez de ne pas voir ce film ! J’en suis consterné. Une comédie, intelligente, sensible, émouvante, et drôle et infiniment sérieuse. Alessandro 22 ans « branleur » excède son père qui lui impose de prendre un petit boulot « s’occuper de Giorgio, poète Alzheimer ». Les italiens connaissent le tragicomique mieux que quiconque.

Une rencontre. C’est un bon moment de cinéma, vous savez ces films dont on sort avec le sourire !(****).

 

Encore un Inédit, on ne va quand même pas être obligés d’aller à Tours pour voir ce bon film !

La Stoffa dei sogni de GianFranco Cabiddu (l’étoffe des rêves est un morceau de citation de la tempête de W.Shakespaere : « Nous sommes de l’étoffe dont sont faits les rêves, et notre petite vie est entourée de sommeil »

je vous livre le synopsis : Un bateau chargé de prisonniers et d’une petite troupe de théâtre fait naufrage sur l’ile d’Asinara connue pour son pénitencier. Les gardiens de la prison recherchent les rescapés mais ne savent pas distinguer les mafieux qui doivent rejoindre la prison, des autres. Passionné de théâtre, le Directeur leur demande de jouer la Tempête de Shakespeare. Ça ne manque pas de sel ! (C’est le cas de le dire). (***)

 

Lasciati Andare (laisse-toi aller) Francesco Amato

Inédit encore un inédit, une gentille comédie. Un psychanalyste peu empathique fait un malaise, on lui prescrit de faire du sport, il rencontre une excentrique coach de sport…Avec le grand Toni Servillo. On rit, il y a de bons gags mais c’est un peu long tout de même. (***)

 

Les italiens savent manier le tragicomique. L’humour italien au cinéma a une finesse qu’on ne retrouve guère dans les films français. Sur 13 films que nous avons vu 8 ont un caractère humoristique et cependant véhiculent à profusion et  généreusement  inventions,  images étonnantes , humour sur des thèmes parfois  graves, dont on peut discuter en sortant de la salle.

4 jours de ciné, en sortant des salles, un instant, on s’étonnait de ne pas être en Italie. Bravo à Tours et Viva Il Cinéma !

Georges

« L’insulte » de Ziad Doueiri

1 Prix et 3 nominations à la Mostra de Venise 2017
Du 1er au 6 mars 2018
Soirée débat mardi 6 mars à 20h30

Film libanais (vostf, janvier 2018, 1h52) de Ziad Doueiri avec Adel Karam, Rita Hayek, Kamel et El BashaDistributeur : Diaphana 

Présenté par Jean-Pierre Robert

 

Synopsis : A Beyrouth, de nos jours, une insulte qui dégénère conduit Toni (chrétien libanais) et Yasser (réfugié palestinien) devant les tribunaux. De blessures secrètes en révélations, l’affrontement des avocats porte le Liban au bord de l’explosion sociale mais oblige ces deux hommes à se regarder en face.

Notes sur les avocats dans le film

J’ai aimé ce film, sa présentation et le débat qui soulignent à quel point la question libanaise est douloureuse et compliquée. Je souhaiterais m’attarder sur le rôle des avocats dans cette affaire.

Disons d’abord que la forme du film a quelques rapports avec les cercles produits par un caillou jeté dans l’eau. À partir d’une injure, d’un conflit interpersonnel, le cercle des personnes concernées s’étend. Celui des amis et des proches, celui des groupes de pression, celui de la foule et de l’opinion, celui de l’institution représentée par le Président en personne.

La toile de fond : Beyrouth, une ville particulièrement dense. Un patchwork de communautés et de religions enchâssées. Selon wikipédia « Le Liban compterait 54 % de musulmans (dont environ 27 % de chiites et 27 % de sunnites), 5 % de druzes, 41 % de chrétiens (23 % de maronites,etc… » et les guerres…regarder la chronologie du Liban, c’est se plonger dans « guerre, guerre civile, invasions, attentats, etc. » D’où la propagande permanente et le déploiement facile d’idéologies meurtrières.

Aussi, dans ce monde-là ou la différenciation est la règle, quand deux personnes entrent en conflit, s’injurient, qu’elles en viennent aux mains, elles portent en elles leur système religieux et communautaire, les blessures de la guerre, celles qui les ont souvent opposées. Sans oublier les discours idéologiques et propagandistes haineux (politico-militaro-religieux) dont ils se laissent bercer, et c’est le cas de Toni et peut-être Yasser. Ils expriment l’un et l’autre d’une manière emblématique, par leurs blessures et leurs souffrances profondes, les blessures de leur pays et en même temps, « le prêt à penser » des préjugés et de la propagande. Ce qui se joue dans l’insulte tient  à la fois du psychodrame et du sociodrame.

Toni poursuit Yasser en justice. Romanesque et intéressante, « l’invention » dans le scénario des avocats des deux protagonistes. L’avocat de Toni est un vieux monsieur, l’avocate de Yasser est une jeune femme. L’un est un défenseur des chrétiens, l’autre est défenseur de minorités opprimées, ici les Palestiniens. L’un est le père et l’autre la fille. L’un et l’autre ont été choisis ou conseillés par les entourages respectifs des deux protagonistes parce qu’ils sont les meilleurs. Un duel de champions en somme. On suspecte alors que ce choix de règlement du conflit, sera en même temps celui d’un conflit père/fille et qu’il risque de ne pas tendre vers l’apaisement, parce qu’il se jouera autre chose que le procès.

Et les interventions de ces deux personnages forment une sorte de récit dans le récit. On voit bien le double enjeu de ces deux avocats : S’opposer en dépit de leur parenté. Etre parents en dépit de leur opposition. Ça ne devrait pas être crédible, mais ça marche, on y croit. D’autant qu’ils démontrent par leur opposition tranchée que liberté de pensée existe encore dans ce pays. On imagine aussi que le concours de persuasion et de chamaillerie va commencer entre avocats que tout oppose et que tout réuni. Là encore on retrouve une métaphore du Liban, « être à la fois ensemble et séparés ».

Le fil conducteur du film revient pour une large part aux avocats puisqu’il permet des éclairages successifs sur Toni et Yasser. Le scénario réparti bien les billes, plus avance le procès, plus on découvre à quel point les torts sont  partagés, et que le match nul se profile. Et à chaque fois que l’un ou l’autre marque des points, la tension augmente d’un cran. Comment en sortir ? C’est le père qui découvre la voie étroite. Reformuler les termes de la plainte, la ramener à ses origines qui ne sont pas dans les passages à l’acte immédiat mais dans les vies et les actes passés. Et là on pense à « Carré 35 » de Caravaca ou à « en attendant les hirondelles » de Karim Massaoui. Soit le ressort comprimé d’un traumatisme, de la mort ou la guerre qui se dévoile à travers des passages à l’acte. Alors, le non-dit, le secret, s’incarne d’une manière sourde dans tous les actes de la vie de Toni et Yasser. Le présent sert d’alibi à un passé mal vécu qui cherche à s’exprimer par tous moyens. L’un et l’autre se pensent libres, ils ne sont que les jouets de leurs passés respectifs. Et les avocats, dans ce film, font advenir une vérité de ces personnages. Je ne m’en tiendrai qu’à ce seul aspect. Le film est bien plus riche que ça.

Alors, est-ce qu’être conscient d’un traumatisme aide à mieux vivre, à être plus heureux, à se sentir moins angoissé, moins peureux, moins coléreux ? Peut-être.

J’ajouterai que ce film a trouvé une manière de parler de simples quidams et en même temps de tout un peuple lui aussi si proche et si opposé. Lui aussi blessé, lui aussi baigné dans une propagande meurtrière. Et ce film dit à ce peuple : « Votre violence d’aujourd’hui, avant d’y céder, songez qu’elle s’est nourrie de l’écho lointain d’autres violences en partage…Remember. Ne la laissez pas gagner ». Il propose aux Libanais de vivre ensemble, ce qu’ils font déjà, disons alors de vivre ensemble lucides et vigilants,  et donc en paix…

Georges

 

 

 

 

 

 

 

« Ni Juge, ni soumise »de Jean Libon et Yves Hinant

Nominé à la Quinzaine des Réalisateurs
Soirée débat lundi 5 mars à 20h30


Film franco-belge (février 2018, 1h39) de Jean Libon et Yves Hinant

Ni Juge ni soumise est le premier long-métrage StripTease, émission culte de la télévision belge. Pendant 3 ans les réalisateurs ont suivi à Bruxelles la juge Anne Gruwez au cours d’enquêtes criminelles, d’auditions, de visites de scènes de crime. Ce n’est pas du cinéma, c’est pire

Nominé à la Quinzaine des Réalisateurs

Soirée débat lundi 5 mars à 20h30

Film franco-belge (février 2018, 1h39) de Jean Libon et Yves Hinant

Présenté par Marie Noël Vilain

Ni Juge ni soumise est le premier long-métrage StripTease, émission culte de la télévision belge. Pendant 3 ans les réalisateurs ont suivi à Bruxelles la juge Anne Gruwez au cours d’enquêtes criminelles, d’auditions, de visites de scènes de crime. Ce n’est pas du cinéma, c’est pire.

Comme je regrette de ne pas avoir assisté à la séance de ce lundi.

Je ne voudrais pourtant pas laisser passer l’occasion de dire tout le mal que je pense de ce film en forme de documentaire et qui ne documente rien, sauf à la rigueur, le cynisme, la bêtise et la méchanceté.

D’abord il y a cette juge, haute en couleurs pas seulement par 2 chevaux, maquillages et autres accessoires vestimentaires interposés mais aussi par son verbe, celui d’une histrionne. Cette dame joue avec ses « clients » (comme elle dit),   comme un chat avec une pelote de ficelle, où peut-être joue-t-elle au rat et à l’escargot sans discontinuer. A-t-on entendu dans ce film un  « client »  s’exprimer ? Oui, un seul (sur la consanguinité) parce que ce  qu’il a dit paraissait ridicule. Quant aux avocats, ce sont des éléments de décoration, sauf s’ils vont dans le sens du woman show de la juge. Alors bien sûr, demeure l’humour des situations, j’ai parfois ri ou souri,  mais je n’en suis pas fier. Je crois que je me suis laissé avoir par la forme du montage en pseudo-zapping qui court-circuite la réflexion.

Quant au scénario, un mot sur son fil d’ariane : Comment peut-on, à la suite d’une enquête déterrer un cadavre, le découper à la scie électrique pour faire du spectacle.  Et dans le casting, ce qui me sépare définitivement de ce spectacle c’est le choix de filmer cette femme délirante, qui a tenté d’étrangler son fils avant de le trainer dans la salle de bain et de l’égorger. Peut-on un instant imaginer ce que va être la vie de cette personne après son état délirant ? Abominable. Et cette fine équipe filme cette pauvre femme, et le juge qui lui fait relire le PV-Morbide-

Question :

le titre du film évoque « ni pute, ni soumise »… Curieuse association. A quel moment ont-ils trouvé ce titre?

Georges