Kino + Maurice

Kino Avoblo – Wix.com

https://kinorama77.wixsite.com/avoblo

 

« Faire bien avec rien, faire mieux avec peu… mais le faire maintenant ! »

Le WE dernier, je me suis lancée dans cette belle aventure avec la sensation, au début effrayante, puis, grisante de plonger dans le vide.
La journée « scénario » de jeudi ayant été annulée(pas assez d’inscrits),  on a démarré directement le vendredi avec la session de création.

Et dimanche soir « Maurice » était projeté, avec les 10 autres réalisations, sur grand écran !
« Maurice », mon court métrage ! modeste certes et très court (3mn48) mais qui a le mérite d’exister !
En partant de zéro (jamais tourné, pas de matériel ..) j’y suis arrivée !
J’en suis fière, bien sûr, mais surtout, pendant ces 3 jours, j’ai rencontré des gens formidables,  Aurélie Laffont, Jean-Pierre Becker qui ont fait exister  ce projet et tous les participants (28), certains bien « perchés », tous complètement là.
En 3 jours, j’ai appris beaucoup de choses, je me suis enrichie et bien amusée.

Voici « Maurice »

http://vimeo.com/273658487

Marie-No

The Third Murder – Kore-Eda

Nominé à la Mostra de Venise et au Festival du film policier de Beaune
Du 24 au 29 mai 2018
Soirée débat mardi 29 mai à 20h30

Film japonais (vo, 2018, 1h43) de Hirokazu Kore-eda avec Masaharu Fukuyama, Koji Yakusho et Suzu Hirose

Titre original : Sandome no Satsujin
Distributeur : Le Pacte

Présenté par Georges Joniaux

Synopsis : Le grand avocat Shigemori est chargé de défendre Misumi, accusé de vol et d’assassinat. Ce dernier a déjà purgé une peine de prison pour meurtre 30 ans auparavant. Les chances pour Shigemori de gagner ce procès semblent minces, d’autant que Misumi a avoué son crime, malgré la peine de mort qui l’attend s’il est condamné. Pourtant, au fil de l’enquête et des témoignages, Shigemori commence à douter de la culpabilité de son client.

Le film commence par un assassinat, Misumi tue un homme en lui assénant un coup de clé à molette sur la nuque et brûle son corps avec de l’essence. Sa culpabilité ne fait aucun doute, d’ailleurs il a tout avoué. Son récit est conforme aux images que nous avons vues. Misumi a déjà fait 30 ans de prison pour deux assassinats. Cette fois il est accusé de vol et d’assassinat. Il risque la peine de mort.

C’est une vérité simple, il a tué pour voler.  La peine de mort existe au Japon, il devrait être pendu, c’est plié. Or, Shigémori, l’avocat de la défense, un homme à la fois cynique et sagace, observe des faits plutôt contradictoires avec la version officielle et  se met à douter des faits.

Nos convictions de spectateurs avancent un peu en même temps que les découvertes de l’avocat Shigémori… nous les remanierons constamment car ce film est aussi un thriller. Du coup nous nous demandons quel est le statut de ces premières images ? Nous montrent-elles le crime ou une version plausible du crime, telle que de Misumi l’a avoué, et telle qu’elle convient à la procureur ?

Il nous sera suggéré différents mobilesdu crime dont deux qui excluent  le supposé coupable.

-Misumi a tué pour voler car il était endetté, dettes de jeu. C’est la version admise (extorquée ?). L’avocat découvre qu’il a 50 000 yens sur son compte et pas l’ombre d’une dette. Nous y reviendrons.

– Il a tué son patron par vengeance. 2 mobiles, il venait d’être licencié ou son patron commettait des actes délictueux.

– Il a tué son patron sur commande de l’épouse qui voulait toucher l’assurance vie.

– Il a tué son patron parce qu’il était incestueux, qu’il aimait  cet enfant un peu comme sa propre fille (qu’il n’a plus revu depuis qu’elle avait 8 ans)

(Si on ne sait pas qui a tué, une certitude, tous les plans de Misumi consistent à protéger cette enfant, y compris contre elle-même)

-Le patron a été tué par n’importe qui

-Il a été tué par sa propre fille et le Misumi endosse ce meurtre.

Koré-Eda a pris soin de rendre la culpabilité ou l’innocence de Misumi indécidable, il s’est arrangé pour que nous ne soyons sûrs de rien.

La défense du coupable ( ?)  Est  l’occasion de voir le fonctionnement de la justice et de la défense et les attitudes des protagonistes. Si l’on se rappelle bien le jeu cynique de Shigemori l’avocat de la défense, on doit se rappeler que la procureure ne l’est pas moins, qui veut refuser l’enregistrement d’un argument parce qu’il contredit sa version. De même elle a retenu l’endettement au jeu comme cause de meurtre alors que Misumi a un compte créditeur récent, confortable, de source obscure. Bref de part et d’autre la vérité ne sort de son puits. Du côté du  représentant du juge, ce n’est pas mieux : « On ne recommencera pas un procès, ça coûte cher  et ça entacherait sa réputation ».

Du côté de l’investigation,  l’avocat bouge lui aussi et faute de percer les mystères de  l’affaire, il découvre des choses intéressantes sur la femme de la victime  et sur sa  fille. L’une, la mère affecte une attitude peinée, que viennent contredire ses magouilles et son silence coupable lors des rapports incestueux de son époux avec leur fille. La fille plus authentique et sensible, est proche de Misumi, « l’assassin » de son père.  L’avocat mesure   le  mystère de cet assassinat et surtout,  le mystère Misumi.  Ce dont témoigne la gradation des plans  de rencontre de ces deux hommes, chacun d’un côté derrière la vitre du  parloir.

Remarquable cheminement de l’avocat. Comment marquer les mouvements de son âme, lui qui prétend justement ne pas avoir d’état d’âme, « l’empathie est inutile pour défendre un accusé, dit-il au début du film ».Pour être plus juste, il faudrait dire : remarquable la manière de Koré-Eda pour montrer l’évolution de l’avocat. Tout se passe dans la relation duelle du parloir. À chaque fois il cadre d’une manière nouvelle, et toutes les variantes de prise de vue sont utilisées, du simple champ contrechamp en passant face à face, un face-à-face avec effacement de la cloison, jusqu’à la fusion, superposition des images de l’un et de l’autre. Il y a même un dialogue, ou le reflet de Misumi le fait paraître tel un spectre. Mais revenons à l’avocat, il ne sortira pas indemne de ces confrontations. Il y a entre lui est Misumi un mouvement progressif  qui rappelle la philosophie de Lévinas, une relation de visage à visage, une relation à autrui, chaque fois plus authentique et qui oblige.

Misumi « La coquille vide » ?  Un prêt à penser.

Le policier qui avait arrêté Misumi il y a 30 ans témoigne à l’avocat :  « cet homme changeait  de version à chaque fois, c’était une coquille vide ».C’est une réflexion qui a de l’allure, même si on ne sait pas trop ce que cela signifie. Dans le dernier dialogue, Shigémori reprend, « Êtes-vous une coquille vide !? ». L’attitude de Misumi montre l’inanité de la formule, la coquille vide est ce qui reste d’un être qui a été vivant, il n’y a pas de génération spontanée de coquille. Une coquille vide est aussi un réceptacle, et Misumi a été le réceptacle de tout ce qu’on a échafaudé à sa place. Il est le meurtrier par toutes les versions à la fois, même les plus contradictoires. Il en arrive même à plaider coupable pour être sûr d’être condamné.

Shigémori découvre progressivement que cet homme avait préparé sa mort. Payé son loyer, tué ses oiseaux (sauf un, qu’il a laissé s’envoler) avant d’aller se constituer prisonnier et d’avouer tout ce qu’on veut.  Il découvre aussi que ce n’est pas le hasard qui l’a conduit à le défendre. Lui qui pensait avoir choisi son client en vient à penser qu’il a été choisi par lui.

Misumi a joué avec les avocats et la justice comme un joueur de go, en stratège,  quelquefois en tacticien ( changer de stratégie de défense et plaider non coupable est un coup tactique). Shigémori qui était dans les pas de son père, le Juge  qui 30 ans plus tôt, avait gracié Misumi retrouve et adopte salutairement une démarche qui fut celle  de son père par Misumi interposé. L’effort de Shigémori pour comprendre son client est quelque chose de nouveau chez lui. La rencontre entre ces deux hommes dans la prison cette fois, après la condamnation à mort  laisse penser qu’il a compris quelque chose de Misumi. Cette tentative de compréhension tout intellectuelle, assez dépourvue d’affects, vaut pour de la compassion. Et, après cette affaire, on suppose que Shigémori ne sera plus exactement le même  homme.

Le rapport des enfants avec les pères est abordé d’une manière récurente dans les films de Kore-Eda. Ici deux exemples, celui d’un père violeur, et de son côté,   le père de l’avocat en vieillissant qui  a perdu de son humanité, ses présupposés sur les criminels se résument ainsi : « Il y aurait des natures criminelles ». Avec la rencontre de Misumi, le balancier semble aller dans l’autre sens pour le fils.

Misumi est condamné à mort. Quittons le film un instant pour dire que la peine de mort a l’assentiment de 80 % de la population japonaise. Nous avons vu que la justice  produit un système qui veut juger en dehors de la vérité (sincérité) et  choisi, au Japon comme ailleurs, de mettre en place un jeu où les faits ne valent pas pour leur valeur « vraie ou fausse », mais pour leur « tarif », c’est-à-dire   la sanction encourue par le prévenu. Kore-Eda, montre que ce  jeu   a ses valeurs propres et n’inclut nécessairement la vérité mais l’usage (l’instrumentalisation)  qu’on en fait. L’approximation, le caractère douteux du jugement peut aboutir à la peine de mort qui elle, n’est pas une approximation.

Avec Misumi, Koré-Eda nous présente un personnage qui est un assassin idéal qui arrive à point nommé en tant que coupable, et peu importe qu’il le soit ou non. D’ailleurs il n’est peut-être « qu’un simple candidat au suicide judiciairement assisté ». En France par exemple, en son temps, l’affaire Buffet/Bontemps avait révélé un homme (Buffet) qui a utilisé la justice pour mettre fin à ses jours et plus encore. … Il existe d’autres exemples similaires aux USA.(1)

Avec ce film, Koré-Eda va à  contresens  de l’opinion dominante Japonaise sur la justice et la  peine de mort.  Il  réalise une fois de plus un très bel fiction et en même temps un bon documentaire.

 

PS : En revanche les prisons au Japon, si elles sont bien reproduites dans le film, semblent moins ignobles qu’en France, il est vrai que ce n’est pas très difficile.

(1) Je crois me souvenir que cet usage de la peine de mort comme moyen de  suicide a été décrite et documentée dans « la compulsion d’avouer » de Théodor Reik. (psychanalyste 1888/1969) 

(1 bis) Se souvenir de la fascination pour la mort de Gary Gilmore dans « le chant du Bourreau » de Norman Mailer ou encore de « l’instinct de mort » de Mesrine.

 

 

 

 

Mon oncle de Jacques Tati

 

Du 24 au 29 mai 2018Soirée-débat jeudi 24 à 20h30Film français (1958, 1h56) de Jacques Tati
Avec Jacques Tati, Jean-Pierre Zola et Adrienne Servantie

Présenté par Jean-Loup Ballay

 

 

Synopsis : Le petit Gérard aime passer du temps avec son oncle, M. Hulot, un personnage rêveur et bohème qui habite un quartier populaire de la banlieue parisienne. Ses parents,M. et Mme Arpel, résident quant à eux dans une villa moderne et luxueuse, où ils mènent une existence monotone et aseptisée. Un jour que Gérard rentre d’une énième virée avec son oncle, M. Arpel prend la décision d’éloigner son fils de M. Hulot. Il tente alors de lui trouver un travail dans son usine de plastique, tandis que sa femme lui organise un rendez-vous galant avec l’une de leurs voisines…

Silhouette dégingandée, saccades apprivoisées, déséquilibre sans cesse conjuré, feutre mou et raideur mécanique alliée à une politesse vieille France pour saluer dames ou demoiselles, à une distraction apparente dont on ne sait trop si elle n’est pas jeu cocasse avec le réel, subversion élégante et pince-sans-rire d’une modernité tellement sclérosante qu’il faut la mimer jusqu’à l’épuiser, pousser sa logique jusqu’à l’absurde… C’est toujours un plaisir ou au moins une redécouverte, dans Mon oncle, sorti en 1958, que le jeu de Jacques Tati, personnage gracile de BD, masque burlesque mais inexpressif à la Buster Keaton, marginal moins rejeté par la société qu’en minant de l’intérieur les codes, même si l’on ne peut s’empêcher de penser à Charlie Chaplin (l’émotion pathétique et la dénonciation sociale en moins), au Charlot des Temps modernes se battant avec sa clé à molette et ses écrous sur une chaîne de montage face à M. Hulot dans la cuisine entièrement automatisée de sa belle-sœur Mme Arpel : des ustensiles peu préhensibles, des appareils ménagers…électrocutants, un tiroir s’ouvrant et se refermant brusquement comme pour happer une poêle ou une casserole – le monde des objets semblant vivre d’une vie autonome, inquiétante, prêt à se venger de son créateur, dans un délire quotidien digne de Frankenstein

A vouloir éliminer la blessure du hasard ou de l’approximation, tout maîtriser du réel, et s’entourer d’un confort parfait, le grotesque couple Arpel a construit l’instrument de son propre asservissement : une maison de carton-pâte, d’un cubisme ridicule, un décor de cinéma comme on n’oserait plus en exhiber dans les fictions les plus exotiques ou les histoires les plus débridées, avec ses couleurs criardes ou acidulées, roses, vertes, violettes, ses lignes impeccables, ses œils-de-boeuf panopticons surveillant le quartier, ses dalles seules foulées pour préserver l’allée curviligne et jusqu’à cette fontaine-poisson qu’on ne déclenche que pour les invités de marque. Un monde rectiligne, quadrillé, à l’image du gilet du toutou de la famille, parfaitement assorti à l’écharpe de M. Arpel, un univers de voies déjà tracées, de réponses sans questions, de flèches routières, soulignées à la craie sur le sol, annoncées dès le générique par les poteaux indicateurs – un monde qui n’autorise les courbes des cercles-tapis que pour les domestiquer, les circonscrire en hublots ou paillassons, un monde de propreté absolue, entretenue par la maniaquerie maladive de madame, qui époussète les murs ou les pots de cactus autant que ses tapis ou tentures. La nature se venge de l’homme, tels cette fontaine phallique qui se détraque au milieu de la garden-party, obligeant Pichard, le collaborateur d’Arpel à se couvrir de terre en creusant une fosse, ou ces tubes fabriquées par l’usine Plastac, que l’incurie et l’endormissement de Hulot employé par son beau-frère transforment en boudins interminables et inarrêtables. Le clou du spectacle est peut-être cette porte de garage à ouverture automatique et à rayon infrarouge qui se referme sur M. et Mme Arpel, que leur chien délivrera en passant dans le faisceau lumineux après avoir provoqué de sa queue la catastrophe !

Face à ce monde carré et congelé, parcouru de pantins purement sociaux, s’épanouit la poésie d’un vieux quartier, comme un village montmartrois, la maison ouverte et improbable de Hulot, biscornue et archaïque comme un château hanté, étrange et familière comme le palais de dame Tartine, buissonnière et incohérente avec ses baies et coursives ouvertes, ses escaliers étroits, ce 3ème étage qu’il faut atteindre pour monter, non, pour descendre au deuxième : une vie trépidante, des rencontres embarrassées sur un impossible palier, l’activité fébrile du marché à deux pas. La vie dans les années cinquante, ce côté réalisme poétique, avec ses bandes de chiens errants autour des poubelles, son muret effondré, ce vieux réverbère défoncé, la carriole du chiffonnier et surtout ce terrain vague où des gamins crasseux, morveux et dépenaillés inventent des jeux improbables – course-poursuite, escalade sur un vieux pneu – tout un univers à la Doisneau ou à la Prévert – on pense aux belles photos qui émaillent l’album du photographe sur un texte de Cavanna Des doigts pleins d’encre, surtout dans ses dernières pages. Gérard, le fils Arpel, neveu de M. Hulot, un peu raide mais rétif à la rectitude parentale, louvoie entre les deux mondes : comme le chien de la famille s’encanaillant dans les faubourgs avec les canins prolos, il fait le lien entre ses parents et son oncle dont il se sent si proche mais dont le départ pour s’occuper d’usines en province libérera enfin la relation à son père enfin attendri, lequel joue à se cacher et fait preuve d’une fantaisie inaccoutumée à l’aéroport.

Le plus frappant pour moi dans cet inimitable classique du burlesque réside dans l’économie de la parole et du silence. On a tout dit de la poésie de ce film, de ces curieuses synesthésies de la lumière suscitant un chant d’oiseau lorsque s’ouvre la baie vitrée chez M. Hulot, des bruitages qui constituent un véritable décor sonore et mêlent des sons bien réels, et d’autres, enregistrés en studio ou post-synchronisés. En revoyant Mon oncle , ces bribes de paroles, ces borborygmes qui avaient pu m’agacer dans ma jeunesse bavarde, dans Les Vacances de M. Hulot notamment, me semblent aujourd’hui singulièrement signifiants, surtout quand ils se mêlent aux propos des Arpel, des cadres de l’entreprise ou de cette voisine grotesque, caricature assumée d’Hulot, à peine adoucie par son bibi rond et une boule canine, à l’allure de Castafiore et au masque de Cruella que Mme Arpel verrait bien fréquenter, voire épouser son frérot lunaire . Mon Oncle nous offre une formidable satire de ce règne de la « parlote » brocardé par Brel – réduit ici à l’écume de propos mondains, de politesses de voisinage, du jargon ultra-libéral ou de slogans commerciaux.

Comme un insipide bourdonnement, une rumeur profuse et diffuse, l’eau tiède de la vie moderne à quoi s’opposent les onomatopées du quotidien, les rires éclatants des gamins, la faconde d’un balayeur peu efficace, les cris des marchands de beignets, les voix tonitruantes des forains et bonimenteurs, les éclats de couples en souffrance – ces cris de Paris dont la symphonie discordante défie la morale mortifère et l’étouffante pureté des lignes de vie.

Un inventaire surréaliste, ou « à la Prévert » comme on dit, contre « la complainte du progrès » de Boris Vian…

Claude

 https: Boris Vian -La complainte du progrès (1956) //www.youtube.com/watch?v=9PTqTjHs5c0