Voir ou revoir Eric Rohmer (1)

Amis Cramé(e)s de la Bobine, vous voyez des films, vous les aimez, commentez-les ici! Pour notre part, nous voyons ou revoyons ceux d’Eric Rohmer. Et je me propose d’en toucher un mot .

Le coffret Eric Rohmer est sur l’étagère, il n’y a qu’à tirer le premier DVD qui veut bien venir, ensuite c’est comme un jeu des 7 familles, dans la famille « les contes moraux » : nous tirons le film « la boulangère de monceau et la carrière de Suzanne », puis dans « comédie et proverbes » : « Pauline à la plage », dans « l’ancien et le moderne », « Quatre aventures de Reinette et Mirabelle » et « les rendez-vous de Paris »… Voir et revoir ces films au hasard manque de méthode, j’en conviens.

On peut lire sur Wikipédia que Rohmer aimait Honoré de Balzac et Marcel Proust. Et si j’ai bien lu ailleurs, il est devenu cinéaste un peu parce qu’il avait loupé l’agrégation de lettres, un peu parce qu’il écrivait, un peu parce que sans doute depuis toujours il aimait le cinéma. Pour cet homme imaginant, l’image, le son, les mots et… « son idée sur le cinéma » ne devaient faire qu’un.

Bref, il devient d’abord un remarquable et parfois redoutable critique aux Cahiers du Cinéma, puis il y sera rédacteur en chef (d’où plus tard il sera évincé par Jacques Rivette), à ce moment, déjà il tourne. En fait Rohmer utilise la littérature pour son cinéma, amour des textes, poésie, sonorité, diction des acteurs, manières et attitudes, et puis il y a cette attention méticuleuse portée au cadre… Une esthétique et un classicisme qui détonne dans cette nouvelle vague. Remarquons le contraste avec le cinéma de Godard : A l’un, les sujets dénonciateurs et révoltés les quartiers populaires, leurs rues tristes, leurs bistrots et hôtels, leurs petits cinés, la désinvolture de ses personnages… A l’autre, les cadres bourgeois ou champêtres pour des gens que les contingences matérielles ne concernent pas ou plus et… de la tenue.

Eric Rohmer, il y a ceux qui ne l’aiment pas, et ils sont nombreux. Ils disent que ses personnages jouent d’une manière affectée, précieuse, qu’ils minaudent, que les événements, les situations, le hasard des rencontres sont artificiels… Rohmer avait choisi de ne pas se soucier de ces objections et de faire exactement ce qu’il voulait faire, c’est-à-dire une oeuvre. Et puis aurait-on fait à Marcel Proust ce type d’objections ? Oui !

Mais pour l’heure, au moment où je revois ses films, tous ces débats sont usés. Alors, on apprécie les retrouvailles et les rencontres, il y a ses personnages avec leurs désirs, les tensions feutrées qui les animent, leurs chassés-croisés, « les jeux de l’amour et du hasard », où à l’opposé les calculs petits et grands. Et on se laisse séduire et souvent déconcerter par tout ça. Par exemple dans «les rendez-vous parisiens » (1995) on trouve un sketch « les Bancs de Paris » que je vais délibérément spoiler ici :

Elle, parisienne, est prof de Math n’aime plus son fiancé mais n’ose ni le lui dire ni le quitter, elle flirt avec Lui, un prof de lettres, qui vit à Bobigny. Ils se rencontrent une fois par semaine de jardin parisien en promenades, chaque jardin, chaque promenade les rapproche un peu. En tous les cas, ils ont plaisir à être ensemble. L’année avance, le temps se rafraîchit. À la suite d’une promenade à Montmartre, Elle qui ne voulait pas s’engager avec Lui pour ne pas trahir son fiancé lui propose à brûle-pourpoint de passer trois jours à l’hôtel, « comme des touristes » ! Pas dans n’importe  quel hôtel, à Montmartre, près du Bateau-Lavoir…Depuis longtemps, elle rêvait d’y séjourner. Mais au moment où ils y arrivent, avec leurs bagages, ils aperçoivent un couple qui y pénètre. Elle connaît bien l’homme de ce couple, c’est son propre fiancé ! Avec Rohmer, nous ne sommes pas dans les femmes d’amis de Courteline…Que croyez-vous qu’il se passa ? Soit ! Elle et Lui n’iront pas à l’hôtel.

Alors ?

Alors, Elle se sent tout d’un coup libre. Libre comme l’air. Elle congédie Lui, le prétendant, en disant : Tu étais le complément de mon fiancé et je n’ai plus de fiancé, nous n’avons donc plus de raison de demeurer ensemble, tu ne le complètes plus…

Par cette étrange comptabilité, la voici libérée.

Tout est ainsi dans Rohmer, l’ordinaire, le banal ouvrent sur la vie, inattendue, libre, bondissante et créative…

Ne comptons pas trop, que je tente de raconter Pauline à la plage (1983), ce film sur les amours de vacances, (là encore, la toile de fond est banale) où l’on peut voir dans une très belle distribution, Arielle Dombasle (Marion), splendide, qui sait si utilement s’auto-leurrer. (N’oublions pas que c’est à Rohmer que nous devons entre autres les débuts au cinéma d’Arielle Dombasle et de Fabrice Luchini.)

Fin de la première partie

PS : Les bancs de Paris, (les bancs publics) confortables et délassants, n’existent quasiment plus à Paris. Les rares nouveaux modèles sont conçus dans le même esprit que ce qui a valu la suppression des anciens. Empêcher qu’on s’y allonge et qu’on y dorme!

« Chez-soi »Bande à Part de J.L Godard

Juste avant la guerre, nous sommes passés prendre quelques films à la médiathèque de Montargis.  Dedans, quelques films de Jean-Luc Godard, « Bande à Part » est le premier de cette série que nous regardons. (Rien que le titre est amusant, il nous parle autant de Godard, que du film, que de la situation actuelle). Nous sommes en 1964, c’est son 7ème film, il vient de terminer le Mépris, ce film a été fait avec trois sous et trois formidables acteurs, Anna Karina (Odile) , Sami Frey (Frantz) , Claude Brasseur(Arthur).  Le scénario du film est une adaptation de « Pigeon Vol de Dolorès Hitchens, paru dans la Série Noire. Un critique dit que c’était un film cadeau pour Anna Karina, car il y avait de l’eau dans le gaz dans leur couple, Anna était déprimée, et Jean Luc Godard, a voulu lui faire jouer des scènes à son goût,  où elle pourrait  aussi danser et chanter, ce qu’elle aimait beaucoup.  

Que dit le Pitch ? « Les mésaventures tragi-comiques de deux malfrats, Frantz  et Arthur, qui avec l’aide d’Odile, jeune fille naïve, tentent un coup minable : dérober une somme d’argent volée au fisc par l’oncle d’Odile ». Un triangle vaguement amoureux, un scénario franchement mince, une sorte Bush Cassidy et le Kid avant l’heure ! (c’est peu dire).  Ce qui m’a interessé dans ce film, c’est 1964, celui de Patrick Modiano, de Léo Mallet, de Manchette et quelques autres. Avec ses maisons plates et ses rues tristes, ses simca pseudo-américaines… et ce que j’ai aimé avec un peu de nostalgie, ce sont  les manières d’être au monde de cette époque-là, de se vêtir, d’occuper l’espace, de se parler. La presse, les informations, (Arthur nous lit un article sur les Tutsi et les Hutu). Ensuite, il y a ce style « nouvelle vague », avec sa décontraction, sa liberté, et sa pertinence /impertinente  et  sa drôlerie qui préfigurent mai 1968. Mais cette nouvelle vague ne serait-elle pas tout compte fait, un reflet du monde de l’époque. (Qu’on se souvienne de la tonalité, de l’air du temps de certains documentaires  de Jean Rouch ou de Chris Marker).  

Et puis il y a l’ambiance sonore, la voix of,  l’univers musical de Michel Legrand à la minute de silence (très drôle). 

Quant au hold-up il n’est que prétexte à nous faire regarder vivre ensemble ces  trois personnages,  l’humour partout,  le résumé du film au bout de 8 minutes pour les retardataires, un cours d’anglais pour adulte ;   une superbe danse : un Madison incongru, mais qui va tellement  de soi ;  une absurde mais nécessaire visite de musée ; les blagues ( Odile : « vous devriez changer votre air con contre une R8 »)  puis vient ce braquage foutraque et en guise de Happy End… Frantz nous offre une conclusion  « raisonnable » de l’affaire.  

Fin. 

PS 1) Je suis bien conscient d’être un peu nostalgique, peut-être vous aussi, pour le voir, sauf si vous l’avez chez vous, il vous faudra attendre la réouverture de la médiathèque…

PS 2) Vous avez-vu dans le titre, je vous ai épargné « on est chez soi! »

PS 3) Il me semble que l’air du temps de notre époque est parfaitement représenté par Matthieu Barreyre (L’époque)

VIVA IL CINEMA 2020 à Tours!

Tours prend des airs italiens pour son 7ème et très attendu festival Viva il Cinéma.  Nous ne coupons pas le mercredi soir aux discours de bienvenue. Ils sont chaleureux, les intervenants furent brefs,  l’une des personnalités affirmait que son discours serait aussi restreint que les subventions…

Bénévoles, Louis D’orasio le Directeur artisitique et le Président du Festival

Parmi  ces personnalités, le Directeur Artistique Louis d’Orazio, a exprimé son regret devant l’absence  des réalisateurs et réalisatrices et acteurs italiens, en quarantaine pour cause de coronavirus. 

L’une d’elles, Laura Chiosonne  lui écrivait :  « à  vouloir protéger la vie contre la mort, on finit par protéger la mort contre la vie ». La culture est l’art,  c’est en effet la vie, le cinéma en est l’une de ses plus belles expressions. 

Suit le premier film, un film de bienvenue, léger, une comédie Bentornato présidente.  Peppino (de son prénom) fut président du conseil sur un malentendu. Et il a vite compris que ce n’était pas sa place. Il se retire à la montagne avec sa jolie femme, et Guevara, sa gentille enfant. Mais sa femme qui s’ennuie est appelée au Quirinal, elle le quitte. Peppino est prêt à tout pour la reconquerir, il devient « l’homme de paille » des populistes au pouvoir, et c’est sans compter sur sa roublardise…bon ! vous savez tout. 

On ne peut pas dire que ce film brille par la finesse de son message. C’est distrayant. 

« Il campione » un film de Leonardo d’Agostini. Je commence à l’envers en vous disant que le jeune acteur Andrea Carpenzano, qui interpète un jeune et richissime prodige du foot est absolument parfait dans son rôle. Il y a beaucoup de films sur le sport et l’argent. Celui-ci est très bien pourquoi ?  Parce qu’on  fait intervenir d’autres choses.  La question de l’enfance, des d’apprentissages. Ce jeune prodige du foot se distingue aussi par des comportements caractériels. On organise un casting de prof. ( le remarquable Stéfano Accorsi)   Avec cette rencontre,  la donne va changer. C’est  vif, touchant, prenant et surprenant. J’en arrive à me demander pourquoi j’ai toujours détesté le foot ! 

Note  4/5

« Bangla » Voici un film de Phaïm Bhuiyan interprété par Phaïm Bhuiyan, un jeune homme 50% Italien, 50% Bangali, mais 100 % Torpignattara (quartier pauvre de Rome). Il est amoureux d’une jeune romaine, et là… Il faut faire un choix. Avec un dilemme pareil que tous les amateurs de cinéma connaissent, peut-on encore faire un film. Oui car Phaïm déguingandé  a du punch,  de l’humour, de l’autodérision, il est imaginatif et tellement drôle. C’est un personnage fabuleux qu’on reverra… Louis d’Orazio nous dit qu’il est incontrôlable, qu’il est trop occupé à faire tout ce qui lui passe par la tête pour faire la promotion de son film !  Je ne dirai qu’une chose, il nous faut Bangla. D’autant que Jean Claude Mirabella que nous avons rencontré durant le Festival, connaît le sujet, les lieux…
Alors pourquoi s’en priver ?

Note  : 5/5

« Effetto Domino » un film de Alessandro Rosseto. Un projet immobilier de luxe pour vieux à qui on  fait croire qu’ils sont immortels qu’ils le seront d’autant qu’on va réaliser le Paradis sur terre. Des hommes d’affaires, entrepreneurs,  banque, un zest de corruption et de jeu d’influence et comme le titre du film l’indique,  tout ce bon monde va méthodiquement, à la queue leu leu,  se rentrer dedans. On peut dérouler le film en phases,  qui vont du champagne à la ruine…C’est ce qu’a fait le réalisateur. Mais franchement est-ce que vous ne finiriez pas par vous ennuyer, même si on place des suicides au milieu ? 

Note 2/5

Sembra Mio Figlio (on dirait mon fils) Un film de Costanza Quatriglio  là il faut reprendre le synopsis, « Ismail et son frère Hassan ont fuit  les persécutions talibans lorsqu’ils étaient enfants. Aujourd’hui en Italie, Ismail n’a pas oublié sa mère … il entrevoit l’espoir de la retrouver ». Ce film tient du documentaire, mais  fait ce qu’aucun documentaire ne peut faire, montrer l’inquiètude, l’angoisse,  la peur, les personnages sont pris comme dans un syphon. Pas encourageant ce commentaire ? Ajoutons que ce cinéma nous apprend  ce qu’est le Pakistan et ce qu’est  l’exil d’un réfugié. 

Note 4/5

« Selfie »  est quelque chose entre fiction et documentaire de Agostino Ferrente : Ce film a obtenu le prix des jeunes et le Prix du Jury du Festival de Tours (SVP). Rien que le nom du film est dissuasif, imaginez-vous l’angle de prise de vue d’un selfie et  presque tout un film comme ça !  En plus les quartiers les plus pauvres  de Naples. Passons sur nos préjugés esthétiques et sociaux, trafic de drogue, violence gratuite, sous culture, camorra etc… et regardons, ces jeunes garçons avec leurs joies et leurs peines, avec leur amitié et leurs occupations. Ecoutons les jeunes filles qui font des « projets » d’avenir. A-t-on besoin d’inventer des histoires glauques et de rapports de force pour parler des quartiers pauvres ?  Voici un film comme une leçon d’amitié et d’humanité.

Note 5/5

Tutto il mio folle amore (mon amour fou)  Gabriele Salvatores  l’adolescent qu’on nous montre a des troubles dont certains s’apparentent à des formes d’autisme. (D’ailleurs, la cheffe de Service de Pédo-psychiatrie de Tours a animé le débat). Mais il faut sortir du jugement clinique, c’est un film sur la tendresse et l’altérité. Ce jeune a une mère épatante,  un père d’adoption qui aime ce jeune comme son propre fils, et un père inconnu qui impromtu apparaît dans sa vie,  et dans leurs folles aventures tous ces personnages sont remarquables  de tolérance mutuelle.  Ce film interroge aussi d’une manière serrée et joyeuse  la question de la paternité. Peut-on faire un bon film avec de bons sentiments ? Oui.

Note 3,5/5

Genitori quasi perfetti (des parents presque parfaits) Laura Chiossonne une mère  seule invite des enfants et leurs parents pour l’anniversaire de son fils unique. Et ce temps est l’occasion de nous montrer une galerie de portraits. C’est drôle, mais  sans surprise. 

Note 2,5/5

Nome di Donna (nom de femme) Marco Tullio Giordana Voici un film Mee too, le harcèlement d’un Directeur d’une Maison de Retraite contre une employée de service, mis a jour par une femme qui rompt la loi du silence. Un film sans surprise.

Note 3/5

Ride (elle rit) Valerio Mastrandea  avec Chiara Martegiani. Nous connaissons très bien ce réalisateur qui est un acteur formidable (Euforia, une famille italienne) . Mais ici , il est réalisateur. Une jeune femme vient de perdre son mari  et elle n’arrive pas à éprouver de chagrin. C’est un film déconcertant, car qui exige beaucoup du spectateur, il est composé comme un puzzle auquel il manquerait des pièces. Et le spectateur doit imaginer quelles sont ces pièces. Qui étaient le défunt, cette veuve, le père et le frère du défunt…De quoi est-il mort ? Ensuite il y a les condoléances, une galerie de portraits de gens peinés, mais de quoi le sont-ils ? Ensuite il y a l’actrice (qui est la femme du réalisateur), elle le fascine et le mot n’est pas trop fort !

Note 4/5

Et le meilleur pour la fin  Nevia un film de Nunzia de Stefano. Ça se passe à Naples. Une jeune fille de 18 ans (Virginia Apicella)  vit  avec sa petite sœur  chez sa grand-mère, dans un parc de containers. On ne peut pas dire que le monde des adultes est très structurant pour cette jeune fille, ni sa vie dépourvue d’adversité. Ce qui nous est montré, c’est une tension vers un but. Etre soi parmi les autres.  Il y a des accents felliniens dans ce film et on pense à Giulietta Masina.  Ce film il faut le voir absolument. Il est simple, comme souvent les plus belles choses et il donne de la joie !

Note 5/5

Nous passerons sur quelques autres splendeurs, moins actuelles. Merci à cette splendide équipe de bénévoles pour ce superbe travail et notre reconnaissance à Louis d’Orazio et de Jean A.Gili éminents spécialistes du cinéma Italien… et à ce propos nous avons aussi eu le plaisir de rencontrer Jean-Claude Mirabella, il nous dit, (je cite à peu près) on pourrait faire le même parallèle entre le cinéma Français et le cinéma Italien que celui qui est fait dans la littérature. Le cinéma français s’interroge sur « comment aimer », l’italien nous dit comment gouverner, c’est à dire « comment vivre ensemble ».

Georges

Sympathie pour le Diable-Guillaume de Fontenay

4 prix au Festival International des Jeunes Réalisateurs de Saint-Jean-de-Luz 2019, 4 prix au Festival de Waterloo 2019

Film français (novembre 2019, 1h40) de Guillaume de FontenayAvec Niels Schneider, Ella Rumpf, Vincent Rottiers et Clément Métayer

Présenté par Georges Joniaux, le 25.02.2020

Synopsis : Sarajevo, novembre 92, sept mois après le début du siège.Le reporter de guerre Paul Marchand nous plonge dans les entrailles d’un conflit fratricide, sous le regard impassible de la communauté internationale. Entre son objectivité journalistique, le sentiment d’impuissance et un certain sens du devoir face à l’horreur, il devra prendre parti.

31 films sont recensés avec pour toile de fond la guerre en Yougoslavie, et Guillaume de Fontenay en réalise un de plus !  Projeté en 2020, il se déroule sur la période 1992, 1993 ». Chaque film est au service de son présent.

En 1994 on est dans l’évènement,  Marcel Ophuls réalise  « Veillée d’armes » qui  comme son titre l’indique est dedans, on va y aller, et on regarde alors  derrière soi,   la comparaison avec le nazisme et son cortège est au premier plan.

En 2006,  on est juste derrière, avec « Sarajevo mon amour » de Jasmila Zbanic, c’est la traumatologie de guerre qui est traitée, celle directe des adultes et celle indirecte des enfants.

En 2019, avec Guillaume de Fontenay cette guerre agit autant comme un passé refoulé,  que comme une actualité potentielle. Une guerre entre des gens qui s’entendaient bien, savaient vivre ensemble sans se sentir menacés dans leur identité,  où les traditions religieuses se perdaient un peu, où les mariages inter-religieux étaient courants, serait selon son point de vue, une menace présente tant les nationalismes, les replis identitaires de toutes obédiences inquiètent.  Le réalisateur fait donc d’une pierre deux coups, un film souvenir, car Sarajevo n’intéresse plus grand monde,  est actuel,  d’autant que désormais, les revendications identitaires s’accompagnent de beaucoup de bruits de bottes.

Mais ce film vaut autant pour son HISTOIRE  en forme d’avertissement que pour la petite histoire de  son personnage, Paul Marchand. La manière dont le réalisateur a vécu cette guerre de Sarajevo l’a été sous le prisme des éditoriaux et témoignages de Paul, reporter free-lance pour les Radio Francophones du Canada et d’Europe.

Guillaume de Fontenay  écoutait Paul  à la radio, et en 1997, il a lu son livre. Après un temps de dégoût et de rejet, cette lecture a fait son chemin. Il a rencontré Paul. C’était un écorché vif, intelligent et engagé qui écrivait d’une manière fulgurante.  Il y a certainement eu  chez le réalisateur une sorte de fascination pour cet homme et une amitié aussi d’ailleurs. 

Paul Marchand appartient  aux journalistes engagés, à ces témoins qui sont parfois acteurs, n’hésitant pas par exemple à transporter des détonateurs. En cela il n’est pas exceptionnel. John Laurence qui fut journaliste pour CBS au Vietnam entre 1965 et 1970 décrit des faits semblables au Vietnam. Ce qui est moins courant, c’est le rapport  de Paul au danger. « Dans l’odeur du sang et de la poudre, je m’épanouis enfin. Je suis dans la ligne de mire de la mort, c’est un bonheur exceptionnel » écrit-il. Son exposition courante au danger, son refus de porter un casque ou de se déplacer en véhicule blindé, son rodéo en vieille ford  sur la « Sniper alley », ne sont pas seulement des attitudes de bravoure et de provocation, elles sont d’abord un rapport aux mondes, son monde intérieur et le monde tel qu’il est. «Il avait trouvé la paix dans le chaos, la destruction, et le désespoir » estime Jean Hasfeld lui-même reporter à Sarejevo.

Paul Marchand est de ces personnages malades qui justement parce qu’ils sont malades savent mieux que quiconque  voir et exprimer avec force et sagacité les réalités dérangeantes. Ce n’est pas tant par sa bravoure de kamikaze qui révèle un rapport au monde assez distordu que par son courage de dire et d’obliger à entendre des vérités dérangeantes, que ce personnage se distingue.

Guillaume de Fontenay fait un film  juste du point de vue du personnage, et juste sur la situation, on est immergé dans cette histoire dont il a su rendre la violence la douleur et l’angoisse, la mort et la survie, son cadre, son ambiance.

D’autant que ce film est tourné sur place dans un pays qui n’a pas encore fini de panser ses blessures. Ni de les penser au demeurant ! Et c’est par ce talent à immerger le spectateur, à produire des émotions de toutes sortes que le cinéma est un art. (Quand je pense que c’est un premier film !)

Un point me semble constant qui forme un trait d’union entre les films que j’ai vu  sur ce sujet, la dénonciation du nationalisme des Serbes. Oui il fut et continue de l’être.  Mais,  il faudrait vérifier qu’il n’y a pas un biais de perception de milieu artistique et de l’opinion  dans cette manière de décrire la genèse de cette guerre.  Elle n’intervient pas seulement par le réveil d’une génération dormante de nationalistes extrême droitistes, elle intervient dans un contexte historique de déstabilisation globale, on peut nommer 1980, la mort de Tito, 1989, l’implosion de l’URSS, 1992, la préparation de Maastrich.  Il y a aussi une situation économique désastreuse après la mort de Tito, le pays a une lourde dette de près de 20 milliards, et une inflation insensée. La machine à produire de la pauvreté est une machine très inégalitaire. Et le nationalisme est le refuge et le cache-misère de cette situation. Les solutions « bouc émissaire » sont   typiques  des situations anomiques.  En d’autres termes, j’aimerais qu’on me confirme que tout était pour le mieux dans le meilleur des mondes avant le siège de Sarajevo et que donc les éléments de dissociation et de dislocation n’ont été  que le fait de nationalistes serbes, je crois que ce serait difficile. Sur ce plan, Boba Lizdek, (la fixeuse d’alors) dans une interview donnée à la « revue internationale » en 2012 ne dit rien d’autre.

Pour finir, chapeau bas à Niels Schneider qui une fois de plus, et peut-être davantage encore, grâce à ce film et à ce rôle,  démontre qu’il est un acteur exceptionnel. Je range ce film parmi les films importants de nos projections aux cramés de la bobine. Un film qui compte.

Georges

Bavardage sur les Oscars

2020-Oscars, So White
Le Canard Enchaîné du 12.2.2020

Lundi :

-Allo Marie-No! On vient de voir la cérémonie d’ouverture des Oscars à la Télé, formidable! tu n’aurais pas l’intention d’en parler dans le blog ?

-Merci de penser à moi, mais je n’ai pas bien suivi les Oscars cette année à part de voir des gugusses défiler et prononcer à tour de rôle le mot magique « Parasite »
Parasite, Parasite, Parasite 
Remarque ça peut-être rassurant qu’ils aient choisi ce film … mais pourquoi tout pour le même ?
C’est quand même démesuré. Cet engouement collectif fait flipper…

Extrait du Canard Enchaîné :

« Cérémonie toujours dominée par des réalisateurs blancs, même si le palmarès a couronné l’excellent « Parasite » de Boon Jong-Ho. Avec Queen & Slim, l’Académie avait pourtant l’occasion de distinguer un film puissant et stylé, alliant message politique percutant et romantisme désespéré qui a été imaginé écrit et réalisé par deux femmes noires, Lena Waithe et Melissa Matsoukas ».

Merci à Marie No pour son commentaire sagace, et Queen & Slim, à suivre! .

Georges

Gloria Mundi Robert Guédiguian

Coupe Volpi de la meilleure interprétation féminine pour Ariane Ascaride à la Mostra de Venise 2019

Film français(novembre 2019, 1h47) de Robert Guédiguian avec Ariane Ascaride, Jean-Pierre Darroussin, Gérard Meylan, Anaîs Demoustier, Robinson Stevenin, Lola Naymark, Grégoire Leprince-Ringuet et Diouk Koma.

Présenté par Laurence Guyon le 28.01.2020

Synopsis : Daniel sort de prison où il était incarcéré depuis de longues années et retourne à Marseille. Sylvie, son ex-femme, l’a prévenu qu’il était grand-père : leur fille Mathilda vient de donner naissance à une petite Gloria.
Le temps a passé, chacun a fait ou refait sa vie… 
En venant à la rencontre du bébé, Daniel découvre une famille recomposée qui lutte par tous les moyens pour rester debout. Quand un coup du sort fait voler en éclat ce fragile équilibre, Daniel, qui n’a plus rien à perdre, va tout tenter pour les aider.

Au centre de Gloria Mundi  « Cash Service », qui nous dit  quelque chose sur l’état du monde d’aujourd’hui.   Aurore et Bruno  sont les petits chefs d’une entreprise qui porte en elle le signe d’un changement économique, le signe d’une économie de récession.  Economie de récession ? Oui,  pour une  partie croissante de la population, comme le disait l’un de nos Présidents, il  existe une fracture sociale. Et c’est le choix de Robert Guédiguian  de nous la montrer. 

Ce magasin est donc emblématique de la société actuelle, qui ayant perdu une large part de son industrie, propose essentiellement du travail dans les secteurs de service,  souvent de seconde main et quelquefois du travail au noir et pour une large part sous-payé et à durée déterminée.  Dans ce film,  Aurore (Lola Naymark, magnifique !) et Bruno (Grégoire Leprince Ringuet) les patrons sont chargés de bien cyniques et méchants rôles. Leur langage des affaires  singe à s’y méprendre le sabir du management actuel, à moins que ce ne soit l’inverse.

À côté,  il  y  a Sylvie (Ariane Ascaride)  la mère, Richard, le père (Jean-Pierre Darroussin) et Mathilda (Anaïs Demoustier), la fille aînée. Comme 75% de la population française ces gens travaillent  eux aussi dans le secteur tertiaire. 

Et, dans ce secteur tertiaire, on rencontre forcément la précarisation des emplois.  Elle explique la naissance prometteuse d’Uber dont Nicolas (Robinson Stevenin, bon sang ce qu’il ressemble à son père !)  est le représentant dans le film. Nous verrons que c’est un  travail  qui pour ne  pas être celui  d’un bras cassé, peut le devenir.  

Robert Guédiguian, montre la dynamique de déclassement/relégation des classes moyennes, mal payées,  précarisées, à la merci de tous les coups, fragilisées sans rémission possible, dont  même les lieux de vie  sont progressivement détruits ou bouleversés.

Et au total, un monde où ces classes moyennes paupérisées sont désunies à tous les niveaux, familial (Mathilda/Aurore), professionnel (Sylvie /ses collègues de l’équipe de ménage) (Nicolas/les chauffeurs de taxi).

L’arrivée dans le film du ténébreux Daniel (Gérard Meylan qui n’a aucunement à forcer le jeu) donne au film la touche romanesque dont il avait besoin pour ne pas être seulement  un inventaire de la misère du monde.

Avec ce film,  Robert Guédiguian  demeure dans sa veine réaliste, mais il semble que l’étau se resserre. Je me souviens par exemple, de Marius et Jeannette, le premier film que j’ai vu de lui (et en avant-première svp), les pauvres y étaient facécieux, parfois un peu roublards,  ils avaient de l’humour et pouvaient se défendre. Ce n’est plus le cas.

Gloria Mundi  m’apparaît d’abord comme  la nostalgie d’un temps que les moins de vingt ans ne peuvent pas connaître.  Celui où tout allait pour le mieux dans le meilleur des mondes possibles. Un monde qui tenait sur ses deux jambes. L’une, le profit et  l’enrichissement  continu par le  travail. L’autre,  la consommation avec pour  seule limite, un « pouvoir d’achat » qui n’était pas immuable, compte tenu d’une croissance exceptionnelle.  Une époque où  commence une ferveur quasi religieuse  pour le veau d’or de  la consommation.   

Tout cela s’accompagnant de solidarités humaines,  de famille,  de quartier de travail et de classe sociale …   Bref, de lien social.   La vision du Monde  de Robert Guédiguian c’est un peu celle de  la fin du  bonheur des boomers.  (Génération de nombreux Cramés de la Bobine, dont je suis)

Robert Guediguian comme son aîné Ken Loach réalise un cinéma de très bonne facture, mais qui est aussi celui d’une génération  un peu aveugle sur elle-même, son mode de vie et qui voudrait tant que ça continue.  Le film porte aussi  la vision un peu masochique d’un peuple qui subit et ne peut que subir face à un « système » tout puissant. 

Il serait intéressant que des gens de la nouvelle génération, tels Matthieu Barreyre (L’époque) ou d’autres, qui probablement ont un autre rapport au monde, nous parlent du même sujet avec le regard de  leur âge.

Mais revenons à Gloria Mundi,  pour notre bonheur  Robert Guediguian fait jouer ses acteurs fétiches, qui sont à chacun de ses films, un peu les nôtres, ils sont bons et crédibles, et on est heureux de voir que sa famille s’agrandit.

Georges

En Bref

Vu 1917 de Sam Mendes, un oscar possible!

Je lis que depuis American Beauty en 2000, Sam Mendes n’avait jamais été aussi près d’un Oscar. En fait, c’est un film dont le scénario ressemble un peu à un scénario de jeu vidéo. Alors, Amis gameurs bonne séance!

Georges

PS : 10 février, vu la remise des Oscars, mixage et son et effets spéciaux pour Sam Mendes. Tout à fait d’accord 🙂

An Elephant sitting Still- HU-BO

4 heures presque ! vous n’allez pas aller voir ça? 

Vous auriez tort ! Il faut absolument chercher à le voir maintenant.

Film du Festival Télérama à l’Alticiné de Montargis, dernière séance hier! Si vous ne l’avez pas vu, vous ne mesurez pas ce que vous avez perdu! Un film qui raconte la Chine, celle des déclassés des mégalopoles. Quatre personnages que le destin amène à différents instants à avoir quelque chose à vivre ensemble. La toile de fond, une Chine de polar, des rails de chemin de fer, des voies routières, des entrepôts et friches de terrains vagues, des maisons pauvres et sales…la « glauquitude » des choses… Et le bruit de la ville, un bruit et hors champ sans doute l’odeur.

Et cette manière de tourner, cette caméra qui tourne autour de ses personnages sans en avoir l’air, plans de visages, plans moyens. Jamais acteurs n’ont été autant filmés de dos, et ça nous semble naturel, nécessaire. Tout ce qui ne joue pas ou pas encore est flou. Alors moche? Non, très très beau au contraire, une chorégraphie. Quelques plans fixes qui nous mettent en attente, tout cela bien dosé, parfaitement équilibré. Il y a dans ce film sombre, une beauté lunaire, quelque chose de précieux, qui me semble unique, je n’avais jamais rien vu de semblable. La musique qui accompagne le film ? Parfaite.

-Le scénario ? du souffle! et avec ses ellipses, pas de gras- Dans cette Chine/Monde, quatre personnages dont les rapports au monde sont presque toujours déterminés de l’extérieur, comme le serait un éléphant assis. Personnages conduits par l’effet de lieu, de rôle social, de position, pris dans le tourbillon de la vie . Ils ne peuvent arriver qu’à cette conclusion :  » à côté, ce sera pareil »…Etre humain, où qu’on soit, est chose difficile, mais là… Ce film bouleversant est un exceptionnel moment de cinéma!

Peu après ce film Hu-Bo a mis fin à ses jours, il avait 29 ans. Plus rien derrière, un gâchis!

Georges

J’accuse-Roman Polanski

Soirée débat
lundi 6 janvier 2020 à partir de 18h

Présenté par Claude Sabatier en présence de Charles Dreyfus petit fils de Alfred Dreyfus (1).

La projection du film précédée d’une conférence d’Alain Pagès sur « l’Affaire Dreyfus au cinéma ».

Film français (novembre 2019, 2h12) de Roman Polanski
Avec Jean Dujardin, Louis Garrel, Emmanuelle Seigner, Didier Sandre, Melvil Poupaud, Mathieu Amalric …. 

Synopsis : Pendant les 12 années qu’elle dura, l’Affaire Dreyfus déchira la France, provoquant un véritable séisme dans le monde entier.
Dans cet immense scandale, le plus grand sans doute de la fin du XIXème siècle, se mêlent erreur judiciaire, déni de justice et antisémitisme. L’affaire est racontée du point de vue du Colonel Picquart qui, une fois nommé à la tête du contre-espionnage, va découvrir que les preuves contre le Capitaine Alfred Dreyfus avaient été fabriquées.
A partir de cet instant et au péril de sa carrière puis de sa vie, il n’aura de cesse d’identifier les vrais coupables et de réhabiliter Alfred Dreyfus. 

Heureuse soirée du 6 janvier,  Claude Sabatier et les cramés de la Bobine présentaient  J’ACCUSE,  de Roman  Polanski.  Claude  avait invité Alain Pagès, spécialiste de Zola et d’Alfred Dreyfus,  ainsi que Charles Dreyfus le petit-fils d’Alfred. Du coup la Salle 3 était   comble et un peu juste pour cette soirée-conférence, film, débat.

 Si l’on en juge par le succès du film, l’affaire Dreyfus demeure  un lieu de mémoire.  Et s’il avait fallu une image pour décrire le souffle de l’Histoire et son empreinte sur les histoires de vie, il suffisait à chacun d’apercevoir Charles Dreyfus petit-fils, cet homme nonagénaire, dont le port, l’attitude et la vivacité du regard  rappellaient ceux de son grand-père . 

La conférence d’Alain Pagès portait sur la filmographie de l’Affaire et ses différentes approches. Elle préparait bien au film, nous n’en comprenions que mieux les choix scénaristiques de Polanski conçu à partir du roman de son co-scénariste Robert Harris. L’originalité de « J’accuse »   a consisté à décaler le point de vue du récit, nous montrer Dreyfus sous le prisme de Picquart,  et de choisir la forme thriller pour donner du mouvement au film, le sortir de la case documentaire où il aurait été aisé de l’y laisser-aller. Il y a dans cette démarche une volonté de distanciation. Picquart face à un dispositif : le haut commandement de l’armée,  ses serviteurs  et  à son idéologie. Idéologie qu’il partage entièrement antisémitisme compris, à un détail près : Il considère que la vérité l’emporte sur toute autre considération. Ce détail changera le cours de l’histoire.

Alain Pages nous dit que par souci d’équilibre et de raccourci, le scénario  a modifié légèrement certains faits, mais que globalement, l’exactitude historique prévaut.  Nous y reviendrons.

Il ajoute que  les décors et scènes s’inspirent de l’imagerie des journaux de l’époque et on a tous en tête « le petit journal » dont on peut apercevoir des exemplaires chez les bouquinistes.  Dans ses films, Roman Polanski, est un maître de l’imaginaire autant que de l’image. Avec lui nous y sommes.  

Sur le plan technique, il travaille avec des techniciens fidèles et talentueux  à commencer par Pawel Edelman son Directeur Photo qui a été de presque tous ses grands films,   Hervé Deluze le chef monteur, idem  et Jean Rabasse son chef décorateur qui n’avait travaillé que pour  deux films avec Polanski, mais dont le CV est impressionnant. S’il n’était à ce point chargé d’histoire, ce film pourrait n’être regardé rien que pour ses décors,  ses plans et  changements de plans,  son habileté de montage. Tout cela dégage une impression de fluidité, de clarté saisissantes,   et de force. À l’extrême, l’image donne presque une impression de rutilance et de style pompier (au bon sens du terme). 

Nous avons aperçu  avec surprise ce que pouvait voir Alfred Dreyfus debout dans le Bureau d’un Général : Pimpante et victorieuse,  la Tour Eiffel, souvenir de l’exposition Universelle de 1889. Dreyfus devra peut-être quelque chose à l’exposition suivante, celle de 1900. Par cette affaire  la France faisait parler d’elle en des  termes exécrables dans la presse internationale, fâcheux retentissement. Lorsque fin  1899, il obtient la grâce du Président Émile Loubet… Il était temps. 

Les acteurs : D’abord, il y a Jean Dujardin magnifique dans ce rôle principal du Lieutenant-Colonel Marie-Georges Picquart, ensuite tous les personnages jusqu’au  moindre d’entre eux sont impeccables. Pour Louis Garrel en Capitaine Alfred Dreyfus, il faut dire « chapeau » au directeur de casting et au maquilleur…et à l’acteur. La métamorphose  est confondante, il est Dreyfus. La preuve ?  Charles Dreyfus le petit-fils dans la salle, parmi nous,  se tenait comme lui !  

On voit aussi par brèves incursions, la populace écumante,  avec ses violences, ses invectives. Ce qu’on ne voit pas ou peu,  c’est la presse déchaînée telle celle de l’action française.  Mais quel casting, le moindre rôle occupe tout l’espace.   Je me souviens celui du Professeur Bertillon (Denis Podalidés) graphologue de circonstance et de ses théories fumeuses…Sa fumisterie. Ou encore dans un rôle essentiel Grégory Gadebois interprétant le Commandant Hubert Henry , ce courageux serviteur issu du rang, faussaire de circonstance, capable de se battre comme un chien pour l’armée, prêt à n’importe quels coups bas pour cette (mauvaise) mère.

Et puis il y a l’histoire, et justement,  celle de Roman Polanski est originale. Il filme moins la vérité en marche, que le courage  et le prix de la vérité et a contrario, la puissance radicale et aveuglante du mensonge, avec ses faussaires falsificateurs de tous poils. (Aujourd’hui pour moins que ça, on parle de « post-vérité » !)  Il montre moins le Capitaine Dreyfus que les passions folles qui s’exercent autour de lui  dans le milieu militaire. Moins le bouc émissaire que les sacrificateurs. Et il donne des visages aux persécuteurs, ceux d’ailleurs identifiés par Zola dans « j’accuse ». Et tous ces gens forment pour l’essentiel, une caste d’officiers généraux et supérieurs, vaincus mais altiers, populaires  et aimés,  pétris de tradition catholique,   antijudaïque…Tout comme Picquart d’ailleurs.    

Impossible dans ce film de séparer le fond et la forme, le fil de l’histoire, la manière passionnante dont elle est racontée, dont elle s’enchaîne, les dialogues, toujours brefs et signifiants, la musique d’Alexandre Desplat, le refus du pathos,   tout  est là pour en faire une merveille. 

 Je voudrais toutefois revenir sur un point qu’Alain Pagès considère juste comme un raccourci. On voit le lieutenant-colonel Picquart, s’entretenir avec Emile Zola, lui suggérer d’agir, lui en démontrer la nécessité.  Cette nécessité qui deviendra pour Emile Zola aussi intime que celle de Voltaire pour Callas. Et d’ailleurs, l’aura  et le charisme de Zola plane sur toute l’histoire. Mais tout de même il faut le rappeler, l’homme qui a aiguillonné Zola, c’est Bernard Lazare. Signalons que le texte de  « J’accuse » en forme d’anaphore dont le film porte le nom lui doit beaucoup. Zola  lui a donné  sa forme  définitive  et l’a incarné, avec sa stature et son courage. Et près de Zola,  il faudrait ajouter son ami Octave Mirbeau…  Ce bémol est peu de chose, peu en regard de ce que montre ce très grand film. 

Les blancs dans le récit…Les intellectuels, les politiques, la presse, le peuple, l’église, l’antisémitisme endémique européen et ici français, constituent un hors-champ béant et volontaire. 

Le film montre le courage, celui de résister,  et ce courage définitivement minoritaire n’est pas seulement symbolique et moral, il est aussi physique.  Celui du Capitaine et des siens, de Fernand Labori, l’avocat de Dreyfus, de Zola… Et enfin celui  de Picquart dont on peut discuter bien des traits,  mais qui lorsqu’il a  découvert qu’il avait fait erreur et qu’il avait été trompé, est devenu celui par qui  le scandale a pu se manifester…et il fallait  être capable d’en supporter les conséquences. 

Après la conférence d’Alain Pagès on connaissait les originalités de ce film « J’accuse », il  figure en bonne place parmi tous ceux sur l’Affaire Dreyfus.  On peut dire que Roman Polanski dont nous avons fait une rétrospective en 2015 a réalisé une fois encore un film qui compte ! 

Noura Rêve- Hinde Boujemaa


Film tunisien (novembre 2019, 1h30) de Hinde Boujemaa avec Hend Sabri, Lotfi Abdelli et Hakim Boumsaoudi 

Synopsis : 5 jours, c’est le temps qu’il reste avant que le divorce entre Noura et Jamel, un détenu récidiviste, ne soit prononcé. Noura qui rêve de liberté pourra alors vivre pleinement avec son amant Lassad. Mais Jamel est relâché plus tôt que prévu, et la loi tunisienne punit sévèrement l’adultère : Noura va alors devoir jongler entre son travail, ses enfants, son mari, son amant, et défier la justice…

Présenté par Georges Joniaux 07.01.2020

Le nœud du film (si l’on peut dire)  est à son milieu, lorsque Jamel pénètre dans le garage et viole  Lassad l’amant de sa femme. Cette vengeance  inattendue ainsi que la contre mesure immédiate de la victime Lassad, qu’on ne comprend pas tout de suite, sont  du vrai cinéma. En effet, Lassad pris d’un élan machiavélique, organise le vol et déprédations de son propre garage pour en accuser Jamel et ainsi se venger de la violente humiliation par justice interposée. Cette séquence sépare le film en deux. 

Il y a d’un côté Noura, la femme adultère qui fuit le risque d’être condamnée par la loi à 5 ans de prison si son mari la dénonce. C’est-à-dire subir les foudres d’une institution répressive, basée sur la prohibition  de l’infidélité, afin de préserver les familles. (Et qui paradoxalement n’hésite pas à emprisonner, ce qui n’est pas des plus protecteur pour la famille en question! )

Il faut alors préciser que cette loi est d’apparence égalitaire, dans la mesure où seraient théoriquement réprimés autant les hommes que les femmes. Ajoutons que le conjoint trompé peut à tout instant interrompre la procédure avant la sentence, ce qui en d’autres termes transfère un immense pouvoir « de négociation » au conjoint trompé. Or les femmes n’utilisent jamais cette loi, alors que les hommes le font. Et le comportement de Noura, est fortement déterminé par les potentialités répressives de cette loi. Elle va induire pour une large part, sa manière de composer avec son mari, son amant, ses enfants, la justice. Pour une  part seulement car nous constatons que sa démarche de divorce est autant dissimulée au mari que ne l’est sa liaison. Tout cela contribue à transformer une femme ordinaire, avec ses sentiments et son projet de vie meilleure, en équilibriste, en menteuse et donc la diminue.

De l’autre côté donc,  ce n’est plus de la loi de l’État dont il est question mais de la loi de l’homme dans sa famille. Ici l’homme est un délinquant, un voleur de profession. Sa vengeance lorsqu’il apprend que sa femme le trompe est déconcertante et il faut l’espérer peu coutumière. (Sinon, comme Lassad, beaucoup parmi les hommes se sentiraient alors obligés de se promener avec dans la poche un certificat médical de virginité anale !). Ce qui est remarquable chez  Jamel, c’est qu’il n’est pas libre. Il exerce comme voleur dans une entreprise de Pick Pocket dont on voit que son patron (inspecteur de police) la gère d’une main de fer. Jamel est affectueux avec ses enfants, si ce n’est son  accès de violence d’un instant pendant lequel, il fiche toute sa famille dehors, sur le pas de la porte. Et cette violence lui appartient comme à la société, au milieu et à la condition dans lesquels il vit ;  elle est ordinaire. Quant à son choix de vengeance, sodomiser son rival pour l’humilier, il appartient à l’imaginaire social masculin,  l’inspecteur pourri ne lui dit-il pas en parlant de Lassad : « moi à ta place je l’aurais niqué ». Remarquons l’essentiel,  à aucun moment, dans son dépit,  Jamel cherche à  blesser Noura mais son choix de vengeance demeure tout verbal, il exclut totalement une  violence physique contre sa femme et à aucun moment il ne cherche à faire usage de la loi sur l’adultère. En d’autres termes, certainement à sa manière, il la respecte et il l’aime. Et peut-être, l’aime-t-il  mieux que Lassad, le possessif amant de sa femme.

Ce film nous montre l’enchevêtrement entre la loi nationale qui épouse comme un gant les us et coutumes de la gente masculine, remarquons alors les déterminants dans lesquels les personnages sont  piégés. 

Le principal d’entre eux,   c’est le sexe, le Phallus devrait-on dire. Ce viol de Lassad par Jamel est une manifestation phallique qui structure totalement cette société. Et au fond si Noura rêve que la loi ne vienne pas dans son lit,  si elle aspire seulement à être heureuse, dans un monde où les femmes et les hommes seraient égaux,  elle n’en vit pas moins dans une société dont l’imaginaire est aussi raide qu’un phallus.

Et c’est ce que démontre Hinde Boujemaa, une société qui n’a jamais pu se distancier des questions sexuelles, qui n’a jamais pu par exemple créer des œuvres d’humour  sur le libertinage ou l’adultère. Une société  où femmes et hommes sont figés dans des rapports de domination et de possession, sans distanciation possible par rapport aux questions de sexe. Et on suppose du même coup que l’interdit religieux, dont il n’est jamais question dans le film surdétermine tout cela. Une religion aussi raide que le genre de phallus qu’elle a produit en plaçant autant d’interdits dans les têtes et dans les lits.