Cannes 2019

 

 

Beaucoup d’appelés, peu d’élus, c’est la vie

En dehors de la qualité cinématographique des films primés que nous pourrons apprécier, ou pas, dans les mois qui viennent, en donnant cher de la Vie,  en faisant une belle place aux urgences du Monde, le Palmarès est, déjà, un contentement.

 

Palme d’Or
«Parasite» de Bong Joon-Ho

Grand prix du jury
Atlantique de Mati Diop

Prix d’interprétation masculine
Antonio Banderas pour «Douleur et Gloire» de Pedro Almodovar

Prix du jury (attribué ex-aequo)
«Les Misérables» de Ladj Ly
«Bacurau» de Mendonça Filho et Juliano Dornelles

Prix de la mise en scène
Les frères Dardenne pour «Le Jeune Ahmed»

Prix d’interprétation féminine
Emily Beecham dans «Little Joe» de Jessica Hausner

Prix du meilleur scénario
Céline Sciamma pour «Portrait de la jeune fille en feu»

La caméra d’or
«Nuestras madres» de Cesar Diaz


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Pour rappel, étaient en compétition :
The dead don’t die de Jim Jarmush
Douleur et Gloire de Pedro Almodovar
Il Traditore de Marco Bellochio
The Wild Goose Lake de Diao Yinan
Parasite de Bong Joon-Hoo
Le jeune Ahmed de Jean-Pierre et Luc Dardenne
Roubaix, une lumière d’Arnaud Desplechin
Atlantique de Mati Diop
Mathias et Maxime de Xavier Dolan
Little Joe de Jessica Hausner
Mektoub my love : intermezzo d’Adelaltif Kechiche
Sorry, we missed you de Ken Loach
Les Misérables de Ladj Ly
A Hidden life de Terence Malick
Bacarau de Kleber Mendonça et Juliano Dornelles
La Gomera de Corneliu Porumboiu
Frankie de Ira Sachs
Portrait de la jeune fille en feu de Céline Sciamma
It must de heaven de Elia Suleiman
Once upon a time in Hollywood de Quentin Tarantino
Sibyl de Justine Triet (cf mon commentaire sur Allociné)

 

Marie-No

Synonymes de Nadav Lapid

Avec les Cramés de la Bobine, on se promène dans le Monde. Parmi tous les pays représentés, trois d’entre eux me semblent avoir un point commun, la Roumanie, l’Iran et Israël. Tous trois font régulièrement un cinéma de contestation, un cinéma qui déplaît au pouvoir. Et ils n’y vont pas avec le dos de la cuillère.

J’aime leur cinéma. « Synonymes » de Nadav Lapid  appartient au cinéma Israélien,  qui est souvent un cinéma fort et très émotionnel, à l’image de fox-trot.   

De Nadav Lapid,  je me souviens d’avoir présenté « l’Institutrice », j’avais beaucoup aimé ce film, je le trouvais vif. Je me souviens de l’importance des mots dans le film, ceux de l’enfant  Yoav, interprété par le très jeune Avi Shnaidman.  

Nous avions alors découvert le réalisateur, Nadav Lapid,  et nous avions compris que son film était largement autobiographique : Etre un enfant précoce, capable de lire, d’écrire des poèmes à 4 ou 5 ans, c’est lui. Et nous avions  aussi compris la distance qu’il y mettait, il ne parle pas exactement de lui, il est son propre matériel. « Synonymes » comporte la même intention autobiographique distanciée et le personnage principal s’appelle lui aussi Yoav. 

Le Yoav de « Synonymes » est interprété par Tom Mercier dont les Inrocks disent ceci : « Ce qu’y accomplit le jeune comédien est inouï. Le cinéaste paraît s’émerveiller de la malléabilité sans limite, des potentialités burlesques et de l’aura érotique insensée de ce corps. À chaque scène, il invente de nouveaux défis pour, dans un même mouvement, le mettre en difficulté et le mettre en orbite, le rouler dans la boue et l’immaculer ». Nadav Lapid a trouvé l’acteur qui dégageait la même énergie que lui-même. Tom Mercier est un ex-champion de Judo, et un acteur de théâtre qui est habitué à jouer avec son corps plus qu’avec les mots. Autant vous le dire, avec « Synonymes » vous êtes sparring-partner sur un ring de boxe.  

Au commencement, un homme marche vite dans les rues de Paris pour se rendre dans un immeuble haussmannien. La caméra portée le suit, ça bouge, tremble, on a l’impression qu’il a été saisi au hasard, que la caméra court derrière lui.  

Il entre dans un appartement grand, vide et froid. (L’image se stabilise et devient parfaite). Il l’arpente, va d’une pièce à l’autre, à la fois décidé et fébrile. C’est Yoav. Il a froid, très.  Il se déshabille et se réchauffe avec le jet d’eau dans la baignoire.  Quand il sort, tout ce qu’il avait, ses vêtements, son sac ont disparu. Panique,  il sort, descend les escaliers à la poursuite dérisoire du voleur,  va jusqu’à la porte d’entrée, remonte, frappe à toutes les portes, nu, il appelle. Silence, partout. Comme dans un mauvais rêve. Il rejoint la baignoire, il ouvre l’eau pour ne plus avoir froid…Ainsi commence le film. 

Nadav Lapid a vécu deux ans et demi à Paris, comme Yoav, il y a débarqué sans le sou. Et on comprend cette tentation elle fut celle d’E. Hemingway, d’H. Miller, de G. Orwell et de bien d’autres. Yoav vient à Paris pour oublier Israël. Et on le voit apprendre, mâcher les mots d’un dictionnaire des synonymes, comme des bons plats, lui qui ne se nourrit que pour la valeur d’un euro vingt-six par jour (spaghetti, tomates en dés). Il s’empare de la langue française à  y perdre son hébreu. (Comme son grand-père a renoncé au Yiddisch en Israël, il renonce à l’Hébreu en France).

Juif errant, aux mots tout droit sortis du dictionnaire de Français, Yoav dit à Emile (Quentin Dolmaire), Israël est un pays méchant, obscène, hideux, vieux, sordide…Qui lui répond : aucun pays ne peut être tout ça à la fois !

Mais, Israel est contenu dans Yoav, et Israël le rend fou ! Renoncer à son identité est une tentative séduisante et perdue d’avance, une façon d’y penser sans cesse pour se dire qu’on la rejette. Et dans ce genre de combat contre soi, on voit reparaître ce dont nous sommes faits, nos faits et gestes oubliés. Ici les ombres du passé sont ombres militaires, celles de la guerre au Liban et de l’état de guerre en général, de sa fureur et de sa folie. Ombres d’un militarisme dont il fut fier et dont d’une manière ambivalente, il veut se déprendre. Et dans ce Paris-là, il retrouve des agents de sécurité de l’ambassade d’Israël qui ne parlent qu’hébreux et à qui il ne répond qu’en français, des gens avec qui il partage l’expérience d’avoir été guerrier et qui n’en sont jamais vraiment sortis, le peut-on ? En voulant oublier sa langue, Yoav fait une tentative de résilience, mais elle est vaine.

Au fur et à mesure, dans Paris, lui qui ne voyait que des différences, ne voit à l’usage, que des similitudes, il commence à discerner sous les traits de la « vieille dame » des desseins connus. Il voit les synonymes. (Me viennent à l’esprit « les cours d’intégration » aux immigrés et l’apprentissage de la Marseillaise !  Professeur : Léa Drucker).

Synonymes est une histoire de vie avec  ses pulsions, ses amitiés, ses tourments,  et ses absurdités.  Le film donne envie de paraphraser Alphonse Allais, « tout mène à tout sortir à condition d’en sortir » ! 

Pour  » Synonymes » la revue Transfuge dit que Nadav Lapid est à  la fois « chorégraphe, sculpteur, philosophe et cinéaste ».  Rien ne me semble  plus juste. J’ajouterai que c’est aussi un conteur qui nous dit qu’entre l’ici et l’ailleurs, il n’y a pas tant d’écart. Et il nous propose donc d’être de partout. En somme de ne pas être nationaliste.

Georges

PS 1 : Le co-scénariste est Haïm Lapide, le père de Nadav, ils ont, à ce que j’en ai lu,  une belle complicité artistique et politique. Bien que Nadav soit plus absolu.

PS 2 : Mon ami Hervé écrit ceci que je vous livre : « En opposant systématiquement tous les antagonismes quelle que soit la scène – l’amitié, l’amour, la violence, les corps, les sentiments, la culture, l’éducation – il interpelle avec violence tout ce qui constitue l’individu, tout ce qui l’identifie, tout ce qui l’oblige et le contraint, et ce à quoi il ne peut jamais renoncer. C’est à la fois assourdissant et angoissant, car on ne peut se libérer de rien. On en ressort vidé, comme le héros Yoav si admirablement bien joué, vidé par un combat physique, mené contre chaque pan des espérances et des désirs, dont le sens se perd dans des formules qui extirpent ce qui resterait de certitudes. Même la musique n’est pas absente de ce stratagème de la déconstruction. On ne peut pas appartenir à un monde qui n’est plus. Ce film repose les limites des appartenances. Il dissout l’image d’une identité construite dans le creuset nationaliste, une notion idéologisée par une bourgeoisie qui en a depuis longtemps quitté le terrain et dont elle s’efforce de faire renaître en vain le mythe, espérant y soumettre les peuples sous son égide réinventée ».

PS 3 : Je tombe sur un petit livre d’Hannah Arendt, « nous autres les réfugiés ». (très beau, pas cher!) Elle y (re) parle du paria juif qui ne peut nulle part se sentir chez lui. Yoav renvoie à sa manière à la définition de H.A.

C’est ça l’AMOUR de Claire Burger

C'est ça l'amour : Affiche

Variation sur le thème de l’amour.
Quand on quitte le film, on aime les personnages, on les connaît et on ressent l’amour puissant qui les lie.
« Toute ma vie, c’est vous aimer »
C’est le « vous » que Mario, à ce stade de sa vie, va devoir revoir. Pour lui-même et pour ceux qu’il aime. Changer en mieux, changer en plus grand, pour lui et pour les autres. Élargir et ouvrir son cœur, pour que ceux qu’il aime déjà s’y sentent bien et que d’autres s’y nichent.
C’est montrer cet éveil à soi qui était le plus casse-gueule et c’est particulièrement bien réussi.

Scénario très bien écrit, comédiens épatants ! et j’ai aimé voir, ce qu’on voit rarement au cinéma, que, chez les gens simples aussi, la Culture est une évidence au quotidien, qu’elle est tissée dans la trame des jours.

Présenter un film et animer le débat … Pas simple .
Mais faire des recherches en amont, grâce à internet, ça, c’est vraiment top ! On tire un premier fil et on déroule. Les interviews, les extraits, les articles, les musiques …

Grâce à « C’est ça l’amour » j’ai fait la connaissance de Geminiano Giacomelli (1692-1740)  qui, pour Carlo Brochi, plus connu sous le nom de Farinelli, le plus célèbre des castrats, composa pour son opéra La Merope en 1734, l’aria « Sposa non mi conosci ».
A l’époque, le succès des castrats était tel que parfois, le nom du compositeur restait dans l’ombre et Vivaldi (1678-1741) reprit cette aria un an plus tard (pratique courante à l’époque) dans son opéra Bajazet en 1735, en adaptant les paroles « Sposa, son disprezzata »
Dans le film, c’est la version Vivaldi par Cecilia Bartoli.

Depuis j’écoute cette aria dans ses 2 versions et ses multiples interprétations. Un bonheur.

C’est ça aussi, le cinéma

Marie-No

Anémone (1950-2019)

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Anne avait joué au cinéma dans le rôle titre du film de Philippe Garrel « Anémone ».
C’était sa première fois et ce nom lui allait si bien, qu’elle le garda pour 70 films, 20 pièces de théâtre et pour le reste de ses jours.
Longtemps pressée « de rire de tout de peur d’être obligée d’en pleurer »,  elle semblait depuis avoir laissé l’amertume creuser son lit dans le vague accueillant de son âme.
Troublante, désopilante, triste, désenchantée, belle, détachée, si attachante, Anémone était hors champ, hors circuit et l’éclairagiste de la vie ne semblait plus être très drôle.
Absent mais présent quelque part, le sourire inquiet de son regard perdu reste et nous reste..