….De la cinémathèque : Jean Claude Carrière

Chers amis cramés de la Bobine,

Sur le site de la Cinémathèque, un réjouissant court métrage de Jean-Claude Carrière qui me conforte (je ne serais donc pas la seule dans ce cas, d’autres, et des meilleurs, ressentiraient la même chose ?) dans mon impression que les objets ont une vie propre qu’ils s’emploient (et c’est même là le but de leur existence) à perturber la nôtre.

Dominique

LA CINÉMATHÈQUE CHEZ VOUS 13 > 20 AVRIL Toute l’équipe de la Cinémathèque a hâte de vous retrouver dans ses espaces d’exposition/musée, ses salles de cinéma et de vous voir flâner dans le jardin de Bercy à l’heure des beaux jours. Pour tenir le coup, encore un peu, la plateforme HENRI s’est dotée de films exceptionnels à l’occasion de son premier anniversaire. Et oui, déjà ! Profitez également de nos nouvelles recommandations cinéma de la semaine, à travers une affiche de nos collections et les souvenirs de voyage d’une célèbre scripte. « Le rêve est la vraie victoire sur le temps. »Jean-Claude Carrière Et surtout, prenez soin de vous.         
UN FILM EN VOD LA PINCE À ONGLES DE JEAN-CLAUDE CARRIÈRE Cette unique incursion de Jean-Claude Carrière dans la réalisation a la grâce poétique d’un rébus et pose de manière inédite une question : et si les objets avaient une vie qui leur est propre ? 

Le journal de Dominique (9)

Lundi 6 juillet 2020

            « Une rétrospective Jean-Claude Brisseau devait avoir lieu en janvier à la Cinémathèque : elle est annulée. Je me réjouissais d’avoir peut-être (tout étant fonction non seulement des jours proposés mais aussi des horaires des films et de ceux des trains), la possibilité de voir celles de ses œuvres que, par négligence (Un Jeu brutal) ou pure connerie (L’Ange noir, parce qu’y joue Sylvie Vartan…),  j’ai manquées. Pas de bol, les dirigeants de la Cinémathèque ont cédé, les cinéphiles sont sanctionnés », écrivais-je le 19 novembre 2017.

            16h 30 : dans le cadre d’un mini festival Michel Piccoli à L’Ecoles Cinéma Club ex Ecoles 21 ex Desperado ex autre chose encore, je vois L’Ange noir.  

            Où Brisseau filme le chignon de Sylvie Vartan comme Hitchcock celui de Kim Novak dans Sueurs froides, cette femme-là n’est pas celle qu’elle prétend être, le spectateur le sait depuis le début puisqu’il l’a vue assassiner froidement un homme (se faire ensuite brutaliser par sa servante/amie/complice pour faire croire à un viol), elle lui tire dans le dos, il est à plusieurs mètres de la chambre et tout habillé par-dessus le marché, comment la police peut-elle croire à cette mise en scène ? 

C’est égal après tout, l’important n’est pas là mais dans le passé de cette femme sur lequel enquête Tchéky Karyo, avocat de la défense, suivant un intrigant jeu de piste.

Dépravation. Rivalité mère-fille. Jalousie. Exploration du désir féminin, corps nus de femmes qui se caressent. Dénonciation de l’hypocrisie. 

            Auparavant :

            6h 20 : je prends le train en oubliant de composter mon billet acheté samedi. Ne m’en rends compte (gare bouleversée dans son arrangement, Relais H fermé, je suis déboussolée) qu’en entendant l’habituelle annonce du chef de bord « les voyageurs n’ayant pas acheté ou composté leur billet… ». Ne ferme pas l’œil avant de le voir se pointer, lève le doigt comme une élève, J’ai oublié… Au dos du billet il écrit BHC AVISE le 6/07/20 5900, appose un petit coup de tampon…

(D’un autre côté, mon billet AR ayant été réglé au tarif correspondant à la période dite blanche qui prend fin le matin à 8h et recommence à 17h, je ne peux le réutiliser dans la journée, ce billet « aller ». Alors, qu’il soit composté ou pas…)

… et c’est bon. Une place sur deux reste libre même après Nemours bien que ce train des travailleurs soit habituellement bondé (vacances ? télétravail ?).

            8h 30 : j’arrive aux Halles où il n’y a plus moyen de s’asseoir. Tous les bancs sont condamnés ou même, dans la cour, carrément retirés. Je pose ma thermos et son gobelet par terre et m’accroupis pour boire mon thé et grignoter mes petits gâteaux (après ça, il s’agit de se relever). 

            9h : supputant qu’il me faudra ressortir de L’UGC Ciné Cité après chaque séance afin de ne pas croiser les spectateurs entrants, j’achète d’un coup mes billets pour les trois films que je veux y voir afin de ne pas perdre de temps en refaisant chaque fois la queue au guichet. Mais aux interséances personne ne vient guider les sortants vers l’extérieur, je peux aller aux toilettes comme bon me chante puis, les sièges du hall étant utilisables, m’asseoir pour attendre la séance suivante, manger un bout de sandwich et griffonner des notes sur les films que je viens de voir…

(Rassemblés, avec sept autres, sous le titre Forbidden Hollywood, l’ère pré-code, code Hays évidemment, qui fut appliqué en 1934)

… à savoir : 

            Ames libresA Free soul

            (Curieux comme une seule âme -Norma Shearer- se dédouble -Norma et, je présume,  Lionel Barrymore- chez nous. « Une âme libre », ça sonnait bien pourtant, non ?)

            … 1931…

(Je suis tellement perturbée par les évènements et changements de la matinée que j’en oublie d’être émue quand la salle plonge dans le noir et qu’apparait sur l’écran le lion de la MGM, c’est navrant)

… de Clarence Brown. Où Norma, fille de Lionel …

(La présentation des personnages est ambigüe : depuis la salle de bain, Norma demande à Lionel de lui passer ses sous-vêtements, on croit à deux amants)

… un grand avocat, tombe raide dingue amoureuse d’un séduisant tenancier de tripot clandestin -Clark Gable- accusé de meurtre et dont son père vient de prouver l’innocence. Lionel ne voit rien à redire à ce que Norma fréquente Clark jusqu’à ce que ce dernier lui fasse part de son désir de l’épouser. Là, il n’est pas d’accord et il se fâche tout rouge. Or, il est alcoolique. Alors, Norma lui propose un marché : je renonce à Clark si tu cesses de boire. Après trois mois de vadrouille en montagne et de couchage à la belle étoile, Norma croit Lionel guéri mais dès leur retour à la civilisation…

(Une gare. Norma est partie en avant. Elle se retourne, voit Lionel de l’autre côté des voies, un train passe, il est passé, Lionel n’est plus là) 

… il disparaît. En conséquence, Norma se sent déchargée de sa promesse et retourne chez Clark qui n’a pas digéré du tout du tout d’être largué et révèle sa véritable nature en la brutalisant et en arrangeant leur mariage pour le lendemain. Sur quoi arrive Leslie Howard à qui Norma s’était fiancée. Clark lui répond que rien à faire, il veut Norma et il l’aura et de toute façon elle n’est plus épousable vu que…

(Pas sûre que ce soit la vraie formule -trop stupéfaite pour la retenir, n’en croyais pas mes oreilles- mais celle qui me vient est équivalente dans l’élégance) 

… « elle a perdu son bonbon ». Le lendemain, Leslie tue Clark en prétextant une dette de jeu devant la police. Comment sauver sa tête ? Seul Lionel le peut. Alors Norma fait tous les bars et lieux où il pourrait se trouver et le retrouve in extremis dans un dortoir miteux.  Le procès de Leslie a commencé quand il fait son entrée au tribunal (il est malade, il tient à peine debout, il puise dans ses dernières forces), cite sa fille comme témoin… 

(Elle confesse ses relations avec Clark et la raison pour laquelle Leslie lui a tiré dessus, malgré les signes de refus que lui adresse ce dernier, c’est un gentleman) 

… et bat sa coulpe…

(L’a-t-il mise en garde contre Clark ? Non, il a laissé faire. Où était-il quand le drame est arrivé ? En train de boire)

… façon Raimu dans Les Inconnus dans la maison onze ans plus tard. Sa plaidoirie une fois terminée, il s’écroule et il meurt mais Leslie est sauvé.

Female

(Ce titre me gêne, mais d’après mon dictionnaire classique anglais-français français-anglais publié en 1950 par la Librairie Hachette, il signifie aussi « (pers) femme f., jeune fille f. »)

… 1933, de Michael Curtiz. 

La « female » en question, incarnée par une actrice, Ruth Chatterton, que je ne connais

pas, dirige une entreprise de construction automobile. Autoritaire, pète-sec au boulot, elle se transforme en un être avenant et aguichant quand elle invite chaque soir chez elle un homme,  choisi parmi ses employés (il faut la voir faire son marché !), pour le consommer vite fait bien fait. Comme le lendemain elle redevient glaciale, les pauvres n’y pigent que couic. 

            Un homme, qu’elle drague incognito dans une fête foraine afin de savoir si elle peut être courtisée par un inconnu, lui fera effectuer un spectaculaire virage à 180° : elle le retrouve le lendemain à l’usine, c’est l’ingénieur qu’elle vient de débaucher chez un concurrent. Pas lèche-botte pour un sou, ce macho puissance dix (son credo : la raison d’être d’une femme est de se marier et d’élever des enfants !) fait de la résistance, finissant par plaquer son nouveau job pour repartir au volant de son automobile. Ce que voyant, elle monte dans la sienne et lui court après. Dernier plan du film : elle lui abandonne la direction de l’usine et conclut par cette phrase d’anthologie, Je veux neuf enfants ! 

Eh ben ! 

L’Ange blanc (Night nurse), 1931, de William A. Wellman.

L’ange blanc en question, c’est Barbara Stanwyck…

(Elle a 24 ans, en paraît 16 ou 17, et si je ne savais pas que c’est elle, pas sûr que je la reconnaitrais)

… une infirmière qui fait ses classes dans un hôpital…

(Une nuit elle y soigne, sans le dénoncer à la police, un bootlegger blessé qui,  n’étant pas un ingrat, lui prouvera bientôt sa reconnaissance) 

… et, une fois son diplôme obtenu…

(Les nouvelles promues récitent d’une même voix des phrases de Florence Nightingale, qui doivent être aux infirmiers ce qu’est aux médecins le serment d’Hippocrate)

… est engagée dans une famille pour s’occuper de deux petites filles dont elle découvre bien vite la santé déplorable et la cause de cet affligeant état, qui n’est autre que Clark Gable (encore lui !), chauffeur (dans son uniforme et ses bottes noires, il ressemble à un SS) qui manigance, avec l’aide d’un médecin ripou, pour se débarrasser des fillettes en les affamant (une troisième sœur est déjà décédée) parce qu’elles ont hérité de leur père une fortune sur laquelle il compte mettre la main en épousant leur mère réduite à l’état de loque alcoolique.

Tout est bien qui finit bien (si on peut considérer les choses sous cet angle) : le bootlegger s’arrange pour que des gangsters de sa connaissance s’occupent de Clark, c’est de l’assassinat mais plus efficace que la police où veut aller Barbara qu’il emmène (ne serait-il pas un peu amoureux ?), souriante et ravie (inclinaison partagée et acceptation du crime ?), dans sa voiture.

Et le film se termine là où il avait commencé, par les mêmes plans d’ambulance roulant dans les rues à toute berzingue vers les urgences, et d’un corps qu’on en descend, tout s’explique.

(Après L’Ange blancL’Ange noir, rien de prémédité, c’est le hasard, c’est rigolo) 

            18h 25 : je prends le métro…

(Ne sachant si une attestation dérogatoire est toujours obligatoire pour y voyager aux heures de pointe, je m’en suis imprimé une, cochant la case « déplacements pour motif familial impérieux, pour l’assistance des personnes vulnérables, pour le répit et l’accompagnement des personnes handicapées et pour la garde d’enfants »)

… à Maubert-Mutualité pour Odéon (peu de gens dans la rame, je m’assieds), d’Odéon je vais à Châtelet (un peu plus de monde mais je trouve encore un siège) et de là à Bercy par la ligne 14 où ce n’est pas non plus la foule des grands jours : pas de place assise mais, appuyant mon dos contre le dossier d’un strapontin relevé, je n’ai pas plus que précédemment besoin de poser la main sur quoi que ce soit pour garder l’équilibre, c’est parfait.

            18h 48 : je pénètre dans la gare de Bercy.

            19h 02 : le train démarre. À l’heure.

Le Journal de Dominique (8)

Le Pays d’où je viens de Marcel Carné

Noël, c’est aussi, tiens pourquoi pas, le film de Marcel Carné que j’ai vu le mois dernier à la Cinémathèque, Le Pays d’où je viens, avec Gilbert Bécaud dans un double rôle, celui d’un fugitif (pas un malfrat, il ne s’évade pas d’un centre pénitentiaire ni ne fuit des complices qu’il aurait doublés, ceci est un conte de Noël, les deux Gilbert sont sympathiques) et d’un musicien sans le sou, amoureux transi de Françoise Arnoul.

Françoise aussi aime Gilbert 2, mais comme il n’ose le lui dire, elle commence à en avoir marre. Le seul moyen qu’il a trouvé de déclarer sa flamme, c’est de déposer chaque matin une fleur d’edelweiss sur sa fenêtre, ce qui 

primo, est anonyme et je ne vois pas en quoi ça avance ses affaires 

deuxio, n’est pas très écologique mais peut-être les edelweiss n’étaient-ils pas protégés en 1956, ou bien les trouvait-on cultivés en pot chez les fleuristes, cependant dans le premier cas je ne vois pas Gilbert 2 crapahuter régulièrement dans la montagne en côtoyant les précipices pour faire sa cueillette, dans le second il n’est pas assez riche pour en acheter tous les jours. 

Si Gilbert 2 n’a pas le sou, Gilbert 1 est riche. Il offre à Françoise (qui le prend pour Gilbert 2 sans s’étonner de cette fortune soudaine) une longue robe du soir vaporeuse qui la transforme, elle petite serveuse de bar, en une somptueuse princesse. Et alors qu’il a abondamment neigé (dans sa fuite, Gilbert 1 a dévalé une pente couverte de poudreuse dans de coûteuses chaussures de ville, c’est pas ça qu’a dû en arranger le cuir) elle ne trouve rien d’autre, pour s’y faire admirer, que de sortir dans sa cour ainsi (dé)vêtue, les épaules et le dos nus, c’est une robe bustier, sans ressentir le moindre froid quand les autres personnages, pas fous, ont enfilé de chaudes pelisses.

Bon, la période réalisme (même si on le disait poétique) de Carné est derrière lui, et bon sang c’est un conte, au diable ce foutu réalisme ! Et vive les tournages en studio !

             Mardi 18 décembre 2012

Sholay deRamesh Sippy

Loufoque (extravagant, fou, insensé) aussi, samedi dernier : Sholay de Ramesh Sippy, avec le dieu du cinéma indien, Amitabh Bachchan, qui incarne ici un sympathique et courageux voleur/escroc recruté, avec son acolyte, par un ancien policier pour défendre (genre samouraïs ou mercenaires, mais là c’est encore plus fort car ils ne sont que deux) les habitants d’un village contre une bande de brigands qui les rançonne. Le chef des brigands, qui a des faux airs de Fassbinder, est vraiment très très méchant. Il massacre plein d’innocents parmi lesquels, pour se venger de l’ancien policier qui l’a fait arrêter (mais après il s’est évadé) la famille entière de ce dernier (à l’exception d’une belle-fille qui en a réchappé parce qu’elle était partie à la mosquée) qui voyant ça (c’est un flash-back) se précipite tout seul armé de sa seule douleur dans le repaire des brigands là-haut dans la montagne, ce qui est bien imprudent.  La preuve : Fassbinder, tenant un sabre dans chaque main, lui coupe d’un seul coup d’un seul (hors champ, dieu merci) les deux bras. Et c’est pourquoi il fait appel à Amitabh Bachchan et à son pote pour remplacer ses bras (il est toujours vêtu d’une cape, car bien sûr l’acteur a ses vrais bras repliés dans le dos, et ça lui donne une carrure imposante). Il y a aussi une incurable bavarde qui conduit un buggy et qui tombe amoureuse du pote à Amitabh Bachchan et réciproquement, je ne sais pas comment le pote peut supporter ça, d’ailleurs Amitabh il peut pas et il s’enfuit à chaque fois qu’elle se pointe. A un moment, le pote et sa dulcinée sont faits prisonniers par Fassbinder qui met à la nana ce marché en main : tu danses pour nous, tant que tu danses ton bien-aimé vit, si tu t’arrêtes il meurt. La malheureuse entreprend alors de danser, mais avec une telle vigueur qu’on a envie de lui dire ménage-toi, à ce rythme-là tu vas bientôt t’écrouler, songe à ton amoureux qui va alors périr. Mais non, elle continue avec autant d’énergie et elle est bien méritante parce que pour corser l’affaire Fassbinder fait jeter des morceaux de verre sous ses pieds. Elle souffre, elle saigne, le soleil tape dur, elle s’écroule, c’est la fin, non elle tient bon, elle se relève et ça donne à Amitabh Bachchan le temps d’arriver et de les sauver, après quoi il se sacrifie pour couvrir leur fuite. Quand il retrouve Amitabh mort, son pote fou de douleur retourne tout seul dans le repaire des brigands mais Amitabh a réussi à en éliminer pas mal alors Fassbinder se retrouve lui aussi tout seul et ils se battent férocement et le pote est sur le point de tuer Fassbinder quand stop ! voilà l’ancien policier : tu m’avais promis de me le laisser c’est à moi de l’éliminer. –Mais tu n’as pas de bras. –Non mais j’ai mes pieds. Et bing bang il commence à en foutre de sacrés coups sur Fassbinder déjà bien esquinté par le pote à Amitabh, il faut dire. Quand même, parfois il tombe mais il a un fameux coup de reins et même sans bras il se relève d’un bond et il est sur le point d’écrabouiller la tête à Fassbinder avec ses godillots cloutés (gros plan de semelle) quand stop ! la maréchaussée est là qui lui fait la leçon : on ne fait pas justice soi-même, ce n’est pas toi l’ancien policier intègre qui va nous dire le contraire. Honteux, l’ancien policier lève le pied et livre le criminel. Mais avec tout ça, Amitabh Bachchan est mort et bien mort, c’est affreux pour la belle-fille de l’ancien policier qui avait conquis son cœur. Après avoir perdu son premier amour dans le massacre susmentionné (le goût de la parole et des couleurs lui en avait du même coup été ôté), elle perd le second et s’enferme à jamais derrière ses volets ce qui est bien triste. Heureusement, tout finit bien pour le pote que sa bavarde rejoint dans le train du départ (on lui souhaite bien du plaisir avec, à portée d’oreille, une bonne provision de boules Quiès). 

Oser la démesure ! (Dec 2005)

         

Le journal de Dominique (7)Pierre Etaix-Tant qu’on a la santé

Quand les lumières se rallument, la dame assise devant moi se retourne, et nous nous regardons et nous remettons à rire (autour de nous, rien que des visages hilares), elle dit, On a bien fait de les restaurer ces films.

Il est d’abord heureux que « l’imbroglio juridique qui bloquait depuis de nombreuses années la ressortie des films de Pierre Etaix » ait trouvé une « fin heureuse et définitive »[1], sans quoi il n’y aurait eu pas plus de restauration que de ressortie en salle et nous aurions loupé quelque chose ! 

Aujourd’hui, découverte de Tant qu’on a la santé, composé de quatre courts métrages. C’est tout particulièrement le quatrième et dernier intitulé Nous n’irons plus aux bois qui fait notre bonheur. Soit, lâchés dans des champs et bosquets, trois individus ou groupes d’individus :

A = un chasseur 

B = un paysan qui répare sa clôture

C = un couple de pique-niqueurs BCBG

Le comique réside dans des gags visuels ressortant de la plus pure tradition burlesque (la tentative de franchir un ruisseau sans se mouiller les pieds ; une chaussure qui flotte au fil de l’eau, son propriétaire cherchant à la récupérer sans poser par terre le pied déchaussé etc.) mais aussi (schéma utilisé à plusieurs reprises, sans qu’on s’en lasse) de l’absurde : une action de A (ou B, ou C) a des répercussions sur B (ou A, ou C) qui croit C (ou A, ou B) fautif parce que c’est lui qui apparaît alors dans son champ de vision. 

Il en résulte tout naturellement qu’au sortir de la salle, me semblent parfaitement comiques des situations qui communément m’agacent (la rébellion des objets, loin de m’amuser ou de titiller mon imagination, m’exaspère m’énerve m’horripile), à savoir :

aux toilettes, le papier WC dissimulé sous une coquille métallique et dont l’extrémité, au lieu de pendre à portée de main, est collée au rouleau

l’absence de distributeur de savon, que je ne remarque qu’après m’être mouillé les mains

dans le métro, la porte fermée du tourniquet à laquelle je me heurte parce que, plongée dans mes plaisantes pensées, j’ai oublié d’insérer le ticket (que par ailleurs j’ai pensé à sortir de mon sac et que je tiens à la main) dans la fente qui en déclenche l’ouverture.

Si la musique adoucit les mœurs, le cinéma peut, un moment, rendre la vie plus légère.

                                                                                                              

Jeudi 8 juillet 2010


[1] www.lesfilmsdetaix.fr

Le Journal de Dominique (6) Cecil B.DeMille à la Cinémathèque

Les Conquérants du Nouveau Monde

The Squaw man

Rétrospective Cecil B. DeMille à la cinémathèque. L’idéologie que trimballe Les Conquérants du Nouveau Mondeest fort déplaisante : Indiens menteurs, traîtres à la parole donnée, et gloire aux Blancs défenseurs de libertés ne valant que pour eux, celle de piquer la terre des autres par exemple, et qui ne se laissent jamais abattre malgré les revers.

            A part ça, il y a quelques beaux moments de cinoche, comme celui où Gary Cooper faisant brûler de la poudre, sort d’un nuage de fumée comme une apparition surnaturelle dans le camp des Indiens qui s’apprêtent à faire passer un sale quart d’heure à Paulette Goddard attachée entre deux poteaux les bras en diagonale, elle est très sexy Paulette avec ses cheveux épars et dans ses jupons blancs que déchirent des Indiennes vindicatives sans doute jalouses de sa beauté de Blanche, tandis que Gary abuse momentanément le chef (qui est Boris Karloff déguisé) et son grand sorcier (sont-i bêtes ces sauvages) à l’aide de la magie d’une boussole, ce qui lui permet de délivrer Paulette et de prendre la fuite  avec elle jusqu’à ce que les Indiens dessillés les poursuivent sur une rivière avec des rapides et une chute mais Gary et Paulette s’attachent ensemble avec une ceinture et Gary attrape une branche d’arbre qui dépassait par là et tous deux atterrissent sur un rocher et les indiens qui voient leur canoë retourné en bas les croient noyés et abandonnent la chasse, et on voit un gros plan des pieds de Paulette chaussés d’escarpins qu’elle n’a pas perdus dans la furie des eaux, et dans le plan suivant elle a des mocassins que lui a confectionnés Gary c’est quand même plus pratique pour marcher dans la nature sauvage.

            Mépris déjà pour les Indiens en 1931. The Squaw man est un lord anglais qui s’est exilé dans les plaines du Far West, est sauvé par une squaw qu’il épouse et dont il a un fils, et quand ses amis du Vieux Monde débarquent pour le faire rentrer chez lui, il dit non, je ne peux pas abandonner ma femme je lui dois la vie et que deviendrait-elle, mais il se laisse convaincre de laisser partir son fils afin qu’il reçoive une éducation digne de ce nom à Oxford ou Cambridge sinon il deviendra comme son grand-père indien un pas grand-chose alcoolique. 

C’est pas joli joli tout ça.

   Samedi 4 avril 2009

Les Dix Commandements

            Ma déception est à la mesure de mon attente.

            Déjà indisposée avant le générique : une scène de théâtre aux rideaux fermés, un homme les écarte, apparaît, se plante devant le spectateur, ce doit être Cecil B. De Mille himself. Et là, il nous inflige un sermon sur Dieu. L’esclavage d’un peuple par un autre c’est pas bien, je suis d’accord, mais si la solution c’est seulement Dieu (God, God, God, il en a plein la bouche), là je dis non. Dieu aussi rend esclave. Y’en a marre de Dieu.

            En plus, c’est boursouflé, son film, c’est ridicule ! La moumoute de Moïse quand il a rencontré Dieu ! Avant, il avait le poil normal, Charlton Heston, des petits cheveux courts et châtains (il y a bien cette natte, sur le côté, un chouïa ridicule, moins ridicule cependant que lorsqu’elle pendouille du crâne lisse de Yul Brynner qui a l’avantage, sur Charlton, de bien porter la jupette). Après, un brin ébouriffé il est, surtout la deuxième fois, super brushing en arrière, ah ! ça décoiffe de voir Dieu. Ça fait pousser les cheveux aussi, il en a bien plus épais qu’avant, un vrai miracle, et c’est ce qu’il me faudrait à moi aussi, marre de perdre les miens rien n’y fait. Dieu comme lotion anti-chute, voilà qui le rendrait un peu utile.

  Jeudi 31 octobre 2013

Le journal de Dominique (5), In memoriam Michael Lonsdale

Juliette Gréco est morte.
Deux jours plus tôt, Michael Lonsdale tirait sa révérence dans la plus grande discrétion, il me semble en avoir entendu l’annonce après celle, divulguée avec fracas, de Juliette quand il est mort le premier, par une phrase lancée aux infos de 23 heures sur France Inter et puis plus rien. Seule, me semble-t-il, la chaîne France 5, en la personne de Dominique Besnehard, lui rendra hommage en remplaçant, dans son émission Place au cinéma, la projection de Chantons sous la pluie par Des hommes et des dieux, c’est quoi ça, des hommes et des dieux, pourquoi il n’y a pas Chantons sous la pluie, je fulmine jusqu’à ce que me revienne le titre du film de Xavier Beauvois dans lequel joue Michael Lonsdale, alors d’accord, c’est bien.

Et Arte diffusera India song de Marguerite Duras, le jeudi suivant à 23h 40. Souvenir lointain du film où j’avais entraîné Claudine, et de celle-ci commentant, après la séance : « Je m’endormais pendant un quart d’heure et quand je rouvrais les yeux, il y avait toujours la même image… ». C’est sûr que les plans sont longs, il y en a un qui dure six minutes, caméra fixe braquée sur les personnages figés comme dans un tableau, d’ailleurs c’est un tableau, artistiquement composé, Delphine Seyrig allongée alanguie sur un canapé, quatre hommes assis debout autour d’elle, rien ne se passe à l’image, tout est dans les voix off, ce film, c’est de la littérature. Et si rien ne bouge ou si peu ou si lentement, n’est-ce pas parce qu’il fait si chaud « Cette chaleur ! Le seul remède, l’immobilité, la lenteur, ralentir le sang » dit une voix qualifiée au générique de fin d’ »intemporelle », on ne sait pas qui parle. Usage d’un grand miroir pour agrandir l’espace et dédoubler les personnages, lesquels ne sont que des reflets, « J’ai tiré sur moi à Lahore sans en mourir » dit Michel pas encore Michael en 1975 Lonsdale, interprète du vice-consul de Lahore qui a été rapatrié à Calcutta où il se retrouve en présence de son grand amour, Anne-Marie Stretter, née Anna Maria Guardi d’une mère vénitienne, et s’éclaire pour moi le mystère du titre d’un autre film de Marguerite Duras Son nom de Venise dans Calcutta désert que je n’ai pas vu et que j’aimerais bien voir, maintenant que j’ai revu India Song

Et bientôt sur le blog des Cramés je lirai ceci : « Pour les scènes du couple Tabard, François Truffaut avait demandé à Michael Lonsdale la permission de tourner dans son grand appartement pour sa belle lumière et la vue sur la tour Eiffel. On imagine Michael Lonsdale, alors, profondément heureux : il tournait avec Delphine Seyrig. Il s’appelait Georges Tabard, elle était Fabienne Tabard, et elle était là, chez lui, avec lui. On sait [eh bien non, je ne savais pas] qu’elle fut la seule femme de sa vie : “J’ai vécu un grand chagrin d’amour et ma vie s’en est trouvée très affectée. La personne que j’ai aimée n’était pas libre… je n’ai jamais pu aimer quelqu’un d’autre. C’était elle ou rien et voilà pourquoi, à 85 ans, je suis toujours célibataire ! Elle s’appelait Delphine Seyrig.” Le dictionnaire de ma vie, 2016. Aussi, quand le vice-consul de Lahore crie Anna Maria Guardi par les rue de Calcutta, je découvre avec émotion que par sa voix Michael Lonsdale hurlait son propre désespoir.

Mercredi 23 septembre 2020

Le cinéma de Dominique (4) : Touristes ? Oh, yes ! J.P Mocky

            Ce film de Jean-Pierre Mocky raconte les aventures d’une famille (nombreuse) hollandaise qui accompagne à Paris le maire de son village afin de le soutenir dans un concours de chansons. Ils affrètent un car où tout le monde s’entasse, sauf un petit rouquin marié à une jeune femme momentanément aphone, ce qui n’est pas grave vu que le film, plutôt que parlant, est sonore, les Hollandais en question étant incarnés par des acteurs français (inconnus sauf quelques-uns dont on connaît la trogne sans savoir le nom) qui, n’en parlant sûrement pas un mot, ne peuvent qu’émettre des sons aux accents vaguement néerlandais et réduits au strict minimum. Les seuls à faire de vraies phrases dans une vraie langue, c’est la grand-mère d’origine italienne et le pizzaïolo de son cœur à qui elle était fiancée avant d’épouser, allez savoir pourquoi, un Russe homosexuel qui ne rêve que d’aller à l’Opéra pour voir un ballet (et aussi les danseurs) mais pas de bol c’est complet.

 Le jeune rouquin doit subir un contrôle sanitaire dans son usine de fromages, raison pour laquelle il part après les autres, seul en voiture, en embarquant un énorme frometon dans son coffre à destination de sa cousine qu’il doit retrouver à Paris où vraisemblablement elle réside, sinon pourquoi s’embarrasser d’un tel machin qui pèse des tonnes, si elle vivait en Hollande elle pourrait s’approvisionner sur place. 

Bref il prend sa voiture à l’intérieur de laquelle, profitant d’un arrêt essence, se glisse une belle Noire sans papiers qui, lorsqu’elle se retrouvera seule à Paris après l’arrestation de son mec comme dealer, ne cessera de lui coller aux basques, courant derrière l’auto sans se faire semer (une vraie championne), ce qu’il tente pourtant avec persévérance et moult ruses.

Dans la capitale, le rouquin se fait mettre voiture et fromage à la fourrière. Avec un couple d’Américains, il est arrosé par un employé municipal. Dans un pressing, une dame les sèche avec un séchoir à cheveux. Quand ils peuvent enfiler à nouveau leurs vêtements, a lieu un malencontreux échange de papiers et de portefeuilles, à la suite de quoi le Hollandais présente, au commissariat où il est venu s’enquérir de son automobile, un passeport US, ce que le policier trouve à juste titre hautement suspect. Alors le rouquin s’enfuit et, afin d’échapper aux recherches, pique à un Ecossais son kilt et son béret.

Pendant ce temps-là sa mère (qui sous un chapeau tyrolien porte de grosses nattes jaunes et, sous sa jupe, des culottes façon petites filles modèles de la comtesse de Ségur née Rostopchine) ne songe qu’à aller au Salon de l’Agriculture. Elle s’y fait draguer par un Espagnol très excité qui se met en slip devant elle dans une cabine, mais quand il veut ressortir, son pantalon a disparu. 

Quant à son horticulteur de père, il est pris à piquer des fleurs dans le jardin des Tuileries par un agent de la force publique et se fait illico embarquer dans un commissariat qui s’avère être celui duquel s’enfuit son fils avant de se faire passer pour Ecossais.

Et à un moment on voir JPM qui court sur un trottoir en disant des choses qu’on ne comprend pas plus que le reste, c’est joyeusement foutraque, un film burlesque où ça s’agite beaucoup sans besoin de paroles, c’est le geste qui compte.  

A la fin de la journée (et du film), le maire ne gagne pas le concours. De désespoir il se jette à l’eau et un de ses compatriotes tente de le sauver et il l’attrape par les cheveux qui sont  une moumoute mais l’eau est peu profonde.

Et on rentre au bercail (la belle Noire aussi, adoptée par l’aphone qu’elle aide à récupérer son sac lorsqu’un gamin le lui pique dans un grand magasin, ce qui fait qu’elles se retrouvent dans le commissariat déjà évoqué deux fois, Paris est tout petit) sauf les grands-parents (la grand-mère suit son pizzaïolo et le grand-père les danseurs du corps de ballet) et la sœur du rouquin qui est venue retrouver un correspondant français qui lui a écrit des lettres enflammées.

« Suite à un problème technique, les toilettes [pour hommes, au sous-sol de la cinémathèque] sont fermées pour une durée indéterminée »[1]. Au cas où les messieurs n’auraient pas compris, une seconde affiche juste en dessous précise « Toilettes hors service ».

Jean-Pierre Mocky

  C’est la raison pour laquelle lesdits messieurs se retrouvent tous, à côté, dans les toilettes des femmes qui sont, de ce fait, surchargées. J’ai de la chance, lorsque j’y entre il en reste de libres. Ce qui n’est audiblement plus le cas quelques secondes plus tard : à peine ai-je eu le temps de poser mes affaires qu’une voix masculine proteste, Merde, merde, merde, merde, et que des coups de pied sont donnés dans les portes. Quand ils résonnent dans la mienne, je dis, Doucement. Dans la cabine d’à côté, un monsieur ironise, On se croirait dans un film de Mocky. A quoi je réponds, Oui, c’est le film qui continue.

    Lundi 21 juillet 2014


[1] Quand la même chose arrive à l’UGC Ciné Cité Les Halles, la note sur la porte dit que « nos super héros se démènent pour vous sortir de là ». Ce qui ne l’empêche pas d’être toujours affichée la semaine suivante et parfois au-delà. Les super héros sont fatigués.

Manhunter de Michael Mann

Avec William L. PetersenKim GreistJoan Allen

Synopsis : L’agent fédéral William Graham vit retiré de ses obligations professionnelles depuis qu’il a été gravement blessé par le dangereux psychopathe cannibale Hannibal Leckor, incarcéré par la suite. Jack Crawford, un ancien collègue du FBI, le contacte pour qu’il l’aide à arrêter un tueur en série, Dragon rouge, qui assassine des familles lors des nuits de pleine lune. Pour réussir sa mission, Graham va se mettre à penser comme le meurtrier et va notamment consulter, dans ce sens, le détenu Hannibal Lecktor…

Seuls à deux dans la salle de l’Alticiné où est projeté Manhunter de Michael Mann, ce film réédité qui sort à Montargis en même temps qu’à Paris c’est inespéré.

Manhunter : du temps où je me permettais encore de découvrir un film à la télévision, je l’y avais vu sous le titre réducteur de Le 6è sens qui ne faisait référence qu’au don du profiler quand le titre original évoque deux chasses à l’homme : celles (reflets l’un de l’autre) dudit profiler à la poursuite du tueur en série et de ce dernier traquant ses proies, d’ailleurs pour lui les miroirs ont leur importance.

Du film je n’avais gardé souvenir (et encore, incomplet) que d’une unique (et je la pensais plus longue) séquence : un parking souterrain, sa rampe hélicoïdale…

(Je croyais qu’on en découvrait davantage alors qu’en réalité la caméra la filme toujours depuis le même point) 

… et les grincements des roues d’un fauteuil roulant avant qu’il n’apparaisse à l’écran : ça c’est bien là mais (et c’est inexplicable) comment avais-je pu oublier le climax de la séquence, soit le fauteuil roulant qui déboule avec son occupant en flammes ? Puissance du son et du hors champ.

Début…

(Mise à part l’une des premières séquences : assis devant un océan paisible, un policier du FBI tente de convaincre le profiler de rempiler en lui glissant des photos de familles assassinées. Le profiler les retourne face caméra : au lieu des scènes de carnage auxquelles on s’attend, ce sont des instants de bonheurs familiaux, c’est ce qui a été détruit qui s’offre aux regards et c’est très fort)

… du film très bavard, avec des sous-titres qui défilent à toute allure, nous avons  à peine le temps de les lire, nous galérons à emmagasiner une masse de renseignements en quelques secondes. Est-ce la raison pour laquelle (excepté la séquence susmentionnée) le film ne m’avait pas marquée ? Et pourtant :

Le tueur, longiligne de corps et de visage, affligé d’un bec de lièvre, le cheveu blond et rare, mais comment est l’acteur dans la vie ?

L’aveugle, qu’incarne une Joan Allen que j’associe trop à des rôles de victime (Volte/Face et aussi Blow out, mais là je me trompe d’Allen, chez Brian de Palma c’est Nancy).

Et Hannibal Lecter (cependant, désolée, je ne peux m’empêcher d’avoir en tête Anthony Hopkins). 

Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait. Emmanuel Mouret (2)

Les Choses qu’on dit, les choses qu’on fait.

            Fluidité de la réalisation.

            Eblouissante construction en flashbacks, histoires qui s’emboitent dans le récit, tiroirs qu’on ouvre et qu’on referme pour éclairer le présent.

            Remarquable choix des extraits musicaux qui accompagnent toujours à propos, sans surligner.

            Justesse de l’analyse des sentiments amoureux. Jeux de l’amour et du hasard.

            Qualité des dialogues, écrits, littéraires sans êtres châtiés, sonnant justes : ici, point de langage parlé, à la mode, familier pour faire, soi-disant, naturel.

            Qualité de la diction : point d’acteurs qui marmonnent en mangeant les syllabes façon Vincent Lacoste. Ici on articule et je comprends sans effort tous les dialogues, c’est bien agréable et quand même pas compliqué.

            Intelligence. Elégance. Délicatesse.

            « C’est fin, La Fontaine », dit Fabrice Luchini. C’est fin, Emmanuel Mouret, ça, c’est moi qui le dis.

            Emmanuel Mouret : le plus grand réalisateur français actuel ?

Bonne projection.

Le ciné de Dominique : Mission top Secret-Alberto Lattuada (3)

Mission top secret

            Le film d’Alberto Lattuada intitulé Mission top secret et dont la projection est prévue à 19h, est ainsi résumé dans la brochure de la Cinémathèque : « Un agent secret, qui possède un anneau d’invisibilité, part à la poursuite d’un génie du crime ».

            18h 45 : les portes de la salle Henri Langlois sont toujours fermées.

18h 50 : grand bruit dans la queue devant nous, un jeune homme est tombé, on l’allonge sur le dos, des membres de la sécurité arrivent, on fait le vide autour de lui, le jeune homme est immobile, il va très mal, une vieille bonne femme morbide remonte la queue pour voir, elle parle de pistolet électrique, elle non plus ne va pas bien mais elle c’est dans sa tête.

18h 55 : les portes s’ouvrent, c’est pas trop tôt.

19h 05 : ça commence.

Prisonnier de Chinois qui le prennent pour un espion, un journaliste américain est attaché à un truc qui tourne à toute allure. Les Chinois parlent couramment italien entre eux ce qui, on l’avouera, n’est pas banal. Le journaliste, qui répond au nom de Perry Liston, résiste à la torture et est jeté dans une geôle où se trouvent déjà un véritable espion (joué par Henry Silva) vicieux et un vieux chinois qui, avant de mourir, lui remet une bague qui peut le rendre invisible pendant 20 minutes toutes les 10 heures, grâce à quoi il échappe au peloton d’exécution, tout d’un coup on ne voit plus qu’un tas de vêtements sur le sol, car bien sûr chemise et pantalon ne bénéficient pas du même traitement… 

(d’ailleurs plus tard dans un taxi new-yorkais Perry apparaît dans un imper remonté jusqu’au cou, avec gants, lunettes de soleil et chapeau, tel Claude Rains dans le film de James Whale, mais comme il n’a pas bandé son visage il y a des vides entre le col, les lunettes et le chapeau, et le chauffeur lui jette des coups d’œil effarés)

… et il se réfugie chez une nana, il prend une douche, les robinets tournent tout seuls, et la nana est une espionne pour le compte des Américains (qui parlent italien entre eux tout comme les Chinois) et c’est comme ça qu’il se retrouve à New York où il est engagé pour retrouver un truc très dangereux (ce que c’est au juste je ne saurais le dire, une arme ? de vilaines bactéries ? en tous cas, c’est un liquide rouge contenu dans des fioles) détenu par un vilain très méchant, et comme par hasard c’est Donald Pleasance qui l’incarne. 

Et voilà Perry parti pour Londres où une espionne brune l’attend à l’aéroport  (Henry Silva, qui veut s’emparer de l’anneau d’invisibilité, lui a téléphoné -depuis la Chine ?-) pour le suivre en catimini, et où il reçoit l’aide d’Ira de Furstenberg qui marche avec les Américains et a réussi à faire partie du lot de belles filles dont aime à s’entourer Donald, lequel organise le soir même un combat de boxe, occasion pour Perry de le rencontrer.

Mais soudain voilà l’espionne brune qui atterrit dans la cour d’un château (d’où il sort, ce château ?) en deltaplane. Elle se coule dans la chambre de Perry qu’elle entreprend de séduire et qui se laisse faire sans trop rechigner (il enlève ses chaussettes). Pendant ce temps-là, Ira se glisse jusque dans la pièce où se trouvent un très très (nous sommes en 1967) gros ordinateur qu’elle veut faire disjoncter, un informaticien chargé de le faire fonctionner et un écran de surveillance de la chambre de Perry où il apparaît allongé sur son lit avec la brune. 

Arrivés là, ça fait déjà quelques minutes que les sous-titres ont disparu de la bande électrique sous l’écran (bon, ça n’est pas trop dur à comprendre mais quand même) et alors la lumière se rallume dans la salle, c’est la deuxième coupure depuis le début (il y en aura encore une autre, ce qui fera trois au total) et je me tourne vers JC que ce changement n’a pas réveillé, il dort comme un nouveau-né, et au bout d’une ou deux minutes l’obscurité revient.

Les préparatifs du combat de boxe annoncé battent leur plein, les paris vont bon train et Perry mise 1000 livres contre le champion de Donald, lequel se marre parce que le combat est truqué bien sûr, un de ses complices hypnotise le challenger, le rendant tout mollasson et incapable de rendre les coups qu’il encaisse. Mais Perry a l’œil ! Se rendant invisible, il subtilise la grosse épingle qui retient fermé le kilt d’un spectateur écossais et en pique les mollets et les fesses du champion, permettant à l’autre boxeur de reprendre ses esprits et le dessus et à Perry de gagner 10 000 livres. Donald fulmine. Comme il n’a pas une aussi grosse somme sur lui, il invite son créditeur à l’accompagner en hélicoptère dans son château en Ecosse.

Sur ce, l’espionne brune atterrit dans la cour du château en deltaplane et là, les bobines ayant été remises dans le bon ordre, tout redevient (si on peut dire) logique. Elle se coule dans la chambre de Perry etc. et Ira qui a tout vu sur l’écran se précipite à sa rescousse, on croit que c’est par jalousie mais non, elle a deviné que la brune prépare un mauvais coup, elle sauve Perry et tous deux vont ouvrir le coffre de Donald qui ne contient que de l’argent, pas trace des fioles rouges mais celle d’un coffre-fort dans une banque allemande. Par là-dessus arrive Henry Silva qui, on ne sait pas comment, a réussi à se libérer des geôles chinoises. Il sème la pagaille parmi les sbires de Donald qui le prennent pour Perry, lequel s’enfuit avec Ira en hélico.

En Allemagne, tous les indigènes parlent italien (sauf deux conducteurs de locomotives, on se demande bien pourquoi), celui de l’employé de banque mâtiné cependant d’un fort accent allemand, sans doute pour faire réaliste. Les talents conjugués de Perry et d’Ira leur permettent de voler la mallette aux fioles rouges et, après s’être donné rendez-vous dans le port de Hambourg, chacun essaie d’échapper aux tueurs de Donald qui ont retrouvé leur trace (c’est ainsi que Perry et ses poursuivants se retrouvent avec leurs voitures respectives sur les wagons d’un train de marchandise dont les conducteurs parlent allemand, voir en début de paragraphe).

Perry et Ira se retrouvent au point de rendez-vous avec les Américains qui arrivent sur une vedette rapide, mais qu’est-ce que cela ? les Chinois et les Russes apparaissent aussi. Il ne reste plus à nos deux héros qu’à jeter la mallette au fond du port afin qu’elle ne tombe pas dans de mauvaises mains, ce que voyant Donald, entrant dans l’eau tel James Mason dans Une Etoile est née, se suicide avec beaucoup de dignité et Perry jette aussi sa bague, laquelle est récupérée par un individu dont nous ne connaîtrons pas l’identité (Donald ?), on ne voit que ses mains et le doigt sur lequel il l’enfile (prémices d’un deuxième opus ?).

                                                                                             Jeudi 14 février 2019