MILLA – Valérie Massadian (2)

Prix spécial du jury international et de la meilleure réalisatrice au Festival de Locarno
Du 7 au 12 juin 2018
Soirée débat mardi 12 juin à 20h30

Film français (avril 2018, 2h08) de Valérie Massadian avec

Séverine Jonckeere, Luc Chessel et Ethan Jonckeere

Distributeur : JHR Films

Présenté par Georges Joniaux

Synopsis : Milla 17 ans, et Leo à peine plus, trouvent refuge dans une petite ville au bord de la Manche.
L’amour à vivre, la vie à inventer. La vie à tenir, coûte que coûte et malgré tout. 

Le premier qui dit la vérité
Il doit être exécuté ». Guy Béart

 

Nous avons  lu des critiques élogieuses de ce film, dans le Monde, la 7èmeobsession, Télérama, les Cahiers du Cinéma et des dizaines d’autres critiques.  D’ailleurs, avec ça, la société de distribution escomptait certainement mieux de ce film qui est demeuré  relativement confidentiel en dépit d’une bonne distribution.  Pourtant, voici un film que les cramés  de la bobine, comme beaucoup de spectateurs en France, n’ont pas aimé. Et, pour certains, pas du tout, du tout…Hier soir aussi, certains n’avaient-ils  pas envie de voir ce film, et plus encore, ce « pas envie », allait crescendo de plan en plan. D’ailleurs une spectatrice en a eu assez et a quitté la salle.

Que s’est-il passé ? Tout le monde est d’accord pour dire que Valérie Massadian filme bien. Il y a des plans magnifiques, un regard de grand photographe,  des enchaînements subtils. Des critiques louent sa profondeur de champ.

Nous avons entendu principalement trois reproches à ce film : Le premier, sa longueur, le deuxième son absence de scénario, le  troisième, le jeu de l’actrice, peu expressive et silencieuse. Ces trois arguments se combinant selon chacun.

Je crois qu’une large part de ces reproches tient à l’intransigeance artistique de Valérie Massadian. Mais de notre côté de spectateurs, ne  sommes-nous pas devant l’écran avec nos habitudes, et nos référentiels qui justement font écran à son travail ?   Alors commençons par nous regarder un peu, à travers nos choix de films  :

Considérons seulement quelques films présentés récemment sur la pauvreté, dans la sélection des Cramés de la bobine. Quand nous les passons en revue, nous constatons qu’ils sont souvent  en quelque sorte allégés par des scénarios à rebondissement, des  dialogues et  scènes piquantes,  il y a de l’action et des  sentiments. De sorte que nous les supportons bien.  Je pense par exemple  à « Louise Vimert », « Sans toit ni loi »,  « le Havre », « Rosetta » « Fatima ». Tous remarquables. Repensons un instant  à  « au bord du monde » de Claude Drexel, il s’arrête auprès des clochards, échange avec eux, mais il introduit dans son film, un artifice paysager, un écrin, «  Paris ma bonne ville (presque sans voitures), Paris ville lumière ». Bref, il biaise.

Je n’ai pas souvenir d’avoir vu une fiction qui soit essentiellement « contemplative » sur la pauvreté, c’est à dire qui se satisfait de la regarder et nous la fait regarder en face.  Et Milla est  pour moi le premier.

Mais  revenons un instant  à Valérie Massadian. Nous avons pu lire, qu’elle avait eu une l’enfance esseulée. Comme elle a eu la chance, la volonté et le talent d’être une artiste, elle a su se distancier de cette expérience primitive, quitter les voies toutes faites que cette expérience traçait. On peut dire qu’elle a été sauvée par l’art et par les quelques rencontres clés qu’elle a pu faire dans ce milieu. Elle a été sauvée par les regards qu’on a portés sur elle, les chances qu’on lui a donné. En tout cas par sa volonté première de se placer dans cette configuration.  Et, on se doute  que son premier film, Nana doit affectivement à Nan Goldin. Les belles rencontres, et la sublimation artistique. Mais Valérie Massadian est issue d’une famille d’artistes, ce qui n’est pas le cas de tous, et elle le sait. Son travail consiste à montrer comment ça se passe quand on vient de nulle part ou de pas grand-chose…

Dans Milla, Valérie Massadian  ne cherche pas à expliquer, elle considère qu’on est assez grands,  elle montre, car elle a à montrer. Elle nous montre quoi ? Trois actes de la vie d’une pauvre jeune femme. Elle aime, elle est veuve et enceinte, elle a un enfant.  Et le scénario ? Presque rien, l’effet du temps et des choses de la vie dans le dénuement – rien que ça- Ce dénuement qui se manifeste  par la gaucherie de Milla avec les objets, avec les activités de sa vie quotidienne, avec les mots, avec les autres.  Quant à sa vie relationnelle, marquée (probablement une fois de plus)  du sceau de la perte, elle est rendue  la plus réduite possible. Valérie Massadian sait rendre cette sensation. Milla montre la volonté sourde  de ne pas prendre de place, de ne pas encombrer, ni par les mots, ni par son corps…à n’être qu’à peine. Bref à compter le moins possible.

Valérie Massadian montre aussi ce que trop de critiques ont appelé la résilience.  Par instinct, par expérience et par lecture, je n’aime pas ce mot et je n’y crois pas.  Sauf si l’on entend par là, la capacité à rebondir et à vivre socialement en dépit  ses vieilles plaies, blessures, parfois inguérissables.  On voit bien que Milla porte les stigmates de ce qu’elle est : Son look, sa gestuelle maladroite, son rapport aux objets,  la pauvreté de son expression faciale. En accentuant le regard, on voit aussi qu’elle utilise toute son énergie psychique à vivre et tenir debout. On distingue l’élan vital d’une personne  tendue vers un devenir incertain, pour elle et pour son enfant. Et avec Ethan, c’est une symbiose, toute maladroite et  angoissée. La réalisatrice a choisi une actrice dont le vécu était voisin de celui de son personnage. Elle qui est une artiste, supposait l’effet cathartique de son travail avec elle. On peut parier que Séverine Jonckerre sera après ce film  délivrée, elle pourra s’ouvrir au monde. Valérie Massadian, qui sait de quoi elle parle, a voulu nous montrer à la fois l’écrasement et la résistance. Nous ne voulons pas voir l’écrasement, nous ne comprenons pas la résistance en question car elle nous est étrangère. Le pauvre n’est pas seulement celui qui n’a pas, c’est aussi celui qui plus que personne paie le prix de vivre.

Avouons qu’il y a plus reposant.

Ajoutons la poétique de  Valérie Massadian, ses cadres, sa bande-son,  mais aussi tout comme les textes qu’elle a choisis,  le poème de Léo, celui de Marie Ravenel par Léo et Milla, Add it up, de Ghost Dance, et la tendre chanson de Fréhel « Où sont mes amants ».

Certainement, je ne vous étonnerai pas de mon opinion, j’aime ce que nous montre Valérie Massadian, j’aime son parti-pris et son courage. Un courage de ne pas être aimée qui ferait frémir n’importe quel acteur du domaine social.  Je pense qu’elle réalise une œuvre de cinéaste. C’est parfois aussi une solitude, souhaitons la brève.

Georges

PS : Je viens de lire l’article de Marie-No, qui comme d’habitude m’a réjoui. Toutefois, je ne partage pas son histoire de bobo, car si les bourgeois existent bel et bien qui sont  les bobos ?  Une catégorie floue et pratique, mais c’est une autre histoire.

…En revanche, Candeloro ! j’en ris encore. 

 

Une réflexion sur « MILLA – Valérie Massadian (2) »

  1. «être bobo » c’est, pour moi, et en poussant le concept au bout, être instruit, vivre confortablement, la plupart du temps entre soi, voter à gauche, être magnanime et tellement à l’écoute … et au final passer son temps à se regarder le nombril en mode contemplatif.
    J’ai toutefois remplacé par « parisnob » (définition disponible sur simple demande) qui est peut-être plus approprié.
    Bravo pour ton article, ta présentation et le débat. Ce n’était pas un cas simple !

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