« Burning » de Lee Chang-dong

 

Du 11 au 16 octobre 2018

Soirée débat mardi 16 à 20h30
Film sud-coréen (vo, Août 2018, 2h28) de Lee Chang-Dong avec Yoo Ah-In, Steven Yeun et Jeon Jong-seo

Titre original Buh-Ning
Distributeur : Diaphana

Synopsis : Lors d’une livraison, Jongsu, un jeune coursier, retrouve par hasard son ancienne voisine, Haemi, qui le séduit immédiatement. De retour d’un voyage à l’étranger, celle-ci revient cependant avec Ben, un garçon fortuné et mystérieux. Alors que s’instaure entre eux un troublant triangle amoureux, Ben révèle à Jongsu son étrange secret. Peu de temps après, Haemi disparaît…

Présenté par Georges J

 

A chaque instant du film, Lee Chang-dong nous propose un élément, un fil qui se mêle à d’autres, tous s’emmêlant, certains cassant, d’autres se nouant. Les nœuds se défont, d’autres se font.

Dans Séoul, un homme, jeune, se gare et charge sur son dos sa livraison. On le suit de près. Il se fraie un passage au milieu des passants de ce quartier commerçant et on voit se balancer un empilage de vêtements féminins. Les vêtements sont un des nombreux éléments du film.
Ceux de sa mère que Jongsu, enfant abandonné a été contraint par son père, brutal, malade, haï, de brûler 16 ans plus tôt, et 16 ans plus tard, amoureux blessé, les siens, souillés de sang, dont il recouvre le corps de son rival poignardé avant d’y mettre le feu. Jongsu est alors nu, grelottant face à sa vie.

Ceux de Haemi. Devant le magasin qui l’emploie, Haemi déguisée, sexy girl rose et blanche, maquillée et souriante, se trémoussant, aguicheuse et lascive pour inciter les clients à entrer, à acheter, les retenant sur place par la distribution de tickets de tombola.
Ces vêtements ne sont pas les siens, elle les porte quand on l’appelle, se déclarant libre de le faire ou pas. Ensuite elle remet ses vêtements à elle, piochés au hasard dans le fatras jonchant le lit, le sol de son micro studio, ses vêtements à elle qu’elle retire souvent, se mettant nue comme pour reprendre sa vie, autrement. Renaître et recommencer.

Haemi et Jongsu ont grandi ensemble à Paju, village sinistre à 50km au nord de Séoul et à proximité immédiate de la Corée du Nord dont la propagande, assénée par haut-parleurs, a « bercé » leur enfance, les imprégnant de ses messages.
Depuis,  Haemi et Jongsu ont, chacun leur tour, quitté Paju, ne se sont pas revus. Et c’est là, dans cette rue de Séoul, qu’Haemi reconnaît Jungsu qui ne la reconnait pas. Elle s’est transformée, grâce à des passages par le bistouri, celle qu’il trouvait si moche au collège. Si moche qu’il avait cru bon de venir lui dire et de ne lui dire que ça, pendant toutes les années collège. Il n’en a aucun souvenir … Est-ce que, faute de s’être vue belle dans ses yeux, elle a cru l’entendre dire combien il la trouvait laide ?

Belle, elle l’est devenue. Gracile, gracieuse, ses mains épluchent une mandarine et, mordant dedans, pressant la pulpe, savourant le jus, elle nous le fait goûter et Dieu que ce fruit est bon !
Se convaincre de leur existence pour que les choses existent.
Une très belle scène.Lee Chang-dong a trouvé son actrice en Jeon Jong-seo !

Haemi a croisé le chemin de Ben en Afrique. Est-ce qu’il exerce là-bas un business si juteux qui lui procure ce niveau de vie ? Ben est coréen mais il est le contraire de Jongsu. Haemi revient de ce voyage qu’elle avait longtemps attendu et de sa rencontre avec cette tribu qu’elle a regardée danser  pour  rassasier sa « grande faim» et trouver un sens à l’existence. Ben l’a trouvé distrayante, différente, intéressante et puis elle présente l’avantage d’être seule, sans attaches. Personne ne se soucie d’Haemi. A part ce Jongsu, dont Ben n’a pas mesuré l’importance de ce qui les lie. Haemi petite est tombée dans un puits et Jongsu l’a sauvée, ils sont unis, par ça aussi. Haemi dans ce souvenir, Jongsu à la recherche de ce même souvenir.
Tout oppose Ben et Jongsu que l’aisance matérielle impressionne et intimide. Il laisse partir Haemi avec sa valise rose avec Ben, incapable de s’imposer face à la rutilance de sa Porsche. Pourtant Haemi ne semble même pas la calculer. Elle se laisse porter par le vent, indécise. Elle ne force rien, n’insiste pas.

Les clés menant à la collection de poignards dans la maison du père, laissent entrevoir une issue tragique à cette histoire. Cette maison est un élément pleine d’éléments. Un endroit chargé de  haine, où l’air de la campagne est irrespirable.

Les serres jamais ne brûlent. Ben a-t-il seulement une fois mis le feu à une serre ou bien ne le raconte-t-il à Jongsu que pour lui communiquer sa folie et, commettre par sa main ces actes de feu ?
On se demande quand on le voit debout, filmé en contre plongée, campé sur ses deux jambes, devant le lac dans la montagne, si ce n’est pas plutôt l’eau l’élément complice de ses crimes. Haemi et d’autres jeunes filles débarrassées de leurs bracelets reposent-elles là dans ce vaste cimetière aquatique ?
Ce film est un puzzle. Toutes les pièces s’assemblent mais ont chacune plusieurs emplacements possibles.

J’ai été happée par Burning. J’y pense depuis hier.
Avec des images magnifiques, avec maestria, Lee Chang-Dong nous compte paisiblement une histoire super glauque, nous y enveloppe et on n’a pas envie d’en sortir.

Marie-No.

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