« La Villa » de Robert Guédiguian (2)

Dans le cadre du Festival Télérama

Du 25 au 30 janvier 2018Soirée débat mardi 30 janvier à 20h30
Film français (novembre 2017, 1h47) de Robert Guédiguian avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Jacques Boudet, Anaïs Demoustier, Robinson Stevenin et Yann Tregouët

Distributeur : Diaphana Distribution

Présenté par Laurence Guyon

Déçue hier. Presque fâchée ce matin
Qu’est-ce qu’il a fabriqué là , Robert ? L’impression qu’il a surfé sur sa vague et en a fait le minimum , oublié d’être Guédiguian …
Dieu sait si je l’attendais son nouveau film !
C’était plié, j’aimais tout : lui, Robert, d’abord, la belle Ariane, Anaïs, Darroussin et tous les autres. Marseille et ses calanques, la villa. Tout.
Et pschitt !
Pour qui comprend l’expression « être resté comme deux ronds de flanc », c’est à peu près l’état dans lequel je suis, et je le déplore. Evidemment, ma question est  : « Qu’est-ce que j’ai, qu’est-ce qui m’arrive ? » Blasée, vu trop de films ces temps-ci ? Certainement pas. Je trouve que Robert Guediguian a mis trop de sujets dans La Villa, qui devient comme un panier garni …
La fratrie abîmée par la vie, le temps qui passe, la perte d’un enfant, la douleur et le refus de faire son deuil, la culpabilité,la maladie, la douleur et la résignation devant la maladie d’un père si lourd, devenu absent. La transmission dans la continuité, la nouvelle donne dans le monde du travail, la peur de vieillir, l’entretien des forêts, les idées politiques d’hier, le choix de mourir et … les migrants ! C’est trop ! Ca déborde !
Tout est effleuré, mal condensé, simpliste.

Ca commence mal
Quand Angèle arrive, Joseph lui présente Bérengère, sa « trop jeune fiancée» … Et là, flop, ça ne colle pas. Elle veut le quitter, Ok, mais on se demande comment il a fait pour lui plaire et comment elle ne l’a pas déjà quitté. Elle voulait revoir le père qu’elle aime beaucoup . Alors elle le connaît bien, elle l’a vu souvent, malgré son job hyper prenant, ses business trips fréquents (dont Londres), elle est avec Joseph depuis un bail alors … Ca serait possible mais pas avec un Darroussin version veste en velours et bouc ! un bouc ! Elle ne lui a pas dit Anaïs à Robert que ça ne collait pas ?
Le personnage de Joseph est pas mal. Jeune, il a cru que les ouvriers étaient ouvriers par choix comme lui qui, bien qu’ayant fait des études, avait choisi de l’être. Un sacerdoce. Lui pouvait rendre l’habit et c’est ce qu’il a fait. Il s’est mis dans le camp des « cols blancs » et a fini par se faire virer. Il est aigri, Joseph. A la question pourquoi est-il si méchant, il répond « C’est comme ça, je le fais pas exprès » Sa meilleure réplique.
J’aurais supprimé ce rôle de fiancée trop jeune et de fils médecin pour recentrer sur la fratrie.
Le fils médecin ! Yvan ! Qui distribue les cachets à ses parents à tirelarigo. C’est pour soigner quelle pathologie ? Pas grand chose de grave puisqu’ils peuvent les stocker jusqu’à ce qu’il y en ait assez et les utliser pour se suicider… Amoureux et unis
Il l’aurait bien voulue un peu plus « cochonne » (c’est bien l’adjectif qu’il emploie juste avant sous la pluie ?) Mais ça ne s’est pas fait. Elle lui jette un regard coquin … Trop tard, donc. Ils rentrent se suicider !
Bérengère et Yvan se ressemble et s’assemble en suivant. Ca commence dès la chambre mortuaire. Aucun respect, les jeunes loups. Pressés de vivre. Le temps passe pour eux aussi.
Benjamin le jeune amant d’Angèle. Pécheur-acteur très bien ! mais pas avec ce sourire jusqu’aux oreilles (ce n’est pas une image) en permanence, cet air allumé. Au lieu de valoriser et défendre le droit à l’écart d’âge dans ce sens là, aussi, pour 3 heures, 6 mois, 10 ans … on prend peur devant ce faciès de Jack Nicholson dans « Vol au dessus d’un nid de coucou ».
Les trois petits migrants mignons, cheveux propres, mental d’acier (deux garçons, une fille comme eux). On est au pays de Candy …
Même l’humeur, l’esprit du tournage m’ont échappé

Le lot de consolation c’est
toutes les images, la Méditerranée, la calanque.
les archives du temps de Ki lo sa
Et la dernière scène des voix en écho

Marie-No

« Une femme douce » de Sergei Loznitsa

Pays d’origine :
France, Ukraine
Pays-Bas
Allemagne
Russie, Lituanie

2h25 dans les bas-fonds de la grande Russie. Il est conseillé, pour voir le film, « d’avoir le cœur bien accroché » …
Film délibérément sans mesure, excessif. Un banquet de trop quand même (on avait bien enregistré tous les profils. Peut-être pas nécessaire de nous les présenter à nouveau lors de ce banquet « de rêve »).
J’ai pensé en vrac à Gogol, Fellini, Victor Hugo aussi. La misère humaine frappe et on est le punching ball.
La femme douce, incarnée par Vasilina Makovceva est un tableau. Visage impassible, happant nos émotions, fascinant. Ses traits rappellent à la fois ceux de Charlotte Rampling, Elisabeth Badinter, Mélanie Thierry, Claudia Cardinale par exemple … Tour à tour. Très troublant.
Tout semble étranger à la femme douce qui déambule sans peur, ne semblant prêter attention ni aux faits divers monstrueux qu’on lui relate, ni aux scènes orgiaques qui se déroulent sous ses yeux, ni aux dangers qui la cernent. Elle flotte pour un temps au-dessus, lestée toujours de ce colis dont elle ne peut se débarrasser, comme soulevée avec lui, en errance dans cette no-go zone, précédant, sans hâte, son destin. La galerie de portraits des résidents de la ville prison nous heurte mais ne l’atteint pas. Tout est normal, elle est habituée à la violence, elle est partout dans sa vie.
Dès lors où plus aucun espoir de laisser le colis ne reste, elle suivra la monstrueuse Zinka* vers son martyr et sa perte. En conscience. Résignée.
Russie de malheur laissée en héritage au peuple dévasté par les résidents de la grande URSS ?
Sergei Loznitsa, ukrainien, vivant en Allemagne depuis 2001, traite son sujet avec maestria, brio. C’est puissant, violent. Sa peinture de ce pays nous laisse sur le carreau …

Marie-No

*Zinka c’est aussi le nom de la fille coupée en morceau, de la fille qui trouve la fille coupée en morceaux. Et, donc, aussi, de la maquerelle gigantesque.

Addict et Rétro

Semaine Télérama, soirée Opéra, sorties Alticiné … passer sa vie au cinéma et puis le temps d’un jour, de plusieurs même, ne pas y aller … Ressentir le manque du Grand écran, une belle sensation assurément !

Pas pour aujourd’hui « Une femme douce », ni pour demain « La villa », pour mercredi ?
pas pour jeudi « Maria by Callas » (à 20h), et vendredi ?

Mercredi et vendredi, en profiter pour revoir, à la maison, en « petit » quelques films des frères Taviani.

Les Frères Taviani : une suggestion pour la prochaine rétrospective.
Vittorio a 88 ans et Paolo 86 ans. Il ne faudrait pas trop tarder.
Voir « Padre Padrone » sur grand écran, le rêve …
Revoir « Cesare deve morire » sur gtand écran !
Qu’en dites-vous ?

Paolo et Vittorio Taviani – Ciné-club de Caen

Marie-No

« L’Homme intègre » de Mohammad Rasoulof

 

Prix Un Certain Regard au Festival de Cannes 2017Reprise dans le cadre du Festival du 24 au 30 janvier 2018
Mercredi 24 21h35, vendredi 26 à 18h45, dimanche 28 à 13h40, lundi 29 à 15h55 et mardi 30 à 13h40
Film iranien (vo, décembre 2017, 1h58) de Mohammad Rasoulof avec Reza Akhlaghirad, Soudabeh Beizaee et Nasim Adabi 
Titre original : Lerd
Distributeur : ARP SélectionSynopsis : Reza, installé en pleine nature avec sa femme et son fils, mène une vie retirée et se consacre à l’élevage de poissons d’eau douce. Une compagnie privée qui a des visées sur son terrain est prête à tout pour le contraindre à vendre. Mais peut-on lutter contre la corruption sans se salir les mains ?

Entretien avec le réalisateur *** Bande annonce *** Horaires

Présenté par Eliane Bideau

 

Le film qu’on n’a pas (encore) vu.

On est donc resté sur notre faim hier soir puisque les sous-titres sont restés invisibles … Une fois, 2 fois, 3 fois, 4 fois, on a vu le début du film en « simple » farsi.
C’est comment, au fait, le farsi  ?
« Le persan moderne ou farsi est la principale langue parlée en Iran. C’est une langue indo-européenne.
Le farsi ne distingue pas de genres dans les substantifs et les adjectifs. Comme le turc et les langues sémitiques, il peut remplacer, par de simples affixes, les adjectifs possessifs. La terminaison « en » est la terminaison ordinaire du pluriel et de l’infinitif comme en allemand.
La grammaire du farsi est extrêmement simple : pas de déclinaison, ce sont des prépositions  qui marquent les cas, pas d’article défini. La conjugaison est également simplifiée, beaucoup de temps et de modes étant remplacés par des formes périphrastiques. Ainsi que le grec ou l’allemand, le farsi peut former des composés de toute espèce par la simple juxtaposition des radicaux. La prononciation du farsi est douce et harmonieuse : l’accent, placé d’ordinaire sur la dernière syllabe des mots, peut être suffisamment varié pour ne pas engendrer la monotonie. C’est une langue euphonique, pleine de figures et d’images, éminemment propre à la poésie ». (extraits Imago Mundi)

On a souvent vu des films iraniens et j’avais trouvé cette langue, c’est vrai, très harmonieuse. Mais je n’avais jamais écouté aussi attentivement des dialogues en persan, sans en comprendre le moindre mot, écoutant seulement leur musique.
Et c’est impressionnant comme on peut se faire son film en s’accrochant juste aux images et à la bande son. C’est une expérience très intéressante. A refaire.
Au lieu de ça, dès les premiers dialogues, hier soir, formatés que nous sommes, on criait presque au scandale …
Et pourtant on n’y comprenait pas rien !
Merci à Eliane, de nous avoir bien éclairés dans sa présentation.

D’abord on voit cette seringue en gros plan qui injecte un liquide incolore dans ce qui ressemble à un ventre sombre tout rond. Un pansement est délicatement posé à l’endroit de l’injection.La caméra s’éloigne et on fait connaissance avec « l’homme intègre » qui, dans une grange, a fait cette piqûre dans ce qui s ‘avère être une pastèque. Des bruits de moteur lui font accélérer ses mouvements : il place la pastèque à côté de plusieurs autres et avec le matériel médical dans une cachette sous le plancher. Il replace la planche, recouvre le tout, prend un bidon vide près de la porte et sort.
On est à la campagne, dans une cour de ferme. Deux hommes (des policiers, des miliciens ?) sont arrivés qui fouillent bientôt la grange, soupèsent les pastèques laissées visibles, cherchent dans la maison, l’un des deux renifle des bouteilles. Ils cherchent un liquide interdit. On pense à l’alcool. Découvrant un fusil dans une armoire, le plus sec des deux qui paraît être aussi le plus hargneux, réclame le permis de port d’armes que l’homme intègre fournit. Son arme lui est quand même confisquée et on voit les deux compères et le fusil s’eloigner  sur une vieille mobylette.
On respire : l’homme intègre, Reza, s’en sort bien.
La scène suivante est une scène d’intérieur : Reza, sa femme et leur fils prennent leur repas et discutent. On voudrait bien sûr savoir ce qu’ils se disent … On en saisit peut-être l’essentiel : l’harmonie du couple, l’harmonie familiale, la vigilance du père protecteur.
Reza part ensuite à la ville rencontrer un ami qui, pour être à l’abri des regards, monte dans sa camionnette pour une brève conversation qu’on devine être d’une importance capitale.  A l’extérieur, tout autour du véhicule, l’atmosphère est plombée …

J’ai finalement regretté de ne pas avoir vu, hier, le film en entier en farsi sans sous-titres …
(avant de retourner le revoir avec les sous titres, ce soir ou vendredi donc)

Ca a l’air vraiment bien !

Seul et grand regret : il n’y aura pas le débat préparé par Eliane.

Marie-No

PS : j’aime beaucoup l’affiche.

« En attendant les hirondelles » (2)

7 nominations au Festival de Cannes 2017Du 11 au 16 janvier 2018Soirée débat mardi 16 janvier à 20h30
Film franco-algérien (vo, novembre 2017, 1h53) de Karim Moussaoui avec Mohamed Djouhri, Sonia Mekkiou et Mehdi Ramdani

Distributeur : Ad Vitam

 

«  – il est bon le café, ici
– il est bon parce que tu le bois avec moi »

L’amour de Djalil et Aïcha est condamné, leur vie ensemble ne commencera jamais.
C’est cette scène de la deuxième partie qui me vient en premier en repensant à ce film sensible, aérien, si délicat.
Comme posés sur un large tapis roulant, les personnages glissent, marchent, courent parfois ou se figent, tombent, se dépassent, à la fois mobiles et immobiles, empêchés, dans l’attente d’un futur, regardant ou le sol ou le ciel, guettant les hirondelles qui n’en finissent pas d’arriver.

Trois parties, trois générations, trois lieux.

Alger
Dans la première partie on entre chez Lila qui incarne la femme algérienne mûre moderne, active, éduquée, divorcée mais toujours proche de Mourad et mère de leur fils. Ils ont peur de l’avenir, peur pour ce fils unique qui, après cinq ans d’études, a perdu l’envie d’être médecin . Il est ailleurs. Lila ne craint plus rien pour elle. Plus que deux mois à travailler, alors au lieu d’aller faire cours, elle va faire son marché et y emmène Mourad qu’elle continue à sermonner « c’est toi le père, c’est à toi de remettre notre fils dans le droit chemin ». Au marché il y a la scène des pommes de terre, elle tend un billet pour payer mais le vendeur n’a pas de monnaie alors Lila reprend l’argent et emporte la marchandise. Elle reviendra payer après. Continuer, avancer, garder le contact, être en compte. Et forcer la confiance.
La nuit est tombée sur Alger et sur le chemin de retour,  Mourad traverse par hasard un quartier en construction, inachevé, avec ces immeubles vides percés de grandes lucarnes noires. Dévié par la case courage, Mourad passe son tour. Sa conscience viendra lui rappeler ce choix. C’est à Lila, son épouse d’avant qu’il se confiera. Pour son épouse actuelle, Alger n’est pas adaptée. N’arrivant pas à y trouver sa place, elle renonce. L’histoire de Rasha et Mourad est finie et on peine à croire, maintenant que les hirondelles se sont absentées, qu’elle ait pu, un jour, commencer …

Le désert
Aïcha se marie et c’est Djalil qui la conduit vers l’autre. Une tragédie.
Cette deuxième partie, sombre, est baignée de lumière, de musique et de chants, de danse, de jeunesse. La route descend inexorablement vers le malheur. Mais cette parenthèse de plusieurs centaines de kilomètres et la providence de l’éloignement momentané du père va leur permettre de vivre ce qui restera probablement un des, sinon le plus beau(x) moment(s) de leurs vies. La scène du café. La scène des grenades, le père et le fils, la terre qui ne peut « appartenir » à personne. La scène de la danse dans ce cabaret improbable nimbé de leur amour. Aïcha danse et l’appelle. Djalil résiste. Pas longtemps, bien sûr. C’est très fort. Karim Moussaoui réussit à nous fait ressentir les sentiments de ses personnages tout au long de son film. A noter, dans cette scène la « gueule » du bassiste ! C’est un vrai vieux musicos sorti de derrière les fagots. La musique d’hier et d’aujourd’hui. La tradition qui vieillit quand même. Le lendemain de leur nuit d’amour, des jeunes chantant et dansant, dehors, libres sous le soleil, les invitent à la danse. Mais Aïcha , pourtant à cet instant échappée, ne se mêlera pas à eux et repartira vers la famille et la tradition.

Le bidonville
Dahman n’a pas eu le courage alors de secourir la femme qui se faisait violer .Mais il a croisé son regard et elle est, depuis, restée plongée dans le sien. Plus tard,abandonnée, elle a sû que cet homme était son salut. Elle l’a cherché et retrouvé pour faire exister l’enfant que les tortionnaires avaient fait grossir dans son ventre et qui, bien que né, vivant, n’avait pas de nom. Dahman commence par le déni, le refus, la proposition d’un accord … rejeté ! La graine est plantée dans la conscience de Dahman et elle va germer.
Au lendemain de sa nuit de noces (avec sa cousine), Dahman retourne au bidonville voir la femme. On ne connaît pas son nom. Elle est la femme universelle, abusée, abîmée, rejetée après la torture, gommée pour sauver l’honneur de la famille. Pas tout le temps, on l’a dit, Dahman est pourtant un homme courageux. Il laisse sa jeune épouse et retourne au bidonville voir la femme et apprivoiser cet enfant à qui il a décidé de donner son nom. Toute sa faute impardonnable lui sera, par cette action, pardonnée. Le frère de la femme, son seul soutien jusqu’à ce jour, rassemble ses affaires et embrasse sa sœur qui, après s’être caché le visage dans ses mains dans un dernier geste de peur et de doute, relève la tête vers son futur.

La dernière image montre ce frère qui, ayant passé le relais, une fois sorti du bidonville et passant les faubourgs d’Alger,  marche d’un pas décidé, vers le bout du désert.

Un très beau film, paisible et bouillonnant

Marie-No

PS : très belle affiche !

Ich habe genug : j’(en) ai assez, je suis comblé

« 12 jours » Raymond Depardon (2)

Avant 12 jours, les personnes hospitalisées en psychiatrie sans leur consentement sont présentées en audience, d’un côté un juge, de l’autre un patient, entre eux naît un dialogue sur le sens du mot liberté et de la vie.

Me plaçant d’entrée du côté des égarés, consciente que primo, de près ou de loin, on est tous concernés, un jour, par le sujet et que secundo la vision de ces malheureux me serai insupportable, « 12 jours », j’avais décidé de ne pas voir « 12 jours ».
Et puis, finalement, prenant mon courage à deux mains, dimanche matin pour être seule et pouvoir m’échapper avant la fin ou même tout au début, je me suis dirigée vers le ciné … M’entendre moi-même annoncer « 12 jours » à la caisse m’a glacé le sang ! Aurais-je été internée, enfermée, dans une vie antérieure ?

Très vite, je suis consternée. Consciente d’être dans une position de voyeurisme. Les avocats font un boulot, les juges font un boulot aussi dans un temps imparti : on perçoit que l’entrevue est minutée. Pas le temps de s ‘apitoyer sur le sort de ces pauvres bougres qui se succèdent les uns après les autres devant eux, et, jamais au grand jamais, ils ne remettront en cause les rapports des médecins ! Ce n’est pas leur domaine ils ne sont pas médecins etc … Eux ils (jugent et) abondent toujours dans le sens de la Médecine . L’un des patients lance un « mais alors vous ne servez à rien » à l’une des juges (à noter que la parité est respectée : 2 hommes, 2 femmes), à la plus jeune des juges donc qui rétorque un « ben non, je sers à rien ! » Avec une désinvolture choquante. Ca résume un peu ce film. Oui, on se demande, en effet, à quoi ils servent. A valider l’avis médical et c’est très important que, pour la conformité du dossier, sa validité,  le patient signe bien la décision de prolongation de l’internement. Après, pour les réticents, les rebelles, les sceptiques, ils peuvent toujours faire appel (!), bien sûr. Une patiente le dit : « ça ne sert à rien, moi contre eux, je ne peux pas gagner ». Très juste.
R. Depardon nous montre une brochette de malades et nous, spectateurs, chacun, selon notre sensibilité, notre vécu, sommes interpellés par celle-la plus que celui-ci, par celui-ci davantage que par celle-là. On ajoute notre incompétence devant cette montagne de souffrance.
On regarde, mis dans la position de juger.
D’où la conclusion ahurissante d’un spectateur à la sortie de la séance : « ce qui est sûr, c’est qu’ils ont tous leur place là-bas » !!!
Comment peut-on fait avoir des certitudes pareilles ?

Il ne faut pas oublier qu’un documentaire est un film. Les audiences sont filmées et donc la salle a été préalablement agencée, l’éclairage disposé, la perche accrochée. Les juges et les avocats sont consentants, préparés, acteurs donc à visages découverts. Les malades eux aussi sont préparés. Consentants ?  On nous dit en préambule que pour préserver l’anonymat, les noms ont été modifiés. Pourtant, à chaque audience, le nom du malade est lu intelligiblement par le juge … Pendant tout le film, on ne voit qu’1 seul regard caméra de la part d’un interné. Sinon ils fixent le juge . On a du les briefer. Ils ont tous ce regard fixe voire très fixe, sur le juge.
Ce regard vient bien sûr aussi des « remèdes ». Il faut vous soigner, vous êtes là pour vous soigner.
Comment on soigne cet homme né en 83 pas en 93 (la juge s’est trompé de 10 ans, pas à ça près … ), comment on le soigne cet homme qui a démoli la tête d’un inconnu dans la rue ?
Comment on soigne cette femme en souffrance au travail. Le juge ne parle pas d’une enquête chez l’employeur. Sentiment de harcèlement = paranoïa ? L’avocat tente une timide réflexion sur la réputation et les antécédents de son employeur, Orange. Sans suite.
N’oublions pas qu’un documentaire est un film qui demande un montage. Là je m’interroge : Orange est cité et cette séquence est gardée. C’est le travail qui rend fou et qui remplit les HP ? ou bien c’est la personne qui a un problème psychiatrique à la base et se croit victime de harcèlement au travail ? Dans ces grandes entreprises, en face d’un employé de cet acabit, le « diagnostic » est toujours d’affirmer d’entrée que cela vient de sa vie personnelle. Il arrive que la « victime » dont le comportement est devenu « anormal », ne passe pas par le HP mais directement par la fenêtre.
Cette femme est nerveuse, émotive et d’accord pour rester parce que, pendant ce temps là, elle n’est pas harcelée. La justice ne creuse pas un peu le sujet, là ? c’est pas noté dans le dossier ?
On soigne l’homme originaire du Mali avec un passé chargé, tentative de meurtre (14 coups de couteau sur une femme), prison et HP. Pourquoi « 12 jours » ? Il entre dans le cadre des audiences récurrentes, tous les six mois, tous les ans. Là c’est extraordinaire ! Pour cet homme dont le dossier est très épais et qui a priori ne présente pas un gage absolu de bonne conduite si il sort, la décision de sortie est mise en délibéré. Et c’est « drôle » parce que le juge annonce le délibéré juste après que ce bel homme puissant, la tête rentrée dans les épaules, l’ait regardé fixement d’un air tout à fait inquiétant ! On se croirait dans un polar !
On envisage vraiment de passer le « dossier » à cette Julie qui est disposée à l’accueillir ?
Et puis le fils du père béatifié … enfermé depuis de nombreuses années et qui nous semble très très atteint, complètement barré, lui non plus pas un cas de 12 jours. Il a tué son père et ne s’en souvient plus. Il a tant de projets ! avec Besancenot même ! On va le relâcher, il le sait (nous , non) mais à quel âge ? Celui-là aussi a un vrai physique de cinéma.

La vie est une loterie. Une farce. On rit. On pleure. Trop parfois.

Pourquoi le titre « 12 jours » ? La moitié des personnes que nous voyons dans ce documentaire n’entrent pas dans ce cadre car internés depuis plusieurs mois voire plusieurs années. Non, ce n’est pas pareil.

La sanction des 12 jours : formalité à la fois indispensable et, en l’état, inutile ?

le film de R. Depardon est bien fait, bien éclairé, bien propre. Tout est calme et bien rangé. C’est louche.

Refaire le film  en caméra cachée et alors la musique de Desplat (quel calvaire !) sera incongrue …

Marie-No

PS : maintenant je regrette, évidemment, de ne pas avoir entendu la présentation de Georges et de pas avoir assisté au débat.

« Les Gardiennes » (2)

Du 4 au 9 janvier 2018

Soirée débat mardi 9 janvier à 20h30

Film français (décembre 2017, 2h14) de Xavier Beauvois avec Nathalie Baye, Laura Smet, Iris Bry et Olivier Rabourdin

Distributeur : Pathé

Présenté par Jean-Pierre Robert

 

Je m’étais préparée à être gênée par la distribution.
Nathalie Baye rajeunie dans la vie et qu’il faut donc « re-vieillir » … Tout un progamme et … c’est réussi ! même s’il reste ce rictus qui l’empêche dorénavant de sourire (Ah ! le feu sourire de Nathalie Baye … à revoir dans « Beau père » de Bertrand Blier en pianiste ovationnée !)
Pour Les Gardiennes, certains critiques condamnaient sa gaucherie dans la maîtrise du soc de la charrue … Mais son personnage, Hortense, n’avait, jusque là, jamais labouré un champ  ! Jusqu’à ce que les hommes disparaissent pour un temps, pour toujours. Donc ça colle très bien.
Nathalie Baye est décidément une grande actrice : on oublie l’actrice et on ne voit qu’Hortense.
Laura Smet … Pourquoi Laura Smet ? La ressemblance avec sa vraie mère ? On la regarde et on s’efforce de ne pas voir son père  …
Maintenant je trouve que, si tant est que Xavier Beauvois ait eu le choix, c’est un choix plutôt judicieux. Elle a cette fêlure apparente, ce regard un peu vide, qui la rend touchante dans le rôle de Solange, un ange, délicate et gracieuse, un cœur simple, sans grande personnalité, qui souffre de l’absence de son mari qu’elle voit se transformer au fil des permissions et qu’elle seule saura garder à la raison.

Je ne m’étais pas préparée à Iris Bry. Xavier Beauvois est donc aussi un découvreur de talent !
Il nous propose Iris Bry pour jouer la lumineuse Francine . On ne sait plus laquelle illumine l’autre.
D’un personnage secondaire elle fait un personnage principal . Francine, dotée d’une force physique et mentale étonnantes, d’un magnétisme qui fait que tous ceux qui la rencontrent semblent aussitôt l’aimer.
Orpheline, elle est pourtant née sous une bonne étoile. Francine/Iris chante de sa voix envoûtante. Elle seule chante. Elle vit sa vie, suit son étoile et amorce un portrait de femme émancipée réjouissant.

Hortense, Solange, Francine, Constant, Clovis, Georges qui pourraient aussi bien s’appeler Maria, Margarethe, Hedwig, Karl, Hans, Friedrich qui priaient le même Dieu/Gott, travaillaient la terre/Erde, tuaient pour la Patrie/Heimat. Et pleuraient tous leurs morts.

L’image de la toilette devient œuvre d’art, on pense à Degas. On pense à Courbet pour les scènes de semailles.
La photo signée Caroline Champetier, est d’un bout à l’autre du film d’une très grande beauté et, partie prenante de son académisme, de sa lenteur, illustre parfaitement la volonté des femmes de garder la terre dans ce temps suspendu. Et ça m’a plu.

« Mignonne, quand le soir descendra sur la terre,
Et que le rossignol viendra chanter encore,
Quand le vent soufflera sur la verte bruyère,
Nous irons écouter la chanson des blés d’or !
Nous irons écouter la chanson des blés d’or ! » 

Je suis d’abord surprise, étonnée d’entendre Francine fredonner « Les blés d’or »… Je la connais cette chanson que les grandes personnes chantaient dans les réunions de famille de mon enfance, de ma jeunesse, ensemble avec ceux, maintenant disparus, qui la chantaient dans leur jeunesse prise dans l’étau de la guerre de 14.
Cette chanson me chavire et je m’aperçois que « Les Gardiennes » est aussi de mon époque ! C’est fou … Je ne m’ étais pas préparée à ça.

Marie-No

 

Petit PS : Henri resté à la maison pendant la messe dite pour Constant se tord les mains et se retord les mains et encore et dans l’autre sens … Scène grossière car trop longue pour montrer comme ses doigts sont noueux et ses mains calleuses …Gilbert Bonneau est un vrai paysan, on l’avait repéré et, oui, on a bien vu la preuve par les mains !

« Jeune femme » de Léonor Séraille

 

Caméra d’or au Festival de Cannes 2017
Du 14 au 19 décembre 2017
Soirée débat mardi 19 à 20h30

Film français, belge (novembre 2017, 1h37) de Léonor Serraille
Avec Laetitia Dosch, Grégoire Monsaingeon, Souleymane Seye Ndiaye

Distributeur : Shellac

Présenté par Françoise Fouillé

Synopsis : Un chat sous le bras, des portes closes, rien dans les poches, voici Paula, de retour à Paris après une longue absence. Au fil des rencontres, la jeune femme est bien décidée à prendre un nouveau départ. Avec panache.

Paula commence par se taper la tête contre la porte désormais fermée de sa vie d’avant, contre cette porte qui lui barre l’accès à son grand amour, cette porte derrière laquelle elle refuse d’être ensevelie. Joachim l’aimait et il ne l’aime plus. Elle était sa muse et il l’a remplacée. C’est à devenir « folle », en effet.
Lutter contre est normal et réparateur. Réagir est rédempteur.
Paula est une jeune femme moderne, à Paris, qui respire l’air du temps. Au Mexique d’où elle arrive, c’était différent. Elle inspirait et accompagnait « l’ artiste ». Elle disait « nous ».
Avec cette rupture, renaît Paula, celle qui dit « je », qui va peu à peu se lâcher et redonner libre cours à sa personnalité attachante, fascinante, séduisante, qui éclaire tout ce qu’elle approche.
Elle choisira la vie et ses dangers, la vie et ses difficultés. Elle se choisira, elle.
Et tant pis pour Joachim, pour sa mère et tous ceux qui passent à côté et ratent leur chance de l’aimer et d’être aimés d’elle.
Et tant mieux pour Paula qui a retrouvé ses ailes.

Quelle maîtrise du sujet, de la mise en scène et quelle actrice !
Vraiment un très beau film !

« La Belle et la meute » de Kaouter Ben Hania

 

Primé au Festival du Film Francophone d’Angoulême 2017
Du 7 au 12 décembre 2017

Film tunisien (octobre 2017, 1h40) de Kaouther Ben Hania avec Mariam Al Ferjani, Ghanem Zrelli et Noomane Hamda

Distributeur : Jour2fête

Evidemment, le sujet est grave et on est en empathie totale avec Mariam. Les femmes, toujours en première ligne, qu’on voile et qu’on dévoile, qu’on force, qu’on humilie, coupables de naissance. Ca ne s’arrêtera donc jamais ? On sait que c’est comme ça dans un état policier, on pense à la Syrie d’aujourd’hui . Non, ça ne s’arrêtera jamais et toujours on aura les tripes nouées de peur devant tant d’horreur. Révoltés.
Ce film, fiction tirée d’un fait réel raconté dans un livre (Coupable d’avoir été violée Meriem Ben Mohamed), nous emporte dans le sillon de Mariam     ( Mariam Al Ferjani, magnifique) et on vit son innocence perdue, son cheminement vers la conscience politique et même si c’est dans des circonstances dramatiques, son épanouissement de jeune adulte qui surmonte ses peurs et qui, blessée rayonnante, impose au monde qui l’entoure son courage et sa détermination à faire valoir ses droits.
Le rythme est toutefois un peu alourdi par une mise en scène très appuyée.
Le film aurait gagné en poids à être plus léger.

Certains faits réels, actuels ou historiques me sont, peu à peu, devenus insupportables à voir traités en fiction. Il me semble que je suis suffisamment hantée par toutes les horreurs dont ont été capables de tous temps nos congénères, dont ils sont et demeureront capables jusqu’à la fin des temps. Qu’on m’épargne les fictions sur leurs exactions. On ne fera jamais « mieux » que le réel !

A voir : Le documentaire de Marion Loizeau « Syrie, le cri étouffé »

Replay Infrarouge – Syrie, le cri étouffé – France 2

 

« The Square » de Ruben Östlund

Palme d’or au Festival de Cannes 2017Du 30 novembre au 5 décembre 2017Soirée débat mardi 5 à 20h30

Film suédois (vo, octobre 2017, 2h22) de Ruben Östlund avec Claes Bang, Elisabeth Moss et Dominic West

Distributeur : Bac Films

Présenté par Marie-Annick Laperle

Synopsis : Christian est un père divorcé qui aime consacrer du temps à ses deux enfants. Conservateur apprécié d’un musée d’art contemporain, il fait aussi partie de ces gens qui roulent en voiture électrique et soutiennent les grandes causes humanitaires. Il prépare sa prochaine exposition, intitulée « The Square », autour d’une installation incitant les visiteurs à l’altruisme et leur rappelant leur devoir à l’égard de leurs prochains. Mais il est parfois difficile de vivre en accord avec ses valeurs : quand Christian se fait voler son téléphone portable, sa réaction ne l’honore guère… Au même moment, l’agence de communication du musée lance une campagne surprenante pour The Square : l’accueil est totalement inattendu et plonge Christian dans une crise existentielle.

——————————————————————————————

J’ai attrapé The Square sans me demander par quel angle, de quel côté franchir la ligne.  Le film m’a saisie et j’ai plongé dedans.
Le film commence par la mise en place de la nouvelle exposition qui chasse la précédente, figurative, déjà has been, les cordes lâchent et font s’exploser l’oeuvre au sol, à l’endroit précis où sera exposé en suivant The Square et dans lequel, pour créer le buzz, des publicitaires fallacieux imagineront une scène virtuelle d’une indescriptible cruauté. L’Art contemporain est précaire et remplaçable à tout instant par du plus insolite, du plus actuel, du plus étonnant. Que restera-t-il de ces expositions ? Quelles œuvres seront gardées ? Lesquelles seront jetées ? Ce n’est pas seulement une histoire de marketing. Le temps et l’énergie consacrés à l’œuvre d’art avant qu’elle ne soit consacrée par la critique et passe à la postérité sont-ils essentiels ? J’avoue m’être déjà posé cette question devant certaines « oeuvres » qui semblent pour le moins sommaires. Les tas de gravier au Royal Museum suédois fait cet effet. On se pose la question si on serait capable de disposer dans le même espace des tas exactement pareils à intervalles très précisément identiques .  Bien sûr que oui ! Seulement c’en est l’idée qui ne viendrait pas. Sinon pour disposer l’oeuvre, il y a des bras « vulgaires »  et gare à ceux s’ils ne la respectent pas ou l’abîment ! Ruben Östlund se moque des excès de zèle et la prosternation devant ce qui est parfois de simples tas ce cailloux, montrant Christian, directeur du musée et son assistante se transformer, en douce, en« petit personnel » pour réparer la « catastrophe » engendrée par le vrai « petit personnel » pour qui le slalom pour nettoyer entre ces tas est chaque jour une épreuve à gagner avant l’arrivée en poste de la gardienne de salle et son regard acéré ! Tout ça est totalement absurde. Comme sont absurdes et ridicules les discours et postures de « décideurs » en place !

Mais l’Art moderne contemporain ce n’est pas ça, on le sait bien pour avoir déjà été ému aux larmes devant un tableau, une sculpture, une photo … d’un artiste contemporain.

Le film pose la question de la vulgarisation de l’Art au sens de « mise à la portée du plus grand nombre ». Les musées montrent des œuvres modernes mais les œuvres d’Art contemporain leur sont de moins en moins  accessibles, passant souvent de la galerie branchée à la collection privée. L’argent achète la beauté. C’est aussi ça que dénonce Ruben Östlund.

Le film brosse un tableau grand format des fossés creusés entre les hommes, figures inversées des tas de graviers, et tout aussi intouchables, immuables. Jusqu’à ce qu’une grande balayeuse passe.
La catastrophe est naturellement prévisible et annoncée.

Le film est un jeu de pistes qu’on pourrait toutes, tour à tour, explorer, dont on pourrait décrire et commenter toutes les étapes devenues autant de tableaux contemporains.
Je me suis posé la question : « Combien, jusqu’où l’Art contemporain doit-il puiser dans le classique, pour me plaire ? Et où sont les barrières de ma confiance ?  »

Magnifiquement orchestré, mise en image, mise en scène époustouflantes, sur fond de musique classique « vulgarisée », dans une très belle version contemporaine.

Je trouve que ce film est en lui-même une oeuvre d’art. Celle là on la tient, on la garde et on lui décerne, évidemment, une Palme d’or.

Marie-Noël